MEI, nº 28 (« La communication nombre »), 2008
160
besoin de mesure et d’objectivation et (3) à saisir la dimension
fictionnelle de cette rationalisation.
L’efficacité comme interface beauté /science
Pour aborder l’univers des apparences, science et beauté constituent deux
entrées magistrales qui gagnent à être coordonnées dans la même per-
spective des pratiques cosmétiques 1. C’est ainsi que nous obtenons science
de la beauté – au sens désuet d’art empirique – et beauté par la science, les
sciences de la nature étant de fait aujourd’hui le moyen privilégié par les
cosmétologues pour construire leurs savoirs, étayer leurs pratiques et
développer leurs produits. « La beauté a sa méthode » 2. Révélatrices du
lien d’asymétrie qui les unit, ces deux expressions couramment employées
permettent concrètement d’articuler l’enjeu existentiel du cosmétique et
les raisons de son association contemporaine avec le scientifique, à savoir
la recherche de l’efficacité. « Il suffit de six produits pour transformer une
fille en bombe, et donc un garçon en loup-garou. » 3 Tout le paradoxe de ce
domaine de la vie sociale se tient là : l’efficacité cosmétique vise une per-
formance sociale totale, et non proprement cutanée, puisque l’horizon de
la beauté n’est pas autre chose que la séduction, qui est elle-même tendue
vers le bonheur et le bien-être.
Construite socialement comme une médiation, la beauté vaut ainsi à
double titre : comme une fin en soi (« Être remarquablement soi » 4) –
aussi phantasmatique qu’idéelle – et comme un moyen d’agir sur autrui
ou pour soi (« La beauté est une déclaration » 5). Un tel dédoublement,
qui peut se vivre parfois comme une tragique duplicité, se répercute au
niveau des pratiques cosmétiques : l’efficacité, moteur de l’agir, y fonde
une attente si générale qu’elle devient le critère spécifique de l’évaluation
du produit et de son action. Concrètement, en articulant ainsi les enjeux
aux moyens, s’esquisse la possibilité d’une approche raisonnée des statis-
tiques en cosmétique ainsi que de toutes les figures scientifiques : la clef
de lecture tient directement à la valeur accordée à l’efficacité cosmétique
dans l’enchâssement des programmes narratifs. L’efficacité motive et
1 Fontanille, Jacques, 2008. Pratiques sémiotiques. Paris : PUF, coll. « Formes
sémiotiques », 328 pages.
2 Publicité presse, Jeanne Piaubert, 2008.
3 Cosmopolitan, nº 413, avril 2008.
4 Publicité affichage, Le Bon Marché, 2008.
5 Publicité presse, Nivéa, 2008.