Nous nous proposons ici de montrer que les travaux récents sur les règles de taux
d'intérêt ont renouvelé la théorie de la politique monétaire au point que l'on puisse parler
d'une véritable refondation. Car ce ne sont pas seulement la nature des instruments ou les
conditions de mise en œuvre de la régulation monétaire qui se trouvent reconsidérés. Plus
profondément, c'est la façon dont on conçoit le rôle de la monnaie dans la formation et la
maîtrise de l'équilibre économique.
De tout temps, on a présenté la politique monétaire en faisant comme si les Banques
centrales contrôlaient la masse monétaire. Même dans la tradition française du diviseur de
crédit (et donc d'endogénéité de la monnaie), cette présentation n'a pas été vraiment récusée,
alors que chacun sait et peut vérifier au jour le jour que les Banques centrales fixent des taux
d'intérêt et pas la base monétaire. Dans l'histoire de l'analyse économique, il existe peu
d'autres exemples d'une conceptualisation aussi manifestement contraire à la réalité. Au
mieux, on justifie cette falsification en affirmant que la manipulation des taux ne sert qu'à
influer sur l'offre de monnaie. Ce qui est étrange puisque, du point de vue des canaux de
transmission, le taux d'intérêt entre plus naturellement que la monnaie dans la fonction de
demande agrégée. Mais, probablement, cette contorsion s'explique par la conviction que la
maîtrise de la masse monétaire est nécessaire à la détermination du niveau général des prix.
En un sens, la littérature des années 1980 a poussé encore plus loin le divorce entre
théorie et pratique, en cherchant à montrer que l'ancrage nominal de l'économie impliquait
une politique monétaire aussi passive que possible. Pourtant, dans les faits, la passivité ne
semble pas être une vertu pour les politiques économiques et celles que l'on cite en exemple
(notamment celle d'A. Greenspan) ont souvent été très réactives. Certes, ce courant de
littérature a soulevé un réel problème et a enrichi notre approche des politiques économiques
optimales. Il a aussi influencé l'évolution du statut de nombre de Banques centrales. Mais le
principe d'incohérence temporelle a servi à montrer que l'arbitrage entre activité et inflation
impliquait une dérive systématique des prix : le fameux biais inflationniste. Même si l'idée
des règles monétaires actives était présente dans la contribution de Barro et Gordon (1983), le
débat qui s'en est suivi s'est plu à démontrer que l'application d'une telle solution était
impossible. De sorte que l'on a fini par considérer qu'il fallait choisir entre crédibilité et
flexibilité, le banquier conservateur de Rogoff (1985) étant l'incarnation de ce dilemme.
Or, les recherches sur les règles de taux qui se sont développées à la suite du travail
fondateur de Taylor (1993) ont fait table rase de ces deux visions de la politique monétaire.
D'une part, elles ont établi qu'il était possible d'assurer un ancrage nominal par le contrôle des
taux d'intérêt. Ce qui est une bonne nouvelle pour des économies dans lesquelles la monnaie
devient de plus en plus indéfinissable. D'autre part, elles expliquent qu'il est envisageable de
concilier cet ancrage nominal avec la stabilisation macroéconomique. Ce qui est également
une bonne nouvelle puisque cela revient à réaffirmer l'efficacité et la responsabilité de la
politique monétaire dans la régulation conjoncturelle de l'économie.
Nous allons procéder en reprenant d'abord successivement ces deux points (sections I et
II). Nous les prolongerons en nous interrogeant sur la portée des frictions monétaires et donc
sur la pertinence d'une macroéconomie sans monnaie. Nous soutenons que l'on peut, sans
dommage, renoncer à l'écriture d'un marché de la monnaie (section III). En revanche, les
frictions sur le marché du crédit méritent d'être prises au sérieux. Ce qui conduit à compléter
la forme des règles que l'on écrit habituellement (section IV).
2