FISCALITÉ DE LENVIRONNEMENT 83
Les instruments des politiques
internationales de lenvironnement:
la prévention du risque climatique
et les mécanismes de permis
négociables
Olivier Godard
CIRED et École Polytechnique
Claude Henry
Professeur à lÉcole Polytechnique
Introduction
Lémergence des problèmes planétaires denvironnement
Le champ de lenvironnement a été marqué depuis une vingtaine dan-
nées par lapparition de risques planétaires de forte ampleur. Ce fut dabord
le cas de laltération de lozone stratosphérique attribuée aux émissions de
CFC(1). À la suite du Protocole de Montréal adopté en 1987 et des accords
qui lont suivi, la consommation dans les pays industriels de ces produits
chimiques a été quasiment évincée et leur production a été sévèrement con-
tingentée. Ce furent ensuite les craintes suscitées par lérosion de la
biodiversité aux différentes échelles du vivant, du niveau génétique au ni-
veau des espèces et des écosystèmes. Ces dernières craintes tendaient ce-
pendant à se focaliser sur des régions particulières, les régions tropicales
humides, avec lAmazonie pour symbole. Ce furent encore les processus
de désertification affectant dimportantes régions dAfrique ou dAsie: sous
leffet combiné de changements climatiques régionaux et des actions hu-
maines provoquant la disparition du couvert végétal ou la salinisation des
sols, le désert gagne en de nombreuses régions.
(1) Les chlorofluorocarbones sont des composés chlorés chimiquement inertes jusquà ce
quils parviennent dans la haute atmosphère.
CONSEIL DANALYSE ÉCONOMIQUE
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1. Le phénomène de leffet de serre
Léquilibre thermique de la planète dépend de son exposition au
rayonnement solaire, mais également des conditions dans lesquelles le
rayonnement infrarouge émis par la surface terrestre en direction de
latmosphère se trouve absorbé par des gaz atmosphériques à létat de
trace. Ces gaz renvoient alors en direction de la surface terrestre une
partie de lénergie absorbée. Ce mécanisme provoque dans la basse
atmosphère et à la surface du globe un surcroît de température moyenne
par rapport à ce que serait cette dernière sous leffet direct du rayonne-
ment solaire. Cest ce quon appelle leffet de serre. Ce processus est
naturel et, en permettant une température moyenne de la planète assez
clémente (+ 15° C et non pas 18° C), a favorisé le développement de
la vie.
Le premier gaz à effet de serre (GES) est la vapeur deau, mais sa
durée de vie atmosphérique est très courte. Dautres gaz jouent un rôle
très actif et croissant en dépit de leur faible densité. Le principal est le
gaz carbonique (CO2). Les émissions de ce gaz résultent dabord de la
combustion de composés carbonés, comme le charbon, le pétrole et le
gaz naturel; elles résultent aussi de la libération du carbone contenu
dans la végétation et les sols à loccasion de changements de lutilisa-
tion des sols, comme la déforestation. Un autre gaz important est le
méthane (CH4). Les activités humaines sont responsables démissions
de méthane du fait de fuites tout au long de la filière dexploitation du
gaz naturel ou dautres gisements fossiles, de la combustion de la bio-
masse, démanations des décharges et de certaines activités agricoles
comme lélevage bovin et la riziculture. Il faut également compter avec
loxyde nitreux (N2O) émis principalement par les activités agricoles
et certaines activités industrielles. Les CFC, leurs substituts et dautres
composés fluorés produits par lindustrie chimique pour une gamme
étendue dusages (réfrigération, gaz propulseur, etc.) sont également
des gaz ayant un pouvoir de réchauffement important. Mentionnons
finalement lozone, par ailleurs indispensable à la protection de la vie
contre le rayonnement solaire ultraviolet lorsquil se trouve dans la stra-
tosphère(*).
Ces gaz à effet de serre ont une durée de vie moyenne dans latmos-
phère très différente. Les CFC peuvent durer plusieurs centaines dan-
nées. La durée de vie moyenne du CO2 dans latmosphère est encore
mal connue, mais elle est comprise entre 50 et 200 ans, tandis que celle
de loxyde nitreux est de lordre de 120 ans. Pour le méthane, la cons-
(*) La stratosphère est cette partie de la haute atmosphère qui se situe entre 18 et
45 km daltitude.
FISCALITÉ DE LENVIRONNEMENT 85
Cest avec les risques climatiques entraînés par laccentuation de leffet
de serre dorigine anthropique que cette classe de problèmes a connu un
point culminant. Cette place éminente tient dabord à lampleur des enjeux
environnementaux proprement dits: le climat, cest certes la température
moyenne du globe, mais ce sont aussi des variations de température entre
les régions du monde; cest la pluviométrie et le cycle de leau; cest le
niveau de la mer; cest encore la distribution des températures et des préci-
pitations autour des moyennes, avec une fréquence plus ou moins élevée
des épisodes extrêmes (sécheresses, ouragans, inondations, etc.); ce sont
enfin, en interaction avec ces éléments, des fonctionnements écologiques,
en particulier ceux qui sont mobilisés pour la production alimentaire. Daprès
le rapport du GIEC(2) de 1995, une élévation de la température moyenne du
globe de 1 à 3,5°C et une élévation du niveau de la mer de 15 à 95 cm
peuvent être escomptées dici 2100, ces chiffres dépendant notamment des
scénarios démission de gaz à effet de serre par les activités humaines (en-
tre 6 et 36 GtC par an en 2100)(3). Pour un scénario de concentration assez
élevé (750 ppmv)(4), la fourchette des températures serait de 2,5 à 7,4°C.(5)
Dans tous les cas de figures, le rythme de réchauffement sera plus rapide
que tout autre changement connu depuis 10 000 ans. Les surprises climati-
ques ne sont dailleurs pas exclues: le système de circulation océanique
(2) Groupe dexperts intergouvernemental sur lévolution du climat, groupe dexpertise
scientifique créé en 1988 par lOrganisation météorologique mondiale et le Programme des
Nations unies pour lenvironnement. Son rôle est décrit plus loin. Le document de synthèse
des informations scientifiques et techniques et le rapport du Groupe III sur les dimensions
économiques et sociales du rapport de 1995 ont été récemment publiés en français. Voir
James Bruce, Hoesung Lee, and Erik Haites (dir.) (1997).
(3) GtC signifie milliard de tonnes de carbone.
(4) Lunité ppmv signifie «parties par million en volume».
(5) Voir Bert Bolin, président du GIEC (1997).
tante de temps est seulement de lordre de la dizaine dannées. Il en
résulte des facteurs dinertie très différents selon les gaz. Cependant,
du point de vue du changement de léquilibre du climat, cest le CO2
qui est le principal gaz à effet de serre. Sa durée de vie atmosphérique
est longue à léchelle des horizons habituels de laction humaine. Sa
concentration atmosphérique, de 280ppmv au début de lère indus-
trielle atteint aujourdhui 365 ppmv. La plupart des travaux de modéli-
sation climatologique se sont attachés à cerner les conséquences dun
doublement de la concentration atmosphérique en équivalent CO2 par
rapport au début de lère industrielle, doublement qui pourrait être at-
teint entre 2050 et 2100 selon les scénarios de croissance et les politi-
ques climatiques.
CONSEIL DANALYSE ÉCONOMIQUE
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peut connaître dici quelques décennies des bifurcations ayant pour effet,
par exemple, dempêcher la formation du courant chaud du Gulf Stream,
auquel la façade atlantique de la France, en particulier en Bretagne, doit de
connaître un climat tempéré(6).
Afin de limiter lampleur des changements du climat planétaire, dim-
portantes transformations technologiques et économiques devront être opé-
rées à léchelle mondiale durant le prochain siècle. La plupart des activités
productives, industrielles, agricoles, forestières, et des activités de services
comme le transport, le chauffage ou la climatisation seront concernées.
Tout cela nira pas sans des modifications importantes dans les modes de
vie et dans lorganisation spatiale des activités, mais aussi dans les rela-
tions économiques internationales, en particulier dans le contexte Nord-
Sud. Au début des années soixante-dix, les travaux du Club de Rome avaient
suscité un intense débat autour du thème des limites de la croissance quim-
poserait une rareté physique des ressources naturelles, en particulier la dis-
ponibilité de ressources énergétiques (épuisement du pétrole)(7). Trente ans
plus tard, il apparaît que les limites qui auront à être prises en compte de la
façon la plus immédiate et la plus contraignante dans le domaine énergéti-
que ne résultent pas dune pénurie des sources fossiles dénergie, mais des
risques environnementaux dordre climatique.
Cest au vu de ces perspectives quune Convention cadre sur le change-
ment climatique a été négociée dans le cadre de lOrganisation des Nations
Unies, et adoptée en juin 1992 à Rio de Janeiro lors du Sommet de la Terre.
Lobjectif ultime visé par cette convention est de:
«Stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre dans
latmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation
anthropique dangereuse du système climatique. Il conviendra
datteindre ce niveau dans un délai convenable pour que les
écosystèmes puissent sadapter naturellement aux changements
climatiques, que la production alimentaire ne soit pas mena-
cée et que le développement économique puisse se poursuivre
dune manière durable.»
Article 2 de la Convention
Un défi redoutable pour laction publique
Prendre au sérieux ces risques climatiques et affirmer une volonté de
stabilisation des concentrations atmosphériques des GES représentent des
défis redoutables pour la capacité daction coordonnée de la communauté
internationale. Plusieurs traits se combinent en effet pour sortir laction à
entreprendre des cadres les plus usuels:
(6) Voir louvrage du climatologue Jean-Claude Duplessy (1996).
(7) Voir Dennis Meadows (1972).
FISCALITÉ DE LENVIRONNEMENT 87
le caractère planétaire, qui impose un niveau de coordination interna-
tionale de laction rarement atteint et difficile à établir du fait de lampleur
des différences économiques et démographiques qui séparent les pays de la
planète mais aussi des controverses et conflits sur le partage des responsa-
bilités pour les actions à mener.
la dimension du long terme et de la faible réversibilité, à léchelle des
temps humains et économiques, des phénomènes physiques en cause; du
fait des inerties et constantes de temps en jeu, lhorizon requis pour définir
des stratégies daction sétend à plus dun siècle; lintervalle entre le mo-
ment où une action doit être engagée, mais aussi où son coût doit être sup-
porté, et le moment où elle porte ses fruits est agrandi à lextrême, donnant
au problème un tour intergénérationnel inédit.
lampleur des incertitudes qui demeurent dans les connaissances scien-
tifiques de base pour appréhender la dynamique du climat et la régionalisa-
tion des conséquences, mais également pour cerner les modes de dévelop-
pement technologique et économique qui verront le jour à lavenir et dont
dépendent les trajectoires démission de GES. Ces incertitudes affectent
directement les aspects les plus décisifs du point de vue des politiques à
engager. De ce fait, ces dernières ne disposent pas de repères scientifiques
évidents sur lesquels elles pourraient se caler dune façon indiscutable.
la mise en cause de presque toutes les activités humaines, de la pro-
duction délectricité et de ciment aux transports en passant par lagricul-
ture et lexploitation forestière. Les émissions de GES résultent en effet de
lusage de lénergie fossile (toute combustion engendre du CO2) et dautres
composés chimiques (CFC, N2O), mais aussi des modifications des échan-
ges entre les sols et latmosphère (déforestation). Il ne suffit donc pas de
trouver un accord avec quelques grands groupes industriels comme cela a
été le cas pour la production de CFC, ni de sen tenir à des substitutions
technologiques.
Dans un tel contexte, les techniques usuelles de calcul économique
comme lanalyse coûts-avantages voient leur pertinence pratique diminuer.
Ce nest pas pour autant que les raisonnements économiques doivent être
délaissés. Ils doivent seulement être adaptés pour être mis au service de
lexploration dunivers scientifiquement incertains et controversés(8). Ils
doivent notamment clarifier le débat sur le calendrier optimal de laction
(8) En univers stabilisé, les principaux traits qui constituent le monde physique sont de
connaissance commune et sexpriment sous la forme de contraintes naturelles qui encadrent
les processus économiques. De la même façon, les relations de cause à effet en jeu dans la
réalisation de dommages externes sont réputées connues. Les conflits y sont alors des con-
flits dintérêts ayant pour enjeu la distribution des richesses ou des responsabilités, ou des
conflits de valeurs normatives dus à limpossibilité de déduire de façon non ambiguë les
choix collectifs optimaux des préférences individuelles; ils nont pas de dimension cogni-
tive concernant le monde physique. Ce nest plus le cas en univers controversé (Godard,
1993b, 1997a) où, face à des risques potentiellement graves et irréversibles, la logique de
laction ne peut attendre la stabilisation des connaissances pour commencer à être engagée.
Limbrication des scènes de laction et du savoir complexifie le jeu, tandis que la décision
collective se déplace dune problématique de la «décision optimale» vers celle de la
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