Racine Oumar N'DIAYE, Le rôle du Fouta Tooro dans l'Enseignement, l'Essor de la Civilisation et de
la Pensée Islamique: le Foyer de THILOGNE dans la longue durée
MASADIR : Cahiers des Sources de l'Histoire de la Mauritanie, n°4, 2004, pp. 39-46.
Le rôle du Fouta Tooro dans l'Enseignement, l'Essor
de la Civilisation et de la Pensée Islamique: le Foyer de
THILOGNE dans la longue durée
Racine Oumar N'DIAYE
Département d'Histoire/FLSH
Université de Nouakchott
Le Fouta Tooto1 à cheval entre les deux rives du fleuve Sénégal s'étend sur
une longueur de près de 600 km de Dembankané en amont à Dagana en aval. Sa
largeur varie d'un point à un autre, en fonction de la plaine alluviale,; mais ne
dépasse guère les 20 km.. Ce pays de la moyenne vallée fait frontières avec
beaucoup de royaumes:Le royaume du Waalo à l'Ouest, les Emirats maures
(Brakna, Trarza) au Nord, les royaumes du Gajaaga à l'Est et Djolof au Sud-ouest.
Cette situation géographique lui conférait une place stratégique dans la
sous-région et lui a toujours valu de grandes concentrations humaines. "C'est avant
le Xè siècle que se produisit le brassage des populations dont émergea ce qu'on
appelle actuellement les toucouleurs"2 Toutefois, ce pays, dont le critère essentiel
de définition reste la langue Pulaar s'est vite mis en contact avec l'Islam et cela
surtout par des voies pacifiques, notamment à travers le commerce transsaharien ,
mais aussi militaires.
Cet Islam va servir de prétexte à différents mouvements politico-religieux
que va connaître le Soudan entre le 17ème et le 19ème siècle. Le Fouta Tooro a connu
une série de Jihad ou guerres saintes conduites par des marabouts appartenant à
diverses obédiences confrériques. La révolution Tooro qui éclata au Fouta Tooro
en 1776, dirigée par le Qadri Thierno Sileymani Baal, s'inscrit bien dans ce cadre.
Le premir Almami du Fouta Abdoul Qadiri Kan fit de l'édification des mosquées et
de la propagation de l'Islam une de ses préoccupations majeures.
1 ) Cette aire géographique a connu diverses appellations dont Namandir et Tekrour. Ce fut
à partit du XVIè siècle qu'elle porta le nom de Fouta Tooro.
2 ) Boutilier (J.L), 1962, p.15
Le rôle du Fouta Tooro dans l'Enseignement, l'Essor de la Civilisation et de la Pensée Islamique: le
Foyer de THILOGNE dans la longue durée
L'enracinement des différentes confréries au Fouta et leur audience au sein
des masses populaires sera à l'origine de la fondation des foyers d'enseignement
religieux dans cette région. Thilogne, à l'image de Ceuta, Tripoli, Tunis et Fès qui
étaient des centres de rayonnement de la culture islamique en Afrique du Nord,
était un de ces centres religieux en relation avec toute l'Afrique noire musulmane.
L'Islam au Fouta Tooro
La diffusion de l'Islam en Afrique subsaharienne reste encore mal connue.
Elle repose sur des données fragmentaires, fragiles qui émanent des chroniqueurs
arabes qui ont écrit plus ce qu'ils ont entendu que ce qu'ils ont vu. Abou Obeid Al
Bekri mentionne au XIème siècle que War Jaabi qui serait un des souverains de la
dynastie Manna "pratiquait la religion de Mohamed" et son fils Lebbi a participé
au mouvement almoravide en allant secourir Yaya Ibn Oumar. Cette idée fut
reprise par Delafosse en ces termes; "Il n'y a rien d'impossible… à ce que les
princes de la dynastie des Manna soient ceux dont ont parlé les géographes arabes
comme ayant régné sur le Tekrour au début du mouvement almoravide3 Quant à
Ibn, Abi Zar, il affirme dans Rawnd Al Qiras que les Tekrouriens ont embrassé
l'Islam en 933. Abdramane Ibn Khaldun, de son côté, soutient que c'est avec le
mouvement almoravide que l'Islam a pénétré dans l'empire du Ghana. A travers ces
différentes hypothèses nous pouvons,avec toute proportion gardée, affirmer que
c'et à partir du 8ème siècle que l'Islam a pénétré au Bilad Sûdan.
En effet depuis que l'Islam est apparu en Afrique du Nord au VIIè siècle
de l'ère chrétienne, ce pays n'a cessé de participer au développement de la
civilisation et de la pensée islamique4.Si cette participation a été différente d'un
siècle à un autre, selon l'importance des centres de rayonnement culturel importés
à travers les pays, la place privilégiée (le fait d'être placé aux bords de la
Méditerranée et de l'océan atlantique) que Dieu a donné à l'Afrique du Nord a aidé
ses habitants à accomplir bien cette mission. Le grand Sahara, malgré son aridité,
ne fut point un obstacle dans les relations de l'Afrique du Nord avec ses parties
centrales et occidentales, mais au contraire un facteur organisateur. De même que
ses oasis furent des stations de repos, d'échanges et aussi des centres de diffusion
3 ) Soh (Sire Abass), 1913, p.271
4 ) Baayou (M.A), "Le rôle de l'Afrique du Nord dans la civilisation et la pensée islamique",
in Actes intégraux du 8ème séminaire sur la pensée islamique, Bidjaia du 25 mars – 5 avril
1974, Algérie
Revue du Laboratoire d'Etudes et de Recherches Historiques (LERHI) 40
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de la culture islamique. Ce fut par ces centres que l'Islam trouva son chemin pour
atteindre l'Afrique noire. Ce furent les marchands qui le portèrent et avec lui la
langue arabe également. Ils trouvèrent des gens attachés à des idéaux Djahiliens et
à des valeurs héritées.
A l'image de l'Arabie avant l'Islam, le Fouta Tooro était dans sa grande
majorité païen5. L'Islam condamna une partie de ces idéaux et valeurs, redressa
certaines et abandonna telles qu'elles d'autres, laissant aux hommes le soin de les
reconsidérer sous une nouvelle lumière en s'inspirant de l'existence et de la
grandeur de Dieu dans leurs actes et pensées. Ainsi donc tous les peuples ont
contribué plus ou moins à l'édification de la civilisation humaine qui a atteint son
apogée à l'époque actuelle. Et c'est pour cette raison qu'aucun peuple ne peut
prétendre avoir éri une civilisation sans le concours d'un autre peuple. La
civilisation musulmane est l'une de ces civilisations humaines.
A propos de la civilisation musulmane et de la tendance humaniste,
SARTON écrivait que "la nouvelle civilisation s'est développée avec une grande
rapidité et une force supérieure. Ses racines s'étaient dédoublées dans les
profondeurs du passé, puisque le Prophète l'avait dotée du monothéisme et des
valeurs morales, et que les Persans et leurs professeurs lui avaient permis de
s'abreuver aux sources sanskritiques et hellénistiques"6
Quoiqu'il en soit, jusqu'à la première moité du XVIIIème siècle, l'Islam
n'aurait touché au Fouta Tooro que les classes dirigeantes et commerçantes. Ce ne
sera qu'avec le mouvement maraboutique Toorodo de 1776 que l'on assistera à une
ritable islamisation du pays. Le leader de ce mouvement, Thierno Sileymane
Baal, orienta l'Islam pour mieux exprimer et canaliser le mécontentement des
populations qui désormais ne voulaient point coopérer avec le régime Deniyanké.
La déposition du dernier Satigui Soulé N'Diaye Tokosso en 1776 traduit à bien
des égards cette situation de fait et inaugure une nouvelle ère politique pour le
Fouta Tooro: Celle du régime théocratique Toorodo. Le premier Almami
7 du Fouta
5 ) Ce point de vue n'est pas partagé par Amar Samb qui écrivait "Pour ce qui est du Fouta
Tooro, l'Islam occupa la première place depuis War Diabi jusqu'à nos jours…", 1971,
pp.466-467
6 ) Sarton (G), 1961, pp.157-158
7 ) Almami ou Elimane est une déformation du mot arabe "Al Imam", c'est-à-dire celui qui
dirige la prière. Avec la révolution de 1776 il sera porté par les souverains du Fouta.
D'ailleurs, même le chef de la principauté Deniyanké qui existait à l'époque avait délaissé le
titre de Satigui au profit de Almami. Le premier Deniyanké a porté le titre de Almami fut
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Foyer de THILOGNE dans la longue durée
Tooro Abdoul Qadiri Kan (1776-1807) mena une politique vigoureuse visant à la
propagation de l'Islam en brandissant l'arme de la Jihad contre le Cayor, le Djolof
et le Walalo, et à la diffusion des centres d'études coraniques et de mosquées à
travers tout le pays. L'organisation politique almamale tournait autour de l'Almami
et de quelques personnels religieux devenus administratifs. Désormais les
fonctions de marabouts (Thierno, Tapsir, El Fekki, Alamaami wuro(village en
poulaar) prirent le pas sur les Ardo, Jom, Farba, Satigui… qui étaient des
anciennes chefferies et qui relevaient d'une époque révolue. Les chefs religieux
devaient désormais cumuler leur fonction de guides spirituels à celle de chef
politique. Ainsi beaucoup de marabouts à l'image de Thierno Mollé Mamadou
Racine de Thilogne et Elimane Boubacar Kan de Dimat joueront un rôle important
dans l'exercice du pouvoir almamal.
En effet, au milieu du XIXème siècle, on notait dans presque toutes les
provinces du Fouta Tooro, l'existence de plusieurs foyers (écoles islamiques) avec
des programmes englobant diverses matières et d'où sortirent d'éminents érudits
dont la seule évocation des noms contribue aujourd'hui à sécher les larmes des
vivants.
Parmi les localités du Fouta qui ont joué un rôle important dans l'histoire
et la diffusion de la civilisation islamique, il en est une qui mérite une attention
particulière à savoir Thilogne. Cette localité qui doit son nom à un arbre dénommé
Thilouki (en Poulaar) du nom scientifique accacia raddiana se situe dans le
Bosséya oriental.
Historique et peuplement du Thilogne
Sis sur la rive gauche du fleuve Sénégal, dans le département de Matam,
ce village peuplé uniquement de Haalpoulaar-en ne date pas d'aujourd'hui. La
tradition orale estime sa fondation entre 450 à 500 ans.
Parmi les premières familles qui habitèrent cette localité nous avons
d'abord les :
- Diagne, Dia, Sall qui étaient des cultivateurs
- Barry qui étaient des éleveurs
- Ly très nantis en culture islamique et qui se réclament d'un ancêtre
éponyme Tapsirou Ali Oumar Diam Ly, originaire de Gourel Oumar LY. Ce
Soulé Boubou N'Diaye
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dernier en arrivant à Thilogne constata que l'Islam n'y était pas pratiqué et décida
de s'y implanter pour convertrir les autochtones. Très rapidement, il accomplit sa
mission et devint leur Imam. A partir de cette époque les LY eurent une
prééminence religieuse sur le reste de la population.
- Haydara, cherifs venus tardivement dans la localité8, ils ne perturbèrent
point l'ordre social du village. Cependant vu leur statut de cherif (parent du
Prophète Mohamed PSL) ils jouirent d'une grande aura au sein des populations.
Nous sommes ici en plein dans la psychologie sociale, celle qui a comme
fondement une réalité psychologique fondamentale, à savoir un besoin de sécurité
qu'ont les individus et les groupes. Il y a une relative corrélation entre les notions
de surnaturel, de miraculeux ou d'imaginaire et la notion de domination. Ils étaient
donc considérés par les "hommes ordinaires" comme possesseurs de Baraka et
protecteurs dans ce bas monde. La population leur vouait un véritable culte. Ainsi,
Thiologne, fief des LY et Haïdara était prédestiné à jouer un rôle capital dans la
diffusion de la culture islamique. Le foyer connut son point de départ avec Abou
Bekri Sadig LY et le cherif Mahmoud.
Le foyer de Thilogne: De l'étincelle aux flammes
Le premier érudit etait un grand docte qui s'était distingué par sa probité et
son honnêteté. Il connaissait parfaitement la doctrine et les préceptes religieux.
Quant au second, il avait une solide formation en grammaire donc une parfaite
connaissance de la langue arabe. A en croire Amar Samb, il fut le commentateur
de l'ouvrage d'El Hadj Omar Tall "SAFINATOU AL SAADATOU". Parmi ses
productions scienfitiques nous pouvons citer "Al Mouthalalhat" dans Iln Al
Ghayb. Il eut d'éminents disciples tels que Hamdou Mali de Diaranguel, Thierno
Samballa de Rosso et Thierno Mohamed Lamine Zouberi de Kolda qui est l'auteur
d'un ouvrage pédagogique intitulé "MAYDANI AL BRAHIN FI AL NASSIHATI
LI UGHALA'I AL SAWADIN" et d'un poème connu des foyers religieux
CHAWQI KHAIR AL BARAYA.9
Toutefois, ce fut surtout avec Cheikh Mohamed Sadig Baba plus connu
sous le nom de Thierno Hammé Baba Talla (1871-1935) que le foyer de Thilogne
a atteint son apogée. A l'image de la quasi-totalité des érudits du Fouta, ce
8( Certaines sources affirment qu'ils ne s'y sont implantés que pendant la période de
l'Almami Youssouf LY Diaba qui serait mot vers 1880.
9 ) BA (Oumar Mamadou), Culture arabe islamique en Afrique de l'Ouest, thèse de
Doctorat, Sorbonne, Paris, 1986.
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