ANTICORPS MONOCLONAUX :
UNE LONGUE SAGA TECHNOLOGIQUE POUR DE NOUVEAUX MÉDICAMENTS
Dominique BOUREL1 & Jean-Luc TEILLAUD2
1 Département Recherche, LFB, Les Ulis, 2 Unité INSERM 255, Paris
La mise au point de la technique d’obtention des anticorps monoclonaux (AcM) par
Georges Köhler et César Milstein, publiée en 1975 dans le journal Nature, fondée sur la fusion de
lymphocytes B « immuns » de souris avec des cellules de myélome et conduisant à la génération
de cellules hybrides B (hybridomes) productrices d’AcM a représenté un grand pas en avant pour
la biologie et la biologie clinique. Immédiatement après cette publication, des avancées
considérables furent obtenues dans le domaine de la recherche fondamentale et du diagnostic.
Cependant, d’importants problèmes surgirent lorsque l’utilisation des AcM chez des patients fut
envisagée. La question de l’obtention d’anticorps de haute affinité dirigés contre des cibles
spécifiques pertinentes se posa rapidement. Par ailleurs, l’utilisation récurrente d’AcM de souris
chez l’Homme montra qu’elle conduisait à l’apparition d’anticorps humains anti-anticorps de souris,
provoquant une diminution d’efficacité et des effets secondaires indésirables. De plus, les
propriétés effectrices des anticorps de souris injectés chez l’Homme [activation de la cascade du
complément et engagement des récepteurs Fc (RFc) conduisant à l’endocytose de complexes
immuns et à la cytotoxicité dépendante des anticorps] s’avérèrent être diminuées. De nombreux
travaux d’ingénierie cellulaire visant à résoudre ces problèmes furent alors entrepris :
transformation de lymphocytes B par le virus d’Epstein-Barr (EBV), utilisation de partenaires de
fusion optimisés, utilisation de stimuli divers (facteurs de croissance, anticorps …) pour obtenir une
immunisation in vitro et/ou une croissance à long terme de lymphocytes B humains normaux…
Malgré ces efforts, aucune technique d’ingénierie cellulaire fiable et facile d’emploi permettant
l’obtention d’AcM humains ne fut mise en place. Des efforts très importants ont été alors consentis
pour générer par ingénierie moléculaire des AcM ayant de meilleures affinités, une
immunogénicité réduite et de meilleures propriétés effectrices. Quatre stratégies d’ingénierie
moléculaire ont été mises en œuvre : i) construction d'anticorps chimériques comprenant parties
variables de souris et parties constantes humaines ; ii) construction d’anticorps humanisés par
greffe des régions hypervariables d'AcM de souris sur des régions charpentes humaines VH et
VL ; iii) construction de banques combinatoires de régions VH et VL humaines exprimées à la
surface de phages filamenteux ; iv) obtention de souris transgéniques contenant les gènes codant
chaînes lourdes et légères humaines.
Ces différentes approches ont permis la mise sur le marché de dix-huit AcM, dont certains
comme l’anticorps chimérique anti-CD20 rituximab ou les anticorps anti-TNFα ont conduit à des
avancées thérapeutiques significatives dans le domaine de l’oncologie et de l’inflammation. Cette
montée en puissance des AcM à usage thérapeutique est liée incontestablement aux stratégies
d’ingénierie d’anticorps résumées ci-dessus, mais également à notre meilleure compréhension des
mécanismes cellulaires et moléculaires de pathologies où une intervention thérapeutique à l’aide
d’anticorps peut être envisagée. D’autres approches d’utilisation d’AcM sont aujourd’hui
activement explorées. Par exemple, des fragments d’anticorps (anti-virus, anti-oncogènes) ont été
exprimés dans des cellules tumorales et dans des cellules infectées par des virus, pour bloquer ou
moduler les fonctions de protéines intracellulaires ("Intrabodies"). Par ailleurs, des études
intensives sur la stabilité et le repliement des anticorps recombinants, sur l’optimisation des
propriétés effectrices des régions Fc (par mutation ponctuelle et par modification du profil de
glycosylation), ainsi que sur la production en masse d’AcM par des plantes transgéniques ou dans
le lait d’animaux transgéniques sont actuellement développées. Tous ces anticorps de seconde
génération, dont on peut espérer qu’ils seront produits et utilisés à moindre coût, vont constituer
sans nul doute des outils majeurs pour mieux maîtriser des pathologies pour lesquelles peu ou pas
de solutions thérapeutiques existent à ce jour.