Combien d’Europe l’Europe peut-elle tolérer ? Dani Rodrik is Professor of International
Political Economy at Harvard… Project Syndicate
Dani Rodrik is Professor of International Political Economy at Harvard University’s John F.
Kennedy School of Government. He is the author of The Globalization Paradox: Democracy and
the Future of the World Economy and, most recently, Economics Rules: The Rights and Wrongs
of the Dismal Science. MAR 14, 2017. Traduit de l’anglais par Timothée Demont. Project
Syndicate
CAMBRIDGE – L'Union européenne célébrera ce mois-ci le 60e anniversaire de son traité
fondateur, le Traité de Rome, qui a institué la Communauté économique européenne. Il y a sans
aucun doute beaucoup à célébrer. Après des siècles de guerre, de bouleversements et de massacres,
l'Europe est en paix et démocratique. L'UE a accueilli 11 anciens pays du bloc soviétique dans son
giron, guidant avec succès leurs transitions post-communistes. Et, à une époque de fortes
inégalités, les pays membres de l'UE présentent les plus faibles écarts de revenus du monde entier.
Mais tout cela correspond à des réussites passées. Aujourd'hui, l'Union est embourbée dans une
crise existentielle profonde, et son avenir est fortement remis en question. Les symptômes sont
visibles partout: le Brexit, les niveaux écrasants du chômage des jeunes en Grèce et en Espagne, la
dette et la stagnation en Italie, la montée des mouvements populistes, ainsi que les réactions
brutales contre les immigrés et l'euro. Tous soulignent la nécessité d'une refonte majeure des
institutions européennes.
C’est pourquoi il était grand temps que le Président de la Commission européenne Jean-Claude
Juncker propose un nouveau livre blanc sur l'avenir de l'Europe. Juncker y expose cinq voies
possibles: continuer le programme actuel, se concentrer uniquement sur le marché unique,
permettre à certains pays de se déplacer plus rapidement que d'autres vers une plus grande
intégration, revoir à la baisse le programme, et tout faire pour mettre en œuvre un plan ambitieux
pour une intégration uniforme et plus complète.
Il est difficile de ne pas comprendre Juncker. Alors que les politiciens européens sont préoccupés
par leurs batailles nationales et que les institutions européennes de Bruxelles représentent une
cible pour la frustration populaire, il pouvait difficilement s’engager davantage. Pourtant, son
rapport est décevant. Il évite le défi central que l'UE doit affronter et surmonter.
Si les démocraties européennes veulent retrouver leur santé, les intégrations économique et
politique ne peuvent pas rester désynchronisées. Soit l'intégration politique rattrape l'intégration
économique, soit l'intégration économique doit être revue à la baisse. Tant que cette décision est
éludée, l'UE restera dysfonctionnelle.
Lorsqu'ils seront confrontés à ce choix difficile, les Etats membres opteront vraisemblablement
pour différentes positions le long du continuum de l'intégration économico-politique. Cela
implique que l'Europe doit développer la flexibilité et les arrangements institutionnels nécessaires
pour s’en accommoder.
Dès le début, l'Europe a été construite sur un argument « fonctionnaliste »: l'intégration politique
suivrait l'intégration économique. Le livre blanc de Juncker s’ouvre de manière appropriée sur une
citation de 1950 du fondateur de la Communauté économique européenne (et Premier ministre
français) Robert Schuman : « L'Europe ne se fera pas d'un coup, ni dans une construction
d'ensemble: elle se fera par des réalisations concrètes créant d'abord une solidarité de fait ».
Commençons par construire les mécanismes de coopération économique, et cela préparera le
terrain pour des institutions politiques communes.