N°2 Mai 2001 A l’ECOUTE DES AUTRES SPÉCIALITÉS La Chirurgie Digestive Le Traitement des Fistules Entérovésicales Pr Yves Panis Service de Chirurgie Générale et digestive,Hôpital Lariboisière I. INTRODUCTION I l y a quatre types de fistules entre l’intestin et l’appareil urinaire: les fistules entéro-vésicales, qui seules nous intéressent ici, les fistules entéro-urétérales, les fistules entéro-uréthrales, et enfin les fistules recto-uréthrales. Les fistules entéro-vésicales sont pour l’essentiel la conséquence d’un processus inflammatoire et infectieux d’origine digestive, qui secondairement va se fistuliser dans une vessie initialement saine. Le plus souvent l’intestin responsable est soit l’iléon terminal, soit le sigmoïde. Dans ce cadre là, les deux étiologies principales des fistules entérovésicales sont la diverticulite sigmoïdienne et la maladie de Crohn. Plus rarement, ces fistules entérovésicales peuvent être d’origine radique (après irradiation pelvienne et abdominale, l’atteinte radique étant alors souvent à la fois intestinale et vésicale), tumorale (cancer colorectal surtout, plus rarement vésical, utérin, ou prostatique), post-traumatique, ou enfin être secondaires à une intervention chirurgicale abdominale (fistule postopératoire d’une anastomose colorectale dans la vessie par exemple, exceptionelle, sauf en cas d’antécédent d’irradiation pelv ienne). Enfin, une fistule entérovésicale persistante malgré le traitement chirurgical et en l’absence de radiothérapie dans les antécédents doit faire rechercher des causes exceptionnelles comme une tuberculose, une actinomycose ou un corps étranger. II. LA DIVERTICULITE SIGMOÏDIENNE La diverticulose sigmoïdienne n’est pas en soit une maladie. Il s’agit d’une hernie de la muqueuse à travers la paroi musculaire colique. Ces diverticules peuvent rester asymptomatiques ou s’infecter par rétention de matières fécales à son niveau. Le premier stade de la maladie est la diverticulite aiguë sigmoïdienne non compliquée dont la poussée aiguë est habituellement traitée de manière efficace par les antibiotiques. En l’absence de traitement antibiotique, ou malgré lui, le processus infectieux local peut conduire à des complications allant du simple abcès périsigmoïdien, à la perforation d’un diverticule, soit dans la grande cavité péritonéale, responsable alors d’une péritonite aiguë généralisée, soit dans un organe creux de voisinage, donnant le plus souvent une fistule sigmoïdo-vésicale (plus rarement sigmoïdo-vaginale, sigmoïdo-iléale voire sigmoïdo-cutanée). 20 Les complications infectieuses de la diverticulite colique sont responsables, encore aujourd’ hui, d’une mortalité élevée, qui était de 11% dans une série récente prospective et multicentrique portant sur 300 patients. Cette mortalité passe de 4% en cas de poussées inflammatoires de diverticulite sigmoïdienne, à 27% en cas de péritonites purulentes et 48% en cas de péritonites stercorales. Ces chiffres soulignent l’importance d’une prise en charge thérapeutique précoce. Les fistules d’origine diverticulaire représentent 5 à 9% des indications chirurgicales pour diverticulite sigmoïdienne. Une fistule entre le sigmoïde et un organe de voisinage surv ient quand ce dernier vient s’accoler au foyer inflammatoire siège le plus souvent d’un abcés péricolique. L’ouverture de l’abces dans l’organe de voisinage par le trajet fistuleux amène le plus souvent à la “guérison” du syndrome infectieux clinique et biologique. La fistule sigmoïdo-vésicale est la fistule la plus fréquemment rencontrée dans la diverticulite sigmoïdienne. Dans la plupart des études, elle représente environ 50 à 65% de l’ensemble des fistules. Par exemple, sur une série récente de 38 fistules d’origine diverticulaire 16 concernaient la vessie, 8 l’intestin grêle, 7 le vagin, 6 la peau, et une le périnée. N°2 Mai 2001 Le Traitement des Fistules Entérovésicales A l’Ecoute des Autres Spécialités 1. PRÉSENTATION CLINIQUE ET BILAN MORPHOLOGIQUE : La fistule colovésicale est plus fréquente chez l’homme (sex ratio de 2:1 à 6:1 suivant les séries), probablement du fait de l’interposition chez la femme de l’utérus entre la vessie et le sig moïde. Chez la femme, une hystérectomie est d’ailleurs retrouvée dans les antécédents dans 50% des cas de fistule colovésicale. Cliniquement, une pneumaturie est présente dans 65% des cas, une fécalurie dans 45% des cas, alors que les douleurs abdominales et les signes infectieux ne sont retrouvés que chez 20% environ des patients. Des signes urinaires isolés à type d’infection urinaire plurimicrobienne ou d’hématurie sont observés chez 30% des patients. La découverte clinique ou radiologique (extravasation de produit de contraste du sigmoïde vers la vessie au lavement hydrosoluble ou surtout air dans la vessie au scanner) d’une fistule colovésicale témoigne d’une forme grave de la poussée inflammatoire et expose aux complications infectieuses d’origine urinaire. Par elle-même, elle justifie donc l’intervention chirurgicale, au mieux à distance de l’épisode aigüe. En préopératoire, un bilan de la fistule vésicale elle-même (cystoscopie, cystographie) est inutile car la fistule siège le plus souvent sur le dôme vésical et n’entraine pas de conséquences sur la fonction rénale. De plus, la cystoscopie a une faible rentabilité diagnostique puisqu’elle ne visualise l’orifice fistuleux que dans 30 à 40% des cas. 2. LE TRAITEMENT CHIRURGICAL L’interv ention chirurgicale comprend la résection du sigmoïde suivie d’une anastomose colorectale, non protégée dans plus de trois quarts des cas car le plus souvent les conditions locales le permettent. La résection colique est associée à une fermeture simple du dôme vésical à l’endroit de la fistule. Si possible, on interposera le grand épiploon entre l’anastomose colorectale et la suture vésicale. Il est préferable de laisser en place une sonde urinaire 8 à 10 jours après l’intervention pour protéger la suture vésicale. Souvent, le trajet fistuleux dans la vessie est difficile à retrouv er. Dans ces cas, il est inutile de s’acharner et la vessie peut-être laissée en l’état. Elle guérira spontanément (sous couvert du sondage urinaire). Rarement, une stomie de protection de l’anastomose colorectale s’avère nécessaire, en cas d’abcès pelvien associé, ou de péritonite. Par contre, la réalisation d’une simple colostomie d’amont, ne touchant pas à la fistule, s’avérerait inefficace et dangereuse (avec persistance du risque septique et rénal). Cette intervention (sigmoïdectomie, anastomose colorectale, et suture vésicale) peut être faite en totalité aujourd’hui sous cœlioscopie. III. LA MALADIE DE CROHN Il s’agit le plus souvent d’une fistule entre l’iléon terminal (siège le plus fréquent de la maladie de Crohn) et le dôme vésical. Du fait de la maladie de Crohn, cette fistule entéro21 vésicale peut être associée à d’autres fistules soit internes entéro-entériques (le plus souvent iléo-iléale ou iléo-sigmoïdiennes) soit externes entéro-cutanées. Comme dans la diverticulite, le bilan urinaire est inutile. Seul un bilan digestif complet comprenant habituellement un transit du grêle et une coloscopie doit être pratiqué en préopératoire. La non visualisation de la fistule sur ces examens ne doit pas remettre en cause le diagnostic si cette fistule est symptomatique cliniquement. Elle sera de toutes les façons très facilement confirmée en peropératoire par l’accolement intime entre le segment intestinal et le dôme vésical. L’intervention chirurgicale consiste en une résection du segment intestinal, et comme dans la diverticulite une suture si possible de la fistule vésicale associée à un sondage urinaire prolongée environ 1 semaine. Ainsi, le plus souvent est réalisée une résection iléo-caecale avec anastomose iléo-colique droite immédiate (en cas de fistule iléovésicale) ou une colectomie subtotale avec anastomose iléorectale (en cas de Crohn colique avec fistule colo-vésicale). Là encore, dans notre expérience, ces interventions peuvent être le plus souvent réalisées sous cœlioscopie. IV. AUTRES CAUSES DE FISTULES ENTÉRO-VESICALES 1. CAUSES MALIGNES Le plus souvent, il s’agit d’un cancer recto-sigmoïdien qui envahit le dôme vésical, où siège la fistule. Il N°2 Mai 2001 A l’Ecoute des Autres Spécialités Le Traitement des Fistules Entérovésicales Figure 1: Sigmoïdectomie pour diverticulite Figure 2: Anastomose colorectale protégée Figure 3: Anastomose colorectale latéro-terminale ou termino-terminale 22 N°2 Mai 2001 A l’Ecoute des Autres Spécialités Le Traitement des Fistules Entér ovésicales Figure 4: Scanner montrant une sigmoïdite diverticulaire Figure 5: Fistule iléo-vésicale de Crohn: traitement chirurgical s’agit néanmoins d’une complication rare (moins de 0,5% des cancers recto-coliques). Parfois, celle-ci du fait de l’envahissement tumoral peut concerner, à l’inverse des fistules bénignes, la base de la vessie voire l’urèthre. En cas de suspicion de cause maligne, ou d’absence de contexte clinique, la réalisation d’un bilan vésical semble justifiée. En effet, la cystoscopie permettra, non pas trop de confirmer la fistule, si celle-ci est évidente cliniquement, mais surtout d’éliminer un cancer de la vessie, et de voir l’étendue de l’envahissement d’un éventuel cancer recto-sigmoïdien. Cet envahissement conditionne en effet le geste chirurgical à proposer. Un “simple” envahissement localisé du dôme vésical justifie une résection “en-bloc” du sigmoïde et de la portion de vessie atteinte. Cette intervention donne habituellement un résultat carcinologique satisfaisant (30-40% de survie à 5 ans) si la résection est jugée R0 (absence de tissu tumoral résiduel 23 macroscopique ou microscopique). Par contre, en cas d’envahissement de la base vésicale il faut proposer une cystectomie totale associée qui est une intervention non seulement mutilante, mais aussi inutile carcinologiquement si l’éxérèse n’a pas la possibilité d’être carcinologiquement satisfaisante). Donc dans ces situations, un bilan complet de l’envahissement vésical, du terrain (une telle intervention chez le sujet très agé, fragile n’est pas justifiée), et du cancer (l’association à une dissémination métastatique, surtout si elle n’est pas resécable contre-indique la cystectomie) est indispensable. Une situation beaucoup plus difficile est représentée par les récidives loco-régionales de cancers pelviens (gynécologique ou recto-sigmoïdien) envahissant la vessie. Le pronostic est souvent très mauvais et les chances de réintervention à visée curative quasi-nulles. Dans ces cas, aucune solution thérapeutique n’est satisfaisante, et on peut proposer par exemple une simple colostomie d’amont avec sondage urinaire à demeure. En dehors de la cystoscopie, la réalisation systématique d’examens radiologiques urinaires n’est pas justifiée (le bilan loco-régional par scanner permettra ainsi d’avoir une confirmation du bon fonctionnement des reins, sans qu’il soit nécessaire de rajouter une urographie). 2. RADIOTHÉRAPIE Le plus souvent, là encore, il s’agit de fistule iléo ou sigmoïdo-vésicale. Mais, comme dans la maladie de Crohn, du fait de l’étendue des lésions radiques, il existe souvent des sténoses digestives associées et N°2 Mai 2001 A l’Ecoute des Autres Spécialités Le Traitement des Fistules Entérovésicales parfois des autres fistules (notamment entéro-cutanées). Le bilan préopératoire doit s’assurer tout d’abord de l’absence de récidive tumorale (scanner abdomino-pelvien et thoracique le plus souvent); ensuite, de l’étendue des lésions intestinales radiques (au minimum par un transit du grêle et une coloscopie); enfin, un bilan urinaire est nécessaire pour juger de l’étendue de l’atteinte radique non seulement sur la vessie (par cystoscopie), mais aussi de l’éventuel retentissement sur les uretères et les reins (par urographie). Le traitement chirurgical consistera en une résection intestinale guidée par l’étendue des lésions (le plus souvent résection iléo-colique droite avec anastomose iléo-transverse droite) et une suture vésicale protégée par un sondage urinaire de 10 jours V. REFERENCES A CONSULTER • Keig hley MRB et Williams NS. Intestinal fistulas. In Keighley MRB et Williams NS (eds). 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Colorectal disease 1999; 1: 162-167 RETENIR Les principales causes des fistules entéro-vésicales sont: la diverticulite sigmoïdienne, la maladie de Crohn, les cancers pelviens, la radiothérapie, et plus rarement un traumatisme, ou une tuberculose. Elles sont souvent asymptomatiques (environ 50% des cas), découvertes sur un examen radiologique, ou surtout en peropératoire ; La symptomatologie clinique (pneumaturie ou plus rarement fécalurie, infection urinaire poly microbienne, hématurie, fièvre) est indépendante de l’étiologie; à l’inverse, le passage d’urine par le rectum semble exceptionnel ; Elles sont associées le plus souvent à un amendement des symptômes cliniques infectieux (fièvre, douleur abdominale) au moment de l’ouverture de la fistule dans la vessie ; Elles indiquent un traitement chirurgical, du fait du risque infectieux et rénal ; La localisation la plus fréquente de la fistule est le dôme vésical ce qui rend le plus souvent très simple le geste chirurgical sur la vessie, et qui rend inutile de ce fait un bilan spécifique préopératoire (cystoscopie, urographie intraveineuse ou cystographie rétrograde) notamment dans la diverticulite. En cas de cause maligne, un bilan cystoscopique est par contre indispensable, un envahissement de la base de la vessie devant faire alors discuter d’une cystectomie totale, intervention inutile et mutilante si la résection complète de la tumeur est impossible. 24