50CABLANAZANN THIERRY ARMAND EZOUA
Il est donc difficile de répondre rapidement à la question qu’est-ce que la Méta-
physique. C’est que si l’on considère le terme même de Métaphysique, l’on se rend
compte qu’il y a deux interprétations possibles de ce titre qui vient de l’Antiquité, non
pas d’Aristote, mais des successeurs d’Aristote, des éditeurs exactement d’Aristote qui
ont publié ses écrits concernant cette discipline qui jusqu’alors était innommée ; ils les
ont publiés faute de savoir où les mettre et faute de pouvoir les désigner autrement,
ils les ont publiés après la Physique d’Aristote, c’est-à-dire après l’ouvrage d’Aristote
qui porte sur la Science de la nature, d’où le titre Métaphysique 1.Méta-physique qui
veut dire mot à mot après la physique. Alors ceci est simplement une désignation
extérieure, extrinsèque qui concerne simplement l’ordre de l’édition ou l’ordre peut-
être souhaitable de la lecture, ce n’est pas une définition intrinsèque de ce titre. Alors,
quelle définition intrinsèque peut-on donner ? Il y en a deux, que l’on a données suc-
cessivement au cours des temps. Commençons par celle qui est la plus répandue et
peut-être celle que ce titre évoque le plus spontanément aujourd’hui.
La Métaphysique serait la science ou la discipline qui considère des objets qui
sont au-delà de la Physique, c’est-à-dire qui sont au-delà de l’expérience, des objets
surnaturels, si l’on traduit l’étymologie même de ce terme de Métaphysique, au sens
de hyperphysique. Ce qui, donc, échappe aux limites de l’expérience humaine, c’est-à-
dire de l’expérience sensible, c’est cela qui précisément serait l’objet d’une discipline
particulière, particulièrement élevée d’ailleurs et particulièrement difficile qui serait
la discipline Métaphysique. C’est ainsi d’ailleurs que la Métaphysique s’est développée
au cours de l’histoire, au Moyen-Âge par exemple et dans les temps modernes comme
science donc du trans-physique. Seulement il est évident que cette science du trans-
physique se heurte dans sa légitimité ou dans sa possibilité même à un certain
nombre d’objections qui, effectivement ont été soulevées contre elle : à savoir, est-ce
que nous disposons, en tant qu’hommes, d’une intuition, c’est-à-dire au fond, d’une
expérience de ces objets supra-physiques ou trans-physiques ? Comment pouvons-
nous connaître enfin ce que nous ne pouvons pas voir par les yeux du corps ou tou-
cher avec les sens dont nous disposons ? Il y a donc là un problème et une difficulté
que la Métaphysique traditionnelle n’a jamais entièrement surmontés. Alors, il y a un
autre sens du terme Métaphysique qui est peut-être plus ancien, qui est sans doute
celui que l’on trouve déjà chez Aristote.
La Métaphysique est un discours qui vient après la Physique en ce sens que
c’est un discours sur le discours physique ; c’est un discours au second degré, c’est-à-
dire, un discours sur le discours scientifique et peut-être même un discours sur le dis-
cours général. Il y a une expression qui est couramment employée par les logiciens,
les linguistes et les philosophes, c’est-à-dire ceux qui s’intéressent plus particulière-
ment à la philosophie du langage, c’est le terme de Métalangue. Métalangage parfois
désigne un langage qui n’est pas de premier degré, un langage qui porte sur les
choses, mais un langage qui se prend lui-même comme objet, qui réfléchit sur lui-
même et qui essaie de rendre explicites les structures mêmes du langage direct, c’est-
à-dire du langage que nous tenons sur les choses, que nous tenons sur l’expérience.
C’est en ce sens qu’il convient, semble-t-il, d’entendre la Métaphysique.
1. Depuis le Ier siècle avant Jésus-Christ la collection des écrits d’Aristote élaborée par Andronicos de Rhodes
séparait les livres phusikè achroasis (Leçons de Physique), sur la nature, et ceux qui venaient après,meta ta
phusika, la Métaphysique. La philosophie grecque postérieure n’a pas toujours retenu cette discipline, le stoï-
cisme divisait ainsi la logique, l’éthique et la physique. Mais la scolastique médiévale a forgé le terme par l’usa-
ge, donnant le sens de « par delà la physique » sous lequel on reconnaît désormais la métaphysique.