8 et 15 juin 2010 Plasmas et modélisation A. Sinquin 1. Le plasma : quatrième état de la matière 2. Collisions dans un gaz neutre 3. Rôle des effets quantiques 4. Phénomènes physiques dominant dans les plasmas 5. Les différentes interactions et corrélations dans un plasma a) Interactions coulombiennes b) Corrélations ions-électrons c) Corrélations ions-ions d) Corrélations électrons-électrons 6. Classification des plasmas 7. Un cas fondamental : l’oscillation de plasma 8. Ondes dans les plasmas 9. Le cas général : couplage des champs et des particules 10. Les modèles de plasma a) Système à N particules b) La force électromagnétique dans le système à N particules c) L’équation de Vlasov : un exemple de modèle cinétique d) La "hiérarchie BBGKY" e) Bref aperçu des équations cinétiques f) Les modèles fluides 11. Les instabilités 12. La simulation numérique des modèles cinétiques 13. La fusion par confinement inertiel Annexe : section efficace de diffusion 1 8 et 15 juin 2010 Plasmas et modélisations A. Sinquin La physique des plasmas apparaît au début du XXe siècle : les phénomènes optiques, électriques et magnétiques ont été unifiés par les équations de Maxwell et les études des décharges électriques dans les gaz tout au long du XIXe siècle ont permis de décrire les lois microscopiques de la matière. Le comportement des molécules, des atomes, des électrons et des ions commence à être mieux compris. Le mot "Plasma" est employé pour la première fois en 1928 par le physicien Irving Langmuir pour désigner la structure à l’aspect gélatineux qu’il observait dans ses tubes cathodiques. Cependant, la physique des plasmas se développe aussi en astrophysique. Dès 1901, Gulglielmo Marconi parvient à réfléchir des ondes sur l’ionosphère. En 1925, Edward Appleton et Douglas Hartree émettent l’idée que l’atmosphère est ionisée à une certaine altitude. L’étude des plasmas naturels est aujourd’hui devenue celle des plasmas astrophysiques. Enfin, les applications industrielles des plasmas sont aujourd’hui très nombreuses. Parmi elles, les futures techniques de production de l’énergie nous amènent aujourd’hui à vouloir résoudre les problèmes très complexes des instabilités qui se développent au sein des plasmas et responsables de pertes d’énergie extrêmement néfastes dans le cadre de la fusion thermonucléaire. Les recherches en physique des plasmas comprennent trois grandes communautés : la physique des plasmas industriels, la physique des plasmas thermonucléaires, la physique des plasmas naturels, spatiaux et astrophysiques. 1. Le plasma : quatrième état de la matière Dans notre environnement, la matière se présente sous la forme de solides, liquides et gaz. Il n’y a pas de plasma. Cependant, si on chauffe un gaz moléculaire, celui-ci va progressivement se transformer en un gaz atomique, puis si l’on chauffe encore, les électrons orbitaux vont acquérir une énergie supérieure à leur énergie de liaison et vont se libérer : un gaz ionisé apparaît. Un plasma est un gaz ionisé électriquement neutre à l’échelle macroscopique (sauf pour les plasmas qui sont assimilés à des faisceaux de particules chargées). Il peut supporter des champs électriques extrêmement élevés. Mais si l’état de plasma n’apparaît pas naturellement sur terre, il apparaît à une altitude d’environ 100 kilomètres pour laquelle les rayons solaires ultraviolets entretiennent des structures ionisées. On peut y trouver plusieurs milliers d’électrons et d’ions par centimètre cube. Au-delà de l’ionosphère et de la magnétosphère s’étend l’espace interplanétaire rempli de plasma. Le plasma constitue 99% ou 99,9% de l’univers cosmique selon le degré d’ionisation que l’on prend en compte. Pour comparaison, rappelons que l’atmosphère dans laquelle nous vivons a une densité de molécules (neutres) d’environ 3.1019 cm-3 pour une température de 273K. Ce seront des conditions 2 extrêmement différentes que nous allons rencontrer dans les plasmas. Même les milieux chauds de la terre qui ont fasciné l’humanité ne peuvent pas être classés au rang de plasma : ni le feu, ni la flamme, ni la lave des volcans ne sont constitués de densités suffisamment ionisées pour être considérés comme des plasmas. La physique des plasmas décrit des systèmes extrêmement variés suivant la température et la densité de particules, il y a des modèles pertinents dans chaque domaine. Les figures qui suivent donnent une idée de quelques valeurs représentatives rencontrées dans les différents domaines. Figure 1 : Densités et températures électroniques des principaux plasmas naturels Figure 2 : Densités et températures électroniques de quelques plasmas thermonucléaires et industriels [1] 3 2. Collisions dans un gaz neutre Dans un gaz neutre, ce sont les collisions qui sont responsables de la dynamique globale du système. Comme les particules sont neutres, ces collisions sont à courte portée et modélisées sans approximation lourde par "des boules de billard"[2] : les deux sphères entrant en collision sont rigoureusement impénétrables. Il n’y a collision que si les centres des deux molécules concernées (chacune de rayon 1 et 2) sont amenés à une distance inférieure à 1+2. La section efficace de collision (voir annexe) est purement géométrique : = (1+2)2. Les trajectoires des particules sont alors des lignes brisées. Figure 3 : Trajectoire d’une particule neutre dans un gaz neutre La longueur moyenne des segments définit le libre parcours moyen. Par exemple et pour donner un ordre de grandeur, dans un gaz d’azote dans les conditions normales de température et de pression, on peut calculer qu’il y a 4.109 collisions par seconde. Ainsi, ces collisions sont si nombreuses qu’on ne s’écarte presque jamais de l’équilibre. Les gaz sont décrits par la théorie cinétique qui est une théorie statistique : la probabilité dPv v pour que la vitesse d’une particule de masse m ait la vitesse v à d 3v près (notation : ou à d 3v dv près) est : (distribution de Maxwell) : 3 mv 2 3 m 2 exp d v dPv v 2 k T 2 k T B B où kB est la constante de Boltzmann. 3. Rôle des effets quantiques Les électrons du plasma sont des fermions. S’ils se retrouvent trop proches les uns des autres, c'est-à-dire si leur distance mutuelle est inférieure ou comparable à la longueur d’onde de Broglie, on doit tenir compte des effets quantiques. Il est équivalent de comparer l’énergie thermique des électrons avec l’énergie de Fermi TF [3]: TF h 2 3 2 n e 2/3 2k BTme où kB est la constante de Boltzmann, est la constante de Planck réduite, ne est la densité des électrons dans le plasma, T sa température et me la masse des électrons. Il s’avère que presque tous les plasmas sont trop chauds pour être de nature quantique (voir figure 6). Pour une densité de 1021 particules par cm3, typique de celle que l’on a dans les plasmas thermonucléaires, la formule ci-dessus donne TF = 0.36 eV alors que la température électronique est de l’ordre de quelques keV[4]. On a bien Te TF . Pratiquement seulement pour les électrons dans les métaux (on sait que les effets quantiques sont fondamentaux pour comprendre le 4 comportement métallique) et quelques plasmas à l’intérieur de certaines étoiles peuvent bénéficier de propriétés quantiques. La physique des plasmas est donc essentiellement classique et nous ne reviendrons plus à la mécanique quantique. 4. Phénomènes physiques dominant dans les plasmas Contrairement aux gaz neutres, dans un plasma, les interactions à courte portée et à longue portée interviennent à la fois. Les interactions électromagnétiques vont changer radicalement la dynamique, puisque le champ créé par une charge décroît en 1/r2 et intervient sur de plus grandes distances. Les trajectoires des particules ressemblent à celle qui est représentée sur la figure 4 : les lignes brisées se courbent progressivement au voisinage de centres diffuseurs. Suivons par exemple un électron. S’il passe près d’un ion, il sera fortement dévié et la courbure de sa trajectoire sera forte. On parle d’interaction binaire proche. Si, par contre, s’il passe loin, la courbure sera faible. On parle d’interaction binaire lointaine. Figure 4 : Trajectoire d’une particule chargée dans un gaz ionisé On pourrait penser que dans un plasma dense, la distance moyenne entre particules serait suffisamment petite pour avoir une majorité d’interactions proche, et inversement pour un plasma peu dense. Mais cet argument est faux, car il faut aussi tenir compte de l’agitation thermique des particules. Pour préciser un peu tout cela, nous allons définir un paramètre fondamental appelé longueur de Landau. Considérons un plasma de densité ne pour les électrons et ni pour les ions. Alors, la distance moyenne entre chaque électron (ion) peut être grossièrement évaluée à de=1/ne3 (di=1/ne3) en supposant qu’il y a un électron (ion) par volume élémentaire d3. Supposons que le plasma est à l’équilibre thermique et soit T la température des électrons. Définissons la longueur de Landau r0 par : r0 En exprimant que kT e2 4 0 r0 e2 4 0 kT , on voit que r0 est la distance à laquelle il faut que deux particules chargées s’approchent pour avoir une énergie potentielle électrostatique d’interaction binaire proche égale à leur énergie cinétique d’agitation thermique, kBT. Comparons les deux distances de et r0 : Si de >> r0 ou di >> r0, c’est le désordre, dû à l’agitation thermique, qui domine et on est proche des gaz parfaits. Les interactions binaires proches coulombiennes sont peu importantes, moins probables. On dit que le plasma est faiblement couplé ou faiblement collisionnel. Si r0 >> de ou r0 >> di, les plasmas sont fortement couplés. Leur structure est fluide, voire cristalline. Les propriétés de tels plasmas sont toujours peu connues. Pour déterminer de manière plus convaincante la dominance entre interactions binaires proches et lointaines, on peut aussi calculer la distance moyenne au bout de laquelle la trajectoire 5 d’une particule est déviée de manière significative. Ce calcul fait intervenir la diffusion coulombienne de Rutherford dont nous parlerons plus loin. Cependant, pour cet aspect collisionnel dans les plasmas, nous nous contenterons ici de mentionner qu’on obtient une distance dépendant d’un paramètre ln appelé logarithme coulombien qui rend compte de l’intensité du potentiel coulombien à la distance r0. Ce paramètre varie peu suivant les types de plasma (de 5 à 30 environ) et ne change pas nos conclusions [5]. 5. Les différentes interactions et corrélations dans un plasma Dans un plasma partiellement ionisé, les interactions binaires sont de nature électronsélectrons, ions-ions, ions-électrons, neutres-électrons ou neutres-ions et neutres-neutres. Parmi ces collisions interviennent à la fois les collisions binaires proches et lointaines. Comme nous l’avons déjà aperçu dans le paragraphe précédent, les dominances et les rapports entre toutes ces interactions sont complexes et caractérisent les différents types de plasmas qui ont chacun leur domaine d’étude. Quant aux particules neutres, elles ne sont présentes que si le plasma n’est pas totalement ionisé. Le degré d’ionisation d’un gaz est défini par le rapport : n n0 n où n est la densité du plasma. On a ne=ni=n au niveau macroscopique, ni est la densité des ions, ne celle des électrons, n0 celle des neutres. varie depuis des valeurs très faibles, de l’ordre de 10-10 jusqu’à 1 qui est le cas des gaz totalement ionisés, c'est-à-dire les plasmas. Les gaz partiellement ou peu ionisés concernent essentiellement les plasmas industriels et l’ionosphère. En a) nous donnons un aperçu de la section efficace de Rutherford qui permet de formaliser l’interaction coulombienne. Elle est à la base de toutes les interactions binaires. Puis, nous allons brièvement passer en revue les trois premiers types de corrélations, ions-électrons, électrons-électrons, ions-ions pour lesquels nous abordons les déplacements comme des effets collectifs. a) Interactions coulombiennes Une particule chargée peut être sensible à une particule chargée voisine très proche : c’est la diffusion de Rutherford appelée "interaction binaire proche" par opposition avec l’interaction électromagnétique due à l’ensemble des autres particules qui est un phénomène collectif dont on parlera plus loin. Les trajectoires de telles particules sont données par les lois de la dynamique newtonienne et de l’électromagnétisme. Ce sont des hyperboles si la vitesse incidente est suffisamment élevée. Dans ce cas, en coordonnées sphériques r , , où la cible est à l’origine, l’angle de diffusion est la valeur de l’angle pour laquelle r est infini. On peut alors relier cet angle avec le paramètre d’impact b : tg 2 Z1 Z 2 e 2 2 4 0 w10 w20 b ce qui permet d’obtenir la section efficace de Rutherford : 6 2 Z1Z 2 e 2 1 2 8 w w sin 4 / 2 0 10 20 est la masse réduite des deux particules qui interagissent, =m1m2/(m1+m2), w10 et w20 sont leurs vitesses initiales. Cette section efficace varie beaucoup avec et diverge pour 0 . Ceci est évidemment inacceptable et rend compte de l’insuffisance du modèle à décrire l’interaction coulombienne. Cette divergence se manifeste pour les faibles déviations, c'est-à-dire pour les collisions lointaines. Dans le paragraphe suivant, on justifiera comment on évite cette divergence en prenant un potentiel de Yukawa à la place du potentiel coulombien en 1 / r . Figure 5 : Section efficace différentielle écrantée Les interactions binaires particules chargées-particules chargées et particules neutresparticules chargées sont calculées pour des distances supérieures à r0 et ont permis de décrire de nombreux plasmas partiellement ionisés avec de bons accords expérimentaux. Néanmoins, pour des distances plus grandes, la décroissance du potentiel coulombien ne permet plus d’utiliser ce modèle. Il est plus pertinent de considérer l’ensemble des interactions peu intenses, mais cumulatives, et qui prennent toute leur importance loin des centres diffuseurs. b) Corrélations ions-électrons Nous exposons le calcul historique effectué par électrolytes. La neutralité électrique s’exprime par : Peter Debye lorsqu’il étudiait les qi ni0 + qe ne0 = 0 où qi est la charge des ions, qe celle des électrons, ni0 et ne0 sont des densités moyennes des ions et des électrons. La neutralité n’est que globale : à une échelle plus fine, les électrons, plus mobiles que les ions, forment un nuage autour de chaque ion. On suppose les ions immobiles et de densité constante ni0 = - qe ne0 / qi. Par contre, les électrons vont avoir une densité ne r ne0 obéissant à distribution de Boltzmann [6] : ne r ne 0 e qeV r k BT On suppose que les écarts à cette densité sont faibles (linéarisation): q V r ne r ne 0 1 e k BT V (r ) est le potentiel créé par les charges à la distance r d’un ion positif pris à l’origine ; il satisfait l’équation de Poisson : 7 V 2V 1 0 1 0 n q e e n ni 0 qi e ne 0 qe ne 0 qe2 V 0 k BT soit en coordonnées sphériques : 1 2 V r r 2 r r k T V 2 2 en posant D 0 B 2 ne 0 qe D 2 rV rV2 2 r D rV Ae qui a pour solution générale : r D Be r D r r A B V e D e D r r Si r ,V 0 B 0 Si r 0,V Finalement, qi 4 0 r V A qi 4 0 r e qi 4 0 r D (potentiel de Yukawa) avec D 0 k BT ne 0 qe2 D est la longueur de Debye. La densité du nuage formé par les électrons autour de chaque ion décroit exponentiellement avec r et l’épaisseur de ce nuage est de l’ordre de D. Le potentiel de Coulomb ainsi atténué par le nuage d’électrons qui lui sont corrélés est dit "écranté". La longueur de Debye est l’échelle de longueur en dessous de laquelle la quasi-neutralité est brisée. Considérons des sphères de rayon D centrées sur un ion du plasma. A l’extérieur de la sphère de Debye, l’écrantage est fort, le plasma est quasi neutre. Ce résultat est valable si le nombre d’électrons dans chaque sphère de Debye est très grand devant 1, ne 3D 1 , ce qui est équivalent à la condition r0 << de énoncée au paragraphe 4. A l’intérieur de la sphère de Debye, ne 3D 1 (condition r0 >> de), il n’y a pas un nombre suffisant d’électrons pour avoir une approche collective, les plasmas sont fortement corrélés. Les plasmas vérifiant : r0 << de < D pour lesquels la longueur de Debye est simplement grande sont considérés comme idéaux et sont dits cinétiques. La structuration en sphères de Debye n’est ni statique, ni ordonnée. Un électron participe à plusieurs sphères de Debye et possède lui-même une sphère ionique tout en évoluant sous l’effet de l’agitation thermique. A cause de la décroissance lente du potentiel coulombien avec la distance, les interactions binaires lointaines sont statistiquement plus nombreuses que les interactions proches : à chaque 8 instant, un électron interagit avec un très grand nombre d’autres électrons ou ions. Ces interactions collectives lointaines peuvent ainsi être décrites par un modèle de fluide continu et le plasma sera un mélange de deux fluides continus, celui des électrons et celui des ions. Dans les cas des faibles déviations, ces modèles pallient aux cas non exploitables où la section efficace de Rutherford diverge. Par ailleurs, on conçoit que la moindre perturbation peut déséquilibrer un tel système et provoquer des instabilités menant à des phénomènes de turbulence. Un plasma thermonucléaire a une densité de 1027 m-3 électrons et une température de 107 K (environ 8,6 keV). Les calculs donnent : r0 = 1.7 10-13m, de = 4,6. 10-10m, D = 4.9 10-9m. C’est un plasma cinétique. Les plasmas stellaires sont aussi des plasmas cinétiques. c) Corrélations ions-ions Dans le paragraphe précédent, en supposant que ni=ni0, on a négligé les corrélations ionsions. Pour en tenir compte, il suffit d’écrire la distribution des ions : ni r ni0 e qiV r k BT On obtient alors une autre longueur de Debye plus précise ( 2 s 2D 1 qi e , e : charge élémentaire). Les collisions ions-ions sont en fait négligeables et on utilisera D au lieu de s . d) Corrélations électrons-électrons Les électrons interagissent entre eux surtout par l’émission de rayonnement. En effet, en électromagnétisme classique, toute particule accélérée rayonne et ce, d’autant plus qu’elle est légère : c’est le rayonnement de Bremsstrahlung. Cela concerne donc tout particulièrement les électrons. Il a été montré que deux électrons produisent des champs électriques opposés et que par conséquent, l’interaction électrons-électrons n’a pratiquement aucun effet. 6. Classification des plasmas On classe les plasmas selon les prédominances des interactions que nous venons de discuter. Figure 6 : Diagramme de classification des plasmas [7] 9 7. Un cas fondamental : l’oscillation de plasma L’effet d’écran a été abordé en considérant le plasma à l’équilibre thermodynamique. Penchons nous maintenant sur la dynamique du plasma. On considère un plasma homogène à l’équilibre. Supposons qu’il soit composé d’ions et d’électrons immobiles (en fait chaque espèce a une vitesse moyenne nulle et une température nulle), de mêmes densités ne=ni=n0. Sans perturbation extérieure, ce système reste stationnaire. Au temps initial et à l’origine, on perturbe le système en introduisant par exemple une décharge électrique. Figure 7 : Perturbation à l’origine dans la densité électronique Les électrons, qui ont une inertie plus faible, se déplacent pour écranter la charge extérieure. Considérons un plasma monodimensionnel et soit x le déplacement d’une tranche d’électrons autour de sa position d’équilibre. Des charges excédentaires qe apparaissent sur un côté et un défaut de charges qe apparaissent sur l’autre côté. Figure 8 : Schéma des distributions de charges dans une tranche de plasma Le champ électrique ainsi créé est analogue à celui d’un champ E existant entre les armatures de surface S d’un condensateur : 1 ne Sx qe ne qe x E E 0 0 S 0 L’équation du mouvement des électrons (de masse m) s’écrit : mx qe E 10 mx ne qe2 x 0 Les électrons oscillent naturellement tous ensemble sans amortissement autour de leur position d’équilibre avec la pulsation ne qe2 pe m 0 pe est appelé pulsation ou fréquence plasma électronique (bien qu’il s’agisse d’une pulsation !). On remarque que pe dépend de la densité électronique ne, ce qui montre le comportement collectif du plasma. De façon générale, tout plasma est le siège d’oscillations à la fréquence plasma. En introduisant la vitesse thermique vth k BTe , on obtient : m D pe k BTe vth m On voit que la longueur de Debye est la distance moyenne parcourue par un électron pendant le temps d’une période de l’oscillation de plasma. Enfin, notons qu’il existe un champ magnétique créé par le mouvement des électrons et un champ électrique induit correspondant. Mais ceux-ci sont négligeables ici. 8. Ondes dans les plasmas Il est important d’étudier spécifiquement les ondes dans un plasma, car le champ électromagnétique associé à une onde interagit avec les particules. Cette interaction modifie radicalement les caractéristiques de propagation des ondes par rapport au cas d’une onde simple dans le vide. Ainsi, dans un plasma, beaucoup d’ondes de nature différentes peuvent se propager : les ondes transversales qui sont analogues aux ondes électromagnétiques usuelles, les ondes longitudinales qui sont analogues aux ondes acoustiques et les ondes générales dites hybrides. Elles peuvent être sphériques, cylindriques, planes…, elles seront décomposées et analysées comme une superposition d’ondes planes monochromatiques : E r , t E0 ei t kr dans laquelle la partie réelle représente le champ électromagnétique portée par l’onde. La périodicité temporelle est décrite par la pulsation et la périodicité spatiale est décrite par le vecteur d’onde k . Les plans pour lesquels k E r , t est constant à un instant donné se déplacent à la vitesse de phase v n , où n . k k Intéressons nous à la propagation d’une telle onde. Notons qu’on doit aussi écrire pour le champ magnétique une expression analogue à celle du champ électrique, soit Br , t B0 ei t kr . Dans ce paragraphe, nous négligeons la force magnétique F qe w B en admettant que B 1 E c comme pour une onde dans le vide. Cette approximation n’est toutefois justifiée que si v w , ce qu’on vérifiera a posteriori. w est la vitesse de la particule chargée mise en mouvement par l’onde. L’équation du mouvement d’un électron qui subit l’interaction le champ électrique de l’onde s’écrit alors : 11 me dw qe E dt Pour une densité volumique de charges nulle, les équations de Maxwell sont : divE 0 divB 0 B rotE t E rotB 0 j 0 0 t où 0 et 0 sont la permittivité et la perméabilité du vide, j est la densité de courant, j ne qe w . 2 j w ne qe Alors : ne qe E. t t me On cherche une solution complexe sous la forme : E r , t E0 ei t kr et Br , t B0 ei t kr En dérivant : ik E ik B 0 ik E i B k E B ik B 0 j i 0 0 E De même pour le courant : 2 ne qe 2 ne qe ij E j i E me me et 2 nq k B 0 e e E 0 0 E me 2 1 1 2 ne qe k k E k E 0 E 0 0 E me k 2 0 Soit, puisque c 2 1 0 0 2 , en posant pe k 2 2 2 pe c2 d’où la relation entre k et : 2 ne qe 2 0 0 me c 2 0 ne qe2 m (pulsation plasma) (relation de dispersion) La relation entre k et n’est pas linéaire : un plasma est dispersif. k est réel si pe et il y aura propagation. La fréquence de plasma apparaît comme une fréquence de coupure pour les ondes électromagnétiques. Seules les ondes de fréquence supérieure 12 à la fréquence de plasma peuvent se propager dans un plasma homogène et isotrope. La fréquence plasma explique le rôle d’écran réflecteur joué par l’ionosphère terrestre vis-à-vis du rayonnement radio dont la fréquence est inférieure à la fréquence plasma maximale de l’ionosphère. Figure 9 : Diagramme (,k) dans un plasma d’électrons A haute fréquence pe , le plasma se comporte presque comme le vide. La vitesse de phase est v c 1 pe 2 , comme B kE E , qe w B qe E v k est imaginaire pur si pe et les ondes ne se propagent pas. Dans ce cas, k i 2 pe 2 c2 ik ' ' et le champ électrique s’écrit sous la forme : k '' r E E0 eit e soit Re E E0e k ''r cost L’onde est stationnaire et évanescente. Sur ce modèle fondamental, on prend donc conscience de l’importance considérable de la modification de la propagation des ondes au sein d’un plasma. Sur des modèles un peu moins simplifiés et lorsque les approximations le permettent, on reporte E r , t E0 ei t kr dans une équation linéaire à coefficients constants qui caractérise le phénomène d’onde étudié. On obtient une relation polynomiale après avoir éliminé E0. Cette relation est appelée relation de dispersion et montre que et k ne sont pas des variables indépendantes. 13 Enfin, mentionnons deux effets importants des ondes : Les ondes transportent de l’énergie qui peut être absorbée par le plasma. Si cette énergie est suffisante, on peut chauffer un plasma de Deutérium-Tritium par exemple jusqu’à des températures permettant d’amorcer des réactions de fusion. C’est le principe des tokamaks. Par contre, si on introduit un faisceau laser dans un plasma (quelconque), cette perturbation de grande ampleur induit des ondes artificielles qui provoquent des mouvements violents de particules. On peut aller jusqu’à expulser le plasma le long de la trajectoire de l’onde. C’est ce qui se produit lorsqu’on fait de la fusion thermonucléaire par confinement inertiel. 9. Le cas général : couplage des champs et des particules Les particules chargées se meuvent sous l’action des champs électromagnétiques qui euxmêmes dépendent de la position et de la vitesse de ces mêmes particules chargées. Plus précisément, - connaissant E et B , on en déduit les forces électromagnétiques. On peut alors calculer les trajectoires et les positions des particules chargées, c'est-à-dire les densités de charges et de courant et j . - connaissant les trajectoires et les positions des particules chargées, on en déduit et j et par les équations de Maxwell, on obtient E et B . On dit que les champs et la dynamique des particules sont couplés. Ce scénario se retrouve toujours en physique des plasmas (voir figure 10). Figure 10 : Couplage entre l’électromagnétisme et la dynamique 14 Au cours des dernières décennies, il a été développé une multitude de modèles fondés sur le scénario décrit ci-dessus. Notons que si et j sont nuls (cas des gaz neutres), il n’y a plus de couplage et les deux parties électromagnétique et mécanique deviennent indépendantes : les ondes se propagent sans action sur les particules neutres qui se meuvent uniquement sous l’effet des collisions. Cette situation est bien plus simple et très différente de celle des plasmas. 10. Les modèles de plasma Un plasma est un système physique contenant un très grand nombre de particules. Il est vain de chercher à le décrire en écrivant les équations du mouvement pour chaque particule, car il est impossible d’une part de collecter toutes les informations détaillées qu’il faudrait et, d’autre part, d’avoir le temps d’effectuer tous les calculs. Une approche statistique, donc probabiliste s’impose. a) Système à N particules On considère le plasma comme un fluide constitué de N particules identiques obéissant aux lois de la mécanique classique. Ce système va avoir une trajectoire dans l’espace des phases à 6N dimensions, 3N pour les coordonnées d’espace, notées qi , et 3N pour les impulsions, notées pi . A cause du manque d’information sur chacune des particules, on ne connaît les positions et les 3N impulsions qu’à dq dp i i 1 i ~ d près. Soit Dqi , pi , t la densité de probabilité dans l’espace des phases qui donne la probabilité dPqi , pi , t Dqi , pi , t d de trouver, à l’instant t, la particule 1 à la position q1 avec l’impulsion p1 à dq1 et dp1 près, la particule 2 à la position q2 avec l’impulsion p2 à dq2 et dp2 , etc… Cette probabilité est normalisée, à chaque instant : ~ ~ dPqi , pi , t Dqi , pi , t d 1 L’intégrale porte sur tout l’espace des phases. Considérons les états microscopiques qi , pi situés dans l’élément de volume d de l’espace des phases. Ces états évoluent dans le temps et à un instant t’ ultérieur, ils se retrouveront dans l’élément de volume d’. On admettra que la probabilité de trouver le système dans l’état qi , pi à dqi dpi près à l’instant t est la même que de le trouver dans l’état q'i , p'i à dq'i dp'i près à l’instant t’ [8]: ~ ~ Dq'i , p'i , t 'd ' Dqi , pi , t d Par ailleurs, le théorème de Liouville [9] affirme que d =d’ (invariant de Liouville-Poincaré). 15 Figure 11 : Evolution d’un volume dans l’espace des phases [10] Ce théorème signifie que ce qui est gagné par {qi} est perdu par {pi} et inversement. Dans des cas complexes, cette invariance génère une filamentation dans l’espace des phases dont les structures à petite échelle sont à l’origine du comportement chaotique observé dans les plasmas. Reprenons l’expression de la densité de probabilité. Le théorème de Liouville entraîne : ~ ~ Dq'i , p'i , t ' Dqi , pi , t Il y a conservation de la densité de probabilité, ce qui s’écrit : ~ dDqi , pi , t 0 dt ~ ~ ~ D 3 N D dqi 3 N D dpi 0 t i 1 qi dt i 1 pi dt b) La force électromagnétique dans le système à N particules Revenons aux variables d’espace habituelles : Dri , wi , t m3 N Dqi , pi mwi , t où on a ~ regroupé par trois les coordonnées : dr1 dq1dq2 dq3 dx1dy1dz1 pour la première particule, dr2 dq4 dq5 dq6 dx2 dy2 dz2 pour la deuxième particule, m3dw1 dp1dp2 dp3 dw1x dw1 y dw1z etc… wi est la vitesse de la particule i, i varie de 1 à N. dp i Dans les équations du mouvement, est la force électromagnétique qui s’exerce sur la dt particule i : dpi Fi qi E wi B dt avec E E p Eext et B B p Bext 16 E p et B p sont les champs créés par les charges et les courants dans le plasma, Eext et Bext sont les champs d’origine extérieure. Ils obéissent aux équations de Maxwell qui s’écrivent en séparant les sources extérieures des sources du plasma : B rotE t divB 0 E rot B J J o p o o o ext t p ext divE o o où ρp, ρext, J p et Jext sont respectivement la densité de charges du plasma, celle des sources extérieures, la densité du courant du plasma et celle des sources extérieures. ρp et J p sont donnés par les relations constitutives : p t N qi D(ri , wi , t )d et J p t N qi wi D(ri , wi , t )i d i i D D N D N wi qi E wi B 0 t i 1 ri i 1 wi C’est l’équation de Liouville pour un plasma. D Dri , wi , t Dr1 , r2 ,..., rN , w1 , w2 ,...wN , t A partir de la densité de probabilité D, on peut construire les fonctions à une particule, à deux particules, …à n particules n N . f1 r 1, p1 , t N Ddr2 dw2 ...drN dwN f 2 r 1, p1 ,r 2 , p2 , t N N 1 Ddr3dw3 ...drN dwN … f n r 1, p1 ,...,r n , pn , t N N 1...N n 1 Ddrn1dwn1...drN dwN f1 représente la probabilité de trouver, à l’instant t, la particule 1 à la position r1 avec la vitesse w1 à dr1 et dw1 près, quelles que soient les positions et les impulsions des (N-1) autres particules ; f2 représente la probabilité de trouver, à l’instant t, la particule 1 à la position r1 avec la vitesse w1 à dr1 et dw1 près et la particule 2 à la position r2 avec la vitesse w2 à dr2 et dw2 près, quelles que soient les positions et les impulsions des (N-2) autres particules ; … Pour n=N, fN coïncide avec D. Chacune de ces probabilités fn possède moins d’information que D qui en possède le maximum. Elles sont appelées "fonctions de répartition réduites". c) L’équation de Vlasov : un exemple de modèle cinétique L’équation d’évolution de f1 s’obtient en multipliant l’équation de Liouville par N et en l’intégrant sur r2 , w2 , r3 , w3 ,…, rN , wN . Le calcul donne [11]: 17 F1 r1 , t 1 ur1 r2 f 2 r1 , w1 , r2 , w2 , t dr2 dw2 f1 r1 , w1 , t w1 r1 m w1 m r1 w1 t F1 r1 , t est la force électromagnétique extérieure qui s’exerce en r1 , ur1 r2 est l’énergie potentielle dont dérivent les forces d’interactions binaires (forces à deux corps). On fait l’hypothèse que les particules sont indépendantes les unes des autres. Il n’y a donc pas de corrélation conformément à ce qui a été dit au paragraphe 5. b) dans le cas des plasmas cinétiques pour lesquels r0 << de < D. Dans ces conditions, f 2 r1 , w1 , r2 , w2 , t f1 r1 , w1 , t . f 2 r2 , w2 , t Quand on dit que les particules chargées sont indépendantes, c’est aussi dire qu’une particule située en r subit le champ moyen des N 1 autres particules via un potentiel moyen u r , t qui s’ajoute au potentiel extérieur. On écrira alors l’équation précédente sous la forme : 1 w1 F1 r1 , t u r , t f1 r1 , w1 , t 0 r1 m r w1 t C’est l’équation de Vlasov qui est l’équation fondamentale de la physique des plasmas. Elle est extrêmement utilisée. Les équations qui, comme ici, font intervenir la vitesse des particules, sont appelées équations cinétiques. Remarquons que l’équation de Vlasov est invariante par renversement du temps comme l’équation de Liouville : elle permet de décrire l’évolution d’un plasma dilué hors d’équilibre, mais elle ne peut pas rendre compte des processus irréversibles qui conduiraient à l’équilibre macroscopique du plasma qui est son état naturel lorsqu’il n’est pas soumis à des champs extérieurs. Par contre, l’équation de Boltzmann, elle aussi très utilisée, est irréversible. Cela est dû au fait qu’elle prend en compte les collisions binaires. d) La" hiérarchie BBGKY" On peut généraliser ce calcul pour toutes les fonctions fn (nous ne le faisons pas ici) : leur équation d’évolution se calcule en intégrant l’équation de Liouville sur les positions et les vitesses des (N-n) autres particules. On obtient alors un système de N équations intégro-différentielles dont la dernière fN est l’équation de Liouville elle-même. Ce système est exact et équivalent à l’équation de Liouville. Il est tel que pour calculer fn, il faut connaître fn+1. On dit que ce système suit la "hiérarchie BBGKY" (Born-Bogolioubov-Green-Kirkwood-Yvon). Tronquer ce système, c’est faire des approximations sur une fonction fn+1 particulière choisie, donc sur la physique du système étudié. C’est un choix fondamental dans la recherche des phénomènes physiques qu’on voudra faire apparaître dans les modèles. 18 e) Bref aperçu des équations cinétiques Figure 11 : Équations cinétiques des gaz et des plasmas [12] Cet arbre donne une idée des diverses équations qui ont été obtenues au cours des dernières décennies. A partir de l’équation de Liouville, il y a deux manières différentes de traiter la physique des plasmas. Il y a la méthode régressive utilisant "la hiérarchie BBGKY" et la méthode analytique par laquelle on cherche directement une solution. En fait, dans cette dernière, on est souvent contraint de faire aussi des approximations et l’on obtient parfois les mêmes équations que par la méthode BBGKY. 19 Au niveau de l’équation de Liouville, toutes les interactions à deux particules sont prises en compte et l’échelle de temps caractéristique est celle des corrélations, soit typiquement 10-12 seconde. C’est l’échelle précinétique. Elle n’est donc pas exploitée, car trop détaillée. Au niveau des équations de Vlasov, Balescu, Landau et Boltzmann, c’est le temps entre deux interactions d’une même particule qui est caractéristique : il est de l’ordre de 10-9 seconde. C’est l’échelle cinétique, plus longue que la précédente. f) Les modèles fluides La description du plasma par les équations cinétiques, bien que réduite, reste fine et les grandeurs macroscopiques observables ne sont pas mises en évidence. Celles-ci s’obtiennent en calculant les différents moments des fonctions fi qui donnent les variables hydrodynamiques. Les modèles correspondants sont appelés modèles fluides ou hydrodynamiques. Ils ne permettent pas de décrire les phénomènes de micro-instabilités, mais ils décrivent les processus macroscopiques. L’ordre de grandeur du temps est ici donné par le temps de relaxation des inhomogénéités des variables hydrodynamiques. L’échelle de temps hydrodynamique est de 10-4 seconde. La densité n d’un plasma est donné par : n f i (ri , wi , t )dwi avec les mêmes notations que précédemment. Le flux des particules est donné par : nr , t V r , t f i (ri , wi , t )wi dwi V r , t est la vitesse moyenne des particules. Le tenseur de pression cinétique s’écrit : P r , t wi V wi V f i (ri , wi , t )dwi Enfin, le flux de chaleur qui permet d’accéder à la température est : 1 Qr , t m 2 w V w V f (r , w , t )dw i 2 i i i i i Ainsi, en intégrant l’équation de Vlasov après l’avoir multipliée par V , ces variables macroscopiques apparaissent naturellement et l’équation du mouvement des particules s’écrit en l’absence de champ magnétique : nq nV 1 . n V V E .P t m m 11. Les instabilités On fait souvent l’hypothèse que l’interaction onde-plasma reste suffisamment petite afin de linéariser les équations correspondantes. Ceci n’est pas toujours réaliste, et ce ne l’est plus du tout dans les plasmas artificiels produits à des fins thermonucléaires puisqu’on y injecte des champs extérieurs (magnétiques pour les tokamaks et électromagnétiques de rayonnement laser pour la fusion inertielle). Ces perturbations extérieures ne sont pas de faible amplitude et les échanges d’énergie peuvent conduire non seulement à l’amortissement des ondes, mais aussi à leur amplification dans des proportions telles que le plasma soit modifié sur des échelles 20 macroscopiques. En corrélation avec de telles amplifications d’ondes, des modulations de densité de grande amplitude apparaissent et se comportent localement comme des micro-accélérateurs de particules : des électrons sont alors piégés dans l’onde plasma qui croît jusqu’à déferler. Ces électrons forment alors des populations suprathermiques de température bien plus élevée que la température initiale du plasma. C’est ce qu’on appelle des instabilités. Parfois, certaines modifications se révèlent subtiles et n’affectent qu’une partie limitée des particules, dites particules résonantes. 12. La simulation numérique des modèles cinétiques De nombreux codes modélisent des particules ou des faisceaux de particules en interaction avec les champs électromagnétiques qu’elles génèrent et auxquels elles sont soumises. Il s’agit de déterminer les champs électromagnétiques E , B , et le mouvement des particules chargées. Différentes méthodes existent. Nous allons décrire la méthode dite PIC, pour Particle-in-Cell, qui est extrêmement utilisée. Elle fait partie des méthodes dites lagrangiennes ou particulaires, qui exploitent la conservation de la fonction de distribution f1 (r , p, t ) le long des courbes "position, impulsion" r t , pt [13]. f1 est décomposée de la façon suivante : N f1N (r , p, t ) k r rk p pk (1) k 1 N est le nombre de macro-particules (particules numériques) de position rk , d’impulsion pk et de poids k . N est bien plus petit que le nombre de particules réelles, est la fonction de Dirac. rk t et pk t sont solutions de : d dt rk t vk t d p t F rk t , pk t , t dt k q avec les conditions initiales rk 0 rk0 et pk 0 pk0 . (2) Ce sont les équations du mouvement des "macro-particules", la kième particule qui est à la position rk se déplace à la vitesse vk et elle est accélérée par la force F . Puis, en reportant f1N (r , p, t ) de l’expression (1) dans (r , t ) q f1 (r , p, t )dp J (r , t ) q f1 (r , p, t )vdp on obtient alors les densités de charges et de courant : N N N (r , t ) qk (r rk ) , J N (r , t ) qk vk t (r rk ) k 1 k 1 La méthode lagrangienne dite PIC (pour Particle-In-Cell) calcule les solutions des équations de Maxwell sur un maillage de l’espace physique et déduit par interpolation les champs à la position 21 des macro-particules. Ces dernières sont alors avancées dans l’espace des phases en résolvant numériquement les équations du mouvement (2). On utilise ainsi le schéma de la figure 10 p. 14. Concrètement, on procède aux étapes suivantes : On initialise la fonction de distribution, les densités de courant et de charge. Typiquement, on injecte une centaine de "macro-particules" par maille. Les champs électromagnétiques sont calculés à partir des équations de Maxwell. Ces champs sont interpolés aux positions des particules, ce qui permet d’y calculer la force de Lorentz. On déplace les particules, puisque l’étape précédente donne les nouvelles positions et vitesses grâce aux équations du mouvement. On prend en compte les absorptions, les réflexions et les éventuelles émissions de particules. On calcule les densités de courant et de charges à partir de toutes les particules. On peut à nouveau calculer les champs correspondant à cette nouvelle configuration et on peut recommencer le cycle des opérations (itérations). Dans un plasma idéal (c'est-à-dire non collisionnel), les forces électromagnétiques sont à longue portée : on choisit de négliger les corrélations entre particules, les fonctions de distributions sont continues, et J aussi, ce qui a permis d’obtenir l’équation de Vlasov. Cependant, ceci est incohérent avec l’emploi de fonctions de Dirac qui ramènent la description au niveau particulaire avec la notion de "macro-particules". Cette décomposition s’accompagne de fluctuations dans les diverses grandeurs calculées qui peuvent ensuite s’amplifier de manière artificielle. Ainsi, la méthode PIC génère du bruit. Un des moyens les plus faciles de réduire ce bruit est d’augmenter le nombre de ces "macro-particules", le bruit diminuant en 1 . Par ailleurs, parmi les nombreuses N corrections apportées pour maîtriser les différentes sources de bruit, l’assignation des charges et l’interpolation des champs constituent deux étapes importantes dans une méthode particulaire. Les expressions de et J , qui sont donc formulées avec des fonctions de Dirac pour la discrétisation, seront décrites dans les codes par des fonctions plus régulières sur le maillage (elle sont appelées facteur de forme et sont introduites pour atténuer la non conservation de la charge électrique). Cependant, malgré ces aspects négatifs, les méthodes PIC permettent d’obtenir des résultats réalistes pour les mécanismes physiques complexes de physique des plasmas. Ces méthodes sont essentiellement utilisées pour les machines récentes munis de laser de très haute puissance (Tokamaks, laser MégaJoule). On peut par exemple voir sur la figure 12 ci-dessous des résultats concernant les fonctions de distribution en impulsion pour différentes intensités du laser incident. Il s’agit d’un plasma d’hydrogène totalement ionisé, les ions sont immobiles, il y a donc uniquement des électrons libres.La simulation est à une dimension, le plasma a une longueur de 100 m. La température initiale du plasma est de 3 keV, les électrons se répartissent selon une distribution de Maxwell. On constate qu’au bout de 2.3 ps (durée de la simulation), la distribution se déforme, caractérisant un comportement cinétique du plasma et des électrons sont accélérés jusqu’à atteindre des vitesses correspondant à des températures de 43 keV. 22 Figure 12 : Distributions en impulsion des électrons pour différentes intensités du laser incident 13. La fusion par confinement inertiel La fusion thermonucléaire est une source d’énergie très importante : la réaction de fusion entre un isotope de deutérium et un isotope de tritium ( 21 D 31T 42 He2 n ), qui est la réaction la plus probable dans un mélange DT, produit par unité de masse environ huit fois plus d’énergie que la réaction de fission de l’uranium. Ceci explique pourquoi la recherche sur la fusion est très active aujourd’hui aussi bien dans le domaine civil que dans le domaine militaire. Pour produire des réactions de fusion, il faut chauffer et comprimer le mélange DT de façon suffisante afin de vaincre la barrière coulombienne répulsive d’énergie potentielle des deux isotopes D+ et T+. La fusion par confinement inertiel (FCI) est l’une des deux voies actuelles étudiée, l’autre étant la fusion par confinement magnétique. Dans la FCI, pendant un temps très bref, de l’ordre de la nanoseconde, voire d’une fraction de nanoseconde, on apporte de l’énergie à de petites capsules renfermant un mélange dense deutérium tritium. Cet apport d’énergie n’est pas continu contrairement à la fusion par confinement magnétique, il est ici produit par des impulsions courtes de fréquence d’environ quelques Hertz conduisant à des micro-explosions indépendantes les unes des autres. Les contraintes en FCI sont sévères : l’énergie laser doit être de l’ordre d’une dizaine de Mégajoules, les impulsions doivent être de quelques nanosecondes et bien profilées en temps, les longueurs d’onde doivent être comprises entre 0.3 et 0.5 μm si on veut obtenir un gain de 100 entre l’énergie reçue par la micro-capsule et l’énergie de fusion pour un rendement de conversion d’énergie électrique en énergie photonique de 10%. Les lasers utilisés sont des lasers à verre dopé au néodyme délivrant une longueur de 1.053 μm dont on utilise souvent les harmoniques de longueur plus courte. Les micro-capsules contenant le mélange DT sont irradiées soit directement soit indirectement par un laser de forte puissance, de l’ordre du petawatt. 23 Figure 13 L’énergie du laser est ainsi transmise au mélange de Deutérium-Tritium : dans le cas de l’interaction directe, l’irradiation est fortement inhomogène, ce qui peut empêcher l’amorçage des réactions de fusion, bien que l’énergie transmise soit importante. Dans le cas de l’interaction indirecte, les faisceaux laser tapent sur les parois internes de la cavité et convertissent leur énergie en énergie de rayonnement X qui va entraîner l’implosion de la capsule. Ici, l’irradiation est bien plus uniforme, les pertes de transmission de l’énergie sont dues aux instabilités qui se développent dans le plasma créé par le laser incident au contact de la capsule qui se volatilise. Malgré ces problèmes importants, c’est cette dernière voie qui est aujourd’hui privilégiée. 24 Annexe Section efficace de collision Un faisceau de flux de particules incidentes entre en collision avec une particule cible fixe. est le nombre de particules incidentes franchissant une surface perpendiculaire au faisceau par unité de temps. Ce faisceau est supposé parallèle et monocinétique. Il est diffusé dans toutes les directions. dN le nombre de particules diffusées par unité de temps à l’intérieur d’un angle dt solide élémentaire d autour d’une direction donnée. Si la cible est placée à l’origine du système Soit de coordonnées sphériques, cette direction est repérée par les deux angles polaires : est la colatitude, c’est aussi l’angle de diffusion. est l’azimut. Alors dN est proportionnel au flux du faisceau de particules incidentes et à d . Par dt définition : dN , d dt où , est la probabilité de collision. , est homogène à une surface et représente l’obstacle que "voit" une particule incidente. Elle est appelée surface efficace différentielle de collision. Par ailleurs, si le flux incident est homogène, c'est-à-dire si les particules incidentes se répartissent uniformément autour de la particule cible, est une caractéristique de la loi de force entre la particule incidente et la particule cible. Si le potentiel est central, comme c’est le cas dans l’interaction coulombienne, , est indépendante de et dN C 2 sin d dt 25 dN C est le nombre de particules diffusées entre et d . Ces particules diffusées sont dt celles dont le paramètre d’impact est compris entre b et b db (voir figure). Elles sont au nombre dN C de 2bdb . De 2bdb , on obtient : dt b db (*) sin d où 26 [1] Physique des plasmas, J. M. Rax, p. 4 et 6. [2] Physique statistique, B. Diu, C. Guthmann, D. Lederer, B. Roulet (Hermann), p. 573. [3] Physique statistique, B. Diu, C. Guthmann, D. Lederer, B. Roulet (Hermann), p. 783. [4] Une température de 1eV correspond à une énergie thermique kBT, kB =1/8.617385 10-5eV/K est la constante de Boltzmann. Numériquement 1eV=1/kB = 11604 K. [5] Pour un calcul détaillé, voir "Physique des plasmas", Delcroix et Bers, tome 1, chapitre 3. [6] Rappelons ce qu’exprime la distribution de Boltzmann : l’ensemble des électrons et des ions tendent vers des positions qui minimisent l’énergie, c'est-à-dire qu’ils vont occuper les minima et les maxima de la fonction d’énergie potentielle V(r). C’est une tendance vers l’ordre. L’agitation thermique va atténuer cet effet en étalant les distributions ioniques et électroniques afin d’augmenter l’entropie. A l’équilibre thermodynamique à la température T, le compromis entre ces deux tendances est obtenu pour la densité de Boltzmann : ne r ne 0 e qeV r k BT pour les électrons, ni r ni e 0 qiV r k BT pour les ions. [7] Physique des plasmas, J. L. Delcroix, A. Bers, Tome 1, p. 34. [8] Ce n’est pas évident : cette équiprobabilité est une hypothèse très forte de la physique statistique. En fait, les états microscopiques fluctuent au cours du temps. Cependant, en moyenne, on suppose que le nombre de particules ne subit pas ces fluctuations, c'est-à-dire qu’on reporte l’hypothèse sur une statistique de l’ensemble des particules. Il y a sous-jacent le problème de l’ergodicité. [9] Landau, Mécanique p. 215. [10] Physique des plasmas, J. M. Rax, p. 366. [11] Physique des plasmas, J. L. Delcroix, A. Bers, Tome 2, p. 16. Physique statistique, B. Diu, C. Guthmann, D. Lederer, B. Roulet (Hermann), p. 627. [12] Physique des plasmas, J. L. Delcroix, A. Bers, Tome 2, p. 373. f1 X f1 Y f1 0 en posant X r et Y p [13] Vlasov s’écrit : t t X t Y 27