Dans le monde shiite, en revanche, la présence d'un clergé stable et organisé a permis de
telles fouilles des consciences, menées avec toute la brutalité requise, contre toute personne
déviant de la pensée de l'imam en charge.
Allons observer ensuite la question de l'orthodoxie, tout de même: nous avons dit un peu vite
qu'elle n'existait pas. Car le consensus général, le Marais, dirait-on sous la Révolution,
l'opinion moyenne, existe bel et bien, même si elle ne se transpose pas directement dans la
théologie. Souvent, elle correspond à ce que pense le plus puissant, et cujus regio ejus
religio, mieux vaut croire comme le calife, l'émir et l'imam. Et le vent fait tourner la
girouette: les premiers califes étaient dits "bien dirigés" (du fait,on le verra, de leur rôle
dans l'élaboration du texte sacré), ce qui implique que d'autres seront mal dirigés, et
l'orthodoxe deviendra hérétique et l'hértique orthodoxe. Cela ne changera pas la surface
du monde, et n'apportera pas grand chose à la Civilisation.
La masse en reste là. Alors l'idée que certains peuvent aller à côté ou au-delà peut être
échafaudée. Quand l'islamisme connaîtra son expansion militaire fulgurante, il intégrera
bon gré mal gré d'autres usages et croyances. Il n'est donc pas surprenant que dans ces
moments, surtout du côté des contacts avec l'Iran, surgisse la notion de ZANDAQA, que
l'on traduit souvent par hérésie (dualiste d'origine).
Dans la définition, remarquons que la définition du groupe forcément honni est potentiel:
ce ne sont pas, comme on l’attendrait, ceux qui osent innover, mais ceux qui considèrent que
l’innovation est seulement possible. C’est dire l’énormité du blocage mental qui afflige ces
théologiens. La chose est d’autant plus tragique que l’innovation n’est pas précisé: ce n’est
pas “fais pas-ci, fais pas-ça!”, c’est “fais pas!”. Comme le spectre est large, n‘importe quoi
peut être innovation, et dans le doute, mieux vaut s’abstenir. C’est réellement une arme de
soumission massive. Il ne reste plus qu’à ne pas penser, et à respecter la chorégraphie du
rituel.
A la fin, pour qui connait ce monde-là, n'importe qui est dans son comportement soumis au
regard et au jugement des autres et quiconque veut faire preuve d'un minimum d'autonomie
d'action et d'interprétation veut se retrouver soumis à ces fourches caudines.
La majorité comme toujours ne se mouille pas et essaie de vivre, elle suit le vent dominant,
l'orthodoxie bête et méchante, et se soumet aux cris des plus obscènes en leur violence, ceux
qui réussissent à monopoliser la violence et le Livre.
Yadh ben Achour a bien résumé cette dictacture de la majorité qui est caractéristique de la
tradition sunnite.2
Toujours, à la fin, surgit l'angoisse suprême: l'idée que tout comportement qui dévie tant
soit peu aboutisse à l'incroyance, KUFR. Tout doit alors être mis en oeuvre pour l'éviter.
Le corpus des textes qui tentent d’empêcher toute évolution du système est énorme; nous n’en
donnons qu’un petit aperçu. Il représente certainement un combat d’arrière-garde, dans sa
volonté de figer les dogmes et de décourager les initiatives. Dès le début, tout s’est
transformé, pas forcément dans un sens “progressiste” et humaniste, mais du moins, sans
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
2 +++++++++++.