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SCHEC, Études d’histoire religieuse, 68 (2002), 73-88
Un nouveau combat pour l’Église :
la presse catholique d’information,
1907-1940
Dominique Marquis1
Université du Québec à Montréal
RÉSUMÉ : En 1907, Mgr Bégin de Québec encourage la fondation d’un
quotidien qui, tout en informant la population, respecterait les enseignements
de l’Église. L’Action catholique est donc née de cette volonté. Au cours des
30 premières années de son existence, son contenu s’est ajusté aux exigences
du public lecteur, mais l’Église s’est toujours montrée intransigeante quant à
la publicité présente dans le journal. Afin de contrer la faiblesse des revenus
publicitaires conséquences des restrictions imposées, l’Église est intervenue
de multiples façons pour soutenir le journal. Cet article s’intéresse aux diffé-
rentes ressources, matérielles et humaines, dont dispose L’Action catholique
pour remplir le mandat que lui a confié l’Église.
ABSTRACT: In 1907, Mgr Bégin, from Quebec, supported the creation of a
daily newspaper that, in line with Church teachings, would inform the popula-
tion at large. What came about was the foundation of L’Action catholique. For
the first 30 years, it’s content was dictated by the readers while at the same
time the Church adopted a strict view towards the publicity ads that could make
their way inside the newspaper. This attitude resulted in a marked weakness
in revenues for the publication. The Church intervened in many ways not only
to counter the loss of revenues but also to make sure of it’s continuing sur-
vival. This article will study how L’Action catholique made use of it’s various
ressources, both human and material, to complete it’s mandate given by the
Church.
1Détentrice d’un doctorat en histoire de l’Université du Québec à Montréal (1999), Do-
minique Marquis est chargée de cours à cette même université. Ses travaux ont porté sur la
presse catholique québécoise du début du XXe siècle. Elle poursuit actuellement des recher-
ches sur les débuts du journal Le Devoir, plus particulièrement sur la conception du journa-
lisme véhiculée par Henri Bourassa et sur la pratique journalistique de ce quotidien.
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Depuis quelques années, de plus en plus d’historiens s’intéressent à la
presse québécoise et tentent de comprendre son évolution et ses relations
avec les institutions qui l’ont influencée2. Nombreuses sont les études qui
ont privilégié une analyse idéologique du discours véhiculé par différents
journaux, mais plus récemment, l’historien de la presse utilise de nouvelles
approches et s’intéresse autant à ses artisans, à sa morphologie, à l’ensemble
de son contenu qu’à ses idées. Il en résulte une compréhension plus globale
des relations entre la presse et les différents acteurs qui animent la société.
Notre analyse du quotidien catholique, L’Action catholique, s’est ins-
pirée de ces nouvelles approches. La première étude portant sur ce journal,
celle de Richard Jones publiée en 19743, présentait essentiellement une ana-
lyse des idées exprimées dans les pages éditoriales et les commentaires de
L’Action catholique. L’idéologie très conservatrice de la direction y était
clairement exposée et l’auteur a bien démontré l’inflexibilité de l’équipe
éditoriale sur différents thèmes. Jones n’a cependant pas analysé tous les
autres facteurs qui donnent corps à un journal (contenu rédactionnel, publi-
cité, mise en page, personnel). Ce n’était d’ailleurs pas là son objectif.
S’il est incontestable que L’Action catholique est un quotidien aux idées
clairement définies sur bon nombre de sujets, cela empêche-t-il qu’il puisse
aussi être un journal d’information ? Nous croyons que l’un n’exclut pas
l’autre et que L’Action catholique tout en livrant un message bien précis à
ses lecteurs est aussi un journal d’information.
C’est d’ailleurs avec la ferme volonté de concurrencer d’autres jour-
naux d’information, notamment Le Soleil et L’Événement de Québec, que
Mgr Bégin a, en 1907, mandaté L’Action sociale catholique pour fonder
un quotidien catholique dans son diocèse. La commande est précise : l’es-
prit catholique doit éclairer toutes les informations transmises dans le journal
et son contenu doit refléter la pensée de l’Église sur tous les sujets. Le jour-
nal n’est cependant pas un lieu de combat, mais plutôt une œuvre de pré-
servation de la foi ; ce n’est pas non plus un organe de dénonciation, mais
une source d’informations et d’enseignements.
Le défi du premier directeur du quotidien, le Dr Jules Dorion, est de
publier un journal qui sera à la fois informatif et agréable à lire et qui
respectera les grands principes catholiques dictés par l’archevêque. Pour
l’Église, même si le journal doit offrir à ses lecteurs des informations va-
riées, il n’est pas question qu’il devienne une copie de ses concurrents et
2Voir à ce sujet l’excellent bilan historiographique de Fernande Roy et Jean de Bonville,
« La recherche sur l’histoire de la presse québécoise : bilan et perspectives », Recherches
sociographiques, XLI, 1 (2000) : 15-51.
3Richard Jones, L’idéologie de L’Action catholique (1917-1939), Québec, Les presses
de l’Université Laval, 1974, 359 p.
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propose à la population un produit trop axé sur le sensationnalisme. La
mission catholique du quotidien doit transparaître de la première à la der-
nière page, pas seulement dans les pages éditoriales ou les commentaires.
Nous avons analysé L’Action catholique durant ses trente premières
années d’existence et il s’avère intéressant de constater que son contenu a
grandement évolué durant cette période4. L’équipe de rédaction, peu expé-
rimentée au départ, a fait son apprentissage et a accepté de s’adapter aux
exigences et aux besoins des lecteurs du journal. Afin de conserver et d’aug-
menter son lectorat, le journal a développé, au cours des années, des
rubriques plus variées qui répondent aux goûts de tous. Les agriculteurs,
les hommes d’affaires, les ouvriers, les femmes, les enfants et les religieux
peuvent tous y retrouver des informations qui les intéressent.
Les modifications sont nettement plus marquantes à partir de la
deuxième demie de la décennie 1920. L’analyse démontre que L’Action
catholique amorce alors un important changement de cap quant à son con-
tenu rédactionnel et à sa présentation. Des sujets tels les faits divers et les
sports qui étaient moins développés pendant les premières années occupent
de plus en plus d’espace dans le journal (figures 1 et 2). Par contre, les
nouvelles religieuses sont toujours présentes, mais accusent une nette ten-
dance à la baisse (figure 3).
La mise en page du journal s’est aussi adaptée au goût du jour et la
présentation de L’Action catholique de la fin des années 1920 supporte très
bien la comparaison avec les autres grands quotidiens québécois, notam-
ment Le Soleil et La Presse. Moins austère que durant les quinze premières
années du journal, la « Une » est devenue une vitrine beaucoup plus at-
trayante pour le lecteur. Larges bannières, gros titres, illustrations ont été
adoptés pour offrir une mise en page plus aérée et nettement plus moderne.
Pourrait-on croire alors que L’Action catholique s’éloigne peu à peu
de sa mission initiale ? L’analyse de Jones sur les éditoriaux et les com-
mentaires montre que non et il apparaît clairement que la morale catho-
lique colore toujours la couverture des faits divers et des sports. De plus,
durant toute la période, le quotidien catholique se distingue nettement de
ses concurrents quant à la publicité que l’on peut y retrouver.
Si, afin d’assurer le succès de l’entreprise et la pérennité du journal, la
direction peut faire preuve d’une certaine souplesse quant au contenu ré-
dactionnel, la surveillance exercée par les hauts dirigeants du mouvement
de l’Action sociale catholique sur la publicité est manifeste. Accepter d’in-
former les lecteurs sur les faits divers ou les sports, c’est une chose, mais
4Les résultats détaillés de cette analyse sont présentés dans notre thèse, La presse ca-
tholique au Québec, 1910-1940, Ph.D.(histoire), Université du Québec à Montréal, 1999.
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Figure 1
Évolution du contenu « fait divers »
de L’Action catholique, 1910-1938
Source : données compilées par l’auteure.
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Figure 2
Évolution du contenu « sport »
de L’Action catholique, 1910-1938
Source : données compilées par l’auteure.
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1910 1917 1924 1931 1938
Figure 3
Évolution du contenu « affaires religieuses »
de L’Action catholique, 1910-1938
Source : données compilées par l’auteure.
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encourager des entreprises ou des produits jugés malsains (le théâtre, le
cinéma ou l’alcool) en publiant leurs annonces, en est une autre. Parce que
cela contreviendrait à ses principes moraux, la direction de L’Action catho-
lique refuse de franchir ce pas qui, pourtant, aurait pu lui procurer une plus
grande marge de manœuvre financière. La publicité représente certes pour
le journal d’information une ressource matérielle importante, mais l’indé-
pendance financière qu’elle procure exige un prix que L’Action catholique
ne veut pas payer : le sacrifice de sa raison d’être. En accord avec les diri-
geants du mouvement de l’Action sociale catholique, la direction du journal
s’impose donc de lourdes contraintes en matière de publicité afin de pré-
server la morale des lecteurs.
Cependant L’Action catholique n’est pas laissée à elle-même et, afin
d’assurer la réussite du projet et parce qu’elle est le produit de l’Œuvre de
la presse catholique, elle bénéficie du réseau d’influence et de pouvoir de
l’Église et cette dernière multiplie les interventions en faveur du journal.
Comment le soutien de l’Église se traduit-il durant les trente premières
années d’existence du journal ? Les différents documents produits par
L’Action sociale catholique et les archives du journal L’Action catholique
s’avèrent les sources les plus intéressantes pour éclairer ce problème.
Afin de brosser un portrait plus complet des différentes ressources dont
dispose le journal, il serait aussi pertinent de se questionner sur les rapports
entretenus par le personnel du journal avec l’Église. Les individus qui tra-
vaillent au journal ont-ils des liens avec l’Église ? Le journaliste catholique
d’information existe-t-il ? Les réponses à ces interrogations sur les ressour-
ces matérielles et humaines du journal permettront de cerner la spécificité
de cette entreprise de presse. L’Action catholique est un journal d’informa-
tion investi d’une mission bien particulière et afin de remplir cette mission,
il bénéficie de l’appui d’un réseau hors de portée des autres grands quoti-
diens d’information.
Des ressources matérielles variées et privilégiées
Le journal L’Action catholique est intimement lié à l’Action sociale
catholique et relève de la haute direction du mouvement, le Comité central
permanent. La structure hiérarchique est complexe et même si l’adminis-
tration du journal est indépendante de celle de l’association, les liens entre
les deux sont parfois si étroits qu’il est difficile d’en distinguer les acteurs.
Le premier geste posé par l’association lors de la fondation du journal
est l’acquisition d’un immeuble pour installer le personnel, la machinerie
et le matériel. On choisit un édifice de la rue Sainte-Anne, acquis au coût
de 17 000 $ en avril 1907. Cette même année, les dépenses encourues pour
mettre sur pied le journal atteignent près de 103 000 $, dont 52 000 $ pour
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