Alors que la purge prend des allures d’élimination radicale de l’opposition
politique et que le gouvernement d’Erdoğan s’est définitivement
débarrassé de ses apparats démocratiques, des voix de l’intérieur de la
Turquie se font entendre et appellent au soutien des populations et des
gouvernements européens afin de lutter contre ce qui constitue un « Coup
d’État permanent » en Turquie, au Bakûr (Kurdistan septentrional) et une
réelle invasion extérieure au Rojava (Kurdistan occidental). Plus de 32 000
personnes ont été arrêtées, 70 000 enquêtes ouvertes, 28 maires
révoqués et plus de 15 000 enseignants suspendus lors de la rentrée
scolaire de septembre dernier.
Nous portons donc ici la voix d’une amie (dont nous tairons le nom pour
des raisons évidentes de sécurité), l’appel à l’aide d’une camarade, le cri
de colère d’une enseignante victime des dérives totalitaires d’un
gouvernement qui utilise le système éducatif à des fins de propagande.
Tony Rublon
Chers amis, cher collègues, cher tous,
Je suis professeure d’anglais en lycée public depuis 5 ans. Je vais vous
faire part de mes deux journées d’enseignement cette année dans un
lycée public d’Istanbul.
Lorsque je suis rentrée dans la classe, cette matinée de rentrée scolaire,
une douzaine de brochures, d’une grande qualité d’édition, étaient posées
sur mon bureau d’enseignante. Intitulées « Coup d’État militaire : la
réussite d’un gouvernement sacré, ses héros, ses ennemis de l’intérieur et
de l’extérieur », ces livrets étaient destinés à être remis aux dizaines de
milliers d’étudiants qui ce matin, à travers toute la Turquie, rejoignaient
les bancs de l’école. Ce document est rempli de propagande pro-AKP,
nationaliste, militariste, transformant le tyran Erdoğan en « un président
garant d’une Turquie Démocratique ». Nous devions en plus organiser une
cérémonie commémorative aux allures martiales, lors de laquelle les
directeurs d’établissement ont dû lire un texte, envoyé et rédigé par le
gouvernement. Ce texte nous rappelait ce qu’Erdoğan nous a d’ores-et-
déjà signifié après le coup d’Etat : « Nous sommes une armée de 75
millions de soldats, nous sommes toutes et tous la Turquie ».
Le deuxième jour fut tout autre. Alors que j’étais sur le point de rentrer
dans ma classe, le directeur m’interpella, me demandant de venir signer
un papier dans son bureau. Sans autre explications, j’ai été contrainte
d’apposer ma signature sur un document annonçant mon « licenciement
pour des raisons de sécurité ». La vraie raison n’est évidemment pas celle
annoncée dans la lettre mais plutôt celle qui a entrainé le licenciement de
centaines de collègues démocrates, tous engagés comme moi dans des
associations ou des organisations non gouvernementales. La raison réelle
de notre éviction se trouve dans notre engagement et notre présence le