La leçon de grammaire et ses incontournables
Au moment où on souhaite que s’améliorent les compétences des élèves dans la maitrise de la
langue, l’apprentissage de la grammaire est toujours un objet de questionnement.
En rappelant un certain nombre de principes, on peut tenter de fixer les repères destinés à faire
des choix au moment où on compose une leçon de grammaire.
On n’évitera pas la question du « A quoi sert la grammaire ? » La réponse
institutionnelle est simple : elle vise à développer les compétences de lecture et d’écriture.
Si on prend en compte la compétence 1 du socle « maîtrise de la langue » du CP à la
classe de troisième, la grammaire apparaît bien comme un outil au service de l’expression
verbale.
Ceci dit, il nous faut bien constater que les enfants savent s’exprimer avant même qu’une
première leçon de grammaire ait été dispensée. Le philosophe Jacques Rancière le
rapporte à sa façon :
« Ils (les enfants) entendent et retiennent, imitent et répètent, se trompent et se
corrigent, réussissent par chance et recommencent par méthode, et, à un âge trop
tendre pour que les explicateurs puissent entreprendre leur instruction, sont à peu
près tous quels que soient leur sexe, leur condition sociale et la couleur de leur
peau capables de comprendre et de parler la langue de leurs parents. »
Dès lors, si les enfants savent se faire comprendre et manipulent avec plus ou moins d’aisance
les éléments de la langue pour produire des discours, que sont censées leur apporter les
séances de travail consacrées à l’apprentissage de la grammaire ?
Ils ont acquis par expérience, par intuition ou par imitation un système régulé de production
des énoncés.
Cette grammaire implicite est une base importante mais elle n’est pas suffisante pour
accéder à une maîtrise réelle des discours, à la correction attendue en français standard.
L’objet premier de la leçon de grammaire est de donner conscience aux élèves des règles qui
président à la composition des phrases et des énoncés.
La grammaire scolaire se présente comme une grammaire normative : elle fixe les règles du
bon usage, de ce qu’il est correct ou pas de dire. Elle s’est cependant enrichie des apports des
grammaires de textes et de discours, ce qui permet de prendre en compte la situation de
communication et d’expliquer par exemple que ce qui est recevable en cours de récréation, ne
l’est plus dans un énoncé écrit.
La règle grammaticale a perdu son caractère absolu. Elle sert cependant de repère. Elle aide à
comprendre que les mots ne s’assemblent pas au hasard mais qu’il y a bien un système dont
on peut avoir une vision d’ensemble. C’est de cette approche globale que viendra la maitrise.
De même qu’à un phonème ne correspond pas un seul graphème et que les élèves ne peuvent
mémoriser toutes les correspondances entre l’oral et l’écrit, de même il n’est pas prévu d’en
faire des grammairiens. Il s’agit plutôt de mettre en valeur les récurrences, les régularités, les
usages les plus fréquents pour que les notions même de grammaticalité ou d’agrammaticalité
aient du sens.
Le premier objectif recherché est donc la prise de conscience par les élèves que la langue
est un système qu’on peut observer et dont on peut se servir pour comprendre et
échanger.
Parce qu’il s’agit bien de permettre de se représenter un système global et son
fonctionnement, il importe de fixer des repères à partir desquelles on peut apprécier les
variations infinies des paroles produites.
La notion de phrase de base peut servir de repère à toutes les observations et les
réflexions. Qu’on l’exprime en termes de « Sujet + Verbe+ Complément » ou en
termes de « GN sujet + GV + G circonstanciel », il y a là un repère essentiel pour la
compréhension du système même si cela conduit à privilégier une certaine forme de
phrase déclarative.
En lien avec ce premier repère, il semble intéressant de s’appuyer sur la distinction
entre l’axe paradigmatique et l’axe syntagmatique (distinction empruntée à
Jakobson) pour fonder les différentes manipulations auxquelles on soumet les enfants
dans leur apprentissage. Reste à savoir comment renommer ces notions abstraites.
Pour autant, le fait de comprendre que la place des mots est la règle de base de la
composition d’une phrase semble indispensable. Elle débouche clairement sur la
question des chaines d’accord qui est un enjeu majeur en orthographe. C’est aussi une
manière d’introduire la notion de « fonction grammaticale » qui fait l’objet de tant de
confusions.
Quant à l’axe paradigmatique, il permet d’ouvrir sur un autre réseau tout aussi
producteur de sens. Il ouvre la voie à des possibilités de réécriture par substitution. Il
donne aussi du sens à la notion de « nature » d’un mot. Enfin il permet d’associer
lexique et syntaxe.
Implicitement, ce que ces schémas disent aux élèves, c’est qu’il n’y a pas une seule et bonne
façon de composer une phrase mais qu’il y a bien des façons de s’exprimer. L’écriture est un
espace de liberté et pas seulement un espace contraint.
Ce qui compte, c’est donc l’idée selon laquelle un système régulé comme celui de la
langue est aussi un système vivant qui autorise une grande liberté d’usage. On ne peut
jouer que s’il y a des règles du jeu. Or, on peut jouer avec la langue et c’est même ce
que font beaucoup d’écrivains et les auteurs de littérature jeunesse qui proposent sous
forme de récits ou de poésies nombre d’exemples de transgressions. Pour les
comprendre et apprécier le clin d’œil dans l’expression décalée, il faut connaitre le bon
usage, l’emploi habituel et conventionnel.
Proposer aux élèves une représentation du système de la langue, de ses règles et de ses usages,
s’appuyer sur des repères fondamentaux tels que la notion de phrase de base en français
standard et une structure en deux axes (vertical et horizontal) peuvent constituer les
fondements d’un enseignement de la grammaire aujourd’hui.
La grammaire et les catégories qui la composent et qui sont enseignées aux enfants n’ont pour
finalité que d’aider l’élève à mieux maitriser ce moyen d’expression et de communication.
Cela a des conséquences.
Une exigence de simplici tout d’abord : quant au nombre de notions abordées,
quant à ce qui est implicitement considéré comme acquis et qui ne l’est pas
toujours. Cela tient aussi au temps donné à l’élève pour assimiler, intégrer les
connaissances. Il faut laisser faire, laisser le temps de faire et de refaire. Les
notions grammaticales n’ont de sens que si elles permettent aux élèves de mieux
comprendre le fonctionnement des énoncés, dans leur forme écrite en particulier,
en y incluant l’orthographe. A la fin d’une leçon de grammaire, tout doit paraître
plus clair.
Le professeur a le choix du corpus texte ou phrases et ce choix est
déterminant. Il a aussi le choix des observations qu’il demande d’opérer puis des
manipulations qu’il exige des élèves. L’exigence de simplicité s’impose à chaque
étape.
De même il serait opportun de considérer que la leçon qui introduit une notion
nouvelle d’analyse grammaticale n’est qu’une porte d’entrée et que le chemin qui
mène à l’appropriation reste long. Si cette catégorie est utile, elle va être reprise et
employée à de multiples reprises pour réussir à comprendre un texte ou en rédiger
un.
Conséquence pédagogique : il importe de chercher à adapter ses exigences aux
possibilités des élèves et à leur rythme d’appropriation.
C’est aussi dire que le véritable objectif n’est pas notionnel. Il est de permettre aux
élèves de développer leurs capacités verbales.
La connaissance grammaticale n’est qu’un détour dont les élèves doivent
comprendre l’intérêt.
Nous n’éviterons pas le double écueil de la terminologie et de la progression qui
atomise les apprentissages. Nous pouvons seulement faire l’effort de contextualiser
les mises en situation pour permettre aux élèves de dépasser leur propre usage
langagier au profit de jeux de langue et de manipulations qui font appel à
l’observation, à la création, à l’expression de soi.
Il importe donc de lier la leçon de grammaire à l’expression personnelle de
l’élève. Contenue entre le premier écrit et la réécriture ciblée, la leçon de
grammaire prend tout son sens. Ce n’est plus un temps de mémorisation
décontextualisée mais un temps d’appropriation d’outils qui vont aider à mieux
écrire.
Cet encadrement, qui n’est qu’un exemple de mise en situation de l’activité
grammaticale (ou d’ailleurs lexicale) me semble indispensable en particulier pour
les élèves qui ont besoin de comprendre à quoi servent ces termes abstraits
déconcertants.
On peut également penser que cet apprentissage gagnerait à prendre le plus souvent la
forme d’un travail d’équipe afin de solliciter la réflexion et l’observation qui président
à la négociation dans le groupe. Trouver une finalité à un travail d’écriture soutenu par
une réécriture ciblée effectuée à plusieurs réconcilierait sans doute certains enfants
avec cet apprentissage.
Beaucoup de patience, d’intelligence et de mise à distance sont nécessaires. Eviter la dérive
terminologique et l’évaluation négative sont indispensables. Il importe de valoriser ce que
l’élève a compris, que ce soit dans des activités de compréhension, de repérage, ou l’emploi
personnel. Avec la grammaire, on joue sur soi, avec soi et les autres et on peut apprendre à
mieux s’entendre : c’est là un enjeu majeur parfois oublié.
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