Transitions de phase dans l`état mixte des supraconducteurs de type II

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Transitions de phase
Transitions de phase dans l’état
mixte des supraconducteurs
de type II
Dans les supraconducteurs dits de type II, le champ magnétique peut pénétrer sous la forme de
tubes de flux quantifiés appelés vortex. Dans les oxydes supraconducteurs, mais également dans
certains composés intermétalliques ou organiques, l’organisation spatiale de ces vortex peut
adopter, selon le champ magnétique ou la température, des structures très variées : réseau ordonné, verres, phase liquide... La diffraction de neutrons et la magnéto-optique sont alors des outils
performants qui permettent d’étudier les transitions de phase entre ces différentes structures.
L
a propriété la plus spectaculaire des matériaux supraconducteurs est probablement le
fait qu'ils présentent une résistance
électrique parfaitement nulle en dessous d’une température critique Tc .
Mais ces matériaux ont également la
remarquable capacité de pouvoir
expulser un champ magnétique extérieur H (effet Meissner). Cette
expulsion s’explique par l’apparition
de courants supraconducteurs de
densité j M ~H/λ circulant à la périphérie de l’échantillon sur une profondeur λ de l’ordre de quelques
milliers d’Angström. Ces courants
créent une aimantation M = −H qui
permet d’annuler l’induction magnétique B à l’intérieur du supraconducteur (B = µ0 (H + M) = 0) . j M ne
peut toutefois pas dépasser une
valeur maximale j0 et, dans les
supraconducteurs dits de type I, la
supraconductivité est alors brutalement détruite au-dessus du champ
Hc pour lequel j M = j0 (appelé
champ critique thermodynamique).
En revanche, dans les supraconducteurs dits de type II, il devient énergiquement favorable de « laisser
pénétrer » partiellement B au-dessus
– Laboratoire d’études des propriétés électroniques des solides (LEPES) UPR 11
CNRS, 25 av. des martyrs, BP 166, 38042
Grenoble cedex 9.
– Laboratoire des solides irradiés (SESI),
UMR 7642 CNRS, CEA, École polytechnique, route de Saclay, 92128 Palaiseau
cedex.
jV
ns(x)
B
B(x)
jV (x)
ξ λ
x
Figure 1 - A gauche, représentation schématique
d’un vortex. A droite, profils de la densité de
paires de Cooper n S de l’induction B, et du courant non dissipatif jV (x est la coordonnée
radiale).
d’un seuil Hc1. Le champ pénètre
alors sous la forme de tubes de flux
appelés vortex portant chacun un
quantum de flux 0 = h/2e (créé
par un « tourbillon » de courant de
densité jV ). Afin de permettre le passage du champ magnétique, la supraconductivité est détruite dans le
cœur du vortex sur une distance ξ de
l’ordre de 10 à 50 Å et jV s’éteint
progressivement sur une distance λ
(figure 1). On a alors coexistence des
phases supraconductrice et normale
(i.e. non supraconductrice) dans
l’échantillon ; cet état intermédiaire
a donc été appelé état mixte. Le flux
porté par chaque ligne étant quantifié, l’augmentation de l’induction
magnétique dans l’échantillon
lorsque le champ extérieur croît ne
peut se faire qu’en augmentant la
densité de vortex. La phase supraconductrice est finalement détruite
au-dessus du champ critique supérieur Hc 2 pour lequel les cœurs des
vortex se recouvrent et occupent tout
l’échantillon.
La présence de vortex dans l’état
mixte a des conséquences essentielles sur les propriétés physiques du
matériau. Par exemple, la réponse
électrodynamique du supraconducteur est presque entièrement déterminée par leur comportement. En effet,
lorsque l’on applique un courant de
densité j, les vortex sont soumis à
une force de Lorentz FL = j × B qui
peut les mettre en mouvement à une
vitesse v produisant ainsi un champ
électrique E = v × B. Le déplacement des électrons « normaux » présents dans les cœurs de vortex est
alors à l’origine d’une résistivité
ρ f = v B/j et le supraconducteur
n’est donc plus en mesure de conduire un courant électrique sans perte :
sa principale propriété est perdue.
Toutefois, tous les échantillons
contiennent des défauts topologiques
(interstices, lacunes, dislocations),
chimiques ou « géométriques »
(rayures, cassures) qui constituent
d’excellents centres de piégeage des
vortex. Ceux-ci restent alors ancrés
sur ces défauts et le champ électrique
E = v × B reste nul pour des densités de courant j inférieures à une
valeur « critique » jc .
Pour décrire la répartition des
vortex dans le supraconducteur,
71
Encadré 1
DIAGRAMME DE PHASES H-T
DES SUPRACONDUCTEURS DE TYPE II
Le diagramme de phases champ magnétique – température
des supraconducteurs de type II déduit de la théorie de
Ginzburg et Landau (en ignorant les fluctuations thermiques
et l’ancrage des vortex par les défauts) est présenté schématiquement en figure (a) (l’insert illustre l’ordre hexagonal du
réseau d’Abrikosov). Toutefois, comme les échantillons réels
contiennent tous des défauts, on s’attend à ce que le réseau
d’Abrikosov soit remplacé par une nouvelle structure appelée
« verre de Bragg », qui conserve néanmoins un ordre à longue
distance « quasi parfait ». De plus, dans les supraconducteurs
à haute Tc , de fortes fluctuations thermiques peuvent conduire à la fusion du solide de vortex vers une phase liquide et le
diagramme de phases serait alors celui de la figure (b).
Notons que, dans la phase liquide, les lignes de flux peuvent
aisément « se couper » et se reconnecter. L’ancrage de ces
lignes devient alors impossible et la phase liquide présente
une forte résistivité : cette ligne de fusion correspond donc à
une frontière importante au-delà de laquelle le principal
attrait de la supraconductivité est perdu. Pour un taux de
défauts plus important, l’ordre orientationnel et translationnel
est également détruit dans la phase solide. Il a alors été suggéré qu’une transition entre le verre de Bragg et un verre de
vortex totalement désordonné pourrait être induite à basse
température par le champ magnétique [figure (c)].
ceux-ci sont assimilés à des lignes
de flux élastiques qui obéissent à
une électrodynamique classique
(modèle de London). Comme
chaque vortex est entouré d’un tourbillon de courant ( jV ) de même
signe, les tubes se repoussent et, en
l’absence de désordre statique (i.e.
de défauts) ou thermique, ils se
répartiraient dans l’échantillon sous
la forme d’un réseau hexagonal
appelé réseau d’Abrikosov. Les
72
Finalement, on s’attend à ce que le verre de Bragg disparaisse pour un taux de désordre très important [figure (d)].
L’existence d’une transition entre le verre de Bragg et un
liquide de vortex à haute température a été mise en évidence
dans les oxydes supraconducteurs dès 1992, car elle se traduit
par exemple par un saut brutal de la résistance électrique à
zéro. En revanche, le verre de vortex et le liquide sont tous
deux totalement désordonnés et la différence entre ces deux
phases n’est plus topologique mais dynamique. Le passage
entre le verre de vortex et le liquide est donc beaucoup plus
continu (il n’y a pas de saut de résistance) et l’existence d’une
véritable transition thermodynamique entre ces deux structures reste encore très controversée. L’étude expérimentale de
la transition basse température entre le verre de Bragg et une
phase désordonnée [liquide : figure (b) ou verre de vortex :
figure (c)] est beaucoup plus délicate. Nous avons montré que
la diffraction de neutrons et l’imagerie magnéto-optique sont
des outils très performants pour cette étude (voir le texte principal). Notons que les échantillons de très bonne qualité
comme Bi2Sr2CaCuO8 +δ appartiennent sans doute au cas
(b), alors que le diagramme de phases des systèmes plus
désordonnés comme (K,Ba)BiO3 est plus proche du cas (c).
défauts présents dans l’échantillon
altèrent cette distribution « idéale »,
puisque chaque vortex cherche alors
une position qui lui permet de minimiser la somme des énergies d’ancrage et d’interaction entre vortex.
Cependant, l’observation de dizaines
de milliers de vortex parfaitement
ordonnés (sans aucune dislocation)
dans des supraconducteurs comme
Bi2 Sr2 CaCu2 O8 a montré que le solide de vortex pouvait conserver un
ordre hexagonal à longue distance
quasi parfait. Le solide de vortex présente toujours des pics de Bragg en
diffraction mais, comme dans un
verre, sa fonction de corrélation position – position tend vers zéro à (très)
grande distance. T. Giamarchi et P. Le
Doussal l’ont donc baptisé « verre de
Bragg ».
Toutefois, le verre de Bragg
n’existe que dans des conditions
Transitions de phase
réduites de champ et de température
(encadré 1) et l’on s’attend à observer
une transition de phase dans l’état
mixte entre cette phase ordonnée à
bas champ et basse température et
une phase totalement désordonnée
constituée de lignes de flux enchevêtrées au-dessus d’une ligne He (T ). A
haute température (T > Tc /2), cette
transition est tout à fait similaire à la
fusion des réseaux cristallins. Les
vortex sont libres de se déplacer dans
la phase liquide qui présente alors
une forte résistance électrique ; c’est
l’observation d’un saut de résistance
qui a suggéré, dès 1992, l’existence
de cette fusion, et des mesures de
chaleur spécifique et d’aimantation
ont confirmé en 1996 qu’il s’agit bien
d’une transition de phase thermodynamique du premier ordre.
A plus basse température, la situation se complique car l’ancrage
devient si fort qu’il est alors impossible d’obtenir la distribution des vortex à l’équilibre, et donc de mesurer
des quantités thermodynamiques.
Bien que l’existence d’une transition
de phase ait été suggérée par simulation numérique et à partir de mesures
magnétiques, des preuves définitives
de son existence restaient délicates à
obtenir. Un ancrage important donne
lieu à une résistance électrique nulle
(ou inférieure aux limites de résolution expérimentales) dans les deux
phases, et les mesures de transport
électrique ne sont, par exemple, plus
une sonde adaptée. Nous verrons dans
la suite de cet article que la transition
ordre - désordre peut alors être étudiée
à partir i) de mesures de diffraction de
neutrons et ii) de mesures magnétooptiques.
Il est remarquable de noter que
des supraconducteurs très différents
montrent tous le même diagramme de
phases phénoménologique (lorsqu’ils
sont synthétisés sous forme suffisamment pure). Les échelles de champ et
de température sont néanmoins très
différentes. Par exemple, le champ
He peut être supérieur aux valeurs
expérimentalement accessibles dans
des monocristaux d’YBa2Cu3O7−δ et
n’est que de quelques centièmes de
Tesla dans Bi2Sr2CaCu2O8+δ (la très
forte anisotropie électronique de ce
composé réduit considérablement la
rigidité des lignes de flux). Le cas de
Bi2Sr2CaCu2O8+δ est si extrême
qu’il avait initialement été suggéré
que la disparition du réseau de vortex observée par diffraction de neutrons était particulière à ce seul composé, et était liée au découplage des
plans supraconducteurs. Pour pouvoir confirmer l’existence et la généralité d’une transition ordre – désordre induite à basse température par
le champ magnétique, il était donc
nécessaire d’étudier un système isotrope, pour lequel les effets dimensionnels ne rentreraient pas en ligne
de compte. Pour cela, nous nous
sommes intéressés au système
(K,Ba)BiO3 (Tc ≈ 30 K), qui présente une structure cristallographique
cubique de type Perovskite parfaitement tridimensionnelle (les trois
axes cristallographiques principaux
sont équivalents) et pour lequel nos
mesures de diffraction de neutrons
ont permis de confirmer l’existence
de cette transition
Il restait alors à comprendre comment le solide de vortex « passe »
d’une phase à l’autre lorsque l’on
augmente le champ magnétique
extérieur. Pour cela, l’imagerie
magnéto-optique se révèle être un
outil très performant. En effet, cette
technique permet d’effectuer une
cartographie du champ magnétique dans l’échantillon et de « visualiser » ainsi la distribution spatiale
des différentes structures (phases !)
de vortex. Pour ces mesures, nous
avons utilisé des monocristaux de
Bi2Sr2CaCu2O8+δ , composé pour
lequel le champ de transition est suffisamment faible (la résolution de
cette technique est limitée à
quelques centaines de Gauss) ; nous
verrons ainsi que les deux phases
peuvent coexister dans l’échantillon
sous certaines conditions de champ
et de température. Elles sont alors
séparées par une interface abrupte
qui se déplace progressivement jusqu’à destruction totale d’une des
deux phases (la phase ordonnée disparaît au-dessus de He et, inverse-
ment, la phase désordonnée n’existe
que de façon métastable au-dessous
de He).
TRANSITION ORDRE – DÉSORDRE :
DIFFRACTION DE NEUTRONS
La structure du réseau de vortex,
tout comme leur comportement
dynamique, sont étroitement liés à la
nature du désordre présent dans le
matériau : densité, taille et type de
défauts. Dans le cas d’une répartition aléatoire de défauts ponctuels
(de taille inférieure à la taille du
cœur du vortex ξ), les vortex sont
amenés à « errer » dans le potentiel
aléatoire créé par ces défauts à la
recherche des endroits où le gain en
énergie de piégeage est maximal.
Cette recherche nécessite toutefois
des déformations élastiques, soit de
l’ensemble du réseau de vortex, soit
de chacune des lignes de flux individuellement lorsque leur densité est
faible. Ces déformations ont un coût
énergétique et la structure du solide
de vortex résulte alors d’un compromis subtil entre le gain en énergie de
piégeage par les défauts (E p ) et le
coût énergétique associé aux déformations élastiques (E él ) .
Les progrès en cristallogenèse
des supraconducteurs à haute température critique ont permis d’élaborer des échantillons d’une qualité
telle, qu’à faible champ, le gain en
énergie E p associé à des déformations importantes (i.e. de l’ordre du
pas du réseau a0 ) soit très largement inférieur à E él : le verre de
Bragg est alors la structure d’équilibre du solide de vortex. On peut
montrer que E p et E él décroissent
tous deux avec le champ extérieur.
Toutefois, cette décroissance est
plus rapide pour E él et des déplacements de l’ordre de a0 entre vortex
voisins peuvent devenir énergiquement favorables au-dessus d’un
champ seuil He (T ) pour lequel E p
devient supérieur à E él . Des dislocations prolifèrent alors dans le
réseau de vortex, détruisant ainsi
l’ordre à longue distance, pour lais73
1.2
I.q(H)/I.q(0)
1
0.8
0.6
0.4
0.2
0
0
0.2
0.4
0.6
0.8
1
H/H e
Figure 2 - Évolution de l’intensité intégrée sous
le pic de diffraction (1,0) du réseau de vortex
(verre de Bragg) en fonction du champ magnétique appliqué T = 2.5K ) dans (Ba, K )Bi O3
(triangles) et Bi 2 Sr2 CaCu O8 (carrés). Insert :
cliché de diffraction d’un faisceau de neutrons
par le réseau de vortex dans (Ba, K )Bi O3 (H =
1000G, T = 2.5 K.
74
(a)
200
(b)
verre
de Bragg
Bz/µ -H a (Oe)
0
1
M (a.u.)
ser place à un ensemble de lignes
enchevêtrées dans la phase désordonnée (encadré 1).
Porteurs d’un moment magnétique, les neutrons sont sensibles au
champ magnétique présent dans le
cœur du vortex et sondent donc la
structure magnétique créée par le
solide de vortex. Tout comme pour
la diffraction de rayons X par un
réseau cristallin, un faisceau de neutrons (de longueur d’onde λ N ~ 10 à
20 Å) est diffracté par un système
ordonné de vortex lorsque la condition de Bragg : qλ N = 2π sin(θ) est
satisfaite (q est le vecteur du réseau
réciproque associé au réseau de vortex et θ l’angle entre le champ
magnétique et le faisceau). En faisant « pivoter » le champ (i.e. le solide de vortex) autour du faisceau de
neutrons, on obtient alors une figure
de diffraction analogue à un cliché
de diffraction de rayons X par un
cristal atomique qui reflète la symétrie du (quasi-)réseau de vortex. Un
cliché de diffraction obtenu à 2.5 K
dans un monocristal (K, Ba)BiO3
(pour un champ extérieur de 0.1 T)
est présenté dans l’insert de la figure
2 ; il montre que le solide est parfaitement ordonné à bas champ et basse
température. Une analyse détaillée
de l’évolution de la dépendance
angulaire de l’intensité diffractée
avec le champ magnétique et la tem-
phase
désordonnée
0
Hp
-1
1
2
Hp
0
-100
4K
He
0
100
3
4
5
-200
6
µ0H (T)
-0.2
-0.1
0
0.1
0.2
µ 0 H (T)
Figure 3 - (a) Demi-cycle d’aimantation (H > 0) mesuré dans un échantillon de (K , Ba)Bi O3 par un
magnétomètre supraconducteur (SQUID). Le champ He de transition ordre – désordre déduit des mesures
de diffraction de neutrons (figure 2) est très proche du second pic Hp . (b) Cycle d’hystérésis magnétique
mesuré à l’aide d’une sonde de Hall microscopique disposée sur la surface d’un monocristal de
Bi 2 Sr2 CaCu 2 O8+δ (T = 24.2 K). On voit clairement l’accroissement de l’amplitude du cycle (i.e. du
courant) au-dessus de µ0 Ha ~ 0.04T.
pérature nous a permis de montrer
que ce solide est bien le verre de
Bragg proposé par T. Giamarchi et
P. Le Doussal.
Dans le modèle de London, l’intensité totale (I) intégrée dans le plan
du détecteur et sur l’ensemble des
angles θ est proportionnelle à
2π/q.F 2 (q) où F(q) est un facteur
de forme lié à la distribution du
champ magnétique dans l’échantillon. Pour qλ >> 1 (condition
généralement vérifiée), F(q)α1/λ2
et l’on s’attend donc à ce que le produit I.q soit indépendant du champ
magnétique (en tenant compte de la
taille finie des cœurs des vortex, on
peut montrer que I.q tend en fait progressivement vers zéro pour
H = Hc2 ). Toutefois, comme le
montre la figure 2, dans (K, Ba)BiO3
tout comme dans Bi2 Sr2 CaCu2 O8+δ
ce produit chute rapidement avec le
champ magnétique et s’annule audessus d’un champ He très inférieur à
Hc2 : ∼ 1 à 2 T dans (K, Ba)BiO3
(Bc2 (0) ∼ 30T) et de quelques centièmes de Tesla dans Bi2 Sr2 CaCu2
O8+δ (Bc2 (0) ∼ 80T) . Dans Bi2 Sr2
CaCu2 O8+δ , le premier composé
dans lequel cette « disparition anormale » de l’intensité avait été observée, elle avait été attribuée par
R. Cubitt et ses collaborateurs à un
découplage des plans supraconducteurs. Cette hypothèse est incompatible avec la structure cubique de
(K, Ba)BiO3 dont l’étude présente
ici tout son intérêt. La disparition de
toute intensité diffractée au-dessus
de He est donc probablement liée à
l’apparition de dislocations dans la
phase désordonnée et ces mesures
ont ainsi permis de valider l’hypothèse d’une transition ordre –
désordre induite à basse température
par le champ magnétique aussi bien
dans (K, Ba)BiO3 que dans
Bi2 Sr2 CaCu2 O8+δ .
DISTRIBUTION SPATIALE DES DIFFÉRENTES
STRUCTURES DE VORTEX
On peut s’attendre à ce que la prolifération de dislocations lors de la
transition ordre – désordre s’accompagne d’une forte augmentation du
piégeage et donc d’un accroissement
de la densité de courant « critique »
pouvant être induite dans le matériau. Les densités de courants en jeu
sont trop fortes pour être mesurées à
partir de mesures de transport classiques, mais peuvent l’être à partir
de mesures magnétiques. En effet, le
piégeage des vortex donne lieu à une
hystérésis dans la relation M-H qui
fut décrite pour la première fois par
C. Bean dans les années 60 (encadré 2). L’ouverture du cycle d’hystérésis est directement proportionnelle
au courant j induit par la variation
de champ. On sait depuis fort
longtemps que, dans de nombreux
supraconducteurs
(Nb,
NbZr,
Transitions de phase
Encadré 2
ÉCRANTAGE DU FLUX
DANS LES SUPRACONDUCTEURS DE TYPE II
Dans les supraconducteurs de type II, l’écrantage du champ
magnétique extérieur H n’est total (i.e. B = 0) que pour
H < Hc1 . Au-delà de cette valeur, H pénètre dans l’échantillon sous la forme de tubes de flux quantifiés appelés vortex.
En l’absence d’ancrage, ces vortex adopteraient une répartition spatiale quasi homogène et l’évolution du moment
magnétique B–µ0 H (moyenné sur un grand nombre de vortex) en fonction du champ extérieur H serait décrite par la
courbe grisée en figure a.
Les vortex sont créés sur les bords de l’échantillon puis se
déplacent vers le centre. La présence de défauts entrave ce
déplacement et conduit à une distribution très inhomogène des
lignes de flux qui restent piégées près des bords : leur concentration (donc l’induction B) est plus forte à la périphérie de
l’échantillon qu’elle ne l’est au centre. Cette distribution
inhomogène du flux donne lieu à une densité de courant j(x)
reliée au gradient local du champ et, pour prédire les distributions de B(x) et j(x), il faut résoudre les équations de
Maxwell en y injectant la relation E(j) qui caractérise la
« force du piégeage ».
B étant inhomogène, une mesure locale (obtenue en plaçant
une micro-sonde à effet Hall sur la surface de l’échantillon)
dépendra de la position x. La courbe M(H) obtenue au centre
j-l
de l’échantillon est présentée en figure a (cycle noir). Les
flèches indiquent le sens dans lequel le cycle est parcouru et
les profils de champ correspondants aux points 1 à 4 sont présentés en figure b (l’échantillon est compris entre x = – l/2 et
x = +l/2). Lorsque le champ extérieur décroît, j change de
signe et les vortex sortent de l’échantillon : B diminue
d’abord près des bords (point 3) puis progressivement à l’intérieur de l’échantillon. Les profils de B (et donc la valeur de
M) obtenus pour la même valeur du champ extérieur en
champ croissant puis décroissant – points 2 et 3 par exemple –
sont donc très différents ; le cycle M(H) est fortement irréversible. La largeur du cycle d’hystérésis est alors directement
proportionnelle au courant j induit dans l’échantillon lors de
la rampe en champ. La particularité des supraconducteurs à
haute Tc est que j présente un maximum pour une valeur du
champ extérieur H très inférieure à Hc2 (figure 3 du texte
principal). Notons que sur la branche descendante du cycle
B(x) est supérieur au champ extérieur µ0 H et qu’un flux
rémanent restera piégé dans l’échantillon pour Ha = 0
(point 4).
B
B
µ 0 H2
µ0M = B-µ0 H
µ 0 H1
4
-l/2
Hc2
3
H
2
l/2
-l/2
0
x
l/2
B
µ0H3
=
µ0H2
-l/2
α − Nb3 Ge ,…), ce courant présente
un « effet de pic » à l’approche du
champ critique supérieur H c2 . De
même, presque tous les oxydes à
haute Tc présentent une dépendance
non monotone du courant en fonction du champ extérieur (figure 3).
Toutefois, la particularité des oxydes
est que le champ Hp correspondant
x
B
1
Figure a
0
0
x
l/2
µ0 Hc1
-l/2
0
l/2
µ0 H4 =0
x
Figure b
au maximum de courant (second
pic) est très nettement inférieur à
H c2 . De nombreuses hypothèses ont
été proposées pour expliquer cet
effet (défauts de stœchiométrie en
oxygène, transition 2D-3D du réseau
de vortex...). Nous avons montré
que, dans nos échantillons de
(K,Ba)BiO3 , Hp est très proche du
champ He déterminé par diffraction
de neutrons, ce qui suggère que l’accroissement du courant est effectivement lié à la transition ordre –
désordre (figure 3a). Cette interprétation est corroborée par le fait que
l’introduction d’un grand nombre de
défauts ponctuels dans l’échantillon
conduit à une diminution de Hp (la
75
ment que trois phases coexistent
dans l’échantillon : (1) la phase
Meissner (B = 0 en noir) sur le périmètre du cristal, (2) le verre de
Bragg (gris foncé) et (3) la phase
désordonnée qui apparaît en clair au
centre du cristal. Comme on peut le
voir, cette dernière disparaît progressivement avec le temps (a-d) au profit du verre de Bragg. En effet, le
champ dans l’échantillon est inférieur au champ d’enchevêtrement He
(~ 380 G) et la phase désordonnée
n’existe donc que sous forme métastable (la structure des vortex est
déterminée par la valeur du champ
et, pour les faibles valeurs de H, la
structure d’équilibre est le verre de
Bragg). Ce phénomène de « surfusion » obtenu en abaissant brutalement le champ magnétique confirme
que la transition ordre – désordre est
également de premier ordre. Dans ce
cas, elle n’est probablement que le
prolongement de la fusion du verre
de Bragg dans une région du diagramme H-T où la dynamique
devient très lente.
phase désordonnée étant alors favorisée aux dépens du verre de Bragg).
Dans les matériaux les plus anisotropes comme Bi2 Sr2 CaCu2 O8+δ
cette augmentation de courant est
très spectaculaire et les cycles d’hystérésis présentent alors une forme en
« ailes de papillon » (figure 3b).
Cette très nette différence de courant
entre les phases ordonnée et désordonnée et la faible valeur du champ
de transition He nous ont permis de
« visualiser » la distribution spatiale
des différentes phases à l’aide de
mesures magnéto-optiques. On pose
pour cela une couche mince d’un
grenat ferrimagnétique (présentant
un grand effet Faraday magnétooptique) sur la surface de l’échantillon. L’intensité lumineuse réfléchie (en lumière polarisée) est alors
proportionnelle à l’induction locale
B(r) et permet donc de déterminer
la distribution du courant j relié à
B(r) par les équations de Maxwell.
Un profil de champ obtenu dans
Bi2 Sr2 CaCu2 O8 après avoir coupé
brutalement le champ magnétique à
partir d’une valeur supérieure à He
est représenté en figure 4. On identifie la phase désordonnée au centre
de l’échantillon par sa forte valeur
de j. Cette phase est « entourée »
d’une seconde phase présentant une
valeur de j bien plus faible : le verre
de Bragg.
CONCLUSION
400
350
300
Phase
ordonnée
Phase
ordonnée
B (G)
250
200
150
Phase désordonnée
100
50
0
0
500
1000
1500
2000
2500
x(µm )
Figure 4 - Profil de B obtenu par magnétooptique dans un monocristal de Bi2 Sr2 Ca Cu
O8+δ (T = 30 K) pour Ha = 0 (champ rémanent)
après avoir augmenté le champ extérieur jusqu’à
une valeur supérieure à He. La partie centrale
présente une valeur de j ~dB/dx plus importante,
caractéristique de la présence de la phase désordonnée de vortex.
76
Figure 5 - Évolution en fonction du temps (à
25 K) de la distribution du flux rémanent obtenue
par magnéto-optique (voir texte). On observe
trois phases coexistantes séparées par des limites
bien définies : (1) la phase Meissner (B = 0 en
noir) sur le périmètre du cristal, (2) le verre de
Bragg (gris foncé) et (3) la phase désordonnée en
clair au centre du cristal. Cette dernière disparaît
progressivement avec le temps (a-d) au profit du
verre de Bragg.
La forte valeur de j dans la phase
désordonnée conduit à un accroissement rapide de B et cette phase apparaît donc en clair sur les images
magnéto-optiques présentées en
figure 5. Ces photos montrent claire-
La grande richesse du diagramme
de phases (H,T) des oxydes supraconducteurs a été initialement attribuée à
l’effet combiné d’une très forte anisotropie, d’une faible valeur de la longueur de cohérence et d’une température critique élevée donnant lieu à de
fortes fluctuations thermiques.
Toutefois, l’observation d’un diagramme similaire dans un système
cubique ayant une température critique beaucoup plus basse comme
(K,Ba)BiO3 (ou également dans des
composés « intermédiaires » comme
YNi2 B2 C ou NbSe2 ) montre que les
différentes phases que les vortex peuvent adopter doivent être discutées
dans un cadre beaucoup plus général
dans lequel le désordre joue un rôle
primordial. En faisant varier l’anisotropie et le taux de défaut, on peut
« parcourir » toute l’échelle de
désordre et obtenir les différents diagrammes de phases de la figure 2. Les
Transitions de phase
mesures de diffraction de neutrons et
d’imagerie magnéto-optique se révèlent alors être des outils indispensables pour l’étude de la transition
ordre – désordre induite à basse température par le champ magnétique.
Le cadre de cette étude dépasse
largement le thème de la supraconductivité. Les vortex sont en effet un
remarquable exemple de filaments
élastiques piégés par un potentiel
aléatoire, dont la dynamique peut
être généralisée à de nombreux systèmes, comme les ondes de densité
de charge, les dislocations dans les
solides ou les parois de domaine
dans les systèmes magnétiques
(Images de la Physique 2000).
Temperature Superconductors »,
Physics Today, 50, 38, 1997.
Avraham (N.) et coll., « Inverse
melting of a vortex lattice »,
Nature 411, 451, 2001.
POUR EN SAVOIR PLUS
Feinberg (D.), « Vortex dans les
supraconducteurs lamellaires :
une physique entre deux et trois
dimensions », Images de la
Physique 1993, p. 60.
Crabtree (G.W.), Nelson (D.R.),
« Vortex Physics in High-
Bouquet (F.) et coll., « An unusual
phase transition to a second liquid
phase in the superconductor
YBa2 Cu3 O7 », Nature 411, 448,
2001.
Sur le piégeage des parois :
Rolley (E.) et Ferré (J.), « Des
interfaces dans le désordre »,
Images de la Physique 2000, p. 30.
Article proposé par :
Thierry Klein, tél. 04 76 88 74 64, [email protected]
Kees Van Der Beek, tél. 01 69 33 45 03, [email protected]
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