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SAP Bulletin
LES TRAVAILLEURS PAUVRES
Un problème qui dépasse le cadre de la politique sociale
Le modèle suisse de la sécurité sociale repose sur le principe implicite que tout adulte dev-
rait être en mesure de pourvoir lui-même à sa subsistance et à celle de sa famille en travail-
lant (couverture individuelle du minimum vital). Ce n’est que lorsqu’une personne ne parvient
pas à assurer son existence par ses propres moyens ou avec le soutien de sa famille et de
son réseau social qu’interviennent les différents instruments de la couverture collective du
minimum vital, une série de prestations de substitution fournies par des institutions privées et
publiques. Les assurances sociales couvrent divers risques tels que le chômage, l’invalidité
ou le vieillissement, mais pas – ou pas suffisamment – les nouveaux risques sociaux com-
me la paupérisation due à un divorce ou la pauvreté laborieuse. Dans ce cas, ce sont les
prestations sociales cantonales qui prennent le relais. « L’aide sociale individuelle assure
le minimum vital de personnes dans le besoin et constitue donc le dernier filet du système
d’assurances sociales. Elle représente une aide subsidiaire et provisoire d’urgence et repose
sur un minimum social garantissant un minimum d’intégration sociale et de participation à la
vie de la collectivité. »
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Mais que se passe-t-il lorsque le revenu de l’activité lucrative ne suffit pas pour vivre et que l’on
devient un working poor (voir à ce propos l’encadré sur les questions de définition, page 12) ?
Les assurances sociales n’offrent alors aucune protection. Les personnes qui n’ont pas de
perspectives salariales meilleures, ont épuisé leur fortune, ne veulent ou ne peuvent pas
contracter de dettes et ne peuvent plus compter sur l’aide de leur entourage n’ont guère
le choix : à moins de se serrer la ceinture au point de survivre avec un revenu inférieur au
minimum vital, elles doivent s’adresser à l’aide sociale.
Les bénéficiaires de l’aide sociale qui exercent une activité lucrative sont recensés dans la
statistique de l’aide sociale (voir la deuxième partie de ce bulletin pour les analyses qui les
concernent).
Par contre, on ne sait pas quelle est la proportion des personnes qui ne font pas valoir leur
droit à l’aide sociale. Caritas Suisse estime que 30 à 50 pour cent des personnes frappées
par la pauvreté en Suisse ne recourent à aucune prestation publique et ne perçoivent donc
pas l’aide dont elles pourraient bénéficier (taux de non-perception) 2. Contraintes de réduire
leurs besoins en-deçà du minimum vital, elles en subissent les conséquences de plein fouet,
la précarité pouvant se répercuter sur le logement, la nourriture, l’insertion sociale et, en fin
de compte, la santé. En effet, les personnes en situation de pauvreté vivent plus souvent
dans un habitat de mauvaise qualité (logements humides, p. ex.) et dans des quartiers
exposés au bruit et à la pollution ; elles ont moins de relations sociales et pratiquent plus
rarement des activités conviviales 3 ; et elles renoncent souvent à des prestations médicales
par manque de moyens 4.
Selon Caritas, la non-perception est due à des raisons diverses. Certains renoncent à aller
voir les services sociaux par peur d’une invasion de leur sphère privée ou à cause des dé-
marches administratives requises. D’autres sont mal informés ou se heurtent à la barrière de
la langue. D’autres encore ont une vision négative de l’aide sociale ou sont retenus par des
sentiments de honte. Sans oublier ceux qui, subjectivement, ne se sentent pas pauvres
5.
Force est de constater que des bénéficiaires potentiels ne demandent pas l’aide sociale tout
bonnement parce qu’ils ne savent pas qu’ils y ont droit. Il faut bien avouer que les conditions
d’octroi sont complexes et qu’on ne peut guère les évaluer soi-même.