les chantiers de la désargence Pour un front antimonétaire En règle générale l’anticapitaliste déclaré commet un abus de langage. Car après s’être élevé avec force contre ses méfaits, il reconnaît tout bas, ou de manière implicite, qu’il n’y a pas d’alternative, sauf celles qu’il propose, cousues de fil blanc capitaliste : par exemple, faire de la croissance (puisqu’il en faut !) avec des profits monétaires gentils, verts et tout. Des profits qui donnent plus de travail. On vous les taxera plus justement que jamais et ça regonflera le budget de l’Etat, grand maître ès-aides publiques. Les entreprises pourront donc continuer de délocaliser et restructurer en toute bonne conscience. Les nouveaux profits épongeront les nouveaux dégâts. En réalité, au capitalisme il y une alternative, et une seule, une seule façon de le clouer dans son cercueil : c’est d’abolir les profits monétaires dont il vit. Elle a été connue en France après la crise de 29. On l’appelle économie distributive ou distributisme. PROSPER, depuis 2000, en a rappelé l’histoire. Il a aussi invité à l’étudier de près. Dans sa forme première, en effet, le distributisme n’est pas sans risques. Ils sont aussi franchement exposés dans la revue que dans les CD. A quoi tiennent-ils principalement ? Au fait que, même si la monnaie préconisée par les distributistes « historiques » est remarquable, puisqu’elle ne peut s’accumuler, c’est encore une monnaie, qui colle des prix sur les choses, fait intervenir l’Etat et n’exclut pas les revenus inégaux… Mais l’usage d’une monnaie est-il encore vraiment nécessaire ? Les codes-barres, depuis 1980, et ce qu’on appelle, depuis, plus généralement, « la traçabilité », s’intro-duisent partout. Ils permettent de gérer les stocks, les entrées et sorties de marchandises, la vitesse des réapprovisionnements. En temps réel on sait, grâce à ces systèmes, s’il y a ou s’il n’y a pas, du pain, du riz, des médicaments, s’il y a les ressources pour les produire, si c’est proche ou lointain, et à quelle cadence ça peut se renouveler. Ils sont donc en prise directe sur ce qui nous importe avant tout : avoir accès aux richesses que nous avons produites, et que cet accès ne soit barré ni par le prix qu’il faut payer, ni par les bénéfices qu’il faut en retirer sur un marché concurrentiel et aléatoire, des bénéfices dont la perspective permet aux entreprises d’obtenir du crédit. Les entrepreneurs, bureaux d’études, commerçants, chercheurs, tous recourent déjà au chiffrage informatisé. Les codes-barres sont aujourd’hui intégrés à notre milieu de vie au même titre que le téléphone, la radio, le Net, la contraception, dont les avantages concrets sont tels que nous continuons de les améliorer et de les répandre. Les progrès de la traçabilité, avec les puces RFID, notamment, font craindre la surveillance policière. Mais à cette surveillance nous n’échapperons qu’en abolissant les motifs de surveiller si nous risquons de troubler l’ordre de la concurrence économique et de descendre dans la rue pour réclamer des sous. Nous y échapperons en abolissant le salariat : en donnant à tous des moyens d’accéder aux richesses parce qu’elles sont là, que nous les créons et n’avons aucune raison de gâcher les ressources planétaires pour en faire du profit. Nous y échapperons grâce aux techniques les plus appropriées pour faire du partage authentique et non plus du profit : celles de la traçabilité. Les faits ont par ailleurs encore confirmé le bien-fondé de notre conviction écologique et politique au sujet de l’abolition de la monnaie. Sans doute avez-vous observé la vitesse à laquelle le marché s’emparait des nouveaux créneaux « verts » et « décroissant » ? Les ampoules basse-tension deviennent obligatoires. Les cellules solaires ont le succès que vous savez… Mais pour les ampoules basse tension, il faut du gallium. Pour les cellules solaires, il faut du sélénium. Alors les prix s’envolent et certains matériaux (Le Monde, décembre 2009, cite le rhodium) atteignent 7000 dollars, quand l’once d’or en est à 900 ! La Chine (id. 2009) restreint ses exportations de matières premières stratégiques et se dépêche de s’emparer des réserves d’autres pays. Les informations au sujet des quantités et de la renouvelabilité de ces réserves restent secrètes. Le secret entretient la spéculation, la terreur de manquer, la suspicion, la recherche d’armes nouvelles pour réduire les récalcitrants et pénétrer dans les informations de l’ennemi. L’évaluation monétaire, les prix, les profits, autorisés par l’usage de monnaie, faussent notre perception des choses et des personnes (combien ça vaut, combien tu vaux). L’usage de la monnaie est responsable de la guerre économique, avec ses millions de morts de malnutrition et d’exclus, et derrière celle-là de toutes les autres formes de guerre et de nombreuses formes de violence. En assurant la transparence quasi absolue en matière de gestion des ressources et de suivi des expériences, la traçabilité est l’instrument de libération des guerres économiques, du salariat, de l’épuisement de la planète. Mais comment passer d’un système à l’autre ? 1. Soutenir le principe de l’abolition de la monnaie. Certains doutent encore du réchauffement du climat et de la responsabilité des hommes dans ce processus. On ne peut douter, par contre, de la nocivité du chiffrage de toute chose en prix et de soumettre la vie des usagers et de la planète aux profits. La résistance à l’idée d’abolir la monnaie sera demain jugée aussi stupide que celle qui fut opposée à l’hélio-centrisme, à l’asepsie, aux congés payés, à la sécurité sociale ou la contraception. 2. Montrer l’inanité des mesures actuelles. Après des années d’alerte écologiste, on s’est enfin, à Kyoto, à Copenhague, accordé sur l’idée qu’il fallait faire quelque chose. Mais quoi d’autre ? Les incidences de la décroissance matérielle sur la croissance des profits monétaires ont conduit à chiffrer des objectifs soumis aux efforts que les entrepreneurs feront sans perdre d’argent ni leur situation de concurrence. Pour les inciter à se montrer plus inventifs, on avait déjà créé, il y a quelques années, un marché des droits à polluer. 3. Oser dire que l’alerte écologique nous distrait . Même fondée, elle distrait de la misère sociale, de la misère des peuples. Ce n’est pas seulement pour des raisons écologiques que des enfants meurent aujourd’hui de faim par millions. Il y a trente ans on avait encore, dans ces régions, une relative indépendance économique. Les raisons monétaires l’ont abolie. Haïti satisfaisait 80% de ses besoins alimentaires en 1980. Le FMI passant par là, les Haïtiens n’en satisfont plus que la moitié et doivent acheter leur riz aux Etats-Unis. L’usage de la monnaie est déterminant aussi bien pour la condition humaine que pour la condition planétaire. Ces deux conditions doivent se traiter de front. Et il n’y a qu’une façon de le faire : en abolissant la monnaie et l’ensemble de représentations du monde totalement faussées qu’elle donne aux prisonniers de sa caverne. 4. Reconsidérer la portée des critiques, des actions militantes, des alternatives... La critique « anticapitaliste » a beau cibler juste, elle maintient dans l’impasse. Elle en vit. S’engager pour la défense de l’emploi, des exclus, des sans-papiers, sauve des cas mais n’abat pas les causes. Nos géniales « alternatives » ne pourraient survivre (et souvent même s’inventer) si elles ne se greffaient sur le système. Notre investissement dans ces causes est toujours à la limite de la collaboration. Considérons-le donc comme une école, une préparation à des investissements enfin libres, libérés du profit monétaire, qui auront alors une tout autre amplitude sociale et écologique. On ne sauvera l’environnement ni l’indépendance des peuples, on ne connaître jamais de démocratie digne de ce nom dans un régime qui soumet toute chose à l’évaluation monétaire. Ceci compris, l’objectif semble lumineux : créer un front anti-monétaire ! Rien de commun entre un « front » comme celui-là et un front « anticapitaliste ». Le but n’est pas de rassembler, le temps d’une élection, le maximum de frustrés du système monétarien qui réclament leur part dans la redistribution des profits, la part de gâchis que nous avons appris à confondre avec du gâteau. Le but est de libérer les capacités et désirs que nous avons de faire utile, beau, humain, de l’obligation de les monnayer. Dans tous les milieux vous rencontrez la même proportion d’usagers fâchés de devoir faire ce qu’il leur faut faire pour survivre dans leur emploi, leur entreprise. Mais que faire d’autre ? Les ratisseurs électoraux jouent précisément du « fait » qu’il n’y a rien d’autre et qu’ils en sont meilleurs connaisseurs que vous pour vous guider dans le labyrinthe économique. Pourtant, aujourd’hui, à peine lancée l’idée de cartes d’accès qui se remplissent au lieu de se vider, j’entends : mais ça se fait déjà (voyez les cartes de fidélité, pas anonymes du tout, elles, qui calculent des ristournes en proportion de vos achats). Si vous parlez de création d’entreprise et d’attribution des ressources assistées par ordinateur, de codes prudentiels pour éviter l’épuisement, on fait mieux que vous écouter : on vous montre que c’est faisable ! Mettre les initiatives en réseau, décider « à l’expérience » et non plus à la majorité : Ah, il faudrait ! Alors pourquoi on ne le ferait pas ? Où la décision se prendra-t-elle ? D’abord au niveau du bon sens. Nul besoin d’avoir fait de longues études pour observer qu’user d’une monnaie ne peut aller sans attribuer des prix aux ressources humaines ou naturelles, des prix à partir desquels elles ne peuvent plus avoir d’autre prix que celui du marché. Cette idée il suffit de l’énoncer pour unir, comme en son temps celle que tous les hommes sont égaux en droits. Au niveau des décideurs institutionnels, il a fallu leur mettre l’épée du réchauffement climatique dans les reins pour les réunir à Copenhague. Mais cette épée, elle se chauffe à quoi ? Aux profits monétaires ! Alors poussons à une nouvelle réunion, pour les abolir et en finir avec la guerre économique et sociale qui conduit tout droit à la troisième mondiale. Dans une économie sans monnaie, adieu aux armes ! Bonjour partage. Vous pourrez vous employer sérieusement au bonheur des espèces, et de l’espèce humaine dans le tas. PROSPER, 01. 2010 [email protected] www : prosperdis.org et LA DESARGENCE.ORG