17 Juillet 2012
Par Valentin Bellassen, chef du pôle « mécanismes de projets, agriculture, forêt »
valentin.bellassen@cdcclimat.com, et Mariana Deheza, chargée d’étude
« forêt »mariana.deheza@cdcclimat.com
Le secteur forestier dans la réduction des émissions
en Europe : la Commission européenne commence
par compter
Le 12 mars 2012, après deux ans de consultation et deflexion, la Commission
européenne a publié une proposition de réglementation concernant la prise en compte
du secteur de l’usage des terres et de la forêt dans la politique climatique européenne.
L’objectif de cette proposition est d’imposer des règles de comptabilisation
conformes aux décisions de la Convention-cadre des Nations unies sur le
changement climatique (CCNUCC) et de les rendre uniformes entre les Etats
membres. La question des incitations économiques pour garantir la contribution du
secteur à l’atténuation du changement climatique est, quant à elle, remise à plus tard.
Arrière-plan : un jeu d’incitations économiques déséquilibré
Figure 1 Niveau des incitations à réduire les émissions dans le secteur forêt-bois
Les valeurs proposées en euros pour l’incitation carbone sont un ordre de grandeur et ne reposent pas sur des calculs précis.
Elles ont pour seul objet d’illustrer la force de l’incitation. En dehors de l’incitation venant directement de l’EU ETS pour la
substitution énergie (a), ces valeurs sont très approximatives et reflètent la complexité des règles de comptabilisation du
secteur pour le stock en forêt (c) et l’incitation indirecte de l’EU ETS (via le désavantage comparatif des autres matériaux) pour
la substitution matériau (b).
Source : CDC Climat Recherche.
Illustration : Börner et al.
Carbone ~ 0.5 /tCO2e
(c)
Autres politiques
publiques :
~ néant
Force de lincitation économique venant des
marchés carbone (y compris répartition de la
rente) et des autres politiques publiques
Illustration : Börner et al.
Substitution énergie
Substitution/séquestration
produits bois
Stock en forêt
Atmosphère
Point Climat N°17 Le secteur forestier dans la réduction des émissions en Europe : la Commission
européenne commence par compter
2
Le Paquet Energie-Climat incite à la substitution des énergies fossiles par du
bois
Le Paquet Energie-Climat adopté en 2009 par l’Union européenne comporte trois volets : la
réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 20 %, la part des énergies
renouvelables dans le mix énergétique portée à 20 % et l’amélioration de l’efficacité
énergétique de 20 %, le tout à l’horizon 2020. Ces objectifs sont notamment soutenus par la
mise en place :
à l’échelle de l’Union européenne, d’un système européen déchange de quotas
d’émissions de CO2 (EU ETS) qui concerne les installations de production d’électricité et
d’industrie lourde les plus émettrices ;
à l’échelle des Etats membres, de tarifs de rachats et d’autres types de subventions ou
d’obligations réglementaires.
L’EU ETS, par le signal prix du CO2 qu’il adresse aux acteurs économiques, incite à utiliser
plus de bois et moins de charbon. En effet, les émissions de CO2 provenant de la
combustion du bois ne sont pas comptabilisées car la ressource est considérée comme
renouvelable. Cette incitation est ici chiffrée à une valeur indicative de 15 €/tCO2e, soit la
moyenne 2011 du prix du quota (Figure 1a). Ce type de substitution a été très largement
observé dans les centrales thermiques, dès la mise en place du dispositif en 2005. Les
politiques nationales, notamment subventionnelles, visant à atteindre l’objectif
d’augmentation de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique poussent
dans le même sens.
Par ailleurs, le bois est un matériau dont la fabrication est beaucoup moins énergivore que
ses alternatives telles que l’acier, le béton pour la construction ou encore le plastique pour
les meubles, etc. Dans ces secteurs, le prix du CO2 établi par l’EU ETS donne donc, tout
chose étant égale par ailleurs, un avantage comparatif au bois. Dans la pratique, l’efficacité
du système est moins avérée que pour l’énergie, notamment parce que les fabricants
d’autres matériaux ont été historiquement dotés d’une généreuse allocation gratuite de
quotas (Figure 1b). Au niveau national, d’autres politiques viennent compléter l’EU ETS sur
les matériaux : en France par exemple, un seuil minimal d’utilisation du bois dans les
bâtiments est imposé.
Séquestration du carbone dans la forêt: ni comptée, ni incitée par la politique
climatique internationale
Si l’EU ETS donne de manière indirecte des incitations économiques en faveur de la
valorisation du bois, à l’amont de la filière forestière, en revanche, les incitations à la
reconstitution de la ressource, chiffrées ici à 0,5 €/tCO2e (Figure 1c) sont maigres. La raison
est simple : la forêt est le seul secteur à n’être pas comptabilisé dans l’objectif de réductions
de GES de l’Union européenne. En théorie, les sylviculteurs qui voient leurs ventes
soutenues par les incitations à la substitution devraient investir en forêt pour se donner les
moyens d’approvisionner une demande croissante. Mais en réalité, si le prix du mètre cube
de bois peut influer sur la décision de coupe des sylviculteurs, il influe peu sur leurs choix
d’investissement dans une replantation dont les revenus ne se concrétisent que 50 à 100
ans plus tard. Le déséquilibre des incitations illustré par la Figure 1 risque donc de gripper le
cycle croissance/récolte dès 2016, avec une ressource en forêt incapable de suivre la
demande en bois par manque d’investissement (Ellison et al., 2012).
Règles Kyoto, version 2001 : aucune incitation à la séquestration en forêt
L’absence de prise en compte du secteur forestier dans les objectifs européens découle
sans doute des gles de comptabilisation du secteur pour la première période
d’engagement du protocole de Kyoto (2008-2012). La complexité de ces règles plafond de
crédits en-dessous du solde de la plupart des pays, autorisation de report d’une partie du
Point Climat N°17 Le secteur forestier dans la réduction des émissions en Europe : la Commission
européenne commence par compter
3
solde « gestion forestière » sur le solde « boisement/déboisement », … – a généré un casse-
tête insoluble (Bellassen and Deheza, 2009). Ainsi, les décideurs politiques des pays de
l’annexe 1 ont peu œuvré à l’incitation de la séquestration du carbone ou de la reconstitution
du stock dans leurs forêts : un seul projet forestier de compensation carbone a été enregistré
dans le cadre de la mise en œuvre conjointe (MOC), en Roumanie, et un seul pays a
partiellement intégré le secteur à son marché carbone, la Nouvelle-Zélande (Sartor and
Deheza, 2010; UNEP-Risoe, 2012).
Règles Kyoto, version 2011 : soumission d’un bilan carbone « forêt » et revue d’un
niveau de référence
Depuis 2010, ce diagnostic est partagé par la plupart des négociateurs, décidés à faire
évoluer les règles de comptabilisation du secteur pour la deuxième période d’engagement du
protocole de Kyoto. L’un des changements envisagés est de se référer non plus au bilan
total des forêts, mais de le comparer à un scénario « au fil de l’eau », ou niveau de
référence. La conférence de Cancún, fin 2010, a ainsi exigé que les pays industrialisés
soumettent à la CCNUCC un niveau de référence pour le bilan carbone de leurs forêts
gérées, et que ce niveau de référence soit audité par les experts forestiers accrédités par la
CCNUCC. Les grands pays forestiers européens prévoient ainsi une tendance à la baisse de
la séquestration de carbone par leurs forêts pour la période 2008-2020, provoquée par le
corpus d’incitations à l’utilisation de bois-énergie, et dans une moindre mesure de bois-
matériau, et par une quantité croissante de surfaces arrivant à l’âge de récolte (Figure 2).
Figure 2 Emissions historiques et niveaux de référence des principaux pays forestiers
européens
Ces cinq pays étaient en 2000 les cinq principaux pays forestiers européens, en termes de surface et de récolte. Les traits
pleins représentent les émissions historiques et les pointillés les niveaux de référence. Conformément à la convention
UNFCCC, les émissions négatives correspondent à une séquestration de carbone. Le profil particulier de l’Allemagne s’explique
par une mise à jour brutale de son inventaire suite aux campagnes d’inventaire forestier (2002 et 2009).
Source : CDC Climat Recherche d’après European Union (2011) et UNFCCC (2011).
-90
-80
-70
-60
-50
-40
-30
-20
-10
0
1990 1995 2000 2005 2010 2015 2020
Emissions de GES des forêts gérées, incluant les
produits du bois (MtCO2e/an)
-500
-450
-400
-350
-300
-250
-200
-150
-100
-50
0
1990 1995 2000 2005 2010 2015 2020
GHG emissions from managed
forests, including harvested wood
products (MtCO2e/yr)
EU
European Union (projected)
GHG emissions from managed
forests, including harvested wood
products (MtCO2e/yr)
Finlande
France
Allemagne
Espagne
Suède
UE
Point Climat N°17 Le secteur forestier dans la réduction des émissions en Europe : la Commission
européenne commence par compter
4
L’actu : une proposition de décision de l’UE pour harmoniser les
règles de comptabilisation de la forêt
De nouvelles règles plus incitatives pour les Etats membres
En 2011, la conférence de Durban fait de la forêt un secteur (presque) comme les
autres
La conférence de Durban, en décembre 2011, entérine les changements de règles de
comptabilisation de la forêt pour la deuxième période d’engagement :
La comptabilisation du bilan des boisements et déboisements (article 3.3 du protocole de
Kyoto) demeure obligatoire, et celle des émissions liées à la conversion des forêts
naturelles en forêts plantées vient désormais s’y ajouter. C’est le bilan net qui compte, et
non la comparaison à la référence 1990 comme pour les autres sources d’émissions
(Figure 3).
La comptabilisation du bilan de la gestion forestière devient obligatoire, et inclus
désormais le stock de carbone des produits du bois récolté sur le territoire national. Le
bilan est calculé par rapport à un niveau de référence. Mais à la différence des autres
sources d’émissions, la référence est un scénario « au fil de l’eau » et non une référence
historique. Ce scénario est audité par des experts accrédités de la CCNUCC (voir ci-
dessus) et peut être ajusté pour tenir compte d’améliorations dans la qualité de
l’inventaire. Le crédit annuel d’émissions au titre de la gestion forestière est par ailleurs
limité à 3,5 % des émissions nationales hors usage des terres et forêt en 1990 (Figure 3).
« Cas de force majeure » : les émissions liées à une catastrophe naturelle et dépassant
deux écarts-type au-dessus d’un niveau récurrent préétabli peuvent être exclues de la
comptabilisation. Pour l’instant, seule l’Australie a soumis un niveau récurrent lui
permettant d’utiliser cette clause. Les autres pays pourraient ne pas l’utiliser, ou
attendent que les lignes directrices sur l’établissement de ce niveau récurrent se
précisent (UNFCCC, 2011).
En dehors de la forêt, les autres activités d’usage des terres de l’article 3.4 inclusion
des émissions liées à la gestion des terres de grandes cultures, la gestion des terres de
pâturage et de génération végétale restent optionnelles, tout comme la
réhumidification et le drainage des tourbières, nouvelle activité pour laquelle une
comptabilisation est possible.
Point Climat N°17 Le secteur forestier dans la réduction des émissions en Europe : la Commission
européenne commence par compter
5
Figure 3 Nouvelles règles de comptabilisation : application à l’Union européenne
Les valeurs indiquées à titre d’exemple correspondent au solde de l’Union européenne pour l’année 2009.
En outre, elles ne représentent pas une projection du solde probable.
Source : CDC Climat Recherche.
Ces nouvelles règles font de la forêt un secteur presque similaire aux autres secteurs en
termes de comptabilisation des émissions de CO2 et sont beaucoup plus incitatives pour les
Etats : une augmentation de la séquestration est récompensée par l’obtention de davantage
de crédits, sans avoir à se préoccuper de complexes règles de report et de limites. La seule
limite fixée est relativement généreuse : un maximum de 3,5 % des émissions hors usage
des terres et forêt comptabilisées en 1990 sont autorisées en crédit pour le solde « gestion
forestière ». Dans la plupart des pays, cette limite ne devrait pas être atteinte, et donc ne
devrait pas freiner la motivation des pays à optimiser leur gestion forestière du point de vue
du carbone.
Le « plus » européen : harmonisation et notification
La proposition de décision publiée par la Commission (European Commission, 2012a)
reprend ces nouvelles règles de comptabilisation. Elle pose néanmoins deux exigences
supplémentaires :
Harmonisation sur une couverture large : la comptabilisation des terres cultivées et des
pâturages deviendrait obligatoire, facilitant la comparaison entre les inventaires des Etats
membres. Avec ces deux types d’usage des terres, la comptabilisation des variations de
stocks de carbone dans les sols agricoles devient incontournable. Par ailleurs, en
ajoutant la forêt dont la comptabilisation est déjà obligatoire, c’est près de 80 % du
territoire de l’Union européenne qui sera pris en compte.
Plan d’actions : chaque Etat membre se verrait également dans l’obligation de soumettre
dès 2013 un plan d’action pour optimiser le bilan carbone lié à l’usage des terres. Ce
plan d’action devra faire l’objet d’une large consultation des acteurs concernés et sera
évalué par la Commission. Un rapport de mi-étape et un rapport final décrivant le progrès
dans la mise en œuvre du plan d’action devront également être soumis et évalués par la
Commission sur la période 2013-2020.
Bilan Carbone
Boisement / boisement
Boisement/Deboisement
(Article 3.3)
Absorptions
(Reboisements)
Émissions
(Déboisements)
Résultat =
bilan net =
crédit de 25
MtCO2e/an
0
Bilan Carbone
Gestion forestière
Absorptions (Croissance)
Émissions
(Décomposition/Récolte)
Gestion forestière
(Article 3.4)
0
Puits net = -25
MtCO2e/an en 2009
Puits net = -280
MtCO2e/an en 2009
Niveau de Référence (NR)
(-306 MtCO2e/an)
Résultat =
bilan net
NR = débit
de 26
MtCO2e/an
Crédit maximal = NR - 3.5% x
émissions non-UTCF (155 MtCO2e/an)
1 / 7 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !