Fleuves et ter - Présentation

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7e Rencontres de Macon – Fleuves et territoires – G. Leturcq 7e Rencontres de Macon – Fleuves et territoires Colloque 13 et 14 septembre 2012 « Modifications territoriales pour les populations des fleuves recevant des usines hydroélectriques au Brésil » Guillaume Leturcq Introduction La construction de grands barrages hydroélectriques est un processus en expansion depuis plus de trente ans au Brésil et qui existe principalement depuis les années 1950. Il est reconnu internationalement que ces ouvrages ont des effets, positifs comme négatifs. Au Brésil, l’intérêt envers les impacts des barrages date de la fin des années 1980, mais est depuis quelques années particulièrement sous le feu des projecteurs avec la construction de quelques projets phares. Aujourd’hui, il est plus facile de mieux connaître les effets des grands barrages sur le milieu, mais en ce qui concerne les populations et leurs territoires, les études manquent encore. Néanmoins, cette présentation, résultats de plusieurs années de recherches, permet de présenter de manière générale quel sont les impacts des ouvrages sur les territoires qui leurs sont proches. Ainsi, nous aborderons trois temps autour de la construction d’un barrage pour analyser quatre territoires. Les temps concernent ceux de l’implantation même de l’ouvrage, car il existe un avant et un après barrage, tout comme il existe un pendant la construction. Nous présenterons quatre territoires, car en plus des trois territoires en lien avec le temps de construction, un nouveau apparaît lors de la migration des victimes de barrages et leurs réinstallations à des kilomètres de leur ancien lieu de vie. Cette présentation suivra un ordre chronologique pour aborder les divers territoires étudiés. 1 7e Rencontres de Macon – Fleuves et territoires – G. Leturcq Territoire pré-­‐barrage Les lieux d’implantations des barrages hydroélectriques sont très variés au Brésil, car nous retrouvons de tels ouvrages dans les cinq régions du pays, en Amazonie, dans le Nordeste, dans le sud-­‐est et sud-­‐ouest et enfin dans le Sud, région dans laquelle nous avons plus développée notre recherche. Dans ces cinq régions les paysages sont très variés, rencontrant ainsi une forêt dense et humide en Amazonie, des zones semi-­‐arides dans le Nordeste et des régions vallonnées dans le Sud du Brésil. La grande variété de l’environnement fait que les conséquences sur le milieu et la société seront variables selon le lieu d’implantation. Un élément qui reste néanmoins toujours le même est le fait que les barrages s’implantent dans les zones rurales, bien souvent défavorisées. Un barrage hydroélectrique perturbe durablement un paysage rural. Le choix du lieu d’implantation d’un barrage est toujours décidé afin d’éviter le plus possible les zones urbaines, principalement à cause des nombreuses indemnisations et de l’impact trop élevé. Ainsi, ces barrages sont souvent dans des régions rurales reculées par rapport aux centres régionaux et nationaux. Dans les années 1950, le Brésil s’est fortement urbanisé et y compte en 2010 près de 85 % de sa population (IBGE-­‐Instituto Brasileiro de Geografia e Estatística, 2010). Néanmoins, le Brésil reste un pays fortement rural, accueillant encore près de trente millions d’habitants et y connaît une économie agricole très florissante, « L’agriculture et l’élevage gardent donc une place importante dans l’économie brésilienne : générateurs de devises indispensables à l’équilibre des comptes nationaux. » (THÉRY, 2009). Les populations des zones rurales s’organisent sous forme de petits groupes que l’on nomme habituellement communautés, « Les sociétés paysannes (...), sont organisées en collectivités, relativement petites et autonomes, installées sur un territoire qu’elles exploitent. » (MENDRAS, 1995). Elles s’organisent autour d’un petit centre, habituellement constitué d’une ou deux églises (catholique et évangélique), d’une école rurale et d’un centre communautaire. On retrouve particulièrement cette structure dans le Sud du Brésil, où une grande partie de la population est descendante de migrants européens. Des colons italiens, allemands et de l’Europe de l’Est se sont installés dans le Sud du Brésil et y ont façonné les paysages ruraux, construisant de petites communautés. Les populations descendantes des colons européens vivent dans le Sud du Brésil depuis plus de 150 ans. Les espaces ruraux dans lesquels les barrages s’implantent affectent des populations dont l’enracinement est profond, et qui se sont habitué au milieu naturel. En 2 7e Rencontres de Macon – Fleuves et territoires – G. Leturcq Amazonie, l’implantation des barrages déloge des populations indiennes installées depuis des centaines d’années. Dans le Nordeste, la fixation de la population s’est aussi faite y’a déjà plusieurs siècles, ayant pour origine l’Afrique ou l’Europe. La population rurale brésilienne a aussi comme caractéristique d’être vieillissante, car nombreuses sont les plus jeunes à partir vers les centres urbains proches. Les populations rurales affectées par les barrages sont bien souvent des familles de petits agriculteurs, exploitant (propriétaires ou non) des terres d’une superficie de moins de cinquante hectares. Elles pratiquent pour la plupart une agriculture de subsistance, principalement en Amazonie et dans le Nordeste. Dans les trois autres régions, il est possible de trouver des agriculteurs considérés comme des exploitants de taille moyenne. Il n’en reste pas moins que la majorité des familles affectées sont de petits agriculteurs. Dans la partie ouest du Sud du Brésil, les lieux qui reçoivent des barrages sont marqués par une majorité de petits agriculteurs et quelques agriculteurs en liens directs avec les centres locaux d’agro-­‐industrie, élevant principalement des poulets ou des porcs. Les populations qui sont les victimes de barrages sont le plus souvent dans des situations précaires d’un point de vue financier. Elles ne possèdent que peu de ressources et survivent grâce au milieu qui les entoure. Elles ont bien souvent établies un fort lien avec la rivière ou le fleuve (où sera implanté le barrage). Ce lien leur permet de varier leurs activités économiques. Cet élément est aussi important pour leur espace de vie, car la rivière fait partie de leur quotidien, en tant que paysage, lieu de vie et espaces économiques. En conclusion de cette première analyse territoriale pré-­‐barrage, nous pouvons dresser un cadre assez large du type de territoires que va affecter la construction. Ainsi, les barrages sont construits dans des espaces ruraux, le plus souvent éloignés des centres urbains. Ils s’implantent dans des régions de petite agriculture et où l’on trouve une grande variété de paysages. Les populations victimes des barrages sont pour la plupart dans une situation précaire économiquement et donc peu préparées à affronter une situation migratoire. En ce qui concerne la migration, nous pouvons aussi ajouter que l’enracinement des familles est bien souvent important, provocant d’autant plus de perturbations ultérieure lors des migrations. 3 7e Rencontres de Macon – Fleuves et territoires – G. Leturcq Modifications territoriales violentes lors de la construction Avec l’arrivée d’un barrage c’est toute une région qui est bouleversée. La construction d’un tel ouvrage a des conséquences marquantes sur divers pans de la société et sur les territoires. Ainsi, que ce soit en terme environnemental, économique, politique ou social, le chantier d’un barrage affecte tout et tout le monde de la région. Le premier effet visible de l’implantation d’un barrage est la modification paysagère et environnementale. En effet, un barrage modifie profondément le cours d’une rivière, ainsi que ses rivages. Il est nécessaire de dévier la rivière et de modifier la structure de ses bords pour y installer la paroi du barrage. Pour illustrer cette profonde modification, nous pouvons observer sur la Photo 1 l’impact du chantier, à la fois sur le cours d’eau, mais aussi sur la colline qui Photo 1 – Vue sur le barrage de Foz do Chapecó – Alpestre/RS – G. Leturcq -­‐ 2007 est à proximité. D’un point de vue environnemental, c’est avec le chantier que commencent les modifications et les perturbations. Ainsi, une des plus fortes critiques contre la construction de barrage est son effet sur le cours d’eau, sur son flux, la qualité des eaux, son écosystème (faune et flore). Le chantier, en plus de couper le cours d’eau, apporte un certain nombre de déchets, polluant l’environnement. Une fois le barrage construit, le point le plus débattu, est l’effet du barrage sur le milieu, à la fois l’eau, mais aussi l’air (rejets en CO2), la terre (pertes), la faune (poissons principalement) et la flore (déforestation). Les discussions entre les pouvoirs décisionnels et les militants environnementalistes sont de plus en plus virulentes. L’enjeu est important, car les barrages hydroélectriques représentent un investissement considérable et les retours financiers espérés sont élevés. D’un point de vue économique, les effets d’un barrage sur la région sont aussi très importants. Positivement comme négativement, le barrage aura des conséquences sur 4 7e Rencontres de Macon – Fleuves et territoires – G. Leturcq l’économie locale. Il permet la création d’emplois, par exemple, pour le barrage de Sobradinho dans le Nordeste, on estime à plus de 20 000 emplois de créés. Ceux-­‐ci sont d’une grande diversité, car tous les secteurs économiques et professions sont amenés à travailler autour d’un tel projet. Avec les emplois ce sont de nouveaux consommateurs qui arrivent. Une telle manne de population est un bienfait pour les services et commerces en périphérie du chantier. En plus des services existants, de nouveaux sont créés comme nous pouvons l’observer sur la Photo 2 qui illustre la construction d’un nouveau bar, temporaire, proche du chantier du barrage Photo 2 – Bar en construction près du barrage de Foz do Chapecó – Águas de Chapecó/SC – G. Leturcq – 2007 de Foz do Chapecó. Tous ces bouleversements découlent de l’implantation de l’entreprise responsable pour la construction du barrage et de nombreuses autres qui travaillent pour la principale de manière externalisée. Il y a alors de nouvelles sources d’argent et d’investissement qui arrivent dans la région. Ces évolutions économiques positives existent majoritairement pour la durée de la construction, soit 4 à 5 ans en moyenne. Au-­‐delà, la retombée économique d’une usine hydroélectrique est très faible pour la région d’accueil. Cela fut démontré par une étude dans le cas du barrage de Machadinho (UNIVERSIDADE DE PASSO FUNDO, 2001). Des effets négatifs accompagnent les effets positifs en terme économique, par exemple la mort de l’activité de pêche, ou les bacs transportant habitants et véhicules. La perturbation économique existe aussi pour les commerces des communautés qui perdent des habitants. Mais, globalement, l’économie prospère en périphérie d’un barrage lors de la période de construction ce qui d’ailleurs peut être propice à des jeux d’intérêts nouveaux, impliquant la politique. Les acteurs impliqués dans la construction d’un barrage sont nombreux, à tel point qu’ils sont difficilement recensables. Ainsi, nous retrouvons des acteurs à tous les niveaux politiques du pays, nationaux, régionaux, locaux. L’initiation d’un projet de barrage vient du gouvernement fédéral qui pousse à leurs constructions pour une hausse de la production 5 7e Rencontres de Macon – Fleuves et territoires – G. Leturcq nationale d’électricité. Les pouvoirs régionaux et locaux accompagnent le projet ayant bien souvent à investir dans le projet ou à suivre ses conséquences. Sur le plan économique nous avons déjà rapidement expliqué qu’une grande quantité d’entreprises sont impliquées dans la construction de l’ouvrage, du début jusqu’à la fin. On retrouve aussi des acteurs sociaux et environnementaux de tous les niveaux administratifs et territoriaux (ministère de l’environnement, mouvements sociaux, ONGs, etc.). Enfin, les populations locales et leurs représentants sont plus ou moins impliqués dans ce jeu. En terme social et de population, la construction du barrage apporte aussi de forts bouleversements. Ainsi, la seule annonce d’un prochain ouvrage dans une région attire des familles en quête d’emplois ou d’indemnisations faciles de la part de l’entreprise. L’annonce de la construction d’une usine est associée avec une croissance économique, ce qui pousse les populations précaires ou dans le besoin à se déplacer jusque sur le lieu de construction et de tenter sa chance, d’une manière comme une autre pour profiter de la situation. Cette arrivée de population à la recherche d’une activité officielle ou officieuse est aussi accompagnée des employés officiels qui travaillent sur le chantier du barrage. Comme nous l’avons déjà signalé, peuvent être ils très nombreux selon la taille de l’ouvrage et viennent bien souvent d’autres régions du Photo 3 – Ancien village d’ouvrier du barrage de Sobradinho – Sobradinho/BA – G. leturcq -­‐ 2007 pays, n’hésitant pas à faire des milliers de kilomètres pour travailler sur le chantier. Par exemple, selon une source officieuse, la majorité des employés, de l’entreprise responsable du barrage Foz do Chapecó, viennent de la région de São Paulo ou du Nordeste. Ces populations sont présentent pour un temps défini, mais une fois celui-­‐ci arrivé à échéance, la région est « abandonnée » et vidée. Nous pouvons le remarquer sur la Photo 3, où l’on y découvre un ancien village d’ouvriers de l’usine de Sobradinho, 6 7e Rencontres de Macon – Fleuves et territoires – G. Leturcq aujourd’hui quasiment à l’abandon. En terme d’abandon, la région qui reçoit un barrage subit aussi une forte perte de population qui est forcée à migrer. Les grands barrages brésiliens peuvent forcer à migrer jusqu’à 80 000 personnes (Nordeste) et autour des 15 000 personnes dans le sud (Foz do Chapecó, Machadinho). Ces populations qui migrent sont évidemment un problème complexe à accompagner et à régler pour les responsables de la construction du barrage. Les migrations s’organisent lors de la période de construction pour qu’une fois l’ouvrage terminé il n’y ait plus d’habitants à l’emplacement du lac. Plus ou moins bien réalisées, ces migrations se complètent de problèmes sociaux importants. Ainsi, la migration précarise encore plus les familles, apportant une forte instabilité économique et résidentielle, menant régulièrement à des situations d’appauvrissement (CERNEA, MOHAN MATHUR, 2008). Nous pouvons conclure que les effets des barrages lors de leurs constructions sont intenses et divers. En l’espace de 4-­‐5 ans en moyenne, les impacts sont nombreux et affectent toute la société existante autour du barrage. Ainsi, que ce soit économiquement, politiquement, socialement ou environnementalement, la construction du barrage bouleverse le paysage existant et provoque de profondes modifications, allant même parfois jusqu’à des ruptures. Tous les territoires sont ainsi affectés et transformés, provoquant d’inexorables adaptations de toutes parts. L’après-­‐barrage et les modifications profondes L’après-­‐barrage est principalement le résultat de la forte activité existante lors de la construction. Nous pouvons ainsi analyser les territoires bouleversés à deux emplacements distincts, celui autour du barrage et de l’usine et celui qui reçoit les migrants. Les principales modifications territoriales existantes autour de la nouvelle usine se situent à quatre niveaux, que nous avons déjà précédemment décrites, mais qui une fois l’ouvrage terminé, prend plus d’ampleur plus forte. Nous retrouvons d’abord une modification paysagère indéniable, car le barrage affecte le milieu de manière quasiment irréversible. L’environnement existant avant le barrage a partiellement disparu, notamment les forêts qui sont les plus complexes et les plus longues à reconstituer. Le climat est parfois amené à changer selon la région d’implantation de l’ouvrage et les conditions locales. Le cours d’eau est particulièrement affecté et notamment les débits, la qualité des eaux et sa faune qui ne peut plus circuler comme précédemment. 7 7e Rencontres de Macon – Fleuves et territoires – G. Leturcq L’autre répercussion importante du nouveau barrage est la perte ou la dissolution de communauté de populations. Avec le départ des migrants forcés, deux situations se présentent pour les communautés : soit une forte perte de population accompagnée d’une baisse de son activité ou une disparition totale, devenant alors des zones fantômes abandonnées. Dans le Sud du Brésil, il est possible de constater ces deux situations, notamment dans le cas du barrage de Machadinho. Des communautés entières ont été forcées à migrer et ont alors tout abandonné derrière elles. Ces communautés ont disparu et il ne reste que quelques marques dans le paysage, notamment des églises et des maisons vides. Une autre situation commune est l’existence de communautés, plus ou moins affaiblie par les départs de familles. La Photo 4 montre l’existence de maison abandonnée au sein d’une communauté Francisco, (São commune de Barração, Rio Grande do Sul) qui tente de survivre après le départ de plus de la moitié de sa population originelle. Ainsi, le prêtre ne se déplace plus qu’une fois tous les deux Photo 4 – Maison à l’abandon – Barração/RS – G. Leturcq -­‐ 2007 mois, l’église est fermée, il n’y a plus de centre communautaire et les bus ruraux ont été annulés à cause du manque d’affluence. Ces départs et les diverses dissolutions de communautés ont bien évidemment des impacts sur l’économie locale. Conséquence directe des départs de familles, l’économie locale est amoindrie. Ce sont des consommateurs, des emplois, des services, etc. qui sont partis avec ces familles. Dans ces régions rurales du Brésil, il est très difficile de reconstruire une activité économique après de telles pertes. Ces départs ne sont pas compensés par l’arrivée de l’usine, car celle-­‐ci n’apporte que très peu d’activités. En ce qui concerne le tourisme, par exemple, il est toujours difficile à implanter dans des régions faiblement peuplées et qui ne comptent que très peu de hauts revenus. Alors que les retours économiques sont souvent le meilleur argument pour justifier localement la construction du barrage, ceux-­‐ci sont au final que très 8 7e Rencontres de Macon – Fleuves et territoires – G. Leturcq restreints et bien souvent les populations restent sur leur faim quant à cet aspect. En ce qui concerne les nouveaux territoires d’occupation des migrants, ceux-­‐ci changent à la fois pour les déplacés, ainsi que pour les sociétés locales qui reçoivent ces migrants. Nous résumerons les modifications territoriales par quelques points, car nombreuses sont les modalités possibles et les résultats en résultant. Les migrants voient tout leur espace de vie modifié entre l’avant et l’après-­‐barrage. Dans un premier temps sous une perspective paysagère, la rivière qui occupait une place prépondérante a pour une grande majorité disparue. Son absence modifie le style de vie des familles, leurs activités, leurs quotidiens. Les familles sont le plus souvent réinstallées sur un plateau ou une plaine, alors que précédemment elles vivaient dans des vallées, particulièrement pour les populations du Sud. Cette absence est souvent signalée par les victimes des barrages lors des entretiens, principalement par les familles les plus ancrées à leur lieu de vie, à savoir les indiens ou les caboclos1. Ces familles ayant des racines parfois plus anciennes que celles issues de colonisations européennes, sont celle à qui le cadre, et particulièrement la rivière, fait le plus défaut. Avec le nouveau cadre s’accompagne une nouvelle activité économique, spécialement en ce qui concerne l’agriculture. Les techniques et les cultures sont différentes et doivent s’adapter au nouvel environnement. Cette adaptation est la plus complexe pour les familles, car nombres d’entre elles passent du statut de micro-­‐exploitant à celui de petits exploitants. Alors qu’elles produisaient une agriculture de subsistance, leur nouveau cadre leur les incite à produire pour vendre et non plus pour survivre. Cette différence fondamentale nécessite une totale modification en terme de production agricole, principalement pour les techniques, les investissements, les connaissances, etc. Les résultats peuvent être très variés, car nous avons pu constater un panel complet de réponses, allant de l’adaptation totale, jusqu’au rejet le plus complet. En plus de la grande étape psychologique à passer, les conditions financières ne sont pas toujours aisées. Il est demandé aux familles migrantes de produire et cela rapidement pour ne pas mettre en péril leur nouvel espace de vie. Pour aider à ces changements brutaux, les familles peuvent compter sur deux aides. La première, fournie par l’entreprise qui construit le barrage, est technique et financière, fonctionnant pour une période déterminée. La seconde est celle de la communauté. Les 1 Population mixte composée par les mélanges entre les indiens, les portugais et les esclaves noirs prisonniers évadés. 9 7e Rencontres de Macon – Fleuves et territoires – G. Leturcq familles migrantes intègrent un nouvel espace sur lequel elles doivent construire une nouvelle communauté ou parfois en intégrée une déjà existante. La première solution est la plus commune, mais aussi la plus complexe. La difficulté vient de la diversité des familles qui construisent cette communauté et de sa création de toute part. Ainsi, nous retrouvons des familles de diverses origines ethniques, de plusieurs communes, de différentes régions, qui doivent alors construire de nouveaux liens et interconnaissances. Les familles reçoivent assez souvent un cadre structurel construit par l’entreprise qui est responsable du barrage. Pour la nouvelle communauté, les familles disposent la plupart du temps d’une salle communautaire, de voies de communication récentes, de l’électricité, de lignes téléphoniques, d’une ou deux églises et d’une école (si le nombre d’enfants le permet). Ces structures sont très utiles pour les familles, afin de bien commencer la construction de la communauté, dans un cadre qui puisse permettre un développement. Malheureusement, ce cadre, offert par l’entreprise, n’existe pas systématiquement ou se trouve parfois incomplet. Ainsi, nous avons pu constater dans le Sud du Brésil, des communautés réinstallées après la construction du barrage, ayant bénéficié à peine de matériaux de construction pour leurs maisons. Celles-­‐ci durent affronter des moments très difficiles et ont vu un certain nombre de familles migrer de nouveau pour tenter leurs chances ailleurs. Néanmoins, après de nombreux efforts, la communauté a quand même réussi à construire un nouveau cadre de vie apte à s’épanouir. À travers l’entraide et le travail commun, elles ont construit une église et une salle de fête et ont pu investir dans l’irrigation et l’achat d’un tracteur. Cet exemple démontre que malgré les difficultés, il existe des situations positives qui ressortent d’évènements négatifs (barrage, migrations, etc.). En conclusion de cette partie, nous pouvons constater que les modifications des territoires sont profondes et de grandes ampleurs. Que ce soit environnementalement, économiquement ou socialement, les situations sont parfois précaires et les difficultés sont grandes. Les familles passent par des changements profonds et doivent s’adapter rapidement à de nouvelles réalités pour pouvoir reconstruire leurs vies. L’économie est bouleversée, pénalisant encore plus des territoires parfois déjà en retrait. Mais, les réponses sont parfois positives et des familles profitent de ce nouveau départ pour recommencer et se développer. Ainsi, nous avons pu interroger des familles ayant perçu le barrage comme une chance, alors que les propres voisins étaient dans des situations de pauvreté. Les réponses aux migrations et modifications territoriales sont variées, mais plus le cadre est adapté et préparé, plus facile sera le renouveau des familles. 10 7e Rencontres de Macon – Fleuves et territoires – G. Leturcq Conclusion L’analyse des territoires à proximité des usines hydroélectriques au Brésil nous révèle de grandes modifications et perturbations. Alors que l’on peut les considérer comme calmes et stabilisés, les territoires ruraux du Brésil qui reçoivent les barrages sont en pleines agitations le temps de la construction, puis ne ressemble plus ensuite à ce qu’ils étaient. Suivant les caractéristiques précédemment décrites, le profil des populations et des paysages qui accueillent les barrages est simple. Ce sont bien souvent des régions retirées, c’est à dire éloignées des centres urbains. Les populations sont enracinées depuis plusieurs décennies, ayant peu de ressources et vivant principalement d’une agriculture de subsistance. La situation décrite ne présente ni des territoires, ni des populations prêtes à affronter les bouleversements qu’entraine inexorablement la construction d’une usine hydroélectrique. La situation est bien différente au cours des années de construction du barrage. Lors de cette période, ce qui caractérise le plus la période est le mouvement, principalement de populations, d’argent et d’actions politiques. Les territoires recevant les barrages sont en pleine effervescence, recueillant des personnes de tout le pays, accueillant des mannes financières nouvelles, devant affronter des conflits sociaux et syndicaux nouveaux. Le mouvement retombe rapidement une fois l’ouvrage terminé, entrainant derrière lui une variété de situations, plus ou moins positives. Nous pouvons conclure de cette analyse qu’il existe globalement trois réponses aux perturbations subies. La première est l’appauvrissement et la précarisation des familles. Reconnues par des études internationales, ces situations sont légions et sont le gros point négatif de la construction d’usines hydroélectriques. Des familles n’arrivent pas à se remettre de la migration et à trouver une nouvelle stabilité économique et résidentielle, ayant ainsi souvent recours à d’autres migrations ou à une mobilité accentuée. La construction du barrage est ainsi un facteur déclencheur d’une instabilité et d’une fragilité familiale. La seconde situation est celle du statu quo, c’est à dire de l’acceptation du changement et des modifications. Pour celle situation, le problème est la stagnation et la réduction de possibilité d’améliorations. C’est notamment le cas pour les familles qui restent à proximité du barrage, mais qui ont perdu une grande partie de leur communauté. Enfin, la troisième réponse est celle de l’amélioration et de la progression. Les familles profitent de l’opportunité pour changer, se développer et améliorer leurs conditions de vie. Il s’agit d’un 11 7e Rencontres de Macon – Fleuves et territoires – G. Leturcq recommencement, souvent perçu comme tel par les familles, se référant à une victoire lors d’une loterie. Les familles ayant ce sentiment tenteront de s’adapter rapidement aux nouvelles conditions et d’améliorer leurs vies, au sein de nouvelles communautés. La principale question qui se pose dès lors est de savoir comment aller au maximum vers cette troisième situation, ne délaissant aucunes familles, ni territoires. Est-­‐il possible, à travers plus de prévention, de planification et d’accompagnement, de contrôler les effets négatifs des barrages ? Bibliographie BERTRAND J.R., OUALLET A., 2002, Communauté(s), ESO Travaux et Documents, mars 2002, no 17, p. 7-­‐11. CERNEA M. 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