Kojève disait à propos du philosophe que celui qui « lisait et comprenait ses dialogues était
forcément convaincu » mais il ajoutait dans une note, « mais ceux qui le lisent sont rares et ceux qui
le comprennent encore plus rares ». Il ne s'agit pas d'une marque de pédanterie mais d'une véritable
compréhension de la pensée de Platon : ce dernier ne voulait pas que la philosophie soit pratiquée
par tous, il voulait que seuls les hommes disposant d'une véritable force de pensée, d'un courage
d'aller jusqu'au bout de la vérité philosophassent. C'est pourquoi ses dialogues sont autant d'énigmes
qui déconcertent, interrogent, font penser. La philosophie ne se trouve pas dans les livres car la
pensée est essentiellement mouvement, confrontation, dialectique, la philosophie est vécue. Dès
lors, il y a tout à redécouvrir chez Platon, auteur (ou peut-être non auteur) dont l'actualité est
certainement aussi forte que n'importe lequel de nos « philosophes » vivants. Pour appuyer cette
idée je vais montrer que Platon était non pas polythéiste, comme beaucoup de Grecs avec parmi eux
Aristote mais bien monothéiste. Je pense qu'il s'agit de la manière la plus forte de redécouvrir le
Platon qu'on a oublié, celui que mille ans de commentateurs ont appelé « le divin Platon ». Cette
assertion semble contradictoire mais j'assumerai jusqu'au bout cette contradiction. Platon en effet
parle souvent de plusieurs Dieux (dans l'Euthyphron par exemple), Socrate jure souvent « Par
Zeus ! ». Or, n'arrive-t-il pas à des athées de dire « Mon Dieu ! » ? Eh bien pour Platon le cas est
exactement le même : sa métaphysique, sa théorie de la connaissance, sa morale impliquent un Dieu
unique, si bien que la plupart des néo-platoniciens ont mis l'accent sur l'unité dans la pensée de
Platon, et au premier chef Plotin.
Commençons par le commencement, à savoir les premiers principes. Socrate, dans les
dialogues, fait toujours remarquer, lorsqu'il pose la question du « qu'est-ce que ? » qu'il ne cherche
pas à savoir des exemples de la chose en question mais bien la chose en tant que chose. Qu'est-ce à
dire ? Théétète, dans le dialogue qui porte son nom, répond à la question « qu'est-ce que la
connaissance ? » : c'est ce que m'apprend Théodore (son maître mathématicien au moment du
dialogue), la géométrie, l'arithmétique, etc. Mais Socrate lui fait immédiatement remarquer la faute
qu'il commet : en effet répondre ainsi c'est donner des exemples de connaissance mais non ce qui
fait qu'on peut les rassembler sous un nom, ici « connaissance ». Il demande donc ce qui fait que les
choses qu'on connaît sont connaissables ou sont connues, Socrate fait le pari suivant : il existe, pour
les choses sensibles, quelque chose qui permet d'en rendre compte, quelque chose d'intelligible.
Mais alors, qu'est-ce que l'intelligible ? On dit souvent que Platon aurait réussi à concilier
Parménide, « L'Être est et le Non-être n'est pas », et Héraclite, « Tout s'écoule » : dans le sensible,
tout coule mais dans l'intelligible, l'éternité règne. C'est en partie vrai puisque cela aide à
comprendre ce qu'est l'intelligible mais on ne saurait l'y réduire. L'intelligible est le domaine des
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