La pauvreté laborieuse est un sujet de politique sociale d’une actualité brûlante.
En Suisse, c’est en premier lieu par le travail que la population adulte est censée
subvenir à ses besoins. Mais qu’en est-il lorsque le salaire ne suft pas pour joindre
les deux bouts ? Lorsque des travailleurs doivent faire appel à l’aide sociale ? Dans
le canton de Berne, plus d’un quart des bénéciaires de l’aide sociale dès 15 ans
exercent une activité lucrative, dont un tiers à plein temps. Déduction faite des
apprentis, environ 1400 adultes travaillant pourtant à temps complet doivent ainsi
recourir à l’aide sociale. Un salaire insufsant pour assurer sa subsistance n’est
pas seulement un problème individuel, c’est un problème de société. Le présent
bulletin de la Direction de la santé publique et de la prévoyance sociale (SAP) fait
le point de la situation.
Les travailleurs
pauvres
SAP
Bulletin Mars 2015
Direction de la santé publique et de la prévoyance sociale du canton de Berne
Table des matières
Un problème qui dépasse le cadre de la politique sociale 5
Interview d’Andreas Rickenbacher, directeur de l’économie publique
du canton de Berne 7
Travail et aide sociale dans le canton de Berne 9
La situation professionnelle des bénéficiaires de l’aide sociale 9
Les personnes actives bénéficiaires de laide sociale 10
En ligne de mire 15
L’aide sociale, un joker 16
La garantie du minimum vital, une tâche politique transversale 16
Les bulletins santé-social de la SAP sont téléchargeables sur le site
www.be.ch/bulletinsap
et peuvent être commandés gratuitement en version papier à l’adresse
Résumé
Travailleurs, et pourtant pauvres : les bénéficiaires de l’aide sociale qui exercent une activité
professionnelle constituent une catégorie à part dans les statistiques de la pauvreté. S’ils
recourent à l’aide sociale, c’est pour compléter un salaire qui ne leur permet pas de joindre
les deux bouts. Dans le canton de Berne, 28 pour cent des bénéficiaires de l’aide sociale
travaillaient en 2013, dont plus de 33 pour cent à temps complet. Abstraction faite des
apprentis, environ 1400 adultes dits actifs occupés y dépendent donc de l’aide sociale. Ce
sont des « working poor ».
Les apprentis, pour leur part, représentent 42 pour cent des travailleurs bénéficiaires de l’aide
sociale. Leur salaire ne leur permettant pas d’assurer leur entretien, les apprentis livrés à eux-
mêmes ou vivant dans une famille pauvre ont besoin de soutien. Il est cependant souhaitable
que les jeunes en formation touchent des bourses plutôt qu’une aide sociale.
Près d’un quart des travailleurs à l’aide sociale doivent se contenter d’un emploi précaire :
contrat de durée déterminée, travail sur appel ou occasionnel. Sans compter le temps par-
tiel, surtout non voulu : plus de 40 pour cent des personnes sollicitant l’aide sociale qui
travaillent à temps partiel disent ne pas avoir trouvé de poste à plein temps.
Les personnes élevant seules leurs enfants sont particulièrement exposées au risque de ne
pas pouvoir subvenir à leurs besoins et de devoir faire appel à l’aide sociale. Un bon quart
des ménages monoparentaux du canton de Berne sont concernés. En comparaison avec
les bénéficiaires de l’aide sociale vivant seuls ou en couple, les mères et pères isolés travail-
lent nettement moins souvent à 100 pour cent.
En tant qu’ultime filet de protection du système de sécurité sociale, c’est l’aide sociale qui
est aujourd’hui appelée à garantir le minimum vital dans tous ces cas. A l’origine simple aide
d’urgence momentanée, elle s’est transformée, au fil des dernières années et décennies, en
une sorte de rente sociale. On peut cependant se demander si l’aide sociale constitue vrai-
ment la prestation de soutien appropriée dans les situations évoquées et quelles mesures
il y a lieu de mettre en place pour qu’elle reprenne le rôle transitoire pour lequel elle a été
conçue.
La garantie du minimum vital ne relève pas uniquement de la politique sociale. C’est une tâche
transversale qui demande des efforts conjoints dans tous les domaines : il faut notamment
une politique économique promouvant des conditions de travail correctes, une politique
familiale favorisant la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle et une politique de
la formation efficace.
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SAP Bulletin
LES TRAVAILLEURS PAUVRES
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SAP Bulletin
LES TRAVAILLEURS PAUVRES
Un problème qui dépasse le cadre de la politique sociale
Le modèle suisse de la sécurité sociale repose sur le principe implicite que tout adulte dev-
rait être en mesure de pourvoir lui-même à sa subsistance et à celle de sa famille en travail-
lant (couverture individuelle du minimum vital). Ce n’est que lorsqu’une personne ne parvient
pas à assurer son existence par ses propres moyens ou avec le soutien de sa famille et de
son réseau social qu’interviennent les différents instruments de la couverture collective du
minimum vital, une série de prestations de substitution fournies par des institutions privées et
publiques. Les assurances sociales couvrent divers risques tels que le chômage, l’invalidité
ou le vieillissement, mais pas – ou pas suffisamment – les nouveaux risques sociaux com-
me la paupérisation due à un divorce ou la pauvreté laborieuse. Dans ce cas, ce sont les
prestations sociales cantonales qui prennent le relais. « L’aide sociale individuelle assure
le minimum vital de personnes dans le besoin et constitue donc le dernier filet du système
d’assurances sociales. Elle représente une aide subsidiaire et provisoire d’urgence et repose
sur un minimum social garantissant un minimum d’intégration sociale et de participation à la
vie de la collectivité. »
1
Mais que se passe-t-il lorsque le revenu de l’activité lucrative ne suffit pas pour vivre et que l’on
devient un working poor (voir à ce propos l’encadré sur les questions de définition, page 12) ?
Les assurances sociales n’offrent alors aucune protection. Les personnes qui n’ont pas de
perspectives salariales meilleures, ont épuisé leur fortune, ne veulent ou ne peuvent pas
contracter de dettes et ne peuvent plus compter sur l’aide de leur entourage n’ont guère
le choix : à moins de se serrer la ceinture au point de survivre avec un revenu inférieur au
minimum vital, elles doivent s’adresser à l’aide sociale.
Les bénéficiaires de l’aide sociale qui exercent une activité lucrative sont recensés dans la
statistique de l’aide sociale (voir la deuxième partie de ce bulletin pour les analyses qui les
concernent).
Par contre, on ne sait pas quelle est la proportion des personnes qui ne font pas valoir leur
droit à l’aide sociale. Caritas Suisse estime que 30 à 50 pour cent des personnes frappées
par la pauvreté en Suisse ne recourent à aucune prestation publique et ne perçoivent donc
pas l’aide dont elles pourraient bénéficier (taux de non-perception) 2. Contraintes de réduire
leurs besoins en-deçà du minimum vital, elles en subissent les conséquences de plein fouet,
la précarité pouvant se répercuter sur le logement, la nourriture, l’insertion sociale et, en fin
de compte, la santé. En effet, les personnes en situation de pauvreté vivent plus souvent
dans un habitat de mauvaise qualité (logements humides, p. ex.) et dans des quartiers
exposés au bruit et à la pollution ; elles ont moins de relations sociales et pratiquent plus
rarement des activités conviviales 3 ; et elles renoncent souvent à des prestations médicales
par manque de moyens 4.
Selon Caritas, la non-perception est due à des raisons diverses. Certains renoncent à aller
voir les services sociaux par peur d’une invasion de leur sphère privée ou à cause des dé-
marches administratives requises. D’autres sont mal informés ou se heurtent à la barrière de
la langue. D’autres encore ont une vision négative de l’aide sociale ou sont retenus par des
sentiments de honte. Sans oublier ceux qui, subjectivement, ne se sentent pas pauvres
5.
Force est de constater que des bénéficiaires potentiels ne demandent pas l’aide sociale tout
bonnement parce qu’ils ne savent pas qu’ils y ont droit. Il faut bien avouer que les conditions
d’octroi sont complexes et qu’on ne peut guère les évaluer soi-même.
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