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Mars 2009 ScienceS HumaineS 25
N° 202
Quand et comment la ré-
vélation coranique est-
elle devenue un livre ? Selon
l’historiographie musulmane,
le message coranique a
été recueilli par écrit sur
différents supports du vivant
du prophète Mahomet (570-
632). Ces divers recueils ont
ensuite été rassemblés en
un unique mushaf (codex)
sous le califat d’Uthman
(644-655). Organisée par le
troisième calife de l’islam,
cette « collecte du Coran »
s’est aussi traduite par la
destruction, sur son ordre,
de toutes les versions anté-
rieures. C’est ainsi qu’a été
constitué le Coran qui s’est
progressivement imposé à
tous les musulmans, sunni-
tes et chiites.
Toutefois, cette histoire est
celle consacrée par le sun-
nisme dont la doctrine s’est
forgée au cours du ixe siècle.
Mais, pour la plupart des
chercheurs contemporains,
le processus de formation
du Coran canonique s’est
vraisemblablement pour-
suivi jusque sous le califat
omeyade (661-750), voire
plus tardivement. L’histo-
riographie musulmane a en
effet conservé des récits
divergents de ce processus.
Selon certains d’entre eux,
c’est au calife omeyade
Abd al-Malik (685-705) que
revient la paternité du Coran
canonique et la destruction
des versions précédentes.
Pourtant, d’autres récits re-
latent l’existence, durant le
viiie siècle, de codex concur-
rents du Coran officiel dans
les principaux centres de
l’Empire musulman comme
Médine (Arabie), Damas
(Syrie), Koufa (Irak). Cer-
tains de ces codex auraient
même encore circulé durant
le ixe siècle.
Un Coran ou
des Corans ?
Cependant, il ne semble pas
qu’il y ait eu des différen-
ces fondamentales dans
le contenu du message
coranique. Quoi qu’il en
soit, les autres versions du
Coran qui ne nous sont pas
parvenues ont alimenté les
conflits entre les diverses
factions politico-religieuses
qui ont divisé l’islam des
premiers siècles.
La tradition prophétique
chiite en porte notamment
la trace, nombre de ses
récits accusant le Coran
officiel de falsification.
Ce n’est qu’au milieu du
xe siècle que le chiisme
duodécimain s’est résolu,
pour faire preuve de son
orthodoxie, à en reconnaî-
tre la fidélité au message
transmis par Mahomet. D’un
autre côté, les récits des
premiers historiographes
musulmans conservés par
la tradition sunnite mon-
trent bien, estime l’historien
Alfred-Louis de Prémare (1),
qu’ils « avaient conscience,
mais sans le dire, du fait que
les matériaux coraniques
qu’ils connaissaient ne
provenaient pas uniquement
de ce qui avait été proclamé
entre 610 et 632 » (période
de la prédication de Maho-
met en Arabie). Ainsi, pour
ce spécialiste des textes
primitifs de l’islam, il ne fait
guère de doute que le Coran
a d’abord été « plusieurs
livres dont les rédacteurs
résistèrent longtemps à ce
qu’ils soient réduits en un
livre unique ». n S.L.
(1) Alfred-Louis de Prémare,
Aux origines du Coran. Questions
d’hier, approches d’aujourd’hui,
Téraèdre, 2004.
Comprendre
Coran et histoire
les spécialistes. Mais la pertinence de son
recours à une étymologie syro-araméenne
l’est moins, car cette réécriture éclaire la
compréhension de plusieurs passages obs-
curs du Coran, y compris pour les exégètes
musulmans (6). Ainsi de la courte sourate
108 : « Nous t’avons donné l’abondance. Prie
donc pour ton Seigneur et sacrifie ! L’ennemi
qui te hait, c’est lui qui est sans postérité. »
Elle devient, selon la méthode de C. Luxen-
berg : « Nous t’avons donné la constance.
Prie donc ton Seigneur et persévère. Celui
qui te hait (Satan), c’est lui le vaincu. » Une
formulation très proche de celles que l’on
peut trouver dans un lectionnaire (qu’ran,
en syro-araméen) de la liturgie chrétienne
syriaque (7).
Un retour aux sources de
la créativité musulmane ?
C’est là un exemple, parmi les apports de
la recherche, des « immenses possibilités,
estime A. Meddeb, qui devraient encou-
rager l’émergence de docteurs musulmans
d’un nouveau genre. Ils auraient à renou-
veler et à moderniser radicalement l’exégèse
et l’herméneutique coraniques, loin des
dogmes qui figent le texte et le laissent pros-
pérer dans ses archaïsmes et sa poésie par-
fois facile ». Ce pourrait être un retour aux
sources de la créativité musulmane. À une
époque où les savants ont eu recours aux
sciences de leur époque pour approfondir
le message coranique, mais aussi pour en
fixer la transmission. Car le texte du Coran
canonique n’a vraiment été stabilisé qu’au
milieu du xe siècle, quand les progrès de
l’écriture et de la grammaire arabes ont
permis d’adopter un ensemble restreint de
« lectures autorisées », dont les variantes
ont une influence mineure sur le sens de
la révélation.
Pour l’heure, les institutions religieuses
en terre d’islam ignorent toujours les res-
sources des sciences modernes, parce
qu’elles les rejettent a priori en leur déniant
toute légitimité à se saisir du Livre saint.
Toutefois, « malgré la stagnation des cen-
tres d’études islamiques traditionnels, la
pensée critique avance aujourd’hui chez une
constellation d’intellectuels musulmans »,
relèvent M. Cuypers et G. Gobillot. Ils se
situent dans la lignée des penseurs qui,
Freer Sackler Galleries
Coran, Sourate 38, écrite en écriture koufique, période
abbasside, ixe siècle.