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A lire : Avant-propos de "Karl Marx. Les thèses sur
Feuerbach" redaction
en février 1845.
Les Thèses sur Feuerbach sont écrites juste avant le début de la rédaction, en septembre 1845, de
L’idéologie allemande qui, on le sait, est un texte important dans lequel, selon ses propres formules,
Marx (avec Engels) rompt avec sa « façon de voir » et la « philosophie allemande ». Simple
manuscrit, L’idéologie allemande n’a d’ailleurs été publiée qu’en 1933.
Cette précision a son importance. Elle montre que l’on a commencé à discuter de ces thèses, bien
avant la publication d’un texte majeur dont elles sont concomitantes. En France, la première
traduction de la simple « Introduction » de L’idéologie allemande, titré « Feuerbach » date de 1952.
Par ailleurs, deux manuscrits décisifs de la période dite « feuerbachienne » de Marx vont rester
longtemps inédits. La Critique du droit politique hégélien, un manuscrit écrit à Kreuznach en 1843 –
d’où parfois l’appellation de « manuscrit de Kreuznach » – est publiée pour la première fois en 1927.
Des manuscrits parisiens de 1844, dits Manuscrits de 1844 ont été édités pour la première fois (en
allemand) en 1932avec une reconstruction de ce texte qui, encore aujourd’hui,est discutée (Renault,
2008).
L’étalement historique de ces diverses publications (sansparler des publications en français) va
naturellement peserfortement sur les discussions autour des textes du jeuneMarx. Et cela a des
conséquences directes sur les conditions de commentaire des Thèses sur Feuerbach.
En Allemagne, Marx a fait un moment partie des « jeunes hégéliens », un courant d’intellectuel de «
gauche », avec notamment Bruno Bauer et Arnold Ruge, qui s’est heurté à l’État prussien
réactionnaire, alors que dans un premier temps, on avait cru que l’arrivée de Frédéric-Guillaume IV
au pouvoir, allait se traduire par une certaine libéralisation.
Marx et Feuerbach
Leurs activités sont très liées à la presse. Marx se réclame alors de la philosophie de Feuerbah qui a
publié en 1842 L’essence du christianisme. Pour lui, l’homme projette dans la religion sa véritable
essence et se perd, s’aliène dans une puissance étrangère qui le domine alors qu’il en est le
créateur. Ce faisant, Feuerbach, pour retourner sur terre, se réclame d’un matérialisme, mais d’un
matérialisme très naturaliste, ancré dans une essence de l’homme isolé, transparente à elle-même et
ouverte vers l’autre par l’amour. Sans nul doute, Marx prend comme point de départ le schéma
feuerbachien de l’aliénation. Pour autant, on ne peut se contenter, comme l’ont fait de nombreux
commentateurs (Eric Weil, Jean Hyppolite, Louis Althusser…) de dire que Marx se situe alors dans la
droite ligne de Feuerbach, en déplaçant seulement la problématique de l’aliénation sur le terrain
politique.
Durant cette période il se réclame, sans nul doute, de Feuerbach. Dans la Critique du droit politique
hégélien, à la façon de celui-ci, il met en cause la logique mystifiée du raisonnement hégélien qui,
dans l’analyse de l’État, fait du sujet le prédicat et du prédicat le sujet : « L’État est un terme
abstrait ; seul le peuple est un terme concret » (Marx, 1980: 479).
On ne peut toutefois s’en tenir à ce seul constat. Ainsi, en mars 1842, il écrit à Ruge : « Les
aphorismes de Feuerbach n’ont qu’un tort à mes yeux : ils renvoient trop à la nature et trop peu à la
politique ». Dans Le statut marxiste de la philosophie, Georges Labica (1976), qui cite cette lettre,
montre que le rapport n’est pas simple. Suite à une période critique en 1842-1843, Marx opère un
retour vers Feuerbach, en le tirant sur un terrain qui visiblement n’est pas le sien, pour expliquer
qu’il a donné un fondement au socialisme et au communisme.