Chapitre 3. Eléments historiques Pour un historique détaillé, voir Le Dictionnaire du comportement animal, Robert Laffont à "Histoire de l'étude du comportement animal", 1990, pp. 438-468, ainsi que l’ouvrage de J-l. Renck et V. Servais, « L’éthologie, histoire naturelle du comportement ». Il est intéressant de restituer les grandes lignes du renversement de nos représentations savantes de l’animal, depuis les conceptions mécanistes de Descartes, jusqu’aux débats contemporains sur les cultures animales, car nous sommes les héritiers de cette histoire. On ne se rend pas forcément compte à quel point la démarche comparative adoptée en éthologie est le discours le plus critique qui existe actuellement sur le statut de l’humain et sur la spécificité de celui-ci par rapport aux animaux. 3.1. Préhistoire et Antiquité � L'intérêt de l'homme envers les animaux et leurs moeurs semble s'être manifesté très tôt dans l'histoire de l'humanité : l'art paléolithique (34000 à 10500 ans AVJC) en témoigne déjà avec de nombreuses représentations d'animaux tels que le cheval, le bison, les cerfs.. (connaissance des mouvements et comportements pour pouvoir chasser et tuer ces animaux). C’était pour les hommes question de survie que d’acquérir des connaissances fiables sur les animaux qu’ils poursuivaient ou menaient en troupeaux, et sur ceux qu’il fallait redouter. La domestication des animaux et des plantes vint ensuite il y a probablement 11500 ans dans le Moyen-Orient et l'Asie. Au moment du développement des grandes civilisations, un grand nombre de connaissances ont été acquises en ce qui concerne la vie des animaux et leur comportement (égyptiens : incubation artificielle des oeufs, méthode inconnue en Europe pendant de nombreux siècles). Les bribes zoologiques conservées des 1ères civilisations témoignent de l’observation des animaux à des fins surtout pratiques, magiques ou théologiques. � Lorsqu'on considère les animaux en termes de classification en différentes formes ou espèces, les premiers écrits sont assez maigres jusqu'à ARISTOTE (384-322 avJC). Elève de Platon, Aristote a fondé la zoologie et mené les premières recherches systématiques sur les modes de vie des animaux: observations directes et simples et description de comportements sans biais ou embellissement, nombreuses observations utiles et vues perspicaces. "Histoire des animaux" en 10 livres traitant de l’anatomie, physiologie et des comportements de plus d’un demi-millier d’espèces, y compris l’espèce humaine. Aristote postulait une continuité entre les organismes – une grande « chaîne des êtres » - qui l’a engagé à une approche comparative des comportements. En raison de son ampleur et de sa quête manifeste de rigueur, l’entreprise zoologique d’Aristote n’allait pas être égalée avant longtemps. � Moyen Age : L’occident, en entrant dans son moyen âge perdit durablement toute curiosité scientifique, au contraire la civilisation arabe dans les mêmes siècles, prolongea et dépassa les sciences antiques. Aristote fut traduit en arabe au 4ème siècle. A cette même époque, Al Jahiz, fils d’un poissonnier incité par sa mère à apprendre à lire et écrire a anticipé sur des recherches qui ne seront développées que des siècles plus tard, par l’exercice de la raison, de la logique et de l’observation. Il s’est intéressé à l’organisation sociale des fourmis, au camouflage, à la communication animale. � La Renaissance a ramené les naturalistes sur le terrain. Différents naturalistes voyageant à travers le monde ont rapporté des observations sur différentes espèces. 3.2. La philosophie mécaniciste de Descartes La plus grande influence sur le discours sur les conduites animales au 16ème et 17ème siècle est due à Descartes (1596-1650). La théorie des animaux machines de DESCARTES : animal conçu comme une simple mécanique. Il est convenu d’attacher au nom de Descartes une distinction occidentale classique entre l’animal et l’humain, entre l’homme pourvu d’une âme de raison et de langage, l’animal étant soumis au seul instinct (expose une partie dans la 5ème partie du discours de la méthode). « Aucune machine ne peut user de langage ou de signe, ni accéder à l’universalité. 2 choses différencient vraiment l’animal de la machine, la taille des tuyaux, trop petits chez l ‘animal pour être perçus par nos sens humains et la complexité des mécanismes mis en jeu : l’animal est certes une machine mais à tout jamais inaccessible à l’ingéniosité humaine. » Ce n’est pas la 1ère théorie de ce type, mais c’est la plus élaborée, et celle qui aura la plus grande influence sur la pensée occidentale. Mais les versions les plus radicales de cette distinction – sur la souffrance de l’animal comme illusion de l’observateur par ex – reviennent à quelques continuateurs des spéculations cartésiennes. Ex : MALEBRANCHE au 17ème siècle, cartésien convaincu qui dit que « contrairement à ce que l’homme imagine l’animal mange sans plaisir et crie sans douleur ». Car les vues influentes de Descartes sur l’animal relevaient bien de la spéculation, non de l’observation méthodique. 3.3. Naturalistes et observateurs des 18ème et 19ème siècles Un certain nombre de naturalistes dont l’anglais John RAY (1627–1705), considéré comme l’un des fondateurs de la zoologie moderne furent opposés à ces spéculations. D’abord pasteur, RAY imagina de décrire les comportements alimentaires et sexuels de tous les animaux qu’il pourrait recenser. Il décida aussi de mettre de l’ordre dans la classification et la nomenclature des plantes et des animaux, avec un classement anatomique qui anticipait celui de LINNE. De même Gilbert WHITE, autre pasteur anglais. Remarque : à l’époque, les naturalistes admiraient dans la nature l’oeuvre du Créateur… et la zoologie fut surtout marquée par les inventaires. Ch. G. LEROY (1723-1789) fut un naturaliste de terrain qui contribua notamment à l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert par des articles sur la chasse, l’instinct, la forêt… On lui doit surtout « Lettres sur les animaux » en 1764, où il décrit en détail les modes de vie du loup, du renard, du lapin, de la perdrix (il avait hérité des hautes fonctions de son père, lieutenant des chasses et administrateur des forêts des parcs de Versailles et de Marly), en s’excusant d’écrire sur si peu d’animaux, de surcroît courants, mais c’était là toutes les espèces qu’il avait durablement côtoyées. Leroy se distinguait à cet égard de son contemporain BUFFON, Georges Louis Leclerc, comte de Buffon (1707-1788), qui avait entrepris de traiter de tous les mammifères et oiseaux connus alors. Grâce aux explorateurs, missionnaires, diplomates, Buffon recevait des informations et spécimens du monde entier. « Histoire naturelle », est un ouvrage monumental avec une écriture vive et accessible. « Dans la classe des animaux carnassiers, le lion est le premier, le tigre est le second ; comme le premier, même dans un mauvais genre, est toujours le plus grand et souvent le meilleur, le second est ordinairement le plus méchant de tous. Le tigre est bassement féroce, cruel sans justice. Aussi est-il plus à craindre que le lion : celui-ci oublie souvent qu’il est le roi, c’est-à-dire le plus fort de tous les animaux ». BUFFON travailla en cabinet sur la base de témoignages. A défaut de pouvoir s’appuyer sur la somme de connaissances dont nous bénéficions aujourd’hui et sur des outils de collecte et de traitement de l’information, Buffon a étoffé ses notices en mettant en scène une relation hiérarchique humaine. Il ne disposait pas d’un cadre de pensée lui permettant d’évoquer leurs différences de moeurs ou leurs ressemblances en termes scientifiques plutôt qu’anthropomorphiques. 3.4. Vers l’éthologie naturaliste moderne : points de repères � Bien que l'étude scientifique du comportement animal trouve ses origines dans le travail de scientifiques du 18e siècle comme le révérend Gilbert WHITE (1720-1793) et Charles LEROY (1723-1789) (rare écrivain sur le comportement et l'intelligence des animaux à avoir une véritable expérience sur le terrain), on considère que le père de l'étude scientifique du comportement animal est Charles DARWIN (18091882). Celui-ci a influencé le développement de l'éthologie de 3 façons majeures. L'origine des espèces (1859) 1) La principale proposition darwinienne a consisté à inclure l'homme dans la théorie générale de l'évolution. La théorie de la sélection naturelle de DARWIN a planté les bases pour que l'on considère le comportement animal en termes d'évolution, un aspect clef de l'éthologie. 2) On peut considérer le point de vue de DARWIN sur l'instinct comme un précurseur direct de ceux des fondateurs de l'éthologie classique. 3) Les observations de DARWIN sur le comportement furent importantes, particulièrement celles qui venaient de sa foi en la continuité évolutive de l'homme et des autres animaux. "Expression des émotions chez l'homme et les animaux », 1872, est une magnifique étude comparative du comportement expressif. Sélection naturelle et évolution selon DARWIN DARWIN a défini la sélection naturelle comme le processus d'évolution selon lequel une espèce ou un trait capable de s'ajuster à l'environnement survit et celle qui ne peut pas s'ajuster finit par disparaître. Selon DARWIN, les mécanismes principaux de l'évolution des espèces s'appliquent à l'ensemble des caractères phénotypiques c'est-à-dire les caractères physiques extérieurs, les organes, mais aussi les comportements. Le comportement en tant que caractère phénotypique est susceptible de subir l'effet de l'environnement et d'y réagir. Les découvertes de l'évolution et le principe darwinien de la sélection naturelle se sont imposées très tôt dans la plupart des branches de la recherche biologique, mais ces mêmes découvertes ont mis beaucoup plus de temps à se faire admettre dans les domaines de la psychologie et de l'étude du comportement. La principale raison de ce retard a été la polémique qui a opposé 2 écoles de la psychologie et qui a empêché l'intégration de la pensée biologique à l'étude du comportement. L'âpreté de la polémique est venue essentiellement d'oppositions idéologiques fondamentales entre les adversaires. � Les débuts de la psychologie comparée au 19ème siècle La psychologie naissante se distingue de l'éthologie par ses méthodes, ses objets d'intérêt, et ses origines. Quelques éléments historiques permettront d'éclairer ces questions. Des psychologues utilisent l’animal pour étudier les catégories de mécanismes régulateurs des conduites qui sont observables à différents niveaux de l’échelle animale et chez l’homme. Cette psychologie « comparée » est une psychologie expérimentale qui ne se préoccupe pas en général des conditions naturelles de vie des animaux qu’elle utilise. Leur utilisation se justifie par le fait qu’elle offre des possibilités de comparaison entre organismes de complexité différente et des possibilités d’intervention sur les organismes étudiés (privation de nourriture, de boisson, de partenaire sexuel, excitation ou destruction de structures nerveuses..). • Depuis le 19ème siècle, l'étude du comportement animal chez les psychologues s'est développée dans 3 directions qui reflètent à chaque fois une manière particulière de concevoir les relations entre les animaux et l'homme. - En premier lieu, la psychologie animale a commencé à recueillir des anecdotes sur les animaux qu'élève tout un chacun (chien, chat, oiseau, poisson..), à classer celles-ci puis à comparer entre elles les activités de représentants d'espèces différentes. On en déduisit l'existence chez les animaux de capacités analogues à celles de l'être humain, en particulier dans le domaine de la connaissance. Par ex, on supposera chez le chien des connaissances de géométrie du fait qu'il prend le chemin le plus court dans ses déplacements entre 2 points ou des connaissances de physique au castor qui construit un barrage. La démarche de cette psychologie va de l'homme à l'animal en ce sens qu'elle tend à rendre compte des activités des animaux en leur attribuant des capacités humaines. Cette direction mentaliste s'est trouvée dans un second temps confrontée au problème posé par l'introspection c'est-à-dire l'étude par l'individu lui-même de ce qu'il éprouve subjectivement. Dans le cas de l'être humain, l'introspection seule ne suffit pas pour se convaincre qu'autrui éprouve la même chose que soi, il faut en plus découvrir un aspect de l'activité d'autrui qui permette de lui attribuer une conscience semblable à la sienne. Chez les animaux, seuls certains aspects de leurs activités nous permettent d'inférer l'existence d'expériences mentales. Question de la continuité/discontinuité : selon DARWIN, pas de différence fondamentale dans la nature des capacités mentales des mammifères les plus évolués et de l'homme : elles se seraient graduellement perfectionnées sous l'effet de la sélection naturelle au cours de l'évolution conduisant à l'apparition de l'homme. Chez des êtres dépourvus de langage se posait un problème méthodologique. - Une deuxième direction a émergé, avec des recherches qui au début se sont développées principalement aux Etats-Unis en utilisant des animaux comme substituts d'êtres humains. Il s'agira moins là d'une psychologie animale que d'une psychologie avec des animaux. Comme c'est le cas en médecine, on expérimente avec des animaux lorsque, pour des raisons d'ordre éthique ou pratique, il n'est pas possible de le faire avec des êtres humains. Dans cette perspective, d'innombrables expériences ont été menées avec des rats, souris, pigeons, chiens, singes. Le postulat sous-jacent est celui d'une transposition possible à l'homme des résultats obtenus avec ces animaux. - Une troisième direction trouve son origine dans le débat sur l'instinct. L'école de la psychologie finaliste avec à sa tête Mc DOUGALL et par la suite TOLMAN postulait un facteur supra-naturel, l'"instinct", considéré comme un agent qui ne demandait et ne pouvait recevoir aucune explication naturelle. "Nous observons l'instinct mais ne l'expliquons pas" Toute explication mécaniste du comportement était refusée. Selon Mc DOUGALL et ses adeptes, l'animal poursuit dans tout son comportement un objectif et cet objectif est fixé par son instinct supra-naturel et infaillible. Ex : le fait que les insectes s'orientent vers la lumière est considéré comme un heureux effet de l'instinct et on ne recourt à l'explication par les tropismes (réaction d'orientation et d'approche, déclenchée par une source d'excitation) que lorsque les mêmes animaux se brûlent à la flamme. Remarque : pour ce courant vitaliste, des forces internes dominent les actions des êtres vivants / opposé au courant mécaniciste pour lequel les phénomènes vitaux sont réductibles à des processus physico-chimiques et les comportements sont considérés comme le résultat passif de l'action de facteurs agissant de l'extérieur sur l'organisme. 3.6. Le début du 20ème siècle : l’opposition entre psychologie comparée et l’éthologie Dans son "Introduction à la psychologie comparative" (1894), le zoologue Lloyd MORGAN énonça sa fameuse règle de parcimonie (canon de Morgan), base de la critique de la méthodologie et des contrôles des expériences, qui eut une énorme influence sur les recherches en psychologie comparative. Aux alentours de 1900, l'étude du psychisme animal a commencé à devenir une science expérimentale de laboratoire, ne s'occupant plus que de l'étude objective et si possible quantitative des comportements et de leurs facteurs externes et internes de déclenchement. C'est l'époque des travaux de THORNDIKE, de LOEB, où avec SMALL, les rats blancs commencent à se voir proposer des labyrinthes et des boîtes à problème, l'époque où PIERON commence ses premières recherches et définit la psychologie comme science du comportement (1907). C'est l'entrée de la méthode scientifique dans le champ de la psychologie. Cette école dite "behaviouriste" critiqua à juste raison le postulat des facteurs supranaturels des vitalistes comme non scientifique et réclama une explication causale. Elle proclama l'étude expérimentale seule source légitime de connaissance. A la même époque en neurophysiologie, découverte de PAVLOV : au lieu de faire appel au vocabulaire psychologique, à la conscience ou à la volonté de l'animal, PAVLOV fondait une neurophysiologie cérébrale des comportements grâce à l'utilisation scientifique du processus de dressage devenu conditionnement. En combinant la théorie de l'association de WUNDT avec la théorie des réflexes très en vogue et les découvertes de PAVLOV, on obtenait un mécanisme comportemental idéal comme objet d'étude : la réaction conditionnée. Ce programme entraîna une concentration de la recherche sur les processus d'apprentissage, considérés comme seuls étudiables. On ne renonçait nullement à comparer l'homme et l'animal dans leurs possibilités pratiques d'action, mais on rejetait hors de la science la question de la conscience animale et de sa nature par rapport à la conscience humaine. Premiers travaux : ROMANES, 1881, MORGAN 1894, THORNDIKE, 1901 puis nombreux travaux expérimentaux dans les années 20 et 30, et cela resta un courant dominant dans les années 40 et au début des années 50. Cette psychologie expérimentale et comparée naissante s'est concentrée essentiellement sur des questions concernant les causes immédiates du comportement (question du "pourquoi"), étudiant les processus généraux du comportement (en particulier l'apprentissage) chez un nombre limité d'espèces et dans des conditions de laboratoire. Les behaviouristes américains désapprouvaient des expressions subjectives telles que "sensation, perception, attention, volonté". Ils s'en tenaient à la théorie selon laquelle seuls les stimuli et les réactions à ceux-ci ainsi que les lois qui les enregistrent permettent des constatations valables ; entre les 2, une boîte noire. � Les 1ers éthologues La querelle entre les finalistes (facultés innées infaillibles et inexplicables) et les behavioristes (avaient la méthode d'une analyse causale mais négation de tout élément inné, tout comportement est acquis par apprentissage) battait son plein lorsqu'une nouvelle forme d'étude scientifique des comportements innés prit son essor tout à fait indépendamment. Avant et aux alentours de 1900, des zoologues américains s'intéressèrent au comportement animal et à l'intelligence. Leur position annonce les débuts de l'éthologie moderne. Peu connus en Europe, ils influenceront plus tard LORENZ parmi d'autres. L’ornithologie joue d’emblée un rôle de locomotive pour constituer une science rigoureuse des comportements de l’animal dans les pays anglo-saxons. Edmund SELOUS est sans doute le 1er ornithologue à noter avec une très grande précision ce que fait l’oiseau qu’il observe dans son milieu naturel. Ses travaux ont été négligés mais il a inspiré d’autres zoologues. MORGAN publie en 1868 son étude sur la construction des castors et l’étude de Julian HUXLEY sur les rituels animaux paraît en 1874. C’est la première d’une série d’études classiques sur le comportement des grèbes et d’oiseaux proches, en relation avec la théorie darwinienne et la sélection sexuelle. Une étude est en particulier considérée comme celle qui se rapproche le plus de l’idéal qu’adoptera l’éthologie plus tard. En 1868 paraît la première étude éthologique de la phylogénèse du comportement dans une perspective comparée. Charles Otis WHITMAN cherche à établir la relation de parenté qui lie 2 espèces de pigeons. Charles WHITMAN et quelques années après lui Oscar HEINROTH, directeur adjoint du Musée Zoologique de Berlin ("Ethologie des anatidés") avaient découvert indépendamment l’un de l’autre qu'il existe des comportements moteurs dont les similitudes ou les différences d'une espèce à l'autre, d'un genre ou même d'un groupe taxonomique plus important à l'autre, se présentent exactement de la même manière que celles des caractères morphologiques. Autrement dit, ces comportements moteurs constituent des caractères spécifiques des groupes en question au même titre que la forme des dents, des plumes, ou d'autres caractères utilisés en morphologie comparée. Ce phénomène est expliqué en ramenant l'existence de ces similitudes ou différences entre les comportements moteurs à la descendance d'une forme ancestrale commune qui possédait déjà ces schémas comportementaux sous une forme primitive. On peut donc leur appliquer la notion d'homologie. Ces comportements moteurs ont une origine phylogénétique et sont inscrits dans le génome. On doit aussi à Heinroth la première véritable utilisation moderne du terme éthologie. Dans un article majeur de 1911, Oscar HEINROTH utilise le terme d’éthologie, et c’est là un moment important dans les débuts de la discipline en Europe. HEINROTH est aussi le 1er à parler de « prägnung », d’empreinte, notion que LORENZ popularisera plus tard. LORENZ fut en étroite relation avec HEINROTH pendant plus de 10 ans et reconnaît lui-même son influence et son apport (TINBERGEN a toujours reconnu lui aussi tout ce qu’il doit au zoologue allemand) : il décrit l’éthologie comme le sujet inventé par HEINROTH et a toujours expliqué avec une remarquable modestie que son principal mérite scientifique était d’avoir découvert WHITMAN et HEINROTH. Chez tous, c’est l’instinct qui devient la question centrale de l’éthologie objectiviste, ainsi que celle de motivation qui le guide. Homologie : « Le concept d’homologie tel que nous l’utilisons dans le domaine de l’éthologie comparée se définit de façon assez simple : sont dit homologues des caractères dont l’analogie s’explique par la descendance d’une forme ancestrale commune. Adolf REMANE a fixé toute une série de critères permettant d’établir l’homologie de 2 caractères entre 2 espèces animales différentes. Ces critères s’appliquent à la détermination de l’homologie de caractères structurels, nous verrons dans quelle mesure ils peuvent s’appliquer à l’homologie de caractères comportementaux. LORENZ, Les fondements de l’Ethologie, p.116 Exemple (LORENZ) : on retrouve chez le canard noir africain (Anas sparsa) qui vit sur les rivières tropicales et le canard colvert de nos lacs, les canards des étangs de nos parcs zoologiques, ainsi que chez le canard domestique de nos basses-cours des mouvements de parade présentant de multiples analogies en dépit des différences environnementales et de tous les effets de la vie en captivité Adaptation convergente et analogie Il y a 1 autre type d’identité de caractères qui peut aisément induire le phylogénéticien en erreur dans la détermination de la parenté entre les espèces porteuses de ces caractères. Ce 2ème type d’identité résulte d’un processus d’évolution par lequel 2 espèces ont emprunté indépendamment l’une de l’autre la même voie pour résoudre un certain problème d’adaptation. Exemples : oeil de céphalopode (pieuvre) et oeil de vertébré, similitude de forme et mode de déplacement entre certains sphingidés dans la catégorie des papillons de nuit et les colibris dans celle des oiseaux qui se sont spécialisés, les 1 comme les autres dans le même mode d’alimentation très spécialisé consister à sucer le nectar des fleurs en position de vol vibrant. On qualifie d’analogie ce type de similitudes résultant d’un phénomène d’adaptation convergente. La découverte de la possibilité d'homologie entre des comportements moteurs est un fondement d'où est issue l'éthologie ou étude comparée des comportements. LORENZ mena ses premiers travaux sur les comportements innés et les comportements homologues. Il découvrit la possibilité d'homologie entre des comportements moteurs indépendamment de WHITMAN et HEINROTH. Exemple : signaux de la parade nuptiale chez les mouettes Larus argentatus et Larus canus. TINBERGEN (1959) , cf CAMPAN & SCAPINI, p. 311 Pour attirer la femelle, le mâle a un rituel d’appel : il adopte une série de positions de la tête et du bec lors de l’émission du « long call ». Il s’agit de comportements homologues entre les 2 espèces. Seules 2 postures sur les 4 sont pratiquement identiques. Mais chez L. canus, la phase (c) est exagérée, l’oiseau relevant la tête et le bec très haut en arrière. Chez L. argentatus, c’est la phase (b) où l’oiseau ramène pratiquement la tête entre ses pattes. C’est un mécanisme ayant participé à l’isolement entre espèces. La décomposition analytique de la notion de comportement instinctif marqua une étape déterminante du développement de l'éthologie. TINBERGEN et LORENZ inventent ensemble le concept de mécanisme inné de déclenchement (IRM : "innate release mechanism"). Par la suite, c'est TINBERGEN qui étudia expérimentalement ses propriétés physiologiques et surtout ses limites de fonctionnement. L'éthologie adoptera une position originale par rapport aux différents courants de psychologie animale et de psychologie comparée du début du 20ème siècle, • en proposant une méthodologie pour l'étude des comportements innés • en mettant davantage l'accent, à la suite de DARWIN, sur l'idée d'évolution et la nécessité de prendre en compte les antécédents phylogénétiques des comportements, et en proposant de les étudier comme des traits anatomiques ou morphologiques : * l’organisme vivant est l’expression du programme génétique de son espèce et son comportement est phénotypique au même titre que ses caractères anatomiques ou physiologiques * le programme génétique n’est pas le fait d’1 individu isolé mais celui de l’espèce. L’individu ne peut être compris qu’à travers ses relations avec l’environnement biotique et abiotique. • en proposant de reconsidérer l'animal comme animal 3.7. L’éthologie objectiviste L'autrichien Konrad LORENZ et le néerlandais Niko TINBERGEN sont reconnus comme les fondateurs de l’éthologie moderne. TINBERGEN a défini l'objet de l'éthologie en 1963 comme l'étude objective du comportement. LORENZ a précisé le champ d'étude de l'éthologie comme l'application des méthodes biologiques orthodoxes aux problèmes de comportement. « L'éthologie consiste donc à appliquer au comportement animal et humain toutes les interrogations et les méthodes qu'il paraît naturel d'appliquer dans toutes les autres branches de la biologie depuis les découvertes de DARWIN. » LORENZ branches de la biologie depuis les découvertes de DARWIN. » LORENZ Document complémentaire au cours – Introduction à l’Ethologie – L1 Psychologie – 2008- I. Fornasieri – p.8/9 Konrad LORENZ, un autrichien, fonda l'éthologie comparative (LORENZ, 1935) qui avait pour but d'étudier les comportements instinctifs ou coordinations innées ou préprogrammées considérés comme des caractères propres aux espèces et résultant de la sélection naturelle. LORENZ était anatomiste de formation et il aborda le comportement comme s'il s'agissait d'un organe anatomique, principalement déterminé génétiquement mais façonné jusqu'à un certain point par l'expérience. Pour LORENZ, les méthodes de l'éthologie sont d'abord l'observation non invasive dans l'environnement naturel. L'expérimentation joue aussi un rôle général. Cette forme d'éthologie est essentiellement descriptive et qualitative. Avec le néerlandais Nikolaas TINBERGEN, l'éthologie prit une forme plus systématique et rigoureuse. Tinbergen rattacha sur le plan méthodologique l'éthologie aux autres sciences de la nature en la rendant plus expérimentale et quantitative. Parallèlement à ces travaux de l'éthologie naturaliste, des chercheurs de la physiologie comparée poursuivaient des travaux définitivement expérimentaux, par ex sur la locomotion, le fonctionnement des sens, l'orientation animale. Ainsi, les travaux d'un autre autrichien, Karl VON FRISCH, sur l'orientation et le "langage" des abeilles sont typiques de ce courant. Ce type de recherches illustre comment un comportement complexe peut apparaître chez un animal "simple". Le prix Nobel de Médecine décerné en 1973 aux 3 pionniers de l'éthologie marque la reconnaissance de la discipline par la communauté scientifique. La période dite "classique" de l'éthologie est dominée par LORENZ et TINBERGEN. Ils ont publié la plupart de leurs oeuvres les plus connues entre 1935 et 1965. � L’influence de la sociobiologie et de l’écologie comportementale Les perspectives initiales de l'éthologie se sont modifiées avec le développement de la sociobiologie. La sociobiologie dont le fondateur est WILSON (1978) a apporté à l'étude du comportement des concepts et une méthode issus de la biologie des populations qui ont renouvelé l'intérêt pour les études comportementales en milieu naturel. La sociobiologie est définie comme l'étude systématique de la base biologique de tout comportement social. Elle se concentre sur les sociétés animales, la structure de leurs populations, leurs moyens de communication, et les questions de physiologie sous-jacentes aux adaptations sociales. La sociobiologie est issue des thèses néodarwiniennes : cette discipline suppose que l'évolution a pour agent exclusif la sélection naturelle qui ne conserve que les mécanismes utiles pour l'animal dans un environnement donné. Par conséquent, si on étudie les mécanismes comportementaux qui font l'objet de l'éthologie et de la sociobiologie animale, on doit pouvoir démontrer leur utilité. Plus précisément, ils doivent correspondre au plus fort bénéfice pour le moindre coût énergétique. On doit pouvoir calculer des bénéfices et des coûts. La socioécologie ou écologie comportementale ou « behavioural ecology » L’écologie comportementale est une approche fonctionnelle du comportement en tant qu’adaptation, initiée par Tinbergen à Oxford. Beaucoup de travaux se sont portés sur l'étude de la prédation et de la collecte de nourriture. Les auteurs cherchent à montrer que l'animal qui collecte de la nourriture "optimise", c'est-à-dire dépense le moins d'énergie possible pour amasser le plus d'énergie possible issue de sa nourriture. Ces travaux ont permis de porter une attention beaucoup plus grande que par le passé aux méthodes de chasse et de collecte et ont mis à jour beaucoup de faits nouveaux. Ceci dit, on peut leur reprocher une perspective finaliste. � Le courant cognitiviste en éthologie 2 problèmes conceptuels se posent toujours de façon aiguë à qui essaie d’étudier scientifiquement les capacités cognitives des animaux : penser l’intelligence du nonhumain sans la ramener à un référentiel humain, et penser le social sans exiger de lui qu’il s’appuie sur le langage. « L’animal est devenu un sujet, non pas parce que nos projections populaires et affectives nous le font voir ainsi, mais parce que les travaux scientifiques les plus modernes ne nous laissent plus le choix » D. LESTEL 3.8. L'éthologie actuelle et sa place au sein des disciplines biologiques � L’éthologie moderne : une biologie évolutionniste du comportement On peut considérer que l’éthologie est devenue pleinement adulte d’une part à partir de l’émergence d’une puissante écologie comportementale et d’autres part à partir du développement d’études de terrain de longue durée (W. HAMILTON, J. GOODALL), qui ont permis de découvrir un niveau de complexité insoupçonné dans les interactions sociales au sein notamment des groupes de primates, et dans les capacités de représentation mentale et de manipulation de l’information dans le contexte social (« cognition sociale »). David Mc FARLAND définissait en 1985 le domaine de l'éthologie moderne comme la combinaison de la biologie évolutive et de la psychobiologie comparative. Une étude scientifique exhaustive du comportement animal implique la prise en compte de toute une variété d'approches : on peut expliquer le comportement par l'historique de son évolution, les avantages qu'il apporte à l'animal, ou en termes de mécanismes physiologiques ou psychologiques. A la suite des développements de la sociobiologie et de l'écologie comportementale, certains chercheurs ont accentué l'importance de la question de la fonction adaptative des comportements, sélectionnés et conservés par l'évolution, parce qu'elle assure ou maximise le « fitness » ou valeur de survie c'est-àdire la viabilité biologique. L'étude naturaliste de la causalité et du développement ontogénétique du comportement, chère aux fondateurs est devenue minoritaire. Ainsi, l'écologie du comportement et la sociobiologie ont "cannibalisé" l'éthologie naturaliste pour la transformer en une biologie évolutionniste du comportement. Usages actuels du terme éthologie En France, éthologie désigne l'étude du comportement dans son sens large. Pour les anglophones, le mot éthologie est lié à l'éthologie mécaniste (étude des causalités immédiates)