L'INSTITUT DE POLÉMOLOGIE DE STRASBOURG 335
a) Les conflits sont plus nombreux, au point qu'il n'y a plus de répit. Nous
ne connaissons plus guère l'alternance de périodes de tranquillité et de périodes
d'agitation, car le calme lui-même est de nos jours une préparation au conflit.
Il suffit de lire les journaux au mois de septembre pour apprendre que l'on a
passé parfois les vacances à mettre sur pied un plan d'agitation pour la rentrée.
Il arrive même que pour apaiser un conflit on en crée un autre qui détourne
l'attention du précédent.
b) Ils prennent une dimension toujours plus importante du fait de la facilité
des communications. Un trouble de paysans dans le Midi sensibilise
immédiatement le paysan d'Alsace. Un polémologue averti pouvait prévoir dès
1966 que la révolution culturelle chinoise aura assez rapidement des réper-
cussions sur les jeunes en Europe. Il fallait donc prendre au sérieux, lors de
l'explosion de mai 1968, les références des révoltés aux événements qui
venaient de se dérouler en Chine. On pourrait multiplier ici les exemples.
c) Les conflits ne sont plus localisés, comme autrefois, dans une activité,
mais toutes les activités sont secouées en même temps par les conflits les plus
divers. Aucune n'est épargnée, qu'il s'agisse de l'art, de la religion, de la
famille, etc. On parle d'orchestration à propos de cette simultanéité. Une telle
explication n'est pas à exclure, car on ne saurait mésestimer la volonté
humaine, mais il me semble également indispensable d'insister sur le fait que
nos sociétés sont immédiatement vouées au conflit en raison même de leurs
structures.
d) On assiste à une complaisance au conflit, de sorte qu'on a pris l'habitude
de se comporter en fonction du conflit éventuel, au point que même ceux qui
passent pour pacifiques sont dans l'expectative de la crise plutôt que de faire
effort pour régler les difficultés à l'amiable. La violence n'a plus rien d'ex-
ceptionnel, elle fait partie de l'horizon quotidien ; elle n'étonne plus ; elle est
de l'ordre du commun. La désagragation est telle qu'on dédaigne osten-
siblement toutes les barrières capables de faire échec à la violence : la règle,
l'autorité, la hiérarchie, la différence. On rejette avec superbe l'histoire
millénaire de générations qui ont été aussi intelligentes que nous, sous prétexte
de redécouvrir et fonder une origine irrécupérable du fait que la nuit des temps
en a effacé la mémoire. Le naufrage de l'expérience et de l'histoire met les
sociétés en conflit à propos de mythes incompris et d'utopies hagardes.
e) Tout se passe comme si l'idée de texture était bannie, puisqu'en général
on ne pense plus qu'en termes de rupture, révolution, dissidence et rébellion.
La notion de compromis, une des découvertes fondamentales de l'histoire
humaine, car elle est à la base non seulement de la société mais aussi de ses
manifestations comme le jeu, le loisir, la fête ou la cérémonie, est discréditée
comme synonyme de compromission et d'entente entre intérêts clandestins.
Prime est donnée au désaccord, à la division, au divorce et autres formes de