10 INTRODUCTION À L’INFORMATION QUANTIQUE
atomes, ions etc., et pas seulement d’agir sur le comportement quantique collectif
d’un grand nombre de tels objets. C’est cette possibilité de manipuler et d’observer
desobjetsquantiquesindividuelsquiestàl’origine de l’information quantique, où
ces objets quantiques permettront de construire physiquement les qu-bits. Cela
dit, aucun concept fondamentalement nouveau n’a été introduit depuis les années
1930 : s’ils ressuscitaient aujourd’hui, les pères fondateurs de la mécanique quan-
tique (Heisenberg, Schrödinger, Dirac, etc.) ne seraient pas surpris par l’infor-
matique quantique, même s’ils seraient sûrement admiratifs devant les prouesses
des expérimentateurs, qui réalisent aujourd’hui des expériences qualifiées à leur
époque de « gedanken experiment » ou « expériences théoriques ».
Il vaut aussi la peine de signaler que la miniaturisation croissante de l’électro-
nique va trouver ses limites en raison des effets quantiques, qui vont devenir
incontournables en dessous de la dizaine de nanomètres. La loi de Moore1énonce
que le nombre de transistors gravés sur une puce double tous les dix-huit mois,
multipliant ainsi par deux les capacités de mémoire et la vitesse de calcul (par
1 000 tous les 15 ans !). L’extrapolation à 2010 de la loi de Moore implique que les
dimensions caractéristiques des circuits sur une puce vont atteindre une échelle
de l’ordre de 50 nanomètres, et en deçà de la dizaine de nanomètres (atteint en
2020 ?), les propriétés individuelles des atomes et des électrons vont devenir pré-
dominantes, et la loi de Moore pourrait cesser d’être valable d’ici dix à quinze ans.
Venons-en maintenant aux traits caractéristiques de l’information quantique. Le
bit de l’informatique classique prend les valeurs 0 ou 1. Le bit quantique, ou qu-
bit, pourra non seulement prendre les valeurs 0 et 1, mais aussi, en un sens qui
sera expliqué au chapitre 2, toutes les valeurs intermédiaires. Cela est dû à une
propriété fondamentale des états quantiques : on peut fabriquer des superpositions
linéaires de ces états, en superposant linéairement un état où le qu-bit a la valeur
0 et un état où il a la valeur 1.
La seconde propriété à la base de l’information quantique est la propriété d’intri-
cation : en mécanique quantique, il peut arriver que deux objets, même arbi-
trairement éloignés l’un de l’autre, ne constituent qu’une entité indissociable.
Toute tentative de comprendre cette entité comme une réunion de deux entités
indépendantes est vouée à l’échec, à moins d’admettre la possibilité de propaga-
tion de signaux à une vitesse supérieure à celle de la lumière. Cette conclusion
découle des travaux théoriques de John Bell en 1964, inspirés par ceux d’Einstein,
Podolsky et Rosen (EPR) en 1935, et des expériences qui ont été motivées par ces
travaux (section 4.4).
La combinaison de ces deux propriétés, superposition linéaire et intrication, est
au cœur du parallélisme quantique, la possibilité d’effectuer en parallèle un grand
nombre d’opérations. Cependant, les principes du parallélisme quantique diffèrent
fondamentalement de ceux du parallélisme classique : alors que dans un ordi-
nateur classique on peut toujours savoir (au moins en théorie) quel est l’état
interne de l’ordinateur, une telle connaissance est
par principe
exclue dans un ordi-
nateur quantique. Le parallélisme quantique a permis le développement d’algo-
rithmes entièrement nouveaux, comme l’algorithme de Shor pour la factorisation
1Ce n’est pas une loi reposant sur une base théorique, mais plutôt une constatation empirique
vérifiée sur les quarante dernières années.