LA PAUVRETÉ DES ENFANTS
APERÇU
AOÛT 2010
POLITIQUES ET PRATIQUES DE L’UNICEF
The Spirit Level : pourquoi une plus grande égalité renforce les sociétés
Bill Kerry, Kate E. Pickett et Richard Wilkinson
Richard et Kate sont les auteurs du Spirit Level,
et ils ont créé avec Bill The Equality Trust
Dans votre livre, The Spirit Level, vous estimez que des sociétés plus égales celles où le fossé entre riches et pauvres
est moins profond arrivent à de meilleurs résultats. Pouvez-vous en dire plus à ce sujet ?
Nous avons tenté d’apporter une explication à nos problèmes avec des gradients sociaux ; c'est-à-dire les problèmes qui
sont les pires chez les plus pauvres de la société, mais qui montrent un gradient dans toute la société. Parmi les
problèmes avec gradients sociaux, il y a notamment la santé, le crime et l’échec scolaire. Nous voulions mettre une
théorie à l’épreuve : à savoir que les problèmes avec des gradients sociaux n’ont pas pour cause la différence au niveau
de la richesse matérielle, ni les tris ou sélection de toutes sortes, mais sont dus à une différenciation au niveau du statut
social lui-même - au degré de hiérarchisation au sein de la société.
Nous avons donc regardé les démocraties de marché riches et développées, en particulier celles où la croissance
économique n’est plus associée à l’espérance de vie, au bonheur ou au bien-être.
ll n’est pas possible d’appliquer l’analyse de The Spirit Level dans sa totalité et avec cohérence aux économies en
veloppement et émergentes, car on manque de données de bonne qualité sur la répartition des revenus et sur les
résultats, mais il est raisonnable de penser que (et cela est prouvé dans les pays en développement pour l’espérance de
vie et la mortalité infantile) que les inégalités sont
aussi dommageables dans ces pays. Les mécanismes
psychosociaux associant les inégalités aux mauvais
résultats se retrouvent chez tous les êtres humains.
Les inégalités divisent la socié: la concurrence
pour jouir d’un bon statut, l’anxiété, le sentiment
d’infériorité et la crainte du manque de
considération, tout cela s’exacerbe, constitue des
sources de tensions chroniques, déclenche des
problèmes de santé et crée un environnement social
plus stressant, qui à son tour engendre d’autres
formes de dysfonctionnement social telles que
des niveaux élevés de violence.
Nous avons trouvé que parmi les 23 pays riches que
nous avions analysés (voir la figure), il existait une
très forte corrélation entre linégalité de revenus et
l’Indice des problèmes sanitaires et sociaux rencontrés dans ces pays. L’indice des problèmes sanitaires et sociaux
retient les niveaux de confiance, d’espérance de vie et les taux de mortalité infantile, de maladies mentales et d’obésité,
les résultats en matière d’éducation, les taux de naissances chez les adolescentes, d’homicides et de personnes
incarcérées, et la mobilité sociale. [Figure 1 : INDICE DES PROBLÈMES SANITAIRES ET SOCIAUX (Meilleur - Plus mauvais) vs. INÉGALITÉ DES
REVENUS (Faible Élevée)].
Nous avons été tellement frappés par les corrélations constatées que nous avons testé à nouveau de tels rapports sur
les 50 États des États-Unis, et nous avons obtenu des résultats très consistants. Bien entendu, la corrélation n’est pas la
causalité, mais chacun de ces problèmes pris indépendamment traduit une même tendance, ce qui laisse penser qu’il
doit y avoir une cause sous-jacente. Et personne n’a suggéré jusqu’à présent une explication meilleure ou plus
convaincante que les inégalités dans ces deux secteurs.
Nous avons constaté également que le même indice de problèmes sanitaires et sociaux n’avait pas de corrélation avec le
revenu moyen national (mesuré en équivalent dollars É.-U.) ce qui nous a amenés à la conclusion que si les pays
développés souhaitaient vraiment améliorer la qualité de vie de leur population, ils devaient d’abord se concentrer sur
la manière dont le revenu était réparti au sein de l’économie, plutôt que de s’évertuer à rechercher uniquement une
plus forte croissance économique.
Quels sont les effets des inégalités sur les éléments les plus pauvres de la société et en particulier les enfants ?
Les inégalités pèsent surtout sur les pauvres et ceux qui vivent dans les secteurs les plus défavoris de la société. Les
enfants connaissent une situation particulièrement difficile dans les sociétés inégalitaires avec des taux de mortalité
infantile plus mauvais et un niveau de poursuite
des études plus faible. Dans de telles sociétés, les
enfants risquent davantage d’être en surpoids,
d’être victimes de brimades et les filles de devenir
mère à l’adolescence. Parvenus à l’âge adulte,
dans une société marquée par les inégalités, ils
sont plus exposés aux problèmes mentaux, de
drogue et d’alcool, à travailler de plus longues
heures et à subir plus de pression liée à
l’endettement de la famille. En outre, dans les
sociétés inégalitaires, la mobilité sociale est
faible, et les enfants échappent difficilement aux
cycles intergénérationnels de pauvreté et de
privation.
Il y a une nette corrélation entre linégalité dans
le revenu et l’indice du bien-être de l’enfant de
l’UNICEF dans les pays riches (voir la figure).
[Figure 2 : INDICE UNICEF DU BIEN-ÊTRE DE L’ENFANT (Plus mauvais – Meilleur) vs. INÉGALITÉ DES REVENUS (Faible Élevée)].
Les inégalités constituent-elles un meilleur indicateur de privation que la pauvreté ?
La pauvreté et les inégalités exercent une influence importante sur le bien-être des populations. Toutefois, dans les pays
riches et développés, la pauvreté absolue n’affecte plus qu’un très petit pourcentage de la population, alors que la
pauvreté relative et la relativité du statut social sont le lot de la grande majorité. Le problème, lorsque l’on se concentre
sur la pauvreté aux dépens des inégalités, c’est que c’est la répartition des revenus au sein de toute la société qui
importe. Les efforts déployés pour atténuer la pauvreté ne contribuent pas beaucoup à la réduction des inégalités des
revenus provoquées par le fait que les riches deviennent plus riches.
Les données dont nous disposons incitent à penser que le monde développé obtient de moins en moins d’améliorations
de la qualité de la vie en période de croissance économique, alors que simultanément le monde doit faire face à des
problèmes environnementaux grandissants liés cette croissance. Dans cette situation, il devient important de réduire les
inégalités, non seulement afin de contribuer à résoudre les problèmes sanitaires et sociaux, mais également pour créer
des économies durables. Cela peut rendre optimiste, car s’il faut freiner la croissance pour réduire les émissions de
carbone, notre qualité de vie ne va pas nécessairement en pâtir. Au lieu de cela, nous pouvons obtenir une cohésion
sociale accrue, améliorer la santé des populations et diminuer les problèmes sociaux.
Quelles sont les meilleurs moyens de diminuer les inégalités ?
Nous avons constaté que dans les pays riches et dans des États des États-Unis, l’égalité pouvait être accrue de deux
manières différentes. Par exemple, en Suède et dans les autres pays scandinaves, on augmente le niveau d’égalité par le
biais d’impôts progressifs, de redistribution, et d’un gros volume d’aide sociale de la part des États. À l’inverse, au Japon,
l’égalité est accrue en réduisant le fossé entre les revenus les plus élevés et les plus faibles avant imposition. Parmi les
États des États-Unis, le Vermont et le New Hampshire constituent deux exemples d’États favorisant l’égalité et obtenant
de bons résultats au niveau sanitaire et social. Le Vermont y parvient par le biais de mécanismes semblables à ceux de la
Suède. Le New Hampshire, tout comme le Japon, a des différences de revenus plus faibles avant impôts et prestations
sociales et un niveau limité de dépenses publiques.
Donc, la manière dont les sociétés évoluent vers une plus grande égalité ne semble pas très importante ; ce qui compte
c’est qu’elles y arrivent. En termes de politiques, cela ouvre un grand éventail de possibilités. L’idée d’intégrer une plus
grande égalité dans la structure institutionnelle de l’économie est peut-être particulièrement séduisante. Davantage de
démocratie économique, davantage de coopératives, davantage de mutuelles, des syndicats plus forts et des progrès
dans l’appropriation par le personnel du capital de l’entreprise, tout cela favorisera une hausse des bas salaires et
limitera les niveaux excessifs des salaires et des bonus des dirigeants.
Vous avez créé un organisme qui s’appelle The Equality Trust pour diffuser les données factuelles figurant dans The
Spirit Level et dans d’autres études et indiquant des liens éventuels entre les inégalités et les mauvais sultats
sociaux. Qu’espérez-vous réaliser grâce au Trust ?
Le Trust est actuellement axé sur l’éducation et les campagnes réalisées au Royaume-Uni, mais nous sommes heureux
de constater que nous faisons des émules de par le monde, en Amérique Latine, en Afrique du Sud et en Nouvelle-
Zélande. Les objectifs du Trust sont de diminuer les inégalités de revenus grâce à un programme d’éducation publique et
politique afin d’obtenir :
une grande compréhension des conséquences négatives d’inégalités de revenus importantes;
un soutien public pour des mesures politiques destinées à diminuer les inégalités de revenus ; et
un engagement politique permettant de mettre en œuvre de telles politiques.
En outre,
Nous n’appartenons pas à un parti et nous interpellons tous les partis politiques pour qu’ils donnent la priorité à
cette question.
Nous aimerions que le Royaume-Uni divise par deux ses inégalités actuelles afin d’atteindre le niveau de la
Suède et du Japon. De façon plus générale, nous espérons mettre les inégalités au cœur des priorités nationales
et internationales en matière de développement.
Nous nous appuyons sur les preuves empiriques pour renforcer le classique argument moral en faveur de
l’égalité, argument fondé sur les droits de l’homme et la justice sociale. L’une des conclusions majeures
auxquelles arrive The Spirit Level, c’est que les résultats d’une plus grande égalité profitent à la grande majorité
des populations des pays riches et développés. Ceci a des implications profondes et donne la possibilité, comme
peut-être jamais auparavant, de présenter une plus grande égalité comme étant dans l’intérêt de la majorité des
citoyens du monde, les enfants tout comme les adultes. Nous ne devons pas sombrer dans le désespoir ; les
preuves issues de la recherche suggèrent que nous pouvons résoudre des problèmes apparemment insolubles
comme les inégalités persistantes dans le domaine de la santé et le défi d’une mode de vie durable. La clé, c’est
une plus grande égalité.
Quelques sources d’informations générales
Entretien avec Wilkinson et Pickett sur The Spirit Level (vidéo)
The Equality Trust
Hills, J., Sefton, T. & Stewart, K. (2009). Towards a More Equal Society?: Poverty, Inequality and Policy Since 1997 (Études
de cas sur la pauvreté, Place & Policy). Bristol : the Policy Press
Tam, H (2010). Against Power Inequalities: Reflections on the struggle for inclusive communities. Birbeck : London University
UNICEF (2007). La pauvreté des enfants en perspective : Vue d’ensemble du bien-être des enfants dans les pays riches,
Bilan Innocenti 7. UNICEF Centre de recherche Innocenti, Florence
Wilkinson, R. & Pickett, K (2009). The Spirit Level: Why Greater Equality Makes Societies Stronger. New York: Bloomsbury
Press
Wilkinson, R (2006). The Impact of Inequality: How to Make Sick Societies Healthier. London: Routledge
La Pauvreté des Enfants Aperçu réunit des contributions du membre du réseau et ne représente pas forcément le point de vue de l’UNICEF.
Veuillez envoyer votre contribution à Aperçu aux rédacteurs de la série, Isabel Ortiz, Gaspar Fajth, Sharmila Kurukulasuriya, Solrun
Engilbertsdottir et Louise Moreira Daniels à l’adresse suivante : [email protected]
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