Annales de l’Université Omar Bongo n° 14 RESEAUX DE MESURES METEOROLOGIQUES AU GABON : POUR QUELLE EVALUATION DES CHANGEMENTS CLIMATIQUES ? Jean Damien MALOBA MAKANGA départ. de géographie, Laboratoire d’Analyse Spatiale et des Environnements Tropicaux (LANASPET) Université de Libreville (Libreville, Gabon) [email protected] Résumé : Le présent travail dresse un état des lieux des réseaux d’observation des éléments du temps et du climat, qui comprennent non seulement les stations d’observation terrestres classiques mais aussi des stations automatiques et une station de réception PUMA. Il ressort de cette étude que les observations ne sont pas faites selon les normes internationales pour la majorité des stations classiques, mais aussi que la continuité de l’enregistrement des données des stations automatiques est perturbée par les intempéries et le peu d’empressement des services techniques à réparer ces instruments de mesure. D’énormes problèmes techniques gênent également le fonctionnement de la station Puma dont l’imparfaite discrimination des nuages à sommet froid rend délicate l’exploitation de ses données, notamment dans le domaine des prévisions météorologiques. La Direction de la Météorologie Nationale ne dispose donc pas de données suffisamment représentatives à l’échelle du pays pour déterminer les caractéristiques des changements du climat. Mots-clés : Gabon, observations météorologiques, changement climatique. Abstract : This work draws up an inventory of fixtures of the networks’ observation of the elements of time and climate, which include not only the traditional ground stations observation but also of the automatic stations and of a receptive PUMA station. It comes out from this study that the observations are not made in the standards for the majority of the traditional stations, but also that the continuity of the recording of the data of the automatic stations is disturbed by the bad weather and the little eagerness of the engineering departments to repair these measuring instruments. Enormous technical problems also obstruct the operation of the Puma station whose imperfect discrimination of the cloudiness makes delicate the exploitation of its data, in particular in the field of weather forecasting. The Management of National Meteorology thus does not lay out of data sufficiently representative to the scale of the country to determine the characteristics of the changes of the climate. Key-words : Gabon, meteorological observations, and climatic change. ISSN : 2-912 603-18-8 - ISBN : 978-2-912603-21-0 - EAN : 9782912603210 Mise en ligne le 27 octobre 2009. Annales de l’Université Omar Bongo n° 14 INTRODUCTION Les risques météorologiques et hydrologiques font partie des risques naturels les plus répandus. Les sécheresses, les inondations et les cyclones tropicaux sont les catastrophes les plus meurtrières et les plus dévastatrices1. La connaissance de l’atmosphère et du climat dans les pays sous-développés doit être intégrée dans une approche globale sur le développement durable mais celle-ci est inséparable des mesures physiques. Ces mesures effectuées dans l’atmosphère, bien que structurées en réseau, sont des mesures ponctuelles faites là où se situe l’appareil de mesure, installé en surface ou aux différents points de sa trajectoire aux moments où est réalisée la mesure2. A l’échelle de la planète, la zone équatoriale africaine occidentale est l’une des plus arrosée. Comme s’il elle était par « nature » à l’abri des aléas climatiques, elle se singularise par le faible nombre de travaux sur la variabilité climatique3 comparativement à la zone sahélienne ou de l’Afrique de l’ouest4 ou équatoriale orientale5. Cela s’explique, en partie, par la rareté des stations d’observation qui sont d’ailleurs situées majoritairement sur les aérodromes, permettant ainsi d’exercer une mission d’assistance météorologique à l’aéronautique sur ces aérodromes6 . Pourtant la zone équatoriale, bien qu’ enregistrant d’énormes précipitations, connaît également quelques aléas climatiques. C’est ainsi qu’au Congo dans une région comprise entre 2° et 5° sud, Mpoundza et al.7 ont montré une augmentation des températures à partir de 1980. Les perspectives d’un changement climatique irréversible à l’échelle de la planète nous conduisent donc à vouloir mettre en exergue les caractéristiques de ces changements du climat à l’échelle du 1 ORGANISATION METEOROLOGIQUE MONDIALE, Nouvelles du Climat mondial, n° 24, 2004. 2 EMMANUEL CHOISNEL, «Les échelles d’espace et de temps en climatologie», La Météorologie, 8e série, n˚ 13, 1996, p. 29-38. 3 Sylvain BIGOT, Les précipitations et la convection profonde en Afrique centrale : cycle saisonnier, variabilité interannuelle et impact sur la végétation, Thèse de Doctorat, Dijon, Université de Bourgogne, 1997 ; JEAN DAMIEN MALOBA MAKANGA, Approche diagnostique et satellitale des climats et de leur variabilité en Afrique équatoriale atlantique : Gabon, Congo et Sud Cameroun, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2002. 4 BERNARD FONTAINE, SAMUEL LOUVET, PASCAL ROUCOU, «Fluctuations in annual cycles and inter-seasonal memory in West Africa : rainfall, soil moisture and heat fluxes», Theor. and Applied Climatology, 88, doi 10.1007/s00704-006-0246-4, 2007, p. 57-70; TRISTAN D’ORGEVAL, « Impact du changement climatique sur la saison des pluies en Afrique de l’Ouest : que nous disent les modèles de climat actuels», Sécheresse, vol. 19, n°2, 2008, 79-85 ; BENJAMIN SULTAN, SERGE JANICOT, CHRISTIAN BARON, MICHAEL DINGKUHN, BERTRAND MULLER, SEYDOU TRAORE, BENOIT SARR, «Les impacts agronomiques du climat en Afrique de l’Ouest : une illustration des problèmes majeurs», Sécheresse, vol.19, n°1, 2008, p. 29-37. STEFAN HASTENRATH, DIERK POLZIN, PIERRE CAMBERLIN, «Exploring the predictability of the 'short rains' at the coast of East Africa», Int. J. Climato, 24, 2004, p. 1333-1343; PASCAL OETTLI, PIERRE CAMBERLIN, «Influence of topography on monthly rainfall distribution over East Africa», Clim. Res., 28, 3, 2005, p.199-212; BENJAMIN POHL, PIERRE CAMBERLIN, «Influence of the Madden-Julian Oscillation on East African rainfall, Part II: March-May season extremes and interannual variability», Quart. J. Roy. Meteorol. Soc., 132, 2006, p. 2541-2558. 5 6 CHRISTIAN BREVIGNON, Atlas climatique, l’environnement atmosphérique de la Guadeloupe, de SaintBarthélemy et Saint-Martin, Paris, Météo-France, 2005. 7 MARCEL MPOUNZA, GASTON SAMBA, CLOBITE BOUKA BIONA, MARTIN MASSOUANGUI-KIFOUALA, «L’évolution des températures dans le sud du Congo-Brazzaville (1950-1998)», Publications de l’Association Internationale de Climatologie, vol.15,2003, p. 428-433. ISSN : 2-912 603-18-8 - ISBN : 978-2-912603-21-0 - EAN : 9782912603210 Mise en ligne le 27 octobre 2009. Annales de l’Université Omar Bongo n° 14 Gabon. Mais la fiabilité des résultats dépend de la qualité de la mesure (des données) qui est fonction non seulement des capteurs utilisés, mais aussi de l’environnement et de l’observateur8. Cette étude vise donc à faire un état des lieux des différents réseaux d’observations météorologiques du Gabon. Après avoir souligné la nécessité de renforcer les mailles du réseau, quelques « pistes » seront suggérées aux décideurs politiques et économiques pour l’amélioration des conditions d’observation des éléments du temps et du climat au Gabon. I. LE RESEAU DES STATIONS METEOROLOGIQUES CLASSIQUES A partir de la fin du XIXe siècle, les météorologues installent et gèrent des stations de mesure et de nouveaux capteurs sont inventés. Ces stations sont d’abord implantées dans les grandes villes et dans les ports. Plus tard, au cours du XXe siècle, avec le développement de l’aviation militaire et civile, les aéroports sont tour à tour équipés de stations de mesures car la sécurité de la navigation aérienne exige des prévisions de plus en plus fiables9. Un réseau d’observation des éléments du climat ou du temps est un ensemble de points où sont effectuées régulièrement des mesures météorologiques sur un espace géographique défini. Le réseau du Gabon est constitué en majorité de postes pluviométriques et de quelques stations synoptiques qui sont en général les mieux équipées en instruments de mesure. Depuis la deuxième moitié du XIXème siècle qui marque le début de l’enregistrement des éléments du temps, au Gabon, jusqu’en 1980, le réseau d’observation comportait 97 stations dont les données sont archivées par le Service National de la Météorologie (figure 1). 8 CHRISTIAN BREVIGNON, Atlas climatique, l’environnement atmosphérique de la Guadeloupe, de Saint-Barthélemy et SaintMartin, Paris, Météo-France, 2005. 9 GERARD BELTRANDO, Les climats, processus, variabilité et risques, Paris, Armand Colin, 2004. ISSN : 2-912 603-18-8 - ISBN : 978-2-912603-21-0 - EAN : 9782912603210 Mise en ligne le 27 octobre 2009. Annales de l’Université Omar Bongo n° 14 Figure 1: Réseau pluviométrique du Gabon, des origines à 1980 (CIEH, 1989). Sur les 97 stations, six ont été créées entre la deuxième moitié du XIX ème siècle et 1900 (soit 6% du réseau national). Il s’agit de Libreville (1859), Lambaréné (1894), Eshiras Sainte-Croix (1896), Sainte-Anne du Fernand-Vaz (1897), Mayumba mission catholique (1899) et Sindara (1900). De 1901 à 1920 seule la station de Ndjolé fut créée et entre 1921 et 1940 trois stations sont mises en place : Franceville (1936), Port-Gentil et Mayumba (1937). Les deux décennies suivantes (1941 à 1960) ont permis l’installation de 69% du réseau d’observation (précisons que 83% de ces stations sont installées entre 1950 et 1959). De 1961 à 1980, 21% des stations du réseau national ont vu le jour ; mais entre 1981 et 1999, seule la station climatologique du Service National de la Météorologie a été implantée. D’une façon générale, les décennies 1981-1999 sont marquées par un recul considérable du nombre des stations composant le réseau national. En fait, sur les 97 stations, seules 14 stations synoptiques (figure 2) ont enregistré de façon plus ou moins régulière, les éléments du ISSN : 2-912 603-18-8 - ISBN : 978-2-912603-21-0 - EAN : 9782912603210 Mise en ligne le 27 octobre 2009. Annales de l’Université Omar Bongo n° 14 climat entre 1981 et 1990. La dernière décennie (1990-1999) se caractérise par des lacunes plus ou moins importantes au sein de ces stations en raison, entre autres, de l’arrêt de la desserte de certaines localités par Air Gabon (compagnie nationale de transport aérien). 80 Pourcentages 70 60 50 40 30 20 10 0 0 86 -1 1 4 18 0 88 -1 1 6 18 0 90 -1 1 8 18 0 92 -1 1 0 19 0 94 -1 1 2 19 0 96 -1 1 4 19 0 98 -1 1 6 19 0 00 -2 1 8 19 Periodes Figure 2 : Taux d’implantation des stations météorologiques du Gabon des origines jusqu’en 2000. II. LE RESEAU DES STATIONS AUTOMATIQUES Une station automatique est définie dans le Manuel du système mondial d’observation comme une station dans laquelle des instruments effectuent, transmettent ou enregistrent des observations automatiquement, le chiffrement des observations étant fait, soit directement dans la station, soit dans une station de mise en forme. Logiquement, ce sont des stations conçues pour les prévisions aéronautiques. Toutefois, elles peuvent jouer le même rôle que les stations classiques. Pour s’arrimer à l’évolution du système météorologique mondial, le gouvernement gabonais, en collaboration avec l’Agence pour la Sécurité de la Navigation Aérienne (ASECNA), a mis en place un processus d’installation de nouvelles stations météorologiques dites « automatiques », depuis 2003. L’objectif étant de renforcer les stations existantes (classiques) et améliorer les conditions de travail du personnel. Le Gabon est équipé de huit (8) stations météorologiques automatiques (figure 3), installées dans les provinces de l’Estuaire (Libreville), du Woleu-Ntem (Oyem), du Haut-Ogooué (Mvengué), de la Ngounié (Mouila), de l’Ogooué-Ivindo (Makokou), dans la Nyanga (Tchibanga), l’Ogooué-Lolo (Koulamoutou) et dans le Moyen-Ogooué (Lambaréné). Il faut préciser que ces stations ont été implantées dans les aéroports ou aérodromes des capitales provinciales (Photo 1). Alors que les stations automatiques terrestres sont placées, d’une manière générale, en montagne ou dans les endroits les plus difficiles d’accès. ISSN : 2-912 603-18-8 - ISBN : 978-2-912603-21-0 - EAN : 9782912603210 Mise en ligne le 27 octobre 2009. Annales de l’Université Omar Bongo n° 14 Figure 3 : Le réseau des stations météorologiques automatiques du Gabon. Photo 1 : Station automatique d’Oyem (février 2007). ISSN : 2-912 603-18-8 - ISBN : 978-2-912603-21-0 - EAN : 9782912603210 Mise en ligne le 27 octobre 2009. Annales de l’Université Omar Bongo n° 14 Pour les stations automatiques, il existe un équipement dans le parc d’instruments et un autre au centre de traitement. Dans le parc, se trouvent entre autres : - la case sous abri contenant un thermographe (sonde qui permet de mesurer la température de l’air sec sous abri) ; - le pylône, constitué d’un coffret DEOLIA, d’un mât porteur, d’une girouette et d’un anémomètre. Le coffret DEOLIA comprend plusieurs instruments de mesure, notamment une sonde pour la mesure de la pression et un radiomètre ; - le thermographe extérieur qui permet de mesurer la température de l’air humide ; - le pluviographe, qui est constitué d’un petit seau argenté de 23cm de diamètre, enregistre la quantité de précipitations et évalue la quantité d’eau recueillie numériquement ; - un bac d’évaporation ; - le panneau solaire qui capte l’énergie solaire et l’accumule. Il permet de convertir l’énergie solaire en énergie électrique. Il sert aussi de relais en cas de délestage pour alimenter la station et peut mesurer également l’insolation ; - un théodolite uniquement à Franceville ; - un système de transmission des données ; Toutes les données recueillies sont diffusées numériquement vers le centre de traitement des données. Ce centre est équipé de trois appareils, à savoir un capteur diffusiomètre (qui recueille toutes les données en provenance du parc pour les retransmettre automatiquement aux PC, mais mesure aussi la hauteur de la base des nuages), un PC concentrateur et un PC de travail pour l’observateur. Le PC concentreur permet de recevoir les données en provenance du parc en passant par le capteur diffusiomètre. Le PC d’analyse de l’observateur recueille également les données et les traite. Ces données sont par la suite transmises vers les différents utilisateurs (l’ASECNA, la DMN [Direction de la Météorologie Nationale] et les aéroports). III. LA STATION (PUMA) » DU PROJET « TRANSITION METEOROLOGIQUE EN AFRIQUE Pendant longtemps l’étude de l’atmosphère s’est limitée aux observations en surface. Pour bien connaître l’atmosphère il ne faut pas ignorer la troisième dimension, l’altitude. Il s’agit de l’observation spatiale qui est faite à partir des avions qui donnent des renseignements sur la vitesse et la direction des vents d’altitude ou à partir des satellites Météosat en position géostationnaire, c’est-à-dire qu’ils « tournent » avec la même vitesse angulaire que la Terre10. L’accès en temps opportun à des informations satellitaires précises et fiables est l’une des priorités absolues sur lesquelles a insisté le Sommet mondial sur le développement durable qui s’est tenu à Johannesburg en 2002. Dans le cadre du projet « Transition Météorologique en Afrique », qui concernait 53 pays et 5 centres régionaux africains, entre 2001 et 2005, financé par la Commission Européenne pour 10 RENE CHABOUD, « Nouveaux prophètes du temps », GEO, n˚46, 1982, p. 74-85. ISSN : 2-912 603-18-8 - ISBN : 978-2-912603-21-0 - EAN : 9782912603210 Mise en ligne le 27 octobre 2009. Annales de l’Université Omar Bongo n° 14 un montant de 11 millions d’euros, la Direction de la Météorologie Nationale (Libreville) a reçu un équipement pour assurer la réception directe et continue de données satellitaires dont les nombreuses applications sont présentées plus loin : c’est la station de réception PUMA. Elle comprend trois ordinateurs dont le premier sert à l’acquisition des données, la sauvegarde des données étant assurée par le deuxième ordinateur alors que le troisième est consacré au traitement et à l’affichage des données. Ces trois ordinateurs, interconnectés, sont reliés à deux imprimantes et à un UPS. Pour recevoir les données du satellite, une antenne comprise entre 2,4 et 3 mètres (Photo 2), dépendant de sa localisation, est également fournie. Photo 2 : Antenne de réception des données satellitaires de la station PUMA (Libreville, mars 2008). Précisons que les satellites météorologiques européens Météosat Seconde Génération (MSG) fournissent des données toutes les 15 minutes avec une résolution spectrale et spatiale augmentée. Ce système de réception satellitaire fournit en quantité des données de grande qualité dont l’utilisation la plus courante est probablement la prévision du temps pour les besoins du grand public, de l’aviation civile et du transport maritime. La station PUMA devrait améliorer l’assistance de la Direction de la Météorologie Nationale aux diverses activités humaines, notamment dans le domaine de l’agriculture où ce système devrait permettre de faire des cartographies thématiques des températures de l’air et de l’humidité des sols mais aussi une estimation de l’évapotranspiration et de la biomasse. En ce qui concerne l’hydrologie continentale, les données reçues facilitent un suivi des eaux de surface, ce qui peut conduire à l’élaboration des bulletins d’alerte pour la prévention des inondations. Pour l’hydrologie marine, des données des températures de la mer sont disponibles et un suivi des ressources halieutiques peut être également réalisé. Ce système peut aussi servir d’outil d’aide à la décision dans le domaine de l’environnement, notamment dans l’appréciation de la dynamique de la végétation ou la surveillance des feux de brousse ou, plus généralement dans le suivi des aléas naturels. Utilisé à bon escient, le projet de Transition Météorologique en Afrique permet à la Direction de la Météorologie Nationale de fournir des informations dans le domaine de la météorologie, du suivi des changements climatiques et environnementaux qui contribuent au développement durable. Mais est-ce bien le cas au Gabon ? ISSN : 2-912 603-18-8 - ISBN : 978-2-912603-21-0 - EAN : 9782912603210 Mise en ligne le 27 octobre 2009. Annales de l’Université Omar Bongo n° 14 IV. INSUFFISANCES DES RESEAUX D’OBSERVATION METEOROLOGIQUES Les sections suivantes abordent les problèmes qui entravent le bon fonctionnement des réseaux d’observation météorologiques. Ceux-ci peuvent être classés en problèmes majeurs et mineurs. IV.1. LES PROBLEMES MAJEURS DES RESEAUX D’OBSERVATION Pour être représentative du climat d’une région, une station doit remplir certaines conditions ; quelle que soit sa situation, dans un bas-fond, une vallée, une pente, un sommet, elle demeure tributaire du climat qui domine la région, les anomalies et les irrégularités constituant les éléments représentatifs du climat local et même, éventuellement, du microclimat…Les conditions d’installation du parc à instruments et le type de matériel d’observation doivent être aussi voisins que possible de l’installation standard préconisée depuis de nombreuses années par l’Organisation Météorologique Mondiale (O.M.M.). Toute station effectuant des observations, qu’elle soit classique ou automatique, devrait être située en un lieu où il est possible d’obtenir des données météorologiques représentatives de l’état de l’atmosphère au-dessus d’une vaste région. En général, en zone peu accidentée, on admet qu’un poste pluviométrique pour 100 km², un poste thermohygrométrique par 500 km² et un poste barométrique, anémométrique et héliographique par 5000 km², sont suffisants pour une étude régionale si la période d’observation couvre au moins 30 années consécutives11. En ce qui concerne l’étude de la distribution moyenne des pluies orageuses, il semble que la densité d’un poste par 20 km² soit à peine suffisante alors que pour les observations en altitude, il est recommandé de prévoir un ou deux postes par 100 000 km². Lorsqu’il s’agit de connaître le climat d’une région ou plus particulièrement d’une région montagneuse où l’orographie, l’hydrographie et la variété de la végétation et des sols interviennent, il faudrait envisager une densité considérablement plus forte si l’on veut mettre en évidence les particularités de la répartition spatiale des éléments du climat. Il s’agit en l’occurrence de climatologie locale qu’on peut toutefois étendre par analogie à des sites similaires12. Mais qu’en est-il, actuellement, de la densité et de l’environnement des stations météorologiques du Gabon ? Au Gabon, si l’on ne tient compte que des 14 stations synoptiques qui fonctionnent plus ou moins régulièrement, le réseau d’observation est très lâche, soit une station pour 19 000 km2 (figure 4). De fait, c’est un réseau qui ne permet aucune étude régionale et/ou locale suffisamment représentative des réalités climatiques aux échelles spatiales suscitées. A titre d’exemple, dans la province de l’Estuaire les «pluies localisées » qui ont cours à Libreville sont fréquemment observées. Mais comment peut-on mettre en exergue leur fréquence d’occurrence en n’ayant pour point d’observation que la station de l’aéroport international Léon M’ba ? Or, à cette échelle (locale), les formations végétales, les étendues d’eau ou les agglomérations urbaines 11 HENRI GRISOLLET, BERNARD GUILMET, RAYMOND ARLERY, Climatologie, méthodes et pratiques, Paris, Gauthier-Villars, 1962. 12 Idem,ibidem. ISSN : 2-912 603-18-8 - ISBN : 978-2-912603-21-0 - EAN : 9782912603210 Mise en ligne le 27 octobre 2009. Annales de l’Université Omar Bongo n° 14 peuvent délimiter des unités climatiques caractéristiques. Comment les appréhender avec un réseau aussi large ? Les instruments de mesure des facteurs climatiques doivent être installés dans un poste d’observation météorologique. Il suffit, en général, d’une surface horizontale de 6 x 9 m couverte par une végétation courte pour pouvoir installer de façon satisfaisante les instruments de mesure météorologiques13. L’aire d’observation devrait être entourée d’une clôture à claire-voie, son sol laissé dans un état naturel et l’herbe coupée de manière à ce que sa hauteur ne dépasse pas 20 cm. Ces sites d’observation doivent être éloignés de plus de 100 m de toute étendue d’eau, sauf s’il est nécessaire d’effectuer des mesures en bordure de l’eau14. La station d’observation météorologique doit être éloignée aussi des bâtiments et des rideaux d’arbres de plus de 10 fois leur hauteur et chaque station doit être à l’abri des effets de l’industrie. De même, comme la manière dont sont exposés les instruments peut affecter la mesure de certains éléments météorologiques (pluie, par exemple), il faut que les expositions soient similaires d’une station à une autre pour permettre les comparaisons15. En outre, à partir de 1,60 m, en se protégeant de la radiation solaire directe et réfléchie et de celle du sol, les mesures de la température et de l’humidité relative sont suffisamment stables pour être considérées comme représentatives de l’air. C’est pourquoi elles doivent être mesurées sous abri météorologique à 2 m environ au-dessus d’un sol gazonné. De même, pour un pluviomètre la distance minimale du pluviomètre aux objets environnants ne devrait pas être inférieure à quatre fois la hauteur de ces derniers. Ces conditions minimales sontelles respectées au Gabon ? 13 ORGANISATION METEOROLOGIQUE MONDIALE, Guide des instruments et méthodes d’observation météorologiques, cinquième édition, Genève, OMM, n˚8,1990. 14 15 HENRI GRISOLLET ET AL., OP. CIT. GERARD GUYOT, Climatologie de l’environnement, de la plante aux écosystèmes, Paris, Masson, 1997. ISSN : 2-912 603-18-8 - ISBN : 978-2-912603-21-0 - EAN : 9782912603210 Mise en ligne le 27 octobre 2009. Annales de l’Université Omar Bongo n° 14 L’enregistrement des données météorologiques n’a commencé à la station de Moanda qu’en 1961. Figure 4 : Le réseau des stations synoptiques du Gabon (1951-1993) (Maloba, 2005). Il serait fastidieux de décrire l’environnement immédiat de l’ensemble des réseaux d’observation météorologiques, nous ne présentons ici que quelques aspects parmi les plus préoccupants. Ainsi, la station de Tchibanga, située entre les bâtiments administratifs et les habitations, mérite d’être déplacée. Il en est de même de la station de Mouila dont l’occupation progressive du pourtour de la station par les entreprises et les particuliers va, à terme, fausser les mesures des paramètres enregistrés sur place. Dans ces stations, comme certainement dans d’autres (Bitam, Makokou, Cocobeach…), les distances minimales entre les instruments de mesure et les objets environnants ne sont pas respectées. On constate également à Mouila et à Lambaréné que les clôtures à claire-voie n’existent pas. Alors qu’à Mekambo, la clôture existe mais tous les instruments ont été enlevés sauf le mât, qui porte l’anémomètre et la girouette et dont une partie a été « phagocytée » par le tronc d’un manguier (Photo 3). Or, les instruments anémométriques (girouette et anémomètres) ISSN : 2-912 603-18-8 - ISBN : 978-2-912603-21-0 - EAN : 9782912603210 Mise en ligne le 27 octobre 2009. Annales de l’Université Omar Bongo n° 14 doivent être placés à une hauteur de 10 m, et à une distance de tout obstacle au moins égale à 10 fois sa hauteur16. Ces normes ne sont pas souvent respectées au Gabon (Photo 3). Photo 3 : Mât de l’anémomètre de la station de Mékambo « phagocyté » par le tronc d’un manguier (avril, 2008). Dans l’ensemble, le réseau synoptique d’observation géré par l’ASECNA est entretenu de façon irrégulière. C’est le cas à Makokou, Lastourville (Photo 4), Bitam, Mékambo (Photo 3), Libreville…Cela est de nature à fausser les paramètres enregistrés dans ces stations. Par ailleurs, les stations automatiques, qui auraient pu compenser le mauvais fonctionnement des stations classiques terrestres, sont sensibles aux intempéries (foudre) et les coupures d’électricité entraînent une paralysie de tout le réseau, ce qui a une conséquence dans la régularité de l’enregistrement des données météorologiques et aéronautiques. Ainsi, la station de Koulamoutou est inopérante depuis plusieurs années. Il se pose aussi un problème de calibrage des instruments qui peut induire des erreurs au niveau des paramètres mesurés ; c’est ainsi qu’il n’est pas rare que le thermomètre de la station automatique de Mouila affiche des températures extrêmement basses (-40˚C). De même, les stations d’Oyem, Makokou, Mouila, Tchibanga et Koulamoutou, n’archivent aucune donnée météorologique et le système de transmission automatique des données météorologiques et aéronautiques, comme pour Libreville, n’est pas fonctionnel. 16 GERARD GUYOT, op. cit., 1997. ISSN : 2-912 603-18-8 - ISBN : 978-2-912603-21-0 - EAN : 9782912603210 Mise en ligne le 27 octobre 2009. Annales de l’Université Omar Bongo n° 14 Photo 4 : Pluviomètre et héliographe de la station « en herbe » de Lastoursville (février, 2007). Les données climatiques du Gabon sont en fait confrontées à deux problèmes fondamentaux. Il s’agit non seulement de la faible densité des stations, mais aussi de la mauvaise qualité des données archivées. Il est nécessaire, dans le domaine de la climatologie statistique, de disposer d’un certain nombre d’années d’observation pour que s’atténuent, dans les moyennes, les effets de variations à caractère plus ou moins aléatoire17. Mais bien que les premières mesures aient été effectuées au XIX ème siècle, il est impossible de faire une étude sur deux normales (60 ans) en raison d’importantes lacunes (figure 5) et de l’existence de nombreuses séquences d’observation trop courtes pour être prises en compte dans les différentes études. On note, par exemple, que la série chronologique de Mayumba, qui est l’une des plus anciennes du pays, est inutilisable quand on veut comparer deux normales. Ainsi, sur la période 1948-2007, on constate que de 1948 à 1977, qui correspond à la première normale, il y a 3 valeurs absentes contre 12 années manquantes pour la période 1978 à 2007 durant laquelle des hausses de températures moyennes importantes ont été reconnues, à la fin du siècle dernier, à l’échelle de la planète18. Les interpolations (spatiales) statistiques (à partir des régressions multiples par exemple) pourrontelles servir à combler les données manquantes sur une période aussi longue ? Si oui, quel sens accorder à ces valeurs pluriannuelles consécutives artificielles ? Cette série montre aussi que de 17 DENIS LAMARRE, «Un exemple de régularité climatique : les régimes « caractéristiques » en façade atlantique de l’Afrique au sud de l’équateur», Publications de l’Association Internationale de Climatologie, vol. 10, 1997, p. 399-406. 18 ROBERT KANDEL, Le réchauffement climatique, le grand risque, « Que sais-je ? » n°3650, Paris, Presses Universitaires de France, 2002 ; JING JIANG, WILLIAM PERRIE, «The impacts of climate change on Autumn North Atlantic Midlatitude cyclones», Journal of climate, vol.20, 2007, p.1174-1187 ; JEAN JOUZEL, ANNE DEBROISE, Le climat : jeu dangereux. Dernières nouvelles de la planète, Paris, Dunod, 2007. ISSN : 2-912 603-18-8 - ISBN : 978-2-912603-21-0 - EAN : 9782912603210 Mise en ligne le 27 octobre 2009. Annales de l’Université Omar Bongo n° 14 1948 à 1982, 12 années ont des températures moyennes inférieures à 25°C mais après 1983, toutes les valeurs recueillies sont supérieures à 25°C. Cela peut être interprété comme le début d’une augmentation de la température moyenne à Mayumba qui s’est poursuivie, peut-être, jusqu’en 2007. Mais seule une série plus complète aurait pu permettre de mieux apprécier la durée et l’intensité réelles de cette hausse de températures moyennes ! Figure 5 : Evolution des températures moyennes (°C) à Mayumba de 1948 à 2007. Il est, en outre, très difficile de faire de la prévision climatique au Gabon avec un réseau dont les mailles sont si grandes et les variables mesurées très limitées. Le vent est un paramètre important dans la genèse des pluies. Pour une prévision numérique de 24 heures dans un pays de l’Europe de l’ouest, il faut disposer d’environ 4000 observations de surfaces (terre et mer) et de 500 radiosondages dans tout l’hémisphère Nord, ce qui représente près de 15 millions d’opérations élémentaires19. Qu’en est-il au Gabon ? Précisons que la qualité de la prévision numérique dépend, entre autres, de l’état initial de l’atmosphère (d’où la nécessité de mesurer les éléments climatiques sur terre, sur mer à différents niveaux de l’atmosphère). Mais la manipulation de ces données exige de puissants ordinateurs qui seuls peuvent faire un travail considérable dans les délais utiles. Or, les rares ordinateurs que l’on rencontre au Service National de la Météorologie sont-ils suffisamment puissants pour ce genre de « calcul » ? Comment expliquer que chaque jour la Direction de la Météorologie Nationale (DMN) publie un bulletin météo pour la télévision et deux prévisions météorologiques (matin et après-midi) dans le quotidien d’informations générales L’Union (figure 6). On peut constater sur cette figure que ces prévisions ne prennent pas en compte la station la plus arrosée (Cocobeach) et que toutes les stations du nord du pays (Bitam, Mitzic, Makokou, Mekambo) ne fonctionnent plus. Il en est de même de quelques stations du sud, notamment Mayumba et 19 GERARD BELTRANDO, LAURE CHEMERY, Dictionnaire du climat, Paris, Larousse, 1995. ISSN : 2-912 603-18-8 - ISBN : 978-2-912603-21-0 - EAN : 9782912603210 Mise en ligne le 27 octobre 2009. Annales de l’Université Omar Bongo n° 14 Lambaréné. Si dans les pays développés un bulletin météo peut être considéré comme un outil d’aide à la décision, on est en droit de se demander quel est le but recherché par ceux qui publient des prévisions fantaisistes! Finalement, comment mettre en exergue les caractéristiques des changements climatiques à l’échelle de l’ensemble du pays avec un réseau d’observation des éléments météorologiques quasi-inexistant et des données stationnelles erronées? Figure 6 : Bulletin météorologique “problématique” de la Direction de la Météorologie Nationale (source : L’Union, n˚ 9839). De même, les conditions de travail des agents de la météorologie sont exécrables et les logements sont, de surcroît, indécents. Le transport du personnel n’est plus l’une des préoccupations de la tutelle. Comment intéresser les plus jeunes aux métiers de la météorologie et de la climatologie quand ceux qui nous gouvernent donnent l’impression que les sciences de l’atmosphère ne peuvent contribuer au développement durable ? Or, tous les problèmes évoqués plus haut ne peuvent trouver une solution pérenne qu’en intégrant dans les réformes la formation du personnel de la Direction de la Météorologie Nationale. Une chose est sûre : notre préoccupation (renforcement de la densité du réseau d’observation avec un équipement adéquat et formation du personnel) n’est pas qu’heuristique, la connaissance des climats moyens aux différentes échelles (ville, région, territoire), leur variabilité et leur prédictibilité sont une nécessité économique. Aucun projet (notamment dans les pays développés) dans le cadre de l’aménagement du territoire, de l’environnement ne peut se faire sans la prise en compte des facteurs climatiques. C’est pourquoi, dans un esprit d’anticipation et de planification, nombre de secteurs économiques s’intéressent aux conditions atmosphériques tant « moyennes » qu’«exceptionnelles» aussi bien à court qu’à long terme20. 20 Id., ibid. ISSN : 2-912 603-18-8 - ISBN : 978-2-912603-21-0 - EAN : 9782912603210 Mise en ligne le 27 octobre 2009. Annales de l’Université Omar Bongo n° 14 Même si la recherche d’une grande précision dans les mesures des stations terrestres serait tout à fait vaine au Gabon, l’environnement de plusieurs stations météorologiques ne permet donc pas d’enregistrer les données du temps selon les normes internationales. Or, ces négligences commises à l’échelle locale peuvent avoir des répercussions dans l’appréciation de l’ambiance climatique à l’échelle du pays. Ces insuffisances liées à la mesure des variables climatiques à partir des instruments implantés sur des aires d’observation peuvent être compensées par les estimations des paramètres climatiques faites à partir des radars ou des satellites. IV.2. LES PROBLEMES MINEURS DES RESEAUX D’OBSERVATION Précisons qu’un radar est un instrument électronique qui permet la détection à distance des objets par leurs propriétés de rétrodiffusion du rayonnement radio21. Le Gabon dispose d’un radar météorologique qui permet donc l’observation continue de la configuration des systèmes pluvieux et des nuages orageux. Ce radar qui se trouve à l’aéroport de Libreville (avec une portée de 340 km environ) ne peut donc aider à estimer les précipitations des régions dépourvues de station météorologique de l’ensemble du pays. De même, de nombreuses études22 ont montré qu’il n’y avait pas de corrélations linéaires entre les nuages à sommet froid (supposés précipitants) et les précipitations de l’Afrique équatoriale atlantique. Les satellites Météosat qui enregistrent ces données prennent en compte non seulement les cumulonimbus (qui sont pluviogènes) et les cirrus (non pluviogènes). Autre inconvénient, ils n’enregistrent pas les nuages stratiformes, situés à basse altitude, qui peuvent pourtant générer des pluies. Même les satellites Météosat Seconde Génération (MSG) dont les données sont reçues par la station PUMA n’ont encore pas pu réaliser cette discrimination. Or, ce sont ces nuages à sommet froid qui servent à illustrer la dynamique atmosphérique au-dessus du Gabon lors de la présentation du bulletin météorologique. Dans le domaine de la prévision, l’utilisation des images de satellites géostationnaires (Météosat) nous permet de sortir, certes, de l’appréciation subjective du déplacement possible des phénomènes météorologiques. Mais peut-on parler réellement de prévision numérique au Gabon ? Les meilleures prévisions météorologiques sont produites au travers d’ordinateurs puissants qui modélisent sans interruption le climat du monde entier, et qui sont mis à jour sans interruption avec les observations des stations terrestres et des satellites météorologiques, ce qui n’est pas le cas au Gabon. Dans le processus d’élaboration des prévisions météorologiques, les données recueillies sur Internet ne peuvent remplacer valablement les données enregistrées in situ au niveau des stations. V- COMMENT AMELIORER LES CONDITIONS D’OBSERVATION DES ELEMENTS DU TEMPS ET DU CLIMAT AU GABON ? GERARD BELTRANDO, Les climats, processus, variabilité et risques, Paris, Armand Colin, 2004. JEAN DAMIEN MALOBA MAKANGA, MICHEL BOKO, «Nébulosité-Précipitations et facteurs géographiques en Afrique équatoriale atlantique durant les saisons juin-août et décembre-février», Sécheresse, n°1, vol. 11, 2000, p.11-17 ; JEAN DAMIEN MALOBA MAKANGA, Approche diagnostique et satellitale des climats et de leur variabilité en Afrique équatoriale atlantique : Gabon, Congo et Sud Cameroun, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2002. 21 22 ISSN : 2-912 603-18-8 - ISBN : 978-2-912603-21-0 - EAN : 9782912603210 Mise en ligne le 27 octobre 2009. Annales de l’Université Omar Bongo n° 14 V.1. DIFFICULTES A RESOUDRE A COURT TERME Si la politique du gouvernement, notamment dans le domaine de l’environnement et de l’aménagement du territoire, du tourisme, de l’énergie, de la santé est bien pensée, le gouvernement se doit d’améliorer la densité du réseau d’observation et de procéder à la formation du personnel. Car, si l’on veut intégrer l’analyse des climats du Gabon dans les programmes de recherche aux échelles locale, régionale ou globale, il faut pouvoir mettre à la disposition des chercheurs des séries de données complètes. Sinon, pourquoi ratifier les conventions internationales sur les changements climatiques (convention-cadre de l’ONU sur le changement climatique, 1992 ; protocole de Kyoto, 1997…) quand il est toujours difficile de caractériser le climat moyen de son pays ? En effet, la compréhension de l’environnement climatique ne peut se faire sans données climatiques. Quelle que soit la puissance des ordinateurs, les produits finis (cartes, histogrammes.....) ne transcriront jamais la réalité climatique du pays tant que n’auront pas été intégrées des données suffisamment représentatives des situations climatiques de l’ensemble du territoire. Or, au Gabon, les données climatiques sont loin d’être disponibles avec la même précision et la même durée, ce qui est un handicap certain pour des études trentenaires, liées notamment aux changements climatiques. L’amélioration des conditions d’observation des éléments du temps et du climat passe, entres autres, par un renforcement de la densité du réseau météorologique classique (poste pluviométrique, stations climatologiques, agrométéorologiques, synoptiques). Mais dans quelle mesure les données des réseaux d’observation peuvent-elles aider le gouvernement à exploiter de manière durable les ressources environnementales et à mieux gérer les risques météorologiques et climatiques ? Pour favoriser les études climatologiques à l’échelle locale dont les résultats peuvent contribuer à faire des prévisions saisonnières pour la prévention des catastrophes naturelles (inondations) si récurrentes au Gabon, l’Etat peut mettre en place, à court terme, neuf stations climatologiques qui seront renforcées par l’installation d’une centaine de postes pluviométriques (à raison d’une vingtaine de postes dans l’Estuaire et d’une dizaine dans les autres provinces administratives). Précisons que la France, dont la superficie équivaut à deux fois celle du Gabon, dispose d’environ 3500 postes climatologiques23. Si le gouvernement pense que les données météorologiques peuvent servir d’outil d’aide à la décision dans le domaine de l’agriculture et de l’élevage, avec comme objectif principal l’autosuffisance alimentaire, qu’il encourage alors l’installation d’au moins neuf stations agrométéorologiques, soit une station par province administrative (tableau 1). Provinces administratives Stations climatologiques à créer Stations Postes agrométéorologiques pluviométriques à mettre en place à installer Estuaire Haut-Ogooué Owendo Lékoni Ntoum Boumango 23 20 10 Stations synoptiques à réhabiliter Franceville/Moanda GERARD BELTRANDO, LAURE CHEMERY, Dictionnaire du climat, Paris, Larousse, 1995. ISSN : 2-912 603-18-8 - ISBN : 978-2-912603-21-0 - EAN : 9782912603210 Mise en ligne le 27 octobre 2009. Annales de l’Université Omar Bongo n° 14 MoyenOgooué Ngounié Nyanga Ogooué-Ivindo Ogooué-Lolo Ogooué-Mar. Woleu-Ntem Ndjolé Makouké 10 Lambaréné Fougamou Ndindi Booué Koulamoutou Gamba Oyem Ndendé Moabi Ovan Pana Omboué Minvoul 10 10 10 10 10 10 Mouila Tchibanga/Mayumba Makokou/Mékambo Lastoursville Bitam/Mitzic Tableau 1 : Stations météorologiques terrestres à mettre en place et à réhabiliter Si le gouvernement est également intéressé par la sécurité des phases d’atterrissage et de décollage des aéronefs, il doit favoriser l’implantation des stations automatiques, surtout dans les aérodromes les plus exploités, avec des moyens de transmissions de données (météorologiques et aéronautiques) qui fonctionnent régulièrement. En effet, tous les pays du monde, ou presque, échangent leurs informations météorologiques dans le cadre de l’O.M.M. Toutefois, l’acheminement des données et la constitution des messages exigent des moyens informatiques puissants et performants24. Mais l’installation de huit radars panoramiques sur l’ensemble du pays (sauf à Libreville) semble indispensable pour une assistance au sol de la navigation aérienne. Si l’Etat venait à dégager quelques moyens financiers, il serait souhaitable qu’ils soient en priorité consacrés au renforcement des capacités d’observation des stations synoptiques existantes. Ceci permettrait d’améliorer la précision des éléments enregistrés, mais aussi d’élargir la liste des paramètres observés et enfin, d’assurer une certaine continuité des séries chronologiques dont la longueur est un facteur important pour comprendre le déroulement des événements climatiques. A court terme, le gouvernement doit encourager la formation des jeunes, notamment dans les corps des ingénieurs et des techniciens des sciences de l’atmosphère (météorologie, climatologie…). En effet, en 2004 un rapport interne du Ministère des Transports faisait ressortir le déficit humain dans le corps des ingénieurs de classe I «O.M.M. » et recommandait la formation d’une trentaine d’ingénieurs dans les différentes spécialités de la météorologie (prévision, marine, sciences et techniques de base, instrumentation, aéronautique…), mais aussi des Techniciens Supérieurs Exploitation (TSE) et Techniciens Supérieurs Instruments et Installation (TSI). L’Etat devrait procéder, parallèlement, à l’amélioration des conditions de vie et de travail des agents de la météorologie de l’intérieur du pays (notamment la construction ou la réhabilitation des logements d’astreinte et des bureaux, et doter chaque chef de service provincial d’un véhicule « tout-terrain » pour faciliter les inspections à l’intérieur de sa province administrative). V.2. CARENCES DES RESEAUX METEOROLOGIQUES A RESOUDRE A MOYEN TERME 24 RENE CHABOUD, « Nouveaux prophètes du temps », op. cit., p. 74-85. ISSN : 2-912 603-18-8 - ISBN : 978-2-912603-21-0 - EAN : 9782912603210 Mise en ligne le 27 octobre 2009. Annales de l’Université Omar Bongo n° 14 A moyen terme, un pays qui a confié, à ses risques et périls, l’exploitation de ses ressources naturelles à des exploitants asiatiques, pour ce qui est de la forêt par exemple, ne peut ignorer l’existence de la station PUMA dont les données peuvent l’aider pour le suivi de l’exploitation de la forêt. Rappelons que le gouvernement congolais, qui avait bien perçu l’importance du système PUMA, avait placé l’inauguration de cette station, en 2004, sous la présidence du ministre de tutelle et en présence des représentants de l’O.M.M., de la Commission Européenne, de l’ACMAD et des DMNs de la sous-région. Il serait donc souhaitable que chaque centre météorologique de l’intérieur reçoive des données satellitales de station PUMA. Par ailleurs, on pourra, à moyen terme, implanter de nouvelles stations climatologiques ou synoptiques classiques, en priorité dans les zones dites de « grands vides météorologiques », notamment la région à l’est d’un axe Mitzic-Minvoul, mais aussi entre Ndjolé-BoouéKoulamoutou-Fougamou, puis entre Okondja et Makokou. Enfin, la mise en place des stations automatiques sur les sommets des principaux reliefs (Monts de Cristal, Massif du Chaillu, Mayombe...) devrait faciliter l’acquisition de données in situ pour des études topoclimatiques. Il conviendrait aussi d’installer des stations agrométéorologiques, prioritairement dans les départements où l’activité agricole possède de bonnes assises afin de contribuer au renforcement de la capacité de production agricole des « greniers provinciaux ». Pour réhabiliter et densifier les réseaux météorologiques, cinq années suffisent largement avec une programmation budgétaire annuelle de 400 000 000 de FCFA dont une partie (notamment la réhabilitation des stations synoptiques sous tutelle de l’ASECNA) peut provenir de l’application rigoureuse des dispositions de l’article 10 de la Convention de Dakar. Un gouvernement qui a la volonté politique d’améliorer les conditions d’observation des éléments du temps, mais aussi les conditions de travail et de vie des agents de la Direction de la Météorologie Nationale, devrait avoir résolu la majeure partie des problèmes évoqués plus haut dans cet intervalle de temps. Mais la volonté politique existe-t-elle réellement ? CONCLUSION Bien que les sciences et les techniques aient connu un formidable essor au XXe siècle, nous n’avons pas encore réussi à prévenir les risques naturels ou à nous prémunir de leurs effets. Au contraire, avec la croissance démographique et l’extension des zones habitées ou exploitées, le nombre de personnes exposées aux risques naturels ne cesse de croître25. La mémoire collective des Gabonais ne retient surtout du climat que ses manifestations exceptionnelles. Pourtant, une meilleure connaissance de l’environnement climatique du Gabon permettrait de déterminer la fréquence d’occurrences de celles-ci et de mettre en exergue les atouts qui sont associés à ce climat à pluviométrie contrastée. Mais la connaissance de cet environnement est assujettie, entre autres, à l’existence d’un réseau d’observation des éléments du temps fiable. Or, le réseau 25 ORGANISATION METEOROLOGIQUE MONDIALE, Nouvelles du Climat mondial, op. cit.. ISSN : 2-912 603-18-8 - ISBN : 978-2-912603-21-0 - EAN : 9782912603210 Mise en ligne le 27 octobre 2009. Annales de l’Université Omar Bongo n° 14 d’observation du Gabon est de faible densité et la plus grande partie des données stationnelles est inexploitable, du fait de l’hétérogénéité de la durée d’observation des phénomènes météorologiques au sein des différentes stations. En effet, sur 97 stations constituant l’ensemble du réseau gabonais de l’origine des stations jusqu’au début des années 80, seules 14 stations synoptiques ont enregistré plus ou moins régulièrement les éléments du temps ou du climat. Les décennies 1980-2000 ont vu le nombre de stations terrestres fonctionnelles diminuer davantage, certaines régions n’enregistrent plus aucune observation météorologique. A l’exception des stations de Port-Gentil, Libreville et Franceville, il semblerait qu’aucune autre station n’enregistre les données selon les normes internationales. Il va de soi que les données issues d’un tel réseau ne devraient permettre aucune étude sur les changements climatiques et encore moins des prévisions météorologiques à l’échelle nationale. De même, les stations automatiques installées depuis 2004 n’ont jamais connu un fonctionnement optimal car elles sont très sensibles aux intempéries, ce qui a un impact sur la régularité de l’enregistrement des variables climatiques qui ne sont d’ailleurs pas archivées. L’utilisation des données satellitales dans la prévision du temps demeure problématique du fait de l’imparfaite discrimination des nuages à sommets froids par les satellites Météosat, même ceux de la seconde génération. De plus, la station PUMA de la Direction de la Météorologie Nationale est plus souvent en panne que fonctionnelle depuis sa mise en place en 2005. Dès lors nous pouvons nous demander sur quelle base sont faites les prévisions météorologiques du Gabon. Pour l’élaboration des bulletins météorologiques, existe-t-il une directive de l’OMM qui autorise la Direction de la Météorologie Nationale à faire abstraction des données météorologiques des stations classiques au profit des estimations qui sont disponibles sur Internet ? Comment peut-on envisager de faire des études sur le changement climatique, aux échelles provinciale, départementale, urbaine… sans données climatiques ? Le plus aberrant est que le Gabon ratifie toutes les conventions internationales liées au climat sans avoir une politique claire en la matière. Le Gabon est pourtant un pays où la croissance démographique galopante devrait imposer à l’Etat un aménagement « pensé », planifié pour une occupation rationnelle de son espace. Or, un bon réseau climatologique peut servir de base à une optimisation de l’aménagement du territoire, donc à une amélioration du cadre de vie. Mais l’action du gouvernement doit d’abord viser le renforcement des capacités d’observation des stations synoptiques existantes afin d’améliorer les techniques de mesure qui garantiront la précision des éléments du temps enregistrés. En effet, ces stations détiennent des séries chronologiques d’une période moins chaude du climat du Gabon que l’on pourrait comparer avec les données actuelles pour mieux apprécier l’ampleur des changements climatiques. Toutefois, pour une bonne observation des éléments du temps et des prévisions moins erronées, en dehors des équipements météorologiques et informatiques performants qui doivent être mis à la disposition de la Direction de la Météorologie Nationale, un effort exceptionnel doit aussi être fait dans le domaine de la formation des jeunes et du renforcement des capacités de ceux qui y travaillent actuellement. ISSN : 2-912 603-18-8 - ISBN : 978-2-912603-21-0 - EAN : 9782912603210 Mise en ligne le 27 octobre 2009. 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