Le patrimoine de nos régions : ruine ou richesse future ?

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Le patrimoine de nos régions :
ruine ou richesse future ?
© L’Harmattan, 201
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
[email protected]
[email protected]
ISBN : 978-2-296-13169-9
EAN : 9782296131699
Ouvrage coordonné par
M.-M. Damien et C. Dorvillé
Le patrimoine de nos régions:
ruine ou richesse future ?
Exemples de dynamiques territoriales
Groupe de recherche interdisciplinaire en sport et tourisme
(Université de Lille I et Université de Lille II)
L’Harmattan
« Le patrimoine de nos pays, la plus
grande richesse de la France ».
Fernand Braudel in L’identité de la
France (Tome I)
« L’argent que l’on dépense pour lui n’est pas de
l’argent gaspillé parce que la valeur qu’il produit demeure, voire
augmente. Il est donc plus juste de le considérer comme un actif. Ces
bâtiments, ces collections sont un capital social qui produit un flux de
services sur une longue période »
(Klamer A., Throrsby D. 2000) « Payer pour le passé : l’économie du
patrimoine culturel », in UNESCO rapport mondial sur la Culture
page 147.
Photo couverture : l’ascenseur à bateau des Fontinettes, exemple de
patrimoine exceptionnel en déshérence
Sommaire
Présentation des auteurs
Christofle Sylvie, maître de Conférences, Nice-Sophia Antipolis,
responsable du Master2 gestion et aménagement touristique et hôtelier
Damien Marie-Madeleine, professeur, Université de Lille I
Dorvillé Christian, maître de Conférences, Université de Lille lI, FFSEP
UFR STAPS, sociologue
Fleuriel Sebastien, professeur Lille I, Sciences Economiques
Florent Luc, Ecole supérieure de Commerce de Troyes, responsable
formation patrimoine et tourisme
Franchomme Magali, maitre de conférences, Lille I
Godeau Philippe, responsable Patrimoine, Parc Cap et Marais d’Opale
Raspaud Michel, professeur Grenoble I
Vancayzelle Gauthier, chargé de mission, Pays de Flandre
Sommaire
Première partie : concepts et exemples de valorisation locale
Chapitre -I - Territoire, terroir, paysage et patrimoine: regards
croisés de la géographie et de la sociologie : M-M Damien
(PR Lille I), Christian Dorvillé (MCF Lille II).................page
11
Chapitre - II -Le carnaval de Bailleul:Luc Florent :(MCF,
Ecole Supérieure de Commerce de Troyes)......................page
29
Chapitre -III - Les jeux traditionnels nordistes entre patrimoine culturel local et sportification internationale :
M. Vigne (Université. Paris V), Christian Dorvillé (MCF
Université Lille II)............................................................page
47
Chapitre - IV- La course cycliste Paris- Roubaix, un enjeu
patrimonial? S. Fleuriel (PR LilleI), M.Raspaud (PR
Grenoble) .........................................................................page
65
Chapitre -V- Le Vendée Globe, patrimoine en gestation
M-M Damien (PR Lille1) ……………………............ page
85
Chapitre -VI- Le patrimoine rural méconnu et oublié:
M-M Damien (PR Lille1)................................................ page 105
Deuxième partie : Acteurs, Méthodologie et outils de valorisation
Chapitre – I - Acteurs nationaux (M-M Damien, PR Lille1)
........................................................................................ page 131
Chapitre - II - Méthodologie de valorisation d’un bien
(M-M Damien PR Lille 1)............................................. page 165
Chapitre - III - Une valorisation par une labellisation
nationale ou locale (M-M Damien, PR Lille1)................ page 171
Chapitre - IV - Un label local, « le village patrimoine »,
Gauthier Vancayzelle, chargé de mission ...................... page 209
9
Chapitre - V- Les labellisations internationales : le cas de
l’inscription des beffrois du Nord- Pas de Calais et
de Picardie au patrimoine mondial de l’Humanité (M-M
Damien PR Lille1)......................................................... page 217
Chapitre - VI - Apport de la distinction écartée de capitale
européenne de la culture : S.Christofle(MCF, Nice).......page 249
Chapitre - VII - Exemple de valorisation et d’animation :
le cas d’un milieu naturel, Magalie Franchomme,
MCF UFR de Géographie Lille I. ..................................page 279
Chapitre - VIII - Exemple de valorisation d’un inventaire
du patrimoine bâti agricole: exemple de cahier de prescriptions architecturales , P.Godeau, Responsable du
Service patrimoine, Caps et Marais d’Opale...................page
10
297
Territoire, terroir, paysage et patrimoine: regards croisés
de la géographie et de la sociologie
Marie-Madeleine Damien
Professeur des Universités,
Laboratoire TVES
USTL UFR de Géographie, Lille I
Christian Dorvillé
Maître de Conférences
FFSEP UFR STAPS – Lille 2
A la faveur du développement industriel, au XIXème siècle, on dresse
l’inventaire des ressources du pays, donnant ainsi de la France un
portrait géographique très complet et déterminant la vision que nous
avons de l’organisation et de la distribution des paysages. A sa
naissance, la géographie est l’héritière de cette histoire imprégnée de
romantisme qui engendre parallèlement la notion de patrimoine.
Comme l’écrit P.Roncayolo (Science et conscience du patrimoine,
1997), « la géographie semble prise entre deux logiques. Elle est avant
tout une science de l’actuel et, à ce titre, elle s’intéresse aux rapports de
l’homme et de la terre au moment présent, mais par ses méthodes, elle
est aussi une science du commencement. ». Ceci conduit le géographe à
s’interroger sur les causalités, les mouvements historiques relatifs à
l’homme et aux paysages qu’il habite et qu’il valorise. De ce fait, le
géographe devient alors historien et, cette dimension l'incite
inévitablement à s’intéresser au patrimoine dans sa dimension historique,
sociale, économique mais aussi géologique, et à un patrimoine
principalement in situ. Lucien Febvre disait de la géographie qu’elle était
« la science des lieux ».
Mais ce recours aux disciplines parallèles comme l’histoire, la
sociologie, la géologie a permis à la géographie d’aller au-delà de la
simple description des paysages et des sols, de l’accumulation et de la
juxtaposition de données sur les cartes, et de dépasser le simple examen
de l’influence de l’homme sur la terre et de la terre sur les hommes.
L’étude des paysages ruraux et urbains incite le géographe [Derruau, Les
structures agraires dans le monde (1969)] tout en gardant son
indépendance, à prendre en compte la notion de patrimoine omniprésente
sur ces espaces dans ses dimensions plurielles.
L’apport du géographe au patrimoine comme l’affirme P.Roncayolo
réside dans « cette dialectique subtile entre une science des lieux et une
approche historique » et, j’ajouterai sociologique, voire ethnologique et
agronomique (Derruau 1969). Il confère au patrimoine d’autres
dimensions. Il introduit la civilisation matérielle parmi les curiosités et le
pittoresque, faisant un lien entre l’imaginaire et le matériel, dimensions
essentielles du patrimoine.
Cet apport de la géographie s’est étendu aux pays coloniaux, aujourd’hui
émergents, grâce notamment aux travaux de Jean Delvert sur le paysan
cambodgien et à ceux remarquables de Pierre Gourou sur Le paysan du
delta Tonkinois (1936), livre d’ethnologue autant que de géographe ou
d’historien sans oublier ses leçons de géographie tropicale (Paris 1971)
préfacées par F.Braudel où l’Afrique est bien présente, tout comme dans
son ouvrage « Terres de bonne espérance ». Aussi, sociologues et
ethnologues, notamment, Claude Lévi-Strausss, auteur de « Tristes
Tropiques », l’appellent au comité de direction de la Revue française
d’anthropologie. Pour ce dernier, il semble essentiel de faire le lien entre
l’ethnologie et la géographie humaine. Tous ces travaux forment un
ensemble scientifique qui transcende le terrain. Pierre Gourou consacre
sa thèse secondaire à « l’esquisse d’une étude de l’habitation annamite
dans l’Annam septentrionale et centrale « françaises » (1936). Pour lui,
« la géographie représente le désir de comprendre les paysages tels qu’ils
sont ; eux-mêmes sont un aboutissement de l’histoire sur une certaine
surface, qui n’est pas déterminante. Les Chinois ne sont pas Chinois
parce qu’il y a dans la Chine quelque chose qui ferait qu’ils soient
12
chinois. « Les Chinois sont Chinois parce qu’il y a une civilisation
chinoise. (1993) ». Dans le même champ, on peut citer également, sur les
Caraïbes, le géographe Guy Lasserre et sa magnifique thèse sur la
Guadeloupe : étude géographique (1961).
L’appréhension géographique globale des biens, c’est-à-dire du site
remarquable ou du bâti (monuments, usines, moulins, maisons...), des
savoir-vivre et savoir-faire humains, dans le paysage, dans leur milieu ou
dans leur contexte, constitue un apport considérable pour l’identification,
la compréhension et la valorisation de tout patrimoine. Elle confère au
patrimoine non seulement un nouvel enjeu, mais elle fait de lui un atout
pour le développement local puisqu’elle le territorialise, et de ce fait
favorise à terme sa patrimonialisation, c’est-à-dire sa réappropriation si
le bien était plus ou moins en déshérence par la population locale et/ou
sa réaffectation à son usage primitif ou à un nouvel usage, donc sa
transmission aux générations futures.
Mais, les particularismes de ces biens (matériels ou immatériels) et lieux
ne sont-ils pas à la base des identités paysagères définies plus ou moins
subjectivement au sein des espaces variés que possède la France,
chacune pouvant constituer à elle seule, un ou plusieurs territoires, en
fonction de son échelle et de la topographie des lieux, comme nous
l’observerons à plusieurs reprises.
La notion de territoire reste une notion pour le moins polysémique en
sciences sociales. La généralisation de l’emploi du terme montre que le
territoire est devenu une notion stratégique pour l’action publique et un
objet d’interrogation pour les chercheurs. Depuis les travaux des
éthologues, le territoire a, si l’on peut dire, investi le champ de sciences
telles que l’anthropologie, la sociologie, l’économie… à travers des
études relatives à la « territorialité », c'est-à-dire l’identification de
groupes humains particuliers ou marginaux à un territoire. L’intérêt des
géographes français fut en revanche plus tardif bien que ce concept se
trouvât au cœur des travaux de Pierre Gourou. Dans le Dictionnaire de
la géographie de Pierre George, publié en 1970, le terme n’apparaît que
sous les rubriques « aménagement» et « organisation de l’espace ». Il est
vrai que les géographes disposaient déjà de la notion de « milieu » et de
celle de « lieu ». Nous pouvons déjà repérer trois types de territoires : les
territoires politiques (circonscriptions électorales....), les territoires
administratifs (communes, départements...), les territoires économiques
(bassin d’emploi, zones d’embauche…). Mais, ici, par territoire, nous
13
entendons plutôt territoires de vie, vécus par tout un chacun, auxquels on
s’identifie, lieux d’identité, de mémoire, de projet. Ce territoire comporte
une certaine idée : l’appropriation. Un territoire est une portion d’espace
que les hommes s’approprient par la force, sinon à travers leurs activités
et leur imaginaire. Il acquiert ainsi au fil du temps une « personnalité »
qui le différencie des autres. Selon la jolie formule de Roger Brunet1,
« il est à l’espace ce que la conscience est à la classe ». En référence à
différentes recherches (Di Méo, 1998, Corneloup, 2004, Mao, 2004), il
est possible d’entrevoir le territoire comme étant un espace social plus
ou moins formel et structuré (prestataires privés, réseaux associatifs), où
interagissent des acteurs (politiques, prestataires, pratiquants, médias,
...).Polysémique et porteur d’idées, « d’appropriation, d’appartenance
ou, au minimum, d’usage » (Brunet, 2001, p. 17), le territoire est
reconnu comme lieu d’identité culturelle et d’initiative, comme vecteur
potentiel de développement. C’est cette notion de territoire que
développe J.P. Augustin dans l’article « le territoire, une notion centrale
pour comprendre la dynamique des pratiques sportives de nature »
(2007) quand il précise que « le territoire est une réalité construite et
reconstruite en fonction des conjonctures historiques, il reçoit son sens
des processus sociaux qui s’expriment à travers lui» (p.302).
Pour rester simple, on peut distinguer l’espace au sens large et le
territoire. L’espace a besoin d’un qualificatif pour être précisé, il est un
support possible de la vie et des activités : on parle alors de l’espace
urbain, rural ou des systèmes plus complexes comme l’espace social,
l’espace vécu et, on arrive ainsi, à la promotion du territoire. Le territoire
est un espace géographique mais il se définit surtout par sa population,
ses institutions, ses capacités à se présenter aux individus qui le
composent et aux autres. B.Michon et T.Terret, (Pratiques sportives et
identités locales, 2004) définissent le territoire comme un espace
géographique à propos duquel un groupe humain développe des
sentiments d’appartenance et d’appropriation. Le territoire perd sa
définition spatiale pour devenir un concept de « maillage » et sur un
même espace géographique se croisent ainsi plusieurs types de territoires
qui répondent à des rationalités différentes, et qui se construisent selon
des dynamiques distinctes. Cela étant, il est évolutif. La notion d’espace
géographique apparaît donc comme une matrice pour les territoires. La
décentralisation (loi de 1982 et celles qui l’ont suivie), n’a pas créé les
territoires. Elle n’a pas bousculé les principes de 1789 pour
1
R. Brunet, Le développement des territoires, L’Aube, (2004).
14
l’organisation du territoire de la Nation (création des communes, sur la
base des paroisses, et des départements). Elle a rajouté des niveaux mais
elle a surtout enclenché une dynamique favorisant l’autonomie des
acteurs territoriaux en légitimant les solidarités et les projets
territoriaux. La décentralisation aura été un déclencheur… In Le
territoire, nouveau paradigme des sciences sociales, p. 720, Recherches
actuelles en sciences du sport, 2004.
Le territoire se présente comme un espace enrichi par le sens que les
sociétés lui confèrent et sur lequel elles agissent, qu’elles contrôlent et
qu’elles construisent (G. Di Méo, Géographie sociale et territoires,
1998). Il s’agit alors d’explorer les manières dont les hommes « se
représentent, conçoivent et produisent les rapports à l’espace » et de
souligner « l’énorme besoin de sens, d’action, de mouvement mais aussi
de racines qu’affirment nos sociétés soumises au doute et à
l’incertitude » (p.34). La notion d’émergence et de médiation
territoriales permet de montrer comment les groupes produisent, à partir
de représentations ancrées dans leur espace social et leur espace vécu (A.
Frémont, La région, espace vécu, 1999), des pratiques identitaires qui
renforcent la cohésion sociale. Par exemple, l’accélération des mobilités
urbaines remet en cause les équipements sportifs standardisés des villes
centres et les équipements de proximité sur le modèle du quartier et
favorise la recherche de pratiques diversifiées dans des lieux ouverts
comme en témoignent les pratiques familiales en milieu naturel (succès
de la randonnée, du tourisme équestre…). Un territoire s’imprègne d’une
image et de formes emblématiques qui constituent un accès filtré pour
des segments de clientèle. C’est le sens de la formule de J. P.
Augustin : « On peut parler des territoires qui nous habitent autant que
des territoires que nous habitons »2. La multiplicité actuelle des échelles
territoriales (intercommunalité, pays…) peut se décliner à travers la
notion de « multi-territorialité » (J.P. Augustin, 2004) qui questionne les
politiques d’aménagement. M. Garcia et W. Genieys dans leur ouvrage
« L’invention du pays cathare. Essai sur la constitution d’un territoire
imaginé » (L’Harmattan, 2005), montrent la création d’un territoire
imaginé au cours des années 1980, dans le cadre d’une stratégie de
développement socio-économique du département de l’Aude. Le pays
cathare qui n’a d’autre racine historique que la présence des Cathares au
2
In Le territoire, nouveau paradigme des sciences sociales, p. 720, Recherches
actuelles en sciences du sport, 2004.
15
Moyen-âge3, est devenu une entité territoriale dans le seul but
d’encourager une dynamique régionale et locale ? Cette histoire des
Cathares a servi de support à la création d’un territoire imaginé, le pays
« cathare », utilisant le cadre d’aménagement et de développement des
« pays » prôné par la Datar sous la pression ou à la demande de l’Union
européenne. Ce processus d’invention territoriale, cette identité servant
de ressource symbolique majeure, fait fi de la réalité historique. Pour ne
donner qu’un exemple, les monuments que l’on présente aux touristes
comme des châteaux cathares sont des citadelles dont la construction est
postérieure au mouvement cathare… Il ne faut donc pas négliger les
facteurs immatériels qui contribuent à la définition et à la qualité du
territoire: dimension idéelle, référents symboliques, images porteuses de
sens et de valeurs qui confèrent au lieu une attractivité particulière.
Cette perspective théorique, le processus de conversion de l’espace en
territoire, suscite dès lors réflexion sur le pilotage, la gouvernance du
territoire : accord, compromis... entre les différents acteurs qui sont à
l’œuvre dans l’ancrage territorial et son devenir. Le territoire est donc
associé à l’idée d’appropriation du sol, à la localisation d’activités
économiques, culturelles, sportives et progressivement à l’idée de
région. Mais depuis l’explosion d’Internet, « la toile » est perçue
comme un immense défi aux territoires au point que certains chercheurs
ont prédit leur fin4. La notion de réseaux, fondée sur l’horizontalité des
relations (jeux d’acteurs, échanges etc.) peut remettre en cause les
frontières matérielles et dynamiter le modèle de territoire figé. Un
monde en réseau contrarie certainement l’existence de territoire, ces
réseaux structurent les territoires selon de nouveaux axes que ce soit
ceux de la gouvernance, d’habitabilité… Face à la question des identités
contemporaines et à la tendance à l’ubiquitisation (tendance à être de
plusieurs lieux et milieux à la fois selon P. Chazeaud, Cahiers Espaces
n° 66), grâce au progrès technologique tels Internet, téléphone portable,
on peut considérer que le territoire joue un rôle essentiel de médiation,
de régulation entre l’individu et ses différents lieux de vie.
Du fait de « son nomadisme », « l’homo mobilis » éprouve un
attachement de plus en plus fort à son ou ses territoires évocateurs de ses
3
La religion cathare symbolise aujourd’hui la riche civilisation de langue d’oc,
qui périt sous les assauts des « barbares du Nord » lors de la croisade des albigeois au
XIIIème siècle.
4
B. Badie, La fin des territoires, Fayard, 1995.
16
racines, de son appartenance ou synonymes de détente et de bonheur. Le
perçu et le vécu d’un territoire constituent avec la globalisation, des
facteurs indissociables de leur attractivité quelles que soient leurs
échelles (commune, région, pays,). A leurs images réelles ou imaginaires
on associe des paysages, des couleurs, une luminosité, des odeurs, une
gastronomie et des produits de terroir, un folklore, des savoir-faire, un
art de vivre et de respirer, un je ne sais quoi qui fait qu’on aime s’y
retrouver et y séjourner. On y trouve une atmosphère et une ambiance,
un art de vivre, qui font que l’on s’y sent bien, à l’aise et capable de s’y
ressourcer. Toutes ces valeurs et perceptions font corps avec le territoire
et appartiennent au patrimoine local. C’est cette trilogie, qualifiée par les
anglo-saxons de « lore » auquel ils associent « landscape » et
« leisure », qui conquiert le visiteur ou le touriste et, qui suscite aussi la
réappropriation du territoire par ses habitants. Ceci constitue le
« patrimoine au sens large » du lieu et, c’est de plus en plus
ce « patrimoine global embrassant paysages et activités» que l’on
souhaite transmettre aux générations futures, et non, cette église classée
isolée, qui, sans sa place et les bâtis qui l’entourent, ne représente plus
rien dans l’imaginaire de chacun.
On est alors loin de la définition du patrimoine au sens XIXème siècle du
terme, ce patrimoine ne s’assimile nullement à l’inventaire des
Monuments de la France établi à l’initiative de Mérimée. Il s’agit d’un
patrimoine pluriel. A côté, des beffrois inscrits sur la liste du patrimoine
mondial, le concept s’étend au « gal » de Gauchin, aux carrières de
Marquise, aux Grands Monuments mais aussi aux paysages socioculturels évolutifs tels les paysages miniers pris dans leur globalité,
comme on peut les découvrir du Mémorial de Vimy (terrils, sites
industriels, habitats, tracé du front en 1917 observé dans les champs
labourés de la plaine de Loos en Gohelle, affleurement du calcaire
épousant l’ex- ligne Siegfried). Paysages en voie de banalisation pour
ces derniers, car on peut se poser la question, avec la tertiarisation de
l’économie
(entrepôts
logistiques
et
zones
commerciales
stéréotypées…), de leur devenir. Demain, ils peuvent perdre leur âme
pour être empreints d’une modernité à l’origine de nouveaux lieux de
sociabilité, cafétérias, centres commerciaux standardisés qui ne se
démarquent que par la plus ou moins grande convivialité de leur
accueil.5
5
17
Le patrimoine est diversité et reflet des multiples pays qui font la
pluralité mais aussi l’identité et la richesse de la France et de nos
régions.
Ce patrimoine divers et vivant doit être capable de susciter l’intérêt, de
générer de l’animation et de l’activité pour se régénérer lui-même afin de
« se léguer » aux générations futures. L’important n’est donc pas qu’il
soit inventorié, même si, nous le verrons, c’est souvent une étape
nécessaire, mais qu’il soit réapproprié, patrimonialisé et territorialisé.
Car l’attachement qu’on éprouve pour un lieu réside dans son identité
qui résulte de l’association de l’image que l’on se fait du territoire, de ses
unités paysagères, de son patrimoine, de sa culture, de ses habitants et de
leur manière de vivre et d’accueillir.
Parmi ces facteurs, les unités paysagères jouent un rôle majeur par leurs
variétés et leur échelle mesurée car façonnées par l’homme au fil des
siècles, « l’idéal d’harmonie entre les hommes eux-mêmes, la nature et
les hommes »(Y.Lugingrül 2001) qu’elles suggèrent forgé par la Culture.
C’est à elles que se rattache l’immatériel, tels cieux, récits, batailles,
légendes, contes, personnalités, films, frontières oubliées... et que la
toponymie du lieu (Pelouse des Fées, gouffre des Elfes, le puits de
l’enfer...) vient aussi nourrir. Ceci est vrai de la Flandre maritime, de la
Provence comme du Val de Loire... de tous les territoires. Ce sont leurs
paysages que l’homme s’approprie à sa façon.
C’est là l’apport majeur de la géographie au patrimoine associé à des
valeurs qui appartiennent au social, à l’écologie et à l’esthétique. C’est
cet apport qui va faire évoluer sans nul doute dans les années soixante la
notion de sauvegarde du patrimoine. A cette époque, on commence à
s’interroger alors sur la fameuse règle du rayon de protection, relatif aux
monuments et sites inscrits ou classés. De cette réflexion et de la
pression de l’automobile sur la ville, du risque d’une nouvelle
éventration urbaine à l’haussmannienne, vont naître l’idée de Malraux de
créer le secteur sauvegardé (Loi du 4 août 1962) puis le désir de
l’UNESCO d’inscrire sur la liste du patrimoine mondial les paysages
exceptionnels. Parmi les premiers sites inscrits sur cette liste figurent en
1982, les Alpes de M .Von Linne, la Laponie (1986) pour leur
patrimoine naturel et culturel C’est cette même préoccupation qui
conduit à la création en France des ZPPAU dont l’une des premières fut
18
celle de La Beuvrière (Pas-de-Calais) visant à protéger un ensemble
remarquable d’architecture flamande espagnole abandonné à lui-même
pour partie (grange de la ferme de la prévôté). Puis suivent, l’initiative
bretonne du label Petites Cités de Caractère en 1977 et la création du
label ville d’art et d’histoire (1985), ceci favorise la transformation de la
ZPPAU en ZPPAUP et sa vulgarisation. Etablies en zones urbaines
comme rurales, elles facilitent la protection, la sauvegarde et la mise en
valeur d’un patrimoine très diversifié; leurs mises en place traduisent la
volonté des collectivités territoriales d’en faire un atout pour leur
développement local, même si les élus y recourent encore en 2010 avec
beaucoup d’hésitations, jugeant la démarche trop lourde.
Mais, c’est pourtant, ce courant et cette lecture du paysage qui favorisent
la prise en compte du patrimoine vernaculaire, de l’habitat d’abord, des
savoir-faire visibles à travers les aménagements agraires et urbains, des
savoir-être et vivre, des techniques de mise en culture sans oublier les
mémoires collectives et les souvenirs.
Car, le paysage, autre concept polysémique se charge de sens au fil du
temps comme le montre l’Histoire du paysage français (Pitte 2003), il
est patrimoine par essence. La Convention européenne du paysage
(Florence 2000) stipule que « le paysage désigne une partie de territoire
perçue par les populations dont le caractère résulte de l’action des
facteurs naturels et/ou humains et de leurs interrelations » et reconnaît
son appropriation locale. Les géographes actuels s’accordent pour le
définir comme « un agencement matériel d’espace naturel et social
appréhendé visuellement de manière horizontale ou oblique par un
observateur » (Tissier in Levy et Lussault 2003). Que l’on mette l’accent
soit sur la perception collective par les populations (dimension politique,
médiatique, économique…) ou sur le vécu individuel, sur le ressenti
(dimension esthétique,...), « le paysage n’est pas une notion qui
s’accommode de la contemplation passive » (Tissier 2003). Le paysage
est à la fois un état matériel et une construction mentale (Christian
Glusti in Libres regards d’un géomorphologue sur le paysage 2008). La
complexité du paysage résulte d’un état matériel fruit de multiples
processus et d’une construction mentale perçue en fonction des grilles de
lecture de l’observateur. L’auteur du plan relief d’Arras n’observait pas
la ville et l’Arrageois comme le touriste d’aujourd’hui, leurs
préoccupations et leurs perceptions diffèrent, ils n’ont pas les mêmes
besoins, les mêmes attentes même si tous partagent un vif intérêt pour ce
patrimoine urbain. Il en est de même de la vision du Mont Blanc vu par
19
le peintre Conrad Witz, la Pêche miraculeuse (1444), première
représentation du Mont Blanc (Joutard 1986) et de notre vision
contemporaine, le paysage passe du statut de décor de toile de fond au
statut de scène centrale. Depuis la fin du XIXème siècle, l’essor du
tourisme, de l’alpinisme, du ski, de l’urbanisation et de l’aménagement
du territoire a fait que le Mont Blanc a perdu son statut de montagne
interdite (Joutard 1986) pour devenir un lieu de référence quasi mythique
et un nom de pays relié au monde entier par le lien internet
(http//www.pays-mont-blanc.com).
Le territoire est paysages mais paysages évolutifs aux facettes culturelles
multiples, des patrimoines, en eux-mêmes, au sens noble du terme tels
que les consacre l’UNESCO dans sa convention de 2002 et par
l’inscription d’un ensemble de grands sites et paysages à travers le
monde : Falaises de Bandiagara en pays Dogon, Baie de Somme, Val de
Loire, la Seine à Paris... et demain peut-être le Bassin minier du NordPas de Calais, le site des Caps ?
Mais l’homme au fil des siècles, qu’il soit occidental, africain ou
ressortissant de tout autre continent, a toujours perçu ces identités
paysagères et leurs nuances, a su y identifier des terroirs révélant leurs
particularismes locaux insoupçonnés au premier regard.
N’importe quel finage de village de montagne ou de commune viticole
(Champagne, Coteaux du Layon...) interpelle ? Il nous montre combien
le milieu a pu être et est de nouveau aujourd’hui finement appréhendé
par l’homme après parfois une phase d’oubli dans les décennies 1960 à
1990. Découpé selon une trilogie, le finage comporte généralement, dans
les pays viticoles, hormis certains vignobles (Bordelais), trois terroirs
complémentaires : forêt au sommet du coteau, vignes sur ses flancs aux
pentes ensoleillées et bien égouttées, village à mi-pente sur le front de
côte pour le pays Champenois, ou sur le replat ou terrasse dominant la
rivière pour les Coteaux du Layon, prairies de fond de vallée et cultures
sur le plateau émergeant.
Ces villages comme ces trois terroirs constituent à nouveau des
ensembles patrimoniaux, sources de développement local.
Cette notion de terroir est ancienne. Le géographe Pierre George
considérait dans son dictionnaire de la Géographie (1970), ce terme
comme le mot piège de la géographie agricole car pour certains
20
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