réduites de champ et de température
(encadré 1) et l’on s’attend à observer
une transition de phase dans l’état
mixte entre cette phase ordonnée à
bas champ et basse température et
une phase totalement désordonnée
constituée de lignes de flux enchevê-
trées au-dessus d’une ligne He(T). A
haute température (T>Tc/2), cette
transition est tout à fait similaire à la
fusion des réseaux cristallins. Les
vortex sont libres de se déplacer dans
la phase liquide qui présente alors
une forte résistance électrique ; c’est
l’observation d’un saut de résistance
qui a suggéré, dès 1992, l’existence
de cette fusion, et des mesures de
chaleur spécifique et d’aimantation
ont confirmé en 1996 qu’il s’agit bien
d’une transition de phase thermody-
namique du premier ordre.
A plus basse température, la situa-
tion se complique car l’ancrage
devient si fort qu’il est alors impos-
sible d’obtenir la distribution des vor-
tex à l’équilibre, et donc de mesurer
des quantités thermodynamiques.
Bien que l’existence d’une transition
de phase ait été suggérée par simula-
tion numérique et à partir de mesures
magnétiques, des preuves définitives
de son existence restaient délicates à
obtenir. Un ancrage important donne
lieu à une résistance électrique nulle
(ou inférieure aux limites de résolu-
tion expérimentales) dans les deux
phases, et les mesures de transport
électrique ne sont, par exemple, plus
une sonde adaptée. Nous verrons dans
la suite de cet article que la transition
ordre - désordre peut alors être étudiée
à partir i) de mesures de diffraction de
neutrons et ii) de mesures magnéto-
optiques.
Il est remarquable de noter que
des supraconducteurs très différents
montrent tous le même diagramme de
phases phénoménologique (lorsqu’ils
sont synthétisés sous forme suffisam-
ment pure). Les échelles de champ et
de température sont néanmoins très
différentes. Par exemple, le champ
Hepeut être supérieur aux valeurs
expérimentalement accessibles dans
des monocristaux d’YBa2Cu3O7−δet
n’est que de quelques centièmes de
Tesla dans Bi2Sr2CaCu2O8+δ(la très
forte anisotropie électronique de ce
composé réduit considérablement la
rigidité des lignes de flux). Le cas de
Bi2Sr2CaCu2O8+δest si extrême
qu’il avait initialement été suggéré
que la disparition du réseau de vor-
tex observée par diffraction de neu-
trons était particulière à ce seul com-
posé, et était liée au découplage des
plans supraconducteurs. Pour pou-
voir confirmer l’existence et la géné-
ralité d’une transition ordre – désor-
dre induite à basse température par
le champ magnétique, il était donc
nécessaire d’étudier un système iso-
trope, pour lequel les effets dimen-
sionnels ne rentreraient pas en ligne
de compte. Pour cela, nous nous
sommes intéressés au système
(K,Ba)BiO3(Tc≈30 K), qui présen-
te une structure cristallographique
cubique de type Perovskite parfaite-
ment tridimensionnelle (les trois
axes cristallographiques principaux
sont équivalents) et pour lequel nos
mesures de diffraction de neutrons
ont permis de confirmer l’existence
de cette transition
Il restait alors à comprendre com-
ment le solide de vortex « passe »
d’une phase à l’autre lorsque l’on
augmente le champ magnétique
extérieur. Pour cela, l’imagerie
magnéto-optique se révèle être un
outil très performant. En effet, cette
technique permet d’effectuer une
cartographie du champ magnéti-
que dans l’échantillon et de « visua-
liser » ainsi la distribution spatiale
des différentes structures (phases !)
de vortex. Pour ces mesures, nous
avons utilisé des monocristaux de
Bi2Sr2CaCu2O8+δ, composé pour
lequel le champ de transition est suf-
fisamment faible (la résolution de
cette technique est limitée à
quelques centaines de Gauss) ; nous
verrons ainsi que les deux phases
peuvent coexister dans l’échantillon
sous certaines conditions de champ
et de température. Elles sont alors
séparées par une interface abrupte
qui se déplace progressivement jus-
qu’à destruction totale d’une des
deux phases (la phase ordonnée dis-
paraît au-dessus de Heet, inverse-
ment, la phase désordonnée n’existe
que de façon métastable au-dessous
de He).
TRANSITION ORDRE – DÉSORDRE :
DIFFRACTION DE NEUTRONS
La structure du réseau de vortex,
tout comme leur comportement
dynamique, sont étroitement liés à la
nature du désordre présent dans le
matériau : densité, taille et type de
défauts. Dans le cas d’une réparti-
tion aléatoire de défauts ponctuels
(de taille inférieure à la taille du
cœur du vortex ξ), les vortex sont
amenés à « errer » dans le potentiel
aléatoire créé par ces défauts à la
recherche des endroits où le gain en
énergie de piégeage est maximal.
Cette recherche nécessite toutefois
des déformations élastiques, soit de
l’ensemble du réseau de vortex, soit
de chacune des lignes de flux indivi-
duellement lorsque leur densité est
faible. Ces déformations ont un coût
énergétique et la structure du solide
de vortex résulte alors d’un compro-
mis subtil entre le gain en énergie de
piégeage par les défauts (Ep)et le
coût énergétique associé aux défor-
mations élastiques (Eél).
Les progrès en cristallogenèse
des supraconducteurs à haute tem-
pérature critique ont permis d’éla-
borer des échantillons d’une qualité
telle, qu’à faible champ, le gain en
énergie Epassocié à des déforma-
tions importantes (i.e. de l’ordre du
pas du réseau a0) soit très large-
ment inférieur à Eél: le verre de
Bragg est alors la structure d’équi-
libre du solide de vortex. On peut
montrer que Epet Eéldécroissent
tous deux avec le champ extérieur.
Toutefois, cette décroissance est
plus rapide pour Eélet des déplace-
ments de l’ordre de a0entre vortex
voisins peuvent devenir énergique-
ment favorables au-dessus d’un
champ seuil He(T)pour lequel Ep
devient supérieur à Eél. Des dislo-
cations prolifèrent alors dans le
réseau de vortex, détruisant ainsi
l’ordre à longue distance, pour lais-
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Transitions de phase