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absurde autant que téméraire ! Il était facile de prévoir à quels excès elle devait les conduire. Marchant au
gré de la seule raison, chacun se fit un système à lui : rejeter, modifier, tronquer les plus incontestables prin-
cipes, leur fut un jeu, une gloire ; bientôt la confusion du chaos fut partout, et la philosophie consista dans le
scepticisme universel.
Certes, si la philosophie avait toujours été ce que nous venons de dire, profanation sacrilège de son nom,
elle ne vaudrait pas la peine qu'on fit son histoire ; mais non, il y eut pour la philosophie des époques de
sagesse et de raison qui, tant avant qu'après Jésus-Christ, précéderont les époques de criticisme. L'ex-
posé rapide que nous allons faire des unes et des autres nous donnera trois grandes leçons.
Nous verrons premièrement, de quoi l'homme est capable quand une fois il se prend lui-même pour guide
; secondement, avec quelle sollicitude admirable la Providence a toujours veillé à la conservation de la vérité
parmi les hommes ; enfin nous verrons quelle doit être la grandeur et la vivacité de notre reconnaissance
pour Celui qui, après avoir enseigné toute vérité aux grands et aux petits, a laissé à notre faiblesse un tribu-
nal immortel, organe infaillible de ses salutaires enseignements.
L'histoire de la philosophie peut se diviser en deux grandes périodes, l'une antérieure et l'autre pos-
térieure à Jésus-Christ. A leur tour, la période qui précède et celle qui suit la venue du Messie se partagent
en deux époques bien distinctes : une époque de foi et une époque de doute dans le monde antique, et
une époque de foi et une époque de doute dans le monde moderne.
Avant Jésus-Christ, l'époque de foi s'étend, pour la philosophie, depuis les premiers philosophes connus,
jusqu'à la naissance des sectes philosophiques de la Grèce ; l'époque de doute, depuis l'établissement des
sectes grecques, jusqu'au commencement du troisième siècle de l'ère chrétienne.
Après Jésus-Christ, l'époque de foi commence au troisième siècle, et vient jusqu'au seizième ; l'époque
de doute, depuis le seizième siècle jusqu’à nos jours.
Époque de foi avant Jésus-Christ. C'est un fait établi, tout à la fois par la raison, par les monuments et
par les traditions de tous les peuples, que la vérité fut primitivement révélée au genre humain. Un autre
fait également incontestable, c'est la conservation et la transmission fidèle de ces vérités durant les premiers
âges du monde. Les hommes les plus versés dans la connaissance de l'antiquité n'ont là-dessus qu'une
seule voix. Le savant Suckford reconnaît que les anciennes nations conservèrent longtemps des usages qui
annonçaient une religion primitive universelle. Leurs rites religieux, leurs sacrifices en font foi. Toutes ces
coutumes et ces cérémonies, pratiquées par les patriarches, furent admises par les Gentils, qui d'abord ne
les firent servir qu'au culte du vrai Dieu ; et qui dans la suite les transportèrent au culte sacrilège des idoles1.
Une autre preuve qui fut vivement contestée par les prétendus philosophes, au dernier siècle, mais qui,
par l'effet même de ces vives contestations, est devenue péremptoire, c'est que, pour les temps primitifs,
Moïse n'est pas seulement l'historien du peuple juif, mais encore de toutes les nations. En effet, les plus
savants critiques ont prouvé la conformité de l'histoire mosaïque avec les monuments de l’antiquité la plus
reculée2.
Or, que nous apprend Moïse, sinon qu'au commencement une religion fut donnée à l'homme, qu'elle
se conserva d’abord pure de toute erreur, et qu'ensuite elle fut altérée par les passions des hommes
? Le monde commence donc par être croyant. Or, suivant les rationalistes modernes3, la philosophie
n’est que l'expression systématique de l'état actuel des croyances chez un peuple : au commencement, la
philosophie fut donc croyante. Adoptant pour base les vérités traditionnelles, elle fit consister sa tâche à les
expliquer. Aussi voyons-nous que les plus anciens philosophes s'appelaient Théosophes, c'est-à-dire des
hommes qui se faisaient gloire d'expliquer les conseils de la sagesse divine.
Prêtons l'oreille à quelques-uns de leurs enseignements sur Dieu :
«L'être des êtres, disent les Ganigueuls, c'est-à-dire les philosophes les plus renommés de l'antique
Indostan, est le seul Dieu éternel, immense, présent en tous lieux, qui n'a ni fin ni commencement et
contient toutes choses... Il n'y a point d'autres dieux que Lui. Il est seigneur de toutes choses, et le sera
1 Suckford Connexion de l'histoire sacrée et de l'histoire profane t. 1.
2 Voyez Bochard, dans son Phaleg. ; - Grotius, avec les notes de Leclerc ; - les Commentaires de Leclerc
sur la Genèse ; - Jaquelot, de l'Existence de Dieu, dissert. 1, ch, 25, 26 ; - les notes de Leclerc sur Hésiode ;
- Wïlllam John, Recherch. asiat. dissert. sur la chronologie des lndous ; - Pluquet, Histoire des hérésies, dis-
cours prélim., p. 22.
3 Damiron, Histoire de la philosophie au dix-neuvième siècle, 1.