BIS Papers Nº 71 – Les finances des banques centrales 1
Avant-propos
Jaime Caruana
Les banques centrales ne sont pas des banques commerciales. Elles ne recherchent pas le profit et ne
sont pas soumises aux mêmes contraintes financières que les établissements privés. En pratique, cela
signifie que la plupart des banques centrales pourraient perdre de l’argent au point d’avoir des fonds
propres négatifs tout en continuant à fonctionner parfaitement normalement. Il est pourtant difficile
d’imaginer un scénario si extrême qu’il les obligerait à transiger sur leurs objectifs stratégiques afin de
continuer à régler leurs factures.
Or, il est loin d’être clair pour tout le monde que les fonds propres comptables d’une banque
centrale peuvent être négatifs sans qu’il y ait lieu de s’alarmer. C’est ainsi que les marchés peuvent mal
réagir, estimant à tort que les pertes ont des répercussions négatives sur l’efficacité de la politique
monétaire. Les responsables politiques peuvent, eux aussi, conclure hâtivement que de mauvaises
décisions ont été prises au détriment des contribuables, ou que la banque centrale attend du
gouvernement d’être sauvée. De telles prédictions autoréalisatrices sont dommageables et ne servent les
intérêts de personne.
Même les bilans financiers les plus irréprochables, par leur qualité et leur clarté, ne sauraient
empêcher de telles perceptions erronées. Idéalement, les banques centrales devraient être dotées des
ressources et des mécanismes financiers dont elles ont besoin pour assurer, y compris en période de
crise, leur fonction auprès de la société. Il faudrait donc, vraisemblablement, que ces ressources et
mécanismes soient suffisants pour maintenir des fonds propres positifs face à des pertes résultant de
mesures prises dans l’intérêt public. En bref, il importe que la banque centrale reste financièrement
indépendante.
Les finances des banques centrales n’ont jamais été l’objet de beaucoup d’attention. Mais il
semble opportun de se pencher sur le sujet, maintenant que beaucoup de banques centrales ont adopté
des politiques dépassant largement le cadre des stratégies conventionnelles. Les politiques sans
précédent suivies par certaines d’entre elles entraînent des charges qui constituent régulièrement un
sujet de préoccupation pour la BRI. Du point de vue de leurs propres finances, les banques centrales ont
habituellement les ressources nécessaires pour gérer elles-mêmes de telles charges. La BRI n’a aucun
doute quant à ces banques centrales qui assument actuellement des risques financiers extraordinaires.
Mais sa compréhension des spécificités des banques centrales, sur laquelle repose sa confiance, n’est pas
forcément partagée par les marchés ni par les autres parties prenantes.
La présente publication pose les questions suivantes : quel est le niveau de ressources
financières suffisant et quels sont les mécanismes financiers appropriés pour maintenir ce niveau ? Bien
entendu, les réponses sont complexes et dépendent fortement de l’environnement économique et
politique de chaque banque centrale ainsi que des fonctions qu’elle assume. Ce document fournit un
cadre de réflexion sur ces questions et fait ressortir quelques préférences.
La présence d’un régime approprié de distribution des excédents semble particulièrement
importante. Un tel dispositif présente deux spécificités. D’une part, les rétentions et les distributions
d’excédents doivent être étroitement liées à un objectif de ressources financières qui soit lui-même réglé
en fonction du besoin potentiel de ressources en temps de crise. D’autre part, les gains de réévaluation
latents et les revenus tirés d’actifs particulièrement risqués ne doivent pas faire l’objet de distributions,
car ils ne constituent pas des bénéfices définitifs.
Pour que la confiance s’installe, il serait souhaitable que les gains latents et les revenus d’actifs
à risque soient, en toute transparence, mis à l’écart des distributions, plutôt que de se fondre dans le
régime de distribution par le jeu des méthodes comptables. Cela supposerait de comptabiliser à leur
juste valeur certains instruments financiers dont les fluctuations de valeur sont susceptibles d’intéresser