des meneurs, Gaspar de Quesada, le capitaine de la Concepción, et en abandonna deux à terre: l'ancien
capitaine de la San Antonio, Juan de Cartagena, dont la conduite à son égard avait été si irrespectueuse
depuis le début du voyage qu'il l'avait démis de ses fonctions, et un prêtre, Pero Sánchez de la Reina, qui
avait lui aussi pris activement le parti des mutins.
Ne perdant pas de vue le but de l'expédition, Magellan envoya le Santiago explorer une baie voisine, où il
fit naufrage, ses hommes réussissant toutefois à revenir à San Julián par la terre dans des conditions
abominables. C'est aussi à San Julián que les navigateurs virent leurs premiers lamas, ainsi que les fameux
Patagons, littéralement, «les hommes aux grands pieds», d'où vient le nom de la Patagonie (Pigafetta 115).
Magellan reprit son chemin vers le sud à la fin août, mais il avait peut-être péché par impatience, car
l'hiver n'était pas fini, et les navires durent passer encore deux mois à l'abri, devant l'embouchure du fleuve
Santa Cruz, «qui faillit nous faire périr à cause des grands vents qui en provenaient» (Pigafetta 116).
Trois jours après avoir de nouveau levé l'ancre, le 21 octobre, par 52° sud, il se trouva devant un cap qu'il
baptisa des Onze Mille Vierges, selon le calendrier catholique qui fête ce jour-là Sainte Ursule et ses onze
mille compagnes massacrées à Cologne, et à l'entrée d'une baie si large et si profonde qu'elle pouvait être
l'ouverture recherchée, ce que confirma le San Antonio envoyé en reconnaissance.
Le 1er novembre, la flotte s'engagea dans ce labyrinthe que Magellan appela de Tous les Saints. Au cours
de sa traversée, ils aperçurent des feux sur la rive opposée, qu'ils baptisèrent par conséquent Tierra de los
Fuegos, «la Terre des Feux»; lors de l'exploration d'un chenal, le pilote du San Antonio, le Portugais Estevão
Gomes, s'empara de son navire, mit son capitaine aux fers et prit le chemin de l'Espagne, voulant, dit-il, y
apporter la nouvelle de la découverte et revenir avec de nouveaux navires mieux approvisionnés et en
meilleur état. Certains pensent qu'il recueillit en passant les deux mutins abandonnés à San Julián.
Le mercredi 28 novembre 1520, les trois bateaux qui restaient passèrent le cap Deseado, «le Cap du
Désir, comme une chose bien désirée et de longtemps» (Pigafetta 120) et entrèrent dans «la mer grande et
large», le Pacifique.
À travers la mer du Sud
Magellan mit alors le cap sur les îles Moluques, dont il savait par son ami Serrão qu'elles sont situées sur
l'équateur, pour une traversée qui devait durer presque quatre mois pendant lesquels, écrit Pigafetta, «sans
prendre de vivres ni autres rafraîchissements, nous ne mangions que du vieux biscuit tourné en poudre, tout
plein de vers et puant de l'ordure d'urine que les rats avaient fait dessus après avoir mangé le bon. Et nous
buvions une eau infecte... Et nous mangions beaucoup de sciure de bois et des rats qui coûtaient un demi-écu
l'un, encore ne s'en pouvait-il trouver assez.» L'inévitable scorbut apparut, faisant 19 morts «mais, outre
ceux-ci, il en tomba vingt-cinq ou trente malades de diverses maladies... de telle sorte qu'il en demeura bien
peu de sains. Toutefois, grâce à Notre-Seigneur je n'eus point de maladie», écrit notre robuste chroniqueur
Pigafetta (126-127).
Le 24 janvier, ils découvrirent une petite île qu'ils appelèrent San Pablo, dont ce jour célèbre la
conversion, «si bien entourée de récifs qu'on aurait dit que la nature l'en avait armée pour se défendre contre
la mer», selon Ginés de Mafra, puis une autre, le 4 février, baptisée Tiburones, «des Requins»: «deux petites
îles inhabitées où nous ne trouvâmes que des oiseaux et des arbres» (Pigafetta 127). Bien que de nombreux
auteurs pensent que la première est Pukapuka, il s'agit probablement de l'atoll de Fakahina (Tuamotu,
Polynésie française). Quant à la deuxième, c'est sans doute Flint, dans les îles de la Ligne (Kiribati).
La déception, on le conçoit aisément, fut grande, comme le révèle le récit de Pigafetta: «Nous les
appelâmes les Îles infortunées... Si Notre-Seigneur et sa Mère ne nous eussent aidés... nous mourions tous de
faim en cette très grande mer» (127).
Et la traversée continua, par un temps favorable: «Cette mer était bien nommée Pacifique car nous
n'eûmes aucune fortune [aucune tempête] ... et chaque jour nous faisions cinquante ou soixante lieues [200