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:
islam et christianisme, une petite histoire des regards croisés aux XX-XXI s.
P
ROF
C
LAUDIO
M
ONGE
Université de Fribourg
Faculté de Théologie
AA. 2011-2012
3
La raison est la faculté de connaître (Kant), de bien juger (Descartes), de discerner le vrai et le faux,
le bien et le mal, de raisonner discursivement, de combiner des concepts et des propositions
5
. A ce
titre, elle est considérée comme le propre de l’homme. C’est la faculté qui permet à l’homme
d’atteindre naturellement certaines vérités sans se faire aider des lumières de la foi. On appelle
encore raison l’intelligence en tant qu’elle est capable de mener des raisonnements ou pour autant
qu’elle joue conformément à ses lois et à ses principes
6
. La raison est alors présentée comme le
domaine de la connaissance objective, de la connaissance explicable par des lois universelles alors
que la croyance religieuse, cultuelle ou mythique peut être subjective.
Kant permet toutefois de nuancer ces propos. La croyance selon Kant « est un fait de notre
entendement susceptible de reposer sur des principes objectifs, mais qui exige aussi des causes
subjectives dans l’esprit de celui qui juge.»
7
Lorsque la croyance est communicable et valable pour
toute raison humaine, elle s’appelle conviction. Dans le cas contraire, elle s’appelle persuasion.
Dans le vocabulaire spécifiquement religieux la conviction est synonyme de foi
8
. Que la croyance
puisse avoir des fondements subjectifs et objectifs, que la foi soit communicable, cela n’en fait pas
pour autant des données objectives. Du point de vue de Kant, la croyance comme valeur subjective
du jugement s’appelle foi seulement au deuxième degré d’assentiment où elle est insuffisante
objectivement mais suffisante subjectivement. Si elle était suffisante objectivement et
subjectivement, la croyance serait un savoir.
Cette précision notionnelle faite, nous pouvons soutenir que la croyance religieuse est de l’ordre
du surnaturel, qu’elle est une expérience subjective, un état de profonde conviction, une adhésion
individuelle, un assentiment personnel et parfait qui exclut le doute. Exclure le doute, n’est-ce pas
aussi ne point admettre d’autocritique ou de critique extérieure ? S’il est avéré que la foi jouit
d’une autonomie subjective sans cependant avoir le caractère d’évidence contraignante et le degré
de communicabilité du savoir rationnel, nous comprenons pourquoi elle serait réfractaire à la
critique tout en y demeurant vulnérable. Peut-être parce que la critique l’affaiblit en exposant ses
failles. C’est le sentiment que l’on a en lisant Karl Jaspers qui écrivait à juste titre : « L’amer regret de
ma vie, passée à rechercher la vérité, c’est que sur des points décisifs, ma discussion avec les théologiens
s’arrête : ils se taisent, ils énoncent quelque formule incompréhensible, ils parlent d’autre chose, ils avancent
une assertion comme absolue, ils m’encouragent amicalement… En somme, ils ne s’intéressent pas vraiment
au débat. Un véritable dialogue exige pourtant que tout article de foi puisse être examiné et contesté »
9
.
S’il peut être objecté à Karl Jaspers que la théologie se veut une discipline rationnelle qui n’est pas
hostile aux débats sur Dieu, son point de vue a le mérite de montrer que les articles de foi sont
souvent postulés et paraissent parfois indémontrables par la raison. Ils relèvent plus de la
conviction et de l’assentiment parfait que de l’évidence d’une thèse irréfutable. Le débat en science
théologique est bien canalisé et soumis à des conditions préalables de foi. La foi rejette le doute et
part d’une adhésion ferme à son objet. Ainsi, la communication interpersonnelle en matière de
théologie semble inciter la raison à s’ouvrir à la vérité révélée afin d’en accueillir le sens profond. Il
s’agit d’abord de croire pour ensuite comprendre. Le refus de la critique et le caractère subjectif de
5
ANDRE LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF, 1991, pp. 877-878.
6
JACQUES MANTOY, Les 50 mots-clés de la philosophie contemporaine, Privat, 1971, pp. 89-90.
7
EMMANUEL KANT, Critique de la raison pure, trad. fr. A. Tremesaygues et B. Pacaud, Paris, PUF, 2004, p. 551.
8
ANDRE COMTE-SPONVILLE, L’Esprit de l’athéisme, Albin Michel, 2006, p. 81.
9
KARL JASPERS, La foi philosophique, Paris, Plon, 1953, p. 105.