Mondialisation et environnement : avancées et contraintes

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Mondialisation et environnement : avancées et contraintes
Nadia DORBANE Epouse NASRI
Université Mouloud MAMMERI de Tizi-Ouzou
Faculté des Sciences Commerciales, Economiques et de Gestion
[email protected]
Mots clés : Mondialisation, environnement, Algérie, libre échange, ressources naturelles.
Résumé :
Depuis les années 80, l’économie mondiale est devenue de plus en plus intégrée. Trois
facteurs ont contribué à cette évolution : la baisse des barrières tarifaires et non tarifaires au
commerce international, les progrès réalisés dans les moyens de communication et les
technologies d’information, la réduction des freins à l’investissement direct étranger. Ces
facteurs ont contribué à la baisse des coûts des transactions internationales, et en l’occurrence
l’augmentation des échanges internationaux.
Cette croissance de l’économie mondiale ne sera pas sans effet sur l’environnement
étant donné que l’activité économique (la production et l’investissement) puise ses ressources
dans l’environnement et y rejette les déchets et rebuts.
L’impact environnemental de la mondialisation s’avère difficile à déterminer. La
mondialisation qui provoque de multiples phénomènes économiques : le développement des
échanges, la spécialisation internationale, la délocalisation de la production, le transfert
technologique, le renforcement de la concurrence ; dont les conséquences sur l’environnement
sont ambivalentes. C’est en raison de cette complexité de la relation entre ces deux
phénomènes et l’intérêt qu’ils suscitent que nous avons travaillé sur la question.
L’objectif de cette contribution n’est pas d’analyser l’ensemble des enjeux de la
mondialisation, mais de se focaliser sur la relation entre la mondialisation et la protection de
l’environnement. Est-ce que les modalités contemporaines de la mondialisation sont
susceptibles de nuire à l’environnement ou au contraire de le protéger ? Quels sont les
instruments et les moyens de gestion de l’environnement dans le contexte de la
mondialisation, notamment pour les pays en voie de développement, et quelles en sont la
portée et les limites ?
Les travaux réalisés, les débats académiques et politiques dans ce domaine ont montré
que la réalité est bien complexe étant donné que la mondialisation est un phénomène
1
contradictoire, qui comporte à la fois des aspects positifs et des aspects négatifs sur
l’environnement.
En 1993, dans le cadre du débat sur l’ALENA, G. GROSSMAN et A. KRUGER ont
distingué trois effets de la mondialisation. Un effet dit d’échelle selon lequel le libre échange
provoque l’augmentation de la production, phénomène nuisible à l’environnement. Un effet
dit de composition à travers la spécialisation internationale de la production, selon la théorie
du libre échange, cette spécialisation permettra une meilleure utilisation des ressources
naturelles. Un effet dit technique, c’est-à-dire, la libéralisation des échanges permet la
généralisation des techniques de production avancées moins polluantes. Selon ces deux
auteurs, l’impact environnemental du libre échange dépond au cas par cas de l’importance
relative de chacun de ces trois effets.
Cette communication se propose ainsi de mettre à l’épreuve ce nouveau paradigme à
travers le cas algérien. L’Algérie en plein transition économique et environnementale depuis
les années 90. Il convient donc de savoir comment ce pays arrive t-il à gérer cette transition.
Dans un contexte actuel de concurrence et de compétitivité internationale, notamment
en terme d’attractivité des investissements étrangers, l’Algérie pratique t-il le dumping
environnemental afin d’être compétitif ? La législation environnementale est-elle
contraignante ou avantageuse à la libéralisation des échanges ?qu’en est t-il de la politique
environnementale en Algérie ?
Nous analyserons dans une première partie, comment l’expansion des échanges
internationaux peut contribuer à la protection de l’environnement ou au contraire à sa
destruction. Dans la seconde partie, nous montreront que la mise en place d’une politique
environnementale nationale adéquate est une condition sine qu’a non à la réduction des effets
négatifs de la mondialisation sur l’environnement et permettra au contraire d’en tirer profit.
Pour faire cette analyse, nous nous appuierons, dans la mesure du possible, sur les statistiques
publiées par les institutions nationales et internationales chargées du commerce international
et de la protection de l’environnement.
Introduction
Au cours des dernières années, l’économie mondiale est devenue de plus en plus
intégrée. Trois facteurs principaux y ont contribués : les progrès réalisés des les moyens de
communication et d’information (NTIC), la réduction des barrières tarifaires et non tarifaires
au commerce international, la réduction des freins à l’investissement directs étrangers.
Cette croissance économique mondiale s’est accompagnée d’une dégradation
environnementale dont les effets sont irréversibles : l’épuisement des ressources naturelles, la
pollution, la déforestation, le réchauffement climatique, etc.
De nombreuses analyses économiques considèrent que la protection de
l’environnement relève de la responsabilité des gouvernements en mettant en œuvre des
politiques publiques environnementales, qui assureraient correctement l’internalisation des
2
coûts sociaux de la dégradation environnementale par le processus de production et de
consommation.
L’objectif de cette contribution n’est pas d’analyser l’ensemble des enjeux de la
mondialisation, mais de se focaliser sur la relation entre la mondialisation et la protection de
l’environnement. Est-ce que les modalités contemporaines de la mondialisation sont
susceptibles de nuire à l’environnement ou au contraire de le protéger ? Quels sont les
instruments et les moyens de gestion de l’environnement dans le contexte de la
mondialisation, notamment dans les pays en voie de développement (PVD) tels que l’Algérie,
et quelles en sont la portées et limites ?
Les travaux réalisés, les débats académiques et politiques sur cette question ont montré
que la réalité est bien complexe du faite que la mondialisation est un phénomène
contradictoire qui présente à la fois des effets positifs et des effets négatifs sur
l’environnement. Est-il possible de maîtriser ces effets contradictoires ?
Nous analyserons dans une première partie, comment l’expansion des échanges
internationaux peut contribuer à la protection de l’environnement ou au contraire à sa
destruction. Dans la seconde partie, nous montrerons que la mise en place d’une politique
environnementale nationale voire même internationale est une condition inéluctable à la
réduction des effets négatifs de la mondialisation sur l’environnement et permettra au
contraire d’en tirer profit.
I-Mondialisation : une chance pour l’environnement ?
I-1- Impact de la mondialisation sur l’environnement
Comme nous l’avons souligné déjà souligné, les conséquences de la mondialisation
sur l’environnement sont ambivalentes dans le sens où cette controverse a partagé les auteurs
en deux catégories. Les libéraux, qui soutiennent la mondialisation et prônent que celle-ci ne
se traduit pas seulement par la libre circulation des marchandises et des capitaux, mais
également par des échanges technologiques. Avec l’ouverture des économies, les entreprises
locales ou nationales vont pouvoir importer des technologies environnementales propres et
plus performantes. Les économistes de gauche (les altermondialistes) considèrent la
mondialisation comme source, entres autres, de problèmes environnementaux.
Il est vrai que, le plus souvent, la croissance économique et le commerce international
sont perçus comme étant des menaces pour l’environnement. Du coup, la libéralisation des
échanges et l’expansion de ceux-ci paraissent comme peu compatible avec la préservation de
l’environnement.
Les travaux réalisés dans ce domaine ont montré que la réalité est bien complexe étant
donné que la mondialisation est un phénomène contradictoire, qui comporte à la fois des
aspects positifs et des aspects négatifs sur l’environnement.
3
En 1993, dans le cadre du débat sur l’ALENA, G. GROSSMAN et A. KRUGER ont
distingué trois effets de la mondialisation : effet d’échelle, effet de composition et effet
technique.
L’effet d’échelle correspond au fait que la libéralisation des échanges et
l’accroissement de l’activité économique conduisent inévitablement à une pression forte sur
l’environnement. L’augmentation de la production nécessite plus d’inputs et gérèrent plus de
déchets et d’émissions polluantes. Il s’agit là d’un effet négatif.
L’effet de composition est lié à la spécialisation de production de chaque pays induite
par le commerce international. Celle-ci peut être considérée de manière positive comme
négative. Cet effet se base sur la théorie du commerce international inspirée de la loi des
proportions des facteurs de production, qui stipulent que les pays doivent se spécialiser dans
la production du bien qui requière le facteur dont ils sont relativement les mieux dotés. Ainsi,
un pays avec bonne « dotation en environnement » et qui s’ouvre aux échanges internationaux
devra se spécialiser dans la production de biens polluants.
Cet effet renvois à l’idée de paradis de pollution ou encore le havre de pollution 1. Les
industries les plus polluantes choisiraient de se localiser dans les pays où la réglementation
environnementale est plus laxiste. Cependant, les études empiriques ne semblent pas
confirmer cette hypothèse. Grossman et Krueger ont montré dans l’un de leurs articles que la
libéralisation des échanges entre les Etats-Unis et le Mexique dans les années 80 et 90, dans le
cadre d’ALENA, ne s’est pas accompagnée d’une délocalisation des industries polluantes 2.
D’autant plus que les industries les plus polluantes sont généralement les plus capitalistes et
que ce sont les pays développés qui sont relativement les mieux dotés en capitaux. Ainsi, ce
risque reste encore restreint.
On peut donc penser que les PVD n’ont pas particulièrement d’avantages comparatifs
dans la production des biens polluants.
Enfin l’effet technique de la libéralisation sur l’environnement est double. Car,
premièrement, la libéralisation des échanges et les investissements directs étrangers (IDE)
peuvent être l’objet de la diffusion et de transfert de technologies plus propres et plus
respectueuses de l’environnement. Deuxièmement, l’augmentation du revenu provoque par la
libéralisation des échanges peut permettre un accroissement de la demande pour un
environnement plus propre. L’effet technique doit donc conduire à une meilleure protection
de l’environnement. A titre d’exemple, Stéphanie MONJON et Julien HANOTEAU ont
montré dans leur article « … qu’en Côte d’Ivoire, au Mexique et au Venezuela, les unités de
production étrangères dans les secteurs de la chimie, de la raffinerie, du bois et des machines
non électriques sont significativement plus efficaces énergétiquement ou utilisent des
procédés plus propres que les installations nationales » 3.
1
Stéphanie MONJON et Julien HANOTEAU, « Développement, croissance et environnement : Mondialisation et
environnement », in cahiers français, n°337, mars-avril 2007.
2
Idem.
3
: Stéphanie MONJON et Julien HANOTEAU, op cité, page 38.
4
Selon ces deux auteurs, l’impact environnemental du libre échange dépond au cas par
cas de l’importance relative de chacun de ces trois effets.
A l’heure actuelle, les principales études économétriques n’ont pas pu démontrer que
la mise en place d’accords de libre échange, comme ALENA, a augmenté la pollution dans les
PVD. De plus les résultats des études empiriques ne permettent pas d’établir un lien
significatif entre une plus grande ouverture au commerce international et le niveau de
pollution 1.
Certains auteurs ont essayé de déterminer une relation richesse et environnement. La
première est par Gene GROSSMAN et Alan KRUEGER, qui ont mis en relation le revenu par
habitant les indicateurs environnementaux.
L’augmentation de la production et la croissance économique induites par l’extension
de la libéralisation des échanges permettent :
-
d’enrichir la population et les entreprises qui deviennent donc davantage soucieuse
de l’environnement, considéré comme un bien supérieur.
de dégager des excédents de revenus susceptibles d’être alloués à la protection de
l'environnement ;
de découvrir de nouvelles technologies capables de permettre une utilisation
rationnelle des ressources naturelles ; ce qui tend à limiter l'augmentation de la
pollution, voire à la faire diminuer.
Sur cette base, ces économistes avancent que la croissance est nuisible à
l’environnement jusqu’à ce que soit atteint un certain niveau de revenu par habitant, et qu'audelà les effets favorables à l’environnement deviennent dominants. Ils ont montré qu’il existe
une relation en U inversé entre la richesse d’un pays et le niveau de dépollution. Cette relation
est nommée la courbe environnementale de Kuznets, représentée ci-dessous.
Figure n°01 : La courbe environnementale de Kuznets
Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Effets_du_commerce_international_sur_l%27environnement, consulté le
01/08/2012.
1
KHODJO-KOMNA Koyo, « Commerce et input indésirable. Quelques éléments en faveur d’une efficience
technique dans les pays du Maghreb et le proche Orient », in Synthèse du colloque « Mondialisation et
développement durable : les effets économiques, sociaux et environnementaux de l’ouverture commerciale »,
organisé par UNECA, avril 2008, page38.
5
Cependant, certains auteurs ont évoqué la nécessité de réunir certains facteurs pour
que cette relation s’inverse en adéquation avec ce que prédit la théorie 1 :
-
la qualité de l’environnement doit être considérée comme un bien normal, c'est-àdire l’élasticité-revenu est positive ;
l’augmentation de la richesse doit se traduire par des changements dans le
comportement de la production et de la consommation ;
enfin, les systèmes politiques doivent être plus ouverts et accompagner la mise
place de réglementation environnementale plus stricte.
Pour d’autres auteurs, cette relation sous forme de U inversé est une utopie. TORRAS
et BOYCE montrent que la relation entre la pollution et le revenu par habitant est soit
croissante ou décroissante, elle est donc monotone. De plus, elle semble plus s’appliquer à des
pollutions locales qu’à des problèmes environnementaux mondiaux tels les pluies acides, le
réchauffement climatique, etc. Et certains de ces problèmes sont irréversibles et le
retournement de tendance que prédit la courbe pourra arriver trop tard 2.
I-2- Environnement et OMC
Les problèmes environnementaux ne relève pas de la responsabilité de l’Organisation
Mondiale de Commerce (OMC) et n’ont pas été soulevé, sauf timidement, lors de la signature
des accords régionaux.
Malgré la présence du Comité du commerce et de l’environnement, l’OMC tient à
préciser qu’elle n’est pas une agence de protection de l’environnement 3. La compétence de
l’organisation en ce qui concerne le commerce et l’environnement se limite aux politiques
commerciales et aux politiques environnementales qui ont des effets non négligeables sur le
commerce.
L’OMC a pour mission la libéralisation du commerce, ce qui implique qu’elle doit
faire en sorte que les politiques environnementales n’entravent pas les échanges. Cette
mission, qui est le cœur du droit commercial de l’organisation, se reflète dans le principe de
non-discrimination sur lequel les règles du système multilatéral de l’organisation repose.
Incontournable, ce principe garantit – dans le contexte des problématiques environnementales
– que les mesures nationales en environnement ne doivent pas être discriminatoires.
1
: A. MEUNIER, « Controverses autour de la courbe environnementale de kuznets », disponible sur ;
www.jourdan.ens.fr/pitty/fichiers2005c.pdf.
2
3
: Idem.
: OMC, Division du commerce et de l’environnement, Le commerce et l’environnement à l’OMC, 2004. Quatre
paramètres ont orienté la discussion concernant l’environnement et le commerce : L’OMC n’est pas une agence
de protection de l’environnement; les règles du GATT/OMC laissent une grande marge de manœuvre pour la
protection de l’environnement; obtenir de meilleurs accès aux marchés pour les pays en développement; il
faudrait renforcer la coordination dans le domaine du commerce et de l’environnement.
6
Toutefois, l’organisation porte une attention particulière à ce que les règles
commerciales ne nuisent pas à la protection de l’environnement au niveau national. L’OMC
considère que le concept de développement durable est une partie fondamentale des accords et
du commerce envisagés dans un esprit de libéralisation des marchés. Aucun accord de
l’organisation n’est consacré spécifiquement à l’environnement. Les négociations prévues
pourraient faire avancer le dossier de l’environnement, car plusieurs des membres souhaitent
que l’OMC tienne compte désormais des accords environnementaux multilatéraux (AEM) 1.
Dans l’éventualité où l’organisation prendrait acte de ces accords, un pays membre
pourrait saisir l’organe de règlement des différends (ORD) au sujet du non respect des accords
environnementaux dans un litige commercial. Cependant, l’organisation est plutôt tiède
envers cette possibilité sous prétexte qu’elle n’est aucunement responsable des accords
environnementaux, encore moins en ce qui a trait au respect de leur application.
II- Gouvernance environnementale comme solution aux problèmes environnementaux
de la mondialisation
Pour P. BONTEMS 2, le conflit entre mondialisation et environnement apparait dés
l’inadéquation des politiques environnementales nationales, voire même inexistantes. Le
constat dans les PVD est que trop de ressources sont consacrées à des activités économiques
liées à la croissance économiques, tandis que peu sont investies dans des activités de
dépollution. De plus, la recherche de la croissance et la nécessité de nourrir une population
mondiale de plus en plus croissante ont entraîné une exploitation intensive des ressources
naturelles.
Par ailleurs, dans un monde de concurrence imparfaite, l’ouverture internationale des
marchés et la forte mobilité des capitaux et des firmes incitent les gouvernements à utiliser
des politiques environnementales comme substitue aux politiques commerciales. La lutte pour
les parts de marché, la nécessité de maintenir l’emploi et d’attirer les investisseurs étrangers,
sont autant d’arguments pour pratiquer le Dumping environnemental. Ce comportement est
aggravé par la concurrence des pays émergents à faibles coûts de production, mais aussi à des
normes environnementales standards.
En fonction de ce qui précède, la prise en charge des problèmes environnementaux de
la mondialisation et leurs préventions passe inévitable par la mise en place des politiques
environnementales nationales et internationales. Les problèmes mondiaux (les pollutions
transfrontalières, les pluies acides, les changements climatiques, etc.) ont motivé la nécessité
d’une prise en compte collective et d’une réglementation supranationale de ces problèmes.
Cependant, l’intégration des sociétés,- autre processus de la mondialisation-, a favorisé
la prise de conscience de l’existence des biens publics mondiaux, dont la préservation ou la
1
: Béatrice QUENAULT, « Le développement durable comme pierre d’achoppement des relations Nord-Sud au
sein des négociations commerciales multilatérales à l’Organisation Mondiale du Commerce », in revue Monde
en développement, Relations Nord-Sud et environnement, éd. De boeck, tomme 32, 2004.
2
: P. BONTEMS et M. F. CALMETTE, op cité.
7
production appellent une action coordonnée des Etats. La multiplication des interdépendances
entre les sociétés rend plus évidents les solidarités et les enjeux à traiter. Les problèmes
globaux ignorent les frontières nationales, et rendent plus nécessaire que jamais
l'approfondissement de la gouvernance mondiale.
II-1- Emergence des biens publics mondiaux
La mondialisation multiplie les problèmes et les intérêts communs à des ensembles de
pays, voire à toutes les populations de la planète, qu'il s'agisse d'environnement, de santé, de
stabilité financière, ou d'accès au savoir. Dans la période récente, le débat sur les problèmes
globaux a été renouvelé par le recours au concept de « bien public », formulé par P.
Samuelson dans les années 1950 1. Initialement appliqué dans un cadre national, le concept de
bien public a été élargi à l'échelle internationale, de sorte que l'on parle aujourd'hui
couramment de « biens publics mondiaux ». Alors que la libéralisation des échanges a été
inspirée par la perception des avantages retirés du fonctionnement libre des marchés, la
promotion de la notion de bien public plaide pour un retour de l'action publique, à une échelle
nouvelle.
La liste des problèmes considérés comme globaux s'allonge à mesure que des
problèmes traités jusque-là à l'intérieur des frontières nationales débordent ce cadre
traditionnel de l'action politique.
Pour s'en tenir aux principaux problèmes globaux, on peut citer : le changement
climatique, la dégradation de la couche d'ozone, la diminution des ressources naturelles, et
notamment de la biodiversité, les grands trafics, les risques de contamination sanitaire et de
diffusion des épidémies, l'instabilité financière, ou encore la prolifération nucléaire, etc.
L'organisation de grandes conférences internationales est le signe qu'un problème
global figure désormais sur l'agenda des Gouvernements. Pour s'en tenir au secteur de
l'environnement, le sommet de la Terre à Rio, en 1992, a, représenté un tournant décisif. Cette
conférence a voulu jeter les bases d'un nouveau compromis international entre les préférences
des pays du Nord et celles des pays du Sud. La communauté internationale s'est attachée à
définir les problèmes pour lesquels pouvait être établie une responsabilité commune, mais
différenciée, selon les pays et les niveaux de développement.
L'Agenda 21, adopté lors du sommet, a défini un programme d'action pour un
développement durable, touchant tous les aspects de la protection de l'environnement et du
développement des pays du Sud.
Une fois les problèmes globaux identifiés, se pose la question de la mise en œuvre
d'une action collective pour les résoudre. C'est dans ce contexte qu'il a été fait recours à la
théorie des biens publics. Cette théorie présente l'avantage de souligner l'existence d'intérêts
communs à l'ensemble des acteurs étatiques, et de donner un fondement rationnel à
l'intervention publique dans un univers de marchés libres et concurrentiels, dont la légitimité
n'est pas remise en cause.
1
: www.senat.fr/rap/r03-233/r03-233__mono.htm.fn17
8
Les biens publics sont, au sens strict, ceux qui répondent au double critère de nonrivalité et de non-exclusion. Ces deux caractéristiques ont une importante conséquence
pratique : le libre fonctionnement des marchés ne permet généralement pas de les produire en
quantité satisfaisante. A l'évidence, la production de ces biens publics présente un intérêt
collectif, mais aucun agent privé n'a intérêt à s'engager dans la production de ces biens, dans
la mesure où l'impossibilité d'en faire payer l'usage interdit de rentabiliser l'investissement
consenti. Chaque agent privé a intérêt à adopter un comportement de« passager clandestin » 1,
c'est-à-dire à attendre que d'autres prennent l'initiative de la production du bien, pour pouvoir
ensuite en bénéficier, sans supporter aucun coût. Dans ces conditions, il existe une forte
probabilité que le bien ne soit pas produit, ou le soit en quantité inadéquate.
Cette lacune pourrait être surmontée si tous les acteurs privés se coordonnaient et
produisaient le bien public en mutualisant les coûts. Mais cette coordination des agents privés
n'est pas facile à obtenir, en raison des coûts de négociation, et des difficultés qu'il peut y
avoir à contrôler, et sanctionner si nécessaire, l'application des règles communes. C'est
pourquoi la solution optimale réside, à l'intérieur des frontières nationales, en la production de
ces biens par la puissance publique. Comme il est impossible de faire payer l'utilisation du
bien, sa production est financée par l'impôt.
Le concept de bien public a d'abord été développé dans un cadre de réflexion national :
pointant une défaillance du marché, il offre un point d'appui théorique à une intervention de la
puissance publique. L'application de la notion à des problématiques internationales est
récente, puisque le terme de« bien public mondial » n'est devenu d'usage courant dans les
milieux académiques que dans les années 1990. Il reste encore peu connu du grand public,
même s'il tend à se diffuser dans le discours politique.
L'emploi du concept de bien public mondial s'est imposé pour plusieurs raisons. Il est
apparu logique de transposer à l'échelle internationale un concept développé dans le cadre
national, dans la mesure où l'économie s'est elle-même internationalisée. Surtout, le concept
de bien public présente l'avantage d'apporter une justification à la coopération internationale,
sans remettre en cause le bien-fondé de la libéralisation des marchés. En ce sens, la prise de
conscience croissante de l'existence de biens publics mondiaux représente bien une seconde
dimension de la mondialisation, et non une volonté d'apporter des restrictions à l'ouverture
aux échanges.
Charles Kindleberger, l'un des auteurs pionniers en la matière, définit les biens publics
mondiaux comme «l'ensemble des biens accessibles à tous les États qui n'ont pas
nécessairement un intérêt individuel à les produire » 2. Cette définition souligne le caractère
universel de ces biens. Elle indique également que les biens publics mondiaux soulèvent une
difficulté supplémentaire par rapport aux biens publics« nationaux », celle de la coordination
entre les États.
1
: S. FAUCHEUX et J.F. NÖEL, « Economie de ressources naturelles et de l’environnement », éd. Armont
Colin, Paris, 1995.
2
: www.senat.fr/rap/r03-233/r03-233__mono.htm.fn17
9
On ne peut, en effet, comme on l'a vu, compter sur les seules forces du marché pour
assurer un niveau de production suffisant de ces biens, mais on ne peut pas non plus, en
l'absence de gouvernement mondial, se tourner vers une autorité politique unique pour
combler les défaillances du marché. Seule la coopération entre États peut permettre de
produire les biens publics mondiaux. Or la coopération entre États est touchée par les mêmes
phénomènes de « passagers clandestins » qui rendent difficile la production des biens publics
par les acteurs privés. Elle est encore compliquée par la grande hétérogénéité des préférences
des États, qui résulte des écarts de niveaux de développement et des différences culturelles
entre sociétés. Ces difficultés de la coopération interétatique expliquent que la gouvernance
mondiale soit encore si lacunaire.
Le concept de bien public mondial permet de rationaliser l'approche des problèmes
globaux auxquels est confrontée la communauté internationale. Il met en évidence des
imperfections de marché, et rappelle l'évidente nécessité de l'action publique pour gérer les
retombées de la mondialisation. Une fois cette analyse faite, le problème se déplace vers la
question des modalités de production des biens publics mondiaux, qui se heurte aux
difficultés de la coopération internationale.
II-2- Modalités de production des biens publics environnementaux mondiaux
La production des biens publics mondiaux résulte le plus souvent d'une action
coordonnée entre États. Mais ce n'est pas toujours le cas : sous certaines conditions, une
grande puissance peut être le « fournisseur dominant » d'un bien public mondial.
Kindleberger a fait remarquer que la fourniture des biens publics avait été assurée
pour l'essentiel, après 1945, par une puissance dominante, les États-Unis d'Amérique.
L'intégration commerciale a été facilitée par le statut de monnaie d'échanges internationale du
dollar, qui était, jusqu'en 1971, le pivot du système de changes fixes. Les Américains ont joué
un rôle clé dans l'instauration du GATT en 1947, et dans la reconstruction, sur le modèle
libéral, de l'Europe et du Japon après guerre.
Mais dans certains cas, le pays qui fournit le moins d'efforts pour produire un bien
public global détermine le niveau de production d'ensemble. L'exemple typique est le contrôle
des maladies infectieuses : le pays qui déploie le moins de moyens pour lutter contre une
maladie infectieuse détermine, pour partie, le niveau de santé de ses voisins. Dans ce type de
configuration (modèle du « maillon faible »), la puissance dominante ne peut, quels que soient
ses moyens, supplée à une absence d'efforts coordonnés éventuellement assortis d'une aide
des pays riches vers les pays les plus pauvres.
A- Négociations collectives
Lorsque la production d'un bien public global dépend de la somme des actions de
chaque pays, l'enjeu est de coordonner le plus grand nombre d'États pour maximiser la
production de ce bien. Mais la coordination d'un grand nombre de pays est difficile, comme
l'ont rappelé récemment l'échec du protocole de Kyoto.
10
Ces difficultés tiennent à certaines configurations d'intérêts, du type « passager
clandestin », déjà évoquées au sujet de la coordination des acteurs privés. Laissé à lui-même,
chaque pays peut estimer qu'il a intérêt à ne pas contribuer à la production du bien public : au
mieux, il profitera des actions éventuellement entreprises par les tiers ; au pire, il ne retirera
aucun bénéfice, mais ne supportera aucun coût ou bénéfice d'autrui.
Mener une action internationale coordonnée suppose également de s'accorder sur les
finalités à poursuivre, et, dans un univers où les ressources sont limitées, de hiérarchiser les
priorités. Or, la perception des enjeux et les préférences collectives des nations sont loin d'être
homogènes. Les négociations du Doha Round montrent un clivage entre l'Union européenne,
désireuse d'introduire des éléments de régulation de la mondialisation dans le domaine social
et environnemental, et les pays en développement, qui voient dans ces prétentions une
possible menace sur leur croissance économique.
Un accord peut être plus facilement obtenu entre sociétés ayant des préférences
divergentes si l'on admet le principe d'une contribution différenciée de chacun des
participants. Ainsi, les pays qui ont les moyens les plus importants, ou qui sont les plus
déterminés à avancer sur un objectif, porteront une part disproportionnée du fardeau commun.
Cette approche a été retenue dans le cadre de la négociation sur le climat, qui assigne
des objectifs très différents aux États participants. Cette approche, pour raisonnable qu'elle
soit, n'en pose pas moins de redoutables problèmes de répartition des efforts à fournir.
L'administration américaine s'est ainsi plainte de ce que le protocole de Kyoto imposait aux
États-Unis une charge trop lourde par rapport à celle de l'Europe et des pays émergents pour
justifier son refus de le ratifier.
B- Mobilisation d’instruments
L'instrument juridique auquel il est le plus souvent fait appel pour organiser la
production des biens publics mondiaux est la conclusion de traités internationaux. Dans le
seul domaine de l'environnement, on compte quelques 200 conventions multilatérales. La
multiplication des conventions n'est cependant pas, en soi, un gage de progrès, dans la mesure
où la question de l'effectivité des traités est souvent posée.
La coopération entre États ne passe pas nécessairement par la conclusion d'accords
internationaux formalisés, comme le montrent par exemple les initiatives prises par le G7/G8.
En l'absence de formalisation toutefois, les initiatives prises risquent de demeurer ponctuelles,
et les engagements difficiles à faire respecter dans la durée.
A l'inverse, une plus grande institutionnalisation peut être recherchée par la création
d'organisations internationales. La création d'une organisation internationale peut être vue
comme le signe d'une volonté politique de la communauté internationale de traiter un dossier.
Une organisation internationale constitue un lieu de concertation permanente qui facilite la
conclusion d'accords. Elle est un lieu où les États se surveillent en permanence, ce qui
favorise le respect des accords. Elle permet la formation d'une capacité d'expertise reconnue et
indépendante des États, et peut jouer un rôle dans la sensibilisation de l'opinion publique à
11
certaines problématiques. La création d'une organisation internationale n'est cependant pas
décisive s'il n'y a pas une volonté politique forte des États de lui donner les moyens juridiques
et financiers d'agir.
Cependant, les traités internationaux définissent des normes de comportement pour les
États, généralement énoncées sous la forme d'interdictions de faire. L'efficacité de ces
mesures dépend de la volonté des États de respecter les contraintes auxquelles ils ont souscrit.
L'existence d'un mécanisme de contrôle et de sanction est cruciale pour garantir l'effectivité
des accords. L'OMC dispose, avec l'organe de règlement des différends (ORD), d'un
instrument de contrôle et de sanction efficace, mais ce cas de figure est assez exceptionnel en
droit international.
Pour atteindre les objectifs de fourniture optimale des biens publics mondiaux au
moindre coût et sans mise en œuvre d'un système de contraintes et de sanctions, le recours à
des instruments incitatifs peut parfois être préférable. Ces instruments incitatifs peuvent
prendre la forme de taxes ou de création de marchés de droits.
Les biens publics se caractérisent par la présence d'externalités 1, c'est-à-dire que leur
production a un impact sur le bien-être d'agents qui n'y sont pas directement impliqués et dont
les avantages ou les coûts ne sont pas pris en compte dans les calculs de l'agent qui les génère.
Par exemple, les émissions de gaz à effet de serre présentent un coût pour la collectivité qui
n'est pas reflété dans le prix des énergies fossiles supporté par les consommateurs. Cette «
externalité négative » conduit à une surconsommation d'énergie par rapport à ce qui serait
optimal du point de vue du bien-être collectif. Pour «internaliser les externalités»,
l'instauration de taxes ou de redevances est l'instrument économique le plus classique et le
plus simple d'usage. La proposition de James Tobin de créer une taxe sur les transactions
internationales s'inspire de ces réflexions ; cette taxe obligerait les agents sur les marchés à
internaliser les coûts supportés par la collectivité du fait de la volatilité du cours des devises.
Pour rapprocher coût social et coût privé, Ronald COASE 2 a proposé une méthode
différente de la taxation : il s'agit de la création de marchés de droits. Cela suppose de créer
d'abord des droits de propriété, puis de définir leur répartition entre les différents acteurs
concernés. Pour l'application du protocole de Kyoto, des quotas de droit d'émission de gaz à
effet de serre ont été négociés entre les parties, en vue d'être distribués gratuitement selon des
proportions définies par l'accord. Puis ces droits devraient pouvoir être échangés sur un
marché international des droits d'émission. Ainsi, les pays désireux d'émettre des gaz à effet
de serre au-delà de leurs quotas initiaux pourront le faire contre paiement. Le prix des droits
d'émission augmentant avec la demande représentera un signal encourageant les États à
modérer leurs émissions de gaz à effet de serre.
La mondialisation revêt donc deux dimensions indissociables : l'accroissement des
flux d'échange et de l'intégration économique, d'une part, et l'émergence dans le débat public
d'enjeux globaux, commodément désignés par l'expression de « biens publics mondiaux »,
d'autre part. L'approche en termes de biens publics mondiaux présente l'avantage de fonder
1
2
: S. FAUCHEUX et J.F. NÖEL, Op cité.
: Idem.
12
rationnellement l'action publique sur une analyse des défaillances de marché. Elle met en
évidence le fait que la mondialisation, appelle une action publique renouvelée.
Conclusion
La mondialisation a suscité d’importantes controverses. Elle soulève de nombreux
problèmes pour les Etats : la délocalisation des firmes, concurrence déloyale, mouvements de
capitaux, etc.
Mais l’impact environnemental de la mondialisation n’est pas à négliger : dumping
environnement, l’augmentation de la production des usines polluantes, multiplication de
problèmes environnementaux mondiaux, etc.
Il semble un peu tôt pour tirer le bilan de la mondialisation, alors que cette mutation
profonde des sociétés et cultures du monde est encore loin d’être achevées.
Quoi qu’il en soit, il semble indispensable que les pays doivent se coopérer pour
limiter les atteintes à l’environnement, notamment lorsqu’il s’agit de pollution transfrontalière
ou globale. Cette nécessité de coopérer s’est déjà concrétisée par la négociation de nombreux
accords multilatéraux d’environnement. Elle se poursuit par des discussions, au niveau
international, sur la création de l’organisation mondiale de l’environnement où seront définies
et harmonisées les politiques publiques environnementales.
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ent
14
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