MARYSE CONDÉ
PALABRE SPÉCIAL
fait, en le regardant jouer j’ai com-
pris l’absurdité de séparer la tragé-
die de la comédie. J’ai vu com-
ment l’acteur était plastique et fi-
nalement j’ai eu envie de faire des
textes qui pourraient se prêter à lui
et dont il ferait ce qu’il voulait.
A. R. : Quelle pièce est sortie de
cette prise de conscience ?
M. C. : Je pourrais dire que
Pension les Alizés était écrite en
pensant à lui : le personnage du
Haïtien qui était à la fois séduisant
et veule. Aussi une pièce que
j’avais traduite et adaptée qui s’ap-
pelait Jeu pour deux tirée d’un tra-
vail du jamaïcain Trevor Rhone.
A. R. :Votre première pièce Le
Morne de Massabielle n’a jamais
été publiée ?
M. C. : Non, tout simple-
ment parce que j’ai perdu le texte.
Il n’est resté que le texte en anglais
parce que mon mari (Richard
Philcox) l’avait traduit, et quand
Françoise Kourilsky (Ubu
Repertory Theater) a monté la piè-
ce à New York, 2c’était en tra-
duction, donc je ne suis pas reve-
nue au texte français.
A. R. : Comme les premières
pièces représentaient votre côté
militant, est-ce que Le Morne de
Massabielle est aussi une œuvre en-
gagée ?
M. C. : C’est-à-dire, la pre-
mière version était engagée, mais
après, la pièce a changé de ton.
Elle est devenue une comédie sa-
tirique sur les méfaits du tourisme
dans le quartier de Massabielle, un
quartier populaire de Pointe-À-
Pitre.
A. R. :Comment avez-vous re-
çu ces traductions ?
M. C. : Une traduction est
toujours un peu pénible sauf
quand il s’agit d’un de mes ro-
mans, où je n’ai pas l’impression
d’entendre ma propre voix dans le
texte traduit. Mais au théâtre,
parfois je ne m’entendais plus.
J’entendais des sons qui étaient
peut-être harmonieux, c’était
peut-être bien fait, mais je sentais
que ce n’était pas vraiment moi. Je
crois qu’il faut accepter cette tra-
hison/traduction qui est faite pour
des gens qui ne peuvent pas vous
appréhender dans votre propre
langue. Par exemple, dans tout ce
que j’écris, il y a une distanciation
ironique mêlée à la tendresse.
Évidemment, l’ironie en français
ne passe pas bien dans un texte an-
glais.
A. R. : La Comédie d’Amour
était une expérience nouvelle ?
M. C. :Oui. On me repro-
chait d’écrire des livres que le
grand public n’aime pas toujours.
2 - Françoise Kourilsky, direc-
trice artistique du Ubu
Repertory Theater, le seul
théâtre professionnel à jouer
les œuvres de la francophonie
africaine et antillaise aux Etats-
Unis. Le Ubu Rep, qui a
ouvert ses portes à New York
en 1982, avait pour mission
de faire connaître aux
Américains le répertoire des
œuvres dramatiques contem-
poraines d’expression fran-
çaise.
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L’Arbre à PalabresN° 18 Janvier 2006