M ÉTH~DOLOGIE M. FORMARIER, L. JOWC APPROCHE SCIENTIFIQUE DES PROTOCOLES DE SOINS INFIRMIERS INTRODUCTION Entrés insidieusement par la petite porte dans les soins infirmiers, les protocoles sont considérés actuellement comme une des bases scientifiques de la pratique infirmière. Un guide du service infirmier leur a été consacré qui les définit comme : « le descriptif de techniques à appliquer et/ou des consignes à observer dans certaines situations de soins ou pour l’administration d’un soin » (1). A la lecture de cette définition il paraît assez simple de bâtir un protocole de soins mais, si l’on se réfère quelques lignes plus loin il est dit que le protocole doit « être élaboré selon une méthodologie précise ». Cette méthodologie non décrite dans le guide, préexiste obligatoirement avant la mise en oeuvre de tout protocole scientifique. Une grande confusion règne à ce niveau, des infirmières appellent protocole ce qui en ,réalité n’est qu’une chcck list ou une fiche technique. Alors que recouvre le terme de protocole scientifique ? Quel intérêt ? Comment le bâtir ? Quelle méthodologie suivre ? Cet article tentera de répondre à ces questions. Nous traiterons le sujet de façon assez large pour englober aussi bien les protocoles dans les champs cliniques, épidémiologiques, que ceux des sciences humaines. 1 - DÉFINITION D’UN PROTOCOLE SCIENTIFIQUE 1.1. Ce qu’est un protocole Le mot protocole vient du grec Prôtos : premier et Rolla : colle. Un a Prôtokollon > était le premier feuillet collé sur des rouleaux et qui servait chez les latins et les byzantins de formulaire dans les lettres officielles adressées à des rois ou des ministres. Par extension, le protocole est « l’ensemble des usages, des formalités qu’on doit respecter dans certaines circonstances et dans certaines cérémonies » (Larousse 3 vol.). Les scientifiques se sont approprié ce concept pour désigner « un ensemble d’actions, de gestes successifs accomplis conformément à un plan bien réglé pré-établi B (Dict. termes scientifiques). On parle de protocole opératoire, de protocole de chimiothérapie, etc. Dans un protocole scientifique, chaque action, chaque geste est pensé, réfléchi et fait l’objet d’une recherche pour montrer son efficacité, sa logique interne, sa cohérence avec l’ensemble. Il est toujours un objet construit à partir de recherches de concepts de données anatomiques, physiologiques, biologiques, etc. Son utilisateur doit pouvoir justifier de son effcacité et de son efficience (validité interne), il doit aussi pouvoir dire pourquoi ce protocole est meilleur ou moins bon qu’un autre (validité externe). Tous ces arguments lui sont fournis par les résultats des recherches a beaucoup de recherches scientifiques n’ont pas seulement pour but de nous donner une représentation de ce qu’il est possible de faire, mais elles ont aussi comme objectif de légitimer des actions, et de les motiver » (2). Un protocole de soins infirmiers ne peut déroger à cette construction scientifique sous peine de perdre son titre de protocole et de s’appeler « fiche technique » ou « check list ». Les protocoles scientifiques ne relèvent plus de la simple technique (savoir empirique) mais de la technologie (savoir construit mais basé SUI les concepts, les méthodes, etc.). « Les sciences peuvent donc être considérées comme des technologies intellectuelles liées à des projets humains de domination et de gestion du monde matériel. » (3). Le protocole scientifique procure une véritable maîtrise, une connaissance approfondie donc un pouvoir sui les situations, il permet comme dit FOUREZ « d’être scientifiquement et technologiquement alphabétisé. > (3). Il fait l’objet de réajustement en fonction de l’évolution des connaissances, ou/et des évaluations dont il est périodiquement l’objet. Chaque science a ses protocoles. Nous connaissons bien les protocoles médicaux (tbérapeutiqua, chirurgicaux, endoscopiques, etc.). Nous côtoyons aussi des protocoles établis par les épidémiologistes souvent basés sur des enquêtes (de APPROCHE SCIENTIFIQUE DES PROTOCOLES DE SOINS INFIRMIERS prévalence ou d’incidence) et qti font l’objet actuellement de nombreuses recherches. Ces tmvaux et le respect des protocoles émis ont permis la chute, voire dans certains endroits la disparition des infections nosocomiales. Les sciences humaines ont aussi leurs protocoles (d’accueil, de prise en charge, etc.). Nous pouvons distinguer deux grands types de protocoles. Ils doivent être respectés scrupuleusement, aucune initiative, aucun débordement n’est autorisé. A” terme de ce protocole ouvert, I’infmmière décide de prendre ou de ne pas prendre la température de la personne. Ces deux types de protocoles, fermé ou ouvert, sont aussi intéressants I’un que l’autre, ils ont des objectifs et des indications très précises. 1.2. Ce qle n’est pas un protocole Nous pouvons définir un concept par ce qu’il est, c’est ce que nous venons de faire, ou a” contraire par ce qu’il n’est pas, en I’opposant à d’autres concepts plus ou moins proches. Il est souvent énoncé de façon chronologique en terme très précis, exemple : protocole de préparation d’un patient pour “ne coloscopie. Un protocole scientifique n’esf pas une ch& rist, que le dictionnaire Robert définit comme : « une liste d’opérations successives destinées à vérifier sans omission le bon fonctionnement de tous les équipements vitaux d’un engin, Sun avion avant son départ ». La check-list ne repose pas sur l’idée de performance mais simplement d’ordre et de conaôle mécanique, d’ailleurs cet anglicisme a été traduit en français : liste de conaôle. Encore appelés protocoles à risques. Dans les protocoIes o”“e*tS, l ’ a c t i o n n>est p a s p r o grammée, elle reste à définir en fonction d’un référentiel précis, prédéterminé. Les infirmières qui pensent élaborer un protocole de soins en alignani simplement des actions, sans vérifier au préalable leur impact, leur efficacité, leur efficience ou leur contexte d’utilisation ne construisent en faiait qu’une check-list qui ne s’adresse qu’à des engins mécaniques. Par définition un protocole s’adapte à toutes les personnes, à toutes les situations. Exemple : protocole ouvert de prise de température dans un service de long séjour. Un protocole fermé consisterait à prendre la température rectale 3 minutes durant de façon systématique matin et soit à chaque personne. Le protocole ouvert consiste à évaluer à partir d’un référentiel prédéterminé qui a fait l’objet de recherche, si la personne a un risque d’avoir “ne hyperthermie. Référentiel du risque d’hyperthermie : -. observer le faciès du patient (rougeur, aeut ou au contraire teint gris, etc.), - évaluer le rythme de la respiration, - toucher le patient pour évaluer la chaleur de sa peau, - demander a” patient si il tousse, si il a “ne gêne à la micùon (de nombreuses recherches montrent que les infections pulmonaires et “rimires sont les plus fréquentes chez les personnes âgées), - évaluer le comportement du patient par rapport à ses habitudes (ne veut pas se lever, etc.), - demander au patient comment il se sent. 76 $ ‘/, 3 -’ & La fiche technique a la même fonction que la check-list, elle est un outil qui récapitule des actions à faire dans un ordre logique. Elle évite la mémorisation. Exemple : fiche technique de diététique. La procédure relève plutôt du droit que de la science. Elle recouvre < l’ensemble des règles, des formes et des délais, d’ordre administratif, pcw aboutir à un résultat» (Laarousse 3 vol.). Plus largement, nous pouvons décrire “ne procédure comme l’ensemble des démarches à accomplir pour obtenir un résultat. Il n’est pas faux de parler de procédure GentSque en matière de protocole mais cela englobe : - la méthodologie d’élaboration du protocole, le test sur “ne population cible, le réajustement éventuel, I’“disation, l’évaluation pop”lationneue. Recherche en soins infirmiers N’ 32 - Mars 1993 Ce terme est employé essentiellement en épidémiologie. II est défini comme « la marche à suivre dans “ne enquête épidémiologique . durée de l’enquête, . population choisie, . outil #enquête... » (4). Utilisé par des initiés, le protocole d’enquête est “ne forme de recherche qui répond à une méthodologie précise : « le choix du protocole d’une enquête réside dans la confrontation permanente des objectifs avec les soutces d’information et les techniques disponibles » (5). 2 - OBJECTIFS DES PROTOCOLES DE SOINS INFIRMIERS Plusieurs objectifs peuvent être pris en compte. SOUPX auxquelles le groupe fait confiance malgré leur inconsistance » (9). Ces habitudes ou normes ou « savoir-faire » peuvent être appelées à tort protocole de soins lorsqu’elles sont écrites, en fait, ce ne sont que des ch&-lists, exemple : de nombreuses « habitudes > sont utilisées par certaines équipes pour la prévention des escarres. Elles ne reposent sur aucun fondement scientifique @ar exemple l’utilisation de produit alcoolisé pour pratiquer des frictions ou encore l’emploi de sèche-cheveux, glace, etc.). De nombreuses recherches effectuées sur la constituùon des escarres mettent en évidence l’assèchement de la peau comme un des facteurs favorisants et préconisent des lotions ou produits hydratants en pulvérisations ou massages doux. Les protocoles établis sur ces bases sont adaptables à chaque patient, ce sont donc des protocoles ouverts évolutifs en fonction des technologies et des connaissances nouvelles ; comme nous pouvons le constater, nous sommes loin d’une « habitude » de service. 2.1. Sottir des habitudes « L’habitude étant définie par opposition avec l’instinct comme “ne manière d’être, d’agir, de sentir ou de penser acquise par la répétition (6). L’habitude n’est pas en soi un phénomène négatif, elle le devient quand « les habitudes sont de simples techniques généralement indifférentes en elles-mêmes » (7). un protocole scientifique souvent répété et dont les utilisateurs ont perdu la signification et le sens peut tomber dans la catégorie des habitudes car d’une part, « l’habitude émousse la sensibilité » et d’autre part « elle crée “ne tendance à la répétition de l’acte et un besoin de cet acte » (8). Exemple : Prévention d’escarres, systématique pour tous les patients alités du service, sans tenir compte de l’état des patients. Nous savons aussi que « la répétition n’améliore pas l’acte » (8) mais aurait plutôt tendance à le détériorer. Les habitudes de soins que nous avons ne reposent pas toujours sur des protocoles scientifiques. Nombre d’entre elles sont nées de connaissances empiriques transmises par la tradition, ou encore par l’expérience. Ces manières de faire, partagées par un groupe deviennent des « affirmations qui coulent de (4) ROUQUETE (C.), SCHWARTZ (D.), Méthode en épidémiologie, Fiamarion, Paris 1970, p. 15. (5) ROI.JQ”ETTE CC.), SCHWARTZ (Il.), op. Ut., p, 11. (6) GUILLAUME m.), La formadon des habitides, PUF, 4’ ed. 1973, p. 28. (7) GUILLAUME (I?), 0~. dt. lx 31. (8) GUILAUME (l’.), op. cit. p. 165. Approche scientifique des protocoles de mins infirmiers 2.2. Formaliser des connaissances empiriques Si certaines habitudes sont à proscrire, il en est d’autres au contraire qui sont à formaliser pour prouver leur bien-fondé et leur eftïcacité. Formaliser veut dire « donner à un système de connaissances une structure qui lui permet de devenir scientifique », Dictionnaire des termes scientifiques. Certaines infirmières ou équipes ont des intutiens basées S”I leur expérience, leur expertise qui les amènent à avoir des actions et comportements extrêmement pertinents dans des situations données. Malheureusement, ces intuitions ou expertises disparaissent avec leurs auteurs ou sont supplantées par d’autres procédés beaucoup moins pertinents, faute d’avoir été formalisées. Le protocole de soins est un des moyens de formalisation des soins infirmiers. L’intuition « forme de connaissance immédiate qui ne *eco”*t pas a” raisonnement » (Dictionnaire Robert), est à la fois opposée aux concepts de raisonnement et de rationalité mais en même temps liée à eux de façon indissociable. Nous savons que si « les sciences émergent peu à peu du discours quotidien et/o” artisanal»... elles nécessitent aussi « une rupture par rapport aux pratiques quotidiennes ou empiriques » (10). (9) SCHUTZ (A.), Le chercheur et le quotidien, ed. Méridien Klin cK SiecK ccl société Paris 1987 p, 19. (10) FOURITZ (G,), op. cit. p. 79. 9 ‘5 - c 49 77 La formalisation permet de concrétiser ,cette dualité de continuité et de rupture. Une grande partie de la recherche appliquée actuelle, dans les soins infirmiers, est centrée sur la formalisation des connaissances empiriques qui existent déjà, en vue de les rendre plus scientifïques et de les diffuser (exemple les diagnostics infirmiers, les protocoles, etc.). 2.3. Améliorer la qualité des soins Quand toutes les infirmières d’un service, voire d’un établissement hospitalier, utilisent le même protocole scientifique nous pouvons dire pour plusieurs raisons qu’il y a qualité de soins. - L’utilisation d’un protocole dont l’efficacité et les applicahons ont été prouvées et testées représente un seuil minimum de qualité pour le service. De plus, de nombreuses recherches ont mis en évidence que l’uniformisation des protocoles sur un établissement donne de très bons résultats. Exemple : étude faite en Belgique sur 27 établissements pour les protocoles de prévention d’escarres (11). Le personnel qui utilise et respecte ce protocole, sait avec certitude qu’il ne fait courir aucun risque au patient. - De par leur construction, les protocoles portent en eux-mêmes la dimension anùcipatoire et prédictive de l’action. Ainsi, nous pouvons dire qu’un protocole permet d’assurer non seulement un résultat sûr à court terme, mais aussi à moyen et long terme. Exemple : protocole d’éducation des malades diabétiques. Ce protocole construit à partir de recherches et évalué, met bien en évidence que l’éducation donnée qui n’est ni du dressage, ni de l’information, conduit les patients à l’autonomie et non à la dépendance (12). 2.4. Rationaliser les soins infirmiers Si nous nous référons au concept de DONABEDIAN (13) sur l’évaluation nous pouvons discerner trois domaines : les ressources, les processus, et les résultats. Ils sont liés mais peuvent être dissociés. Quand nous bâtissons un protocole de (11) JACQUERIE (A.) (Sous la direction de) l’évaluation de la qualité des soins dans la prise en charge des patients à risque et/ou atteints d’escarres. Présentation au CHI2 La Roche-sur-Yon, non publié, 19 septembre 92. (12) MARTEL (F.) 1~s S& i&miers et l’éducation des personnes diabétiques : autonome ou aliénation, in cahier de I’AMmC ni 11, Lyon 1990. (13) DONABEDIAN (A.) cité par DURANT CG.), La mesure de l’évaluation de la perfommce à l’hôpital, ed. htAUWELAERTS. LO”“ain, 1979, p. 141. soins, ,nous aavaiUons sur les processus en vue d’obtknii le meilleur résultat possible. L’action est essentiellement centrée sur les résultats. Dans certains cas, il est bon, lorsque le résultat obtenu est satisfaisant! de rationaliser le processus pour le rendre moms dispendieux et aussi efficace (moins coûteux en temps, en matériel, etc.) l’action est alors centrée sur le processus. Exemple : étude portant sur l’efficacité, le coût et le confort du malade lors d’utilisation de fdrre amibactérien et humidificateur chez les personnes intubées. 2.5. Scientifïser les soins infirmiers En leur donnant des bases solides. Les protocoles scientifiques doivent faire partie du, corpus de connaissances sur lequel les écoles basent leur enseignement et l’apprentissage des élèves. Nombre de ces protocoles, véritable richesse pour les soins infKmiers sont informatisés. Comme toutes connaissances scientifiques, ils doivent être publiés pour que les infirmiers se les approprient et les utilisent à leur tour. Un protocole n’est jamais défmitif, il doit être réactualisé et évalué régulièrement, cette diménsion fz& partie du savoir scientifique qui est en permanence requestionné. 3 - LIMITES DES PROTOCOLES 3.1. L’enfermement Par définition l’utilisateur d’un protocole ne doit pas prendre d’initiative ou avoir une conduite créative (surtout dans les protocoles fermés). Les attitudes intuitives sont écartées, or, dans cettaines situations, elles peuvent s’avérer meilleures que l’utilisation d’un protocole. Des auteurs avancent que dans certains cas « la meilleure résoluùon d’un problème se fait dans une reconnaissance spontanée de la solution » (14). L’attitude de la personne échappe alors a” rationnel pour ne relever que de l’intuition. Cette limite des protocoles invite à la prudence quant à leur indication. Il est nécessaire comme nous allons le voir dans la problématisation de se poser la question de la pertinence des protocoles pour résoudre certains problèmes. Ils ne doivent pas masquer l’incompétence des personnes qui auraient des difficultés à répondre à des situations problématiques. Il faut se rappeler qu’un protocole fermé doit s’adapter à toutes (14) STENGERS p) (Collectif sous la direction), D’une science à I’auüe, Des concepts nomades, ed. Seuil, Paris 1987, p. 157. : les situations ou patients. Aussi, gardons-nous de tomber dans la dichotomie du discours et de l’action ! On observe si le protocole s’intègre bien dans un processus de soins, si il est cohérent avec l’ensemble des actes de soins. Certains services qui prônent la personnalisation des soins, enferment dans le même temps les infirmières et aides-soignantes dans “ne série de protocoles check-lists et autres fiches techniques qui empêchent l’initiative, la créativité et donc l’adaptation des soins. Exemple : un protocole de pose de sonde vésicale à demeure peut avoir “ne efficacité théorique et manquer d’efficacité d’utilisation car il est réalisé dans un contexte où l’hygiène est défectueuse. Autant que la construction d’un protocole, ses indications, ses objectifs, les avantages acquis par son utilisation demandent réflexion et bon sens. 3.2. La norme Un protocole est “ne norme que le service se donne : normes de qualité de soins qui aident à asseoir des seuils de qualité et assurent “ne sécurité dans les pratiques. Mais, il faut savoir que « les normes sont des armes offensives. C’est d’abord pour un savoir rationnel “ne façon de s’imposer aux pratiques » (15). Un bon protocole va très rapidement devenir norme, être accepté par “ne équipe et entrer dans la routine des soins ; mais “ne nonne doit évoluer avec le changement des données tcchniques, médicales, économiques ou sociologiCl”CS. Sans cette vigilance scientifique le protocole présente “ne fausse sécurité. Il faut donc le concevoir comme “ne consauction non définitive, comme une norme provisoire qui nécessite un réajustement et qui au besoin peut être abandonné au profit d’un protocole meilleur ou mieux adapté. 3.3. L’efficacité populationnelle (16) Lorsqu’un protocole est mis a” point lors de recherche il fait l’objet de plusieurs évaluations d’efficacité. 1 - L’efficacité théorique : Dans un premier temps, le protocole est évalué seul, sans tenir compte du contexte environnemental, des autres actes de soins. Sa validité interne et son efficacité sont testées. 2 Dans un deuxième temps on procède à “ne évaluation d’efficacité d’utilisation, c’est-à-dire que le protocole est testé dans son occurrence naturelle « on analyse les résultats d’une intervention dans un contexte naturel, sur les individus qui ont bénéficié de l’intervention » (17). (15) STENGERS QJ, op, cit., p. 308. (16) ENSP, Evaluation en santé et choix saaté&e, ENSP Rennes 1991, p. 27. (17) BNSP op. St., p. 27. Approche scientifique des protocoles de soins infmmiers ed. 3 Lorsqu’un protocole est entré dans la pratique des soins, il est assimilé et subit de la part des utilisateurs des modifications qui peuvent nuire à son efficacité, c’est ce qu’on appelle I’effïcacité populationnelle. Après six mois d’utilisation le protocole donnet-il toujours les mêmes résultats ou a-t-il subi des dérapages, des biais qui sans que les utilisateurs le perçoivent vont le rendre moins efficace, parfois même inefficace ? C’est une limite de l’utisation des protocoles qui appelle “ne grande vigilance et des évaluations périodiques pour s’assurer qu’il n’y a pas eu dérapage en quoi que ce soit. 4 - ELABORATION DES PROTOCOLES L’élaboration d’un protocole scientifique comprend 4 phases : - la problématisation, - la documentation, - la construction méthodologique, - l’éval”ation. Si les trois autres phases sont communes à l’ensemble des protocoles, la construction méthodologique varie suivant le type de protocole à réalset, le domaine scienhfique dont il est issu : science empirico-formelle (clinique, etc.) ou sciences humaines @sychologie, etc.), et I’avancée de la science infirmière (travaux existants). 4.1. La problématisation Pour défti la problématisation qui est la base de construction d’un protocole, il faut revenir sur la notion de problème et dégager les éléments constitutifs de ce concept (nous nous appuierons sur les travaux de D. ANDLER) (18). - Un problème est toujours subjectif d’emblée « le problème est foncièrement subjectif, il est le problème - pour moi - c’est S”I ma toute qu’est placé l’obstacle. Le problème doit son existence à ma décision de le créer ou de le reconnaître comme tel » (19). (18) STENGERS 0, op. cit. p. 122. (19) STENGERS, op. cit. p. 122. s ‘5 ..- z Yb 79 - Un problème est « caractérisé par sa temporalité » (19), le délai de résolution d’un ptoblème joue un rôle important. - Un vrai problème « porte en lui la promesse et l’espoir d’une solution objectivale » (19), c’est ce qui le différencie des pseudo-problèmes. « Un problème admet sinon une solution unique du moins un unique ensemble de solutions » (19). - « Un problème ne naît pas dans le vide mais dans un espace et dans un contexte fixe » (19). A partir de ces quelques éléments, il est.primordial de savoir reconnaître un vrai problème objectivable auquel je peux apporter une solution d’un pseudo problème qui n’est dû qu’à mon système de représentation. La fréquence d’apparition du problème, sa logique et le contexte répétitif vont favoriser son identification. Une méthode d’analyse de problème dans un premier temps, d’analyse de situation ou de recherche descriptive (20) dans un deuxième temps vont permettre d’élucider les causes de façon méthodique. C’est à ce stade que nous pouvons parler de problématisation. Pour la définir, nous pouvons dire qu’elle est le centre de toute activité rationnelle « toute activité donnant lieu à l’exercice d’une profession est problématisée ; “on bien sûr au sens trivial où chaque profession a’ ses problèmes, mais au sens où l’activité professionnelle consiste en partie à résoudre des problèmes » (21). C’est ainsi que l’on peut dire que les problèmes constituent les fondements de la science quand ils sont problématisés et formalisés. « Les sciences se distinguent des arts en ce que les problèmes y jouent un rôle directement “loteut » (22). Les protocoles de soins font partie des solutions à notre problémahsation professionnelle. Encore, rappelons-le, faut-il qu’ils répondent à un authentique problème, et, que nous nous soyons assurés qu’ils représentent la solution la plus petiente à ce pmblème. Le fait de rentrer dans une démarche de problématisation est déjà... un problème en soi ! 4.2. La documentation Aucune approche scientifique ne peut se passer de phase documentaire. Plus ou moins importante selon les travaux, elle intervient à plusieurs étapes du protocole. - Etape~préLiminaire Elle &nsiste en une revue de la littérature sut le sujet étudié. Autant il est important d’avoir un œil critique SUI la documentation recueillie et ne pas prendre pour recherches des travaux qui n’ont aucun critère de validité, autant il est inconcevable de prétendre bâti un protocole précis sans tenir compte des oavaux déjà publiés, qu’ils soient français ou étrangers, la science n’a pas de frontière. La consultation bibliographique à ce stade permet d’affiner les indications du protocole, le choix du type de protocole (ouvert ou ferme) et le protocole lui-même. - Etape d8 construction Très souvent, les données théoriques qu’elles soient cliniques ou autres, vont servir de base référentielle pour l’élaboration du protocole. Exemple : Un protocole de prévention des sténoses trachéales, ne peut être conçu sans référence à l’anatomo-physiologie du larynx. - Un protocole d’éducation de patient doit s’appuyer sur des concepts de dépendance et d’autonomie, etc. Ainsi, comme nous pourrons le voir plus loin, certains protocoles reposent entièrement sur des consauctions théoriques qui permettent de comprendre les mécanismes constitutifs du problème à traiter. Cette phase documentaire est souvent négligée mais elle représente cependant un des critères de validité des travaux scientifiques. 4.3. La construction méthodologique Avant de développer quatre possibilités de construction des protocoles, deux remarques s’imposent. 1 L’approche méthodologique est la même qu’ils soient ouverts ou fermés, seul l’objet auquel ils se rapportent détermine le choix. - Si nous reprenons l’exemple de la prise de température, elle peut se formaliser en protocole ouvert comme nous Pavons décrit dans u”e populatio” de long séjour ou au contraire en protocole fermé quand les risques d’hyperthermie sont importants. 2 La problématisation des objets relevant des sciences humaines est discutée depuis fort longtemps. Nous pensons néanmoins que certains protocoles sont utilisés dans ce domaine comme dans d’autres. Il convient de préciser que quel que soit le type de protocole ou le sujet « c’est à son seul mode de construction que se reconnaît la connaissance scientifique » (23). Recherche en soins in&miers N’ 32 - Mars 1993 A) Protocole basé sur un protocole existant Définition : Un protocole déjà scientifiquement élaboré et utilisé va être transposé dans un autre contexte. Méthodologie : Cerner le problème à résoudre sans ometüe Ï e contexte dans lequel il s’insère. - Identifier dans la bibliographie le protocole pertinent par rapport au problème à résoudre. - Analyser les éléments constitutifs du pmtocale : étape, population, outil, matériel, action, etc. - Adaptation théorique SUI la situation actuelle. - Test sur une population cible, énoncer les délais. - Evaluation. Exemple : Le protocole établi par J. GAUBERT (24) sur la prévention des sténoses üachéales est transposé aux enfants porteurs de canule trachéalc dans les services de réanimation pédiaaique. L’adaptation du nouveau protocole a fait l’objet d’une évaluation test sur 6 mois. B) Protocole basé sur des études comparatives Définition : Les pratiques professionnelles Courantes, ciblées sur le problème, sont recensées, analysées et évaluées, soit en vue de sélectionner une des pratiques qui fera l’objet du protocole, soit en vue d’une modélisation de plusieurs pratiques qui aboutira à un protocole. Méthodologie : (maximum 10) Recensement des pratiques - Observation wec grilles des éléments cons& tutifs de la pratique (actions procédure matériel gestes - etc.). Identification de certains facteurs contextuels urée, qualification de l’acteur matériel disponi(d ble, etc.). - Classement et évaluation en fonction des objectifs recherchés (performance, satisfaction du patient, coût, temps, etc.). - Choix (de la) des pratiques qui feront l’objet du protocole. - Mise en forme du protocole. - Test, évaluation. Exemple (25) : Publié dans « l’évaluation en matière de santé », il porte sur l’évaluation des procédures de décontamination utilisées dans les Approche scientifique des protocoles de soins infirmiers centres d’endoscopie digestive de Gironde. A partir de 18 observations de procédure de décontamination des appareils endoscopiqucs, les auteurs identifient les pratiques (nettoyage, rinçage, désinfection, etc.) ; A l’aide de prélèvements bactériologques, ils évaluent les résultats de chaque procédure. Ces dernières font l’objet de discussions d’experts, où, en plus des données bactériennes, sont analysés d’autres éléments (temps, coût, etc.). Un protocole est établi après cette étude C) Protocole basé sur des connaissances théoriques Définition : La construction du protocole repose sur la compréhension du problème, expliqué par la prise en compte des théories qui éclairent les mécanismes constitutifs du phénomène. Méthodologie : - Identifier le problème. - Cerner la bibliographie qui s’y rapporte. Etudier les concepts choisis, leur interdépendance et interrelation. - Analyser le problème dans son co”fexte à la lumière de ces concepts afin d’en comprendre les mécanismes d’action. - Bâtir un protocole en regard de ces éléments. - Test-évaluation. Exemple : ~Protocoole de surveillance d’un malade ventilé (26). Son élaboration repose sur l’anatomo-physiologie respiratoire, la compréhension des principales bases des différents modes de ventiladon mécanique : contrôlée, assistéccontrôlée, barométrique, etc. D) Protocole basé suc une conférence de consensus Cette méthodologie est particulièrement intéressante quand il n’existe pas suffisamment de données scientifiques ou de bases théoriques pour traiter un ,problème. Sa mise en place fait appel à une procédure complexe, mais est à l’heure actuelle, de plus en plus utilisée (27). Déftition : < Les conférences de consensus sont une méthode originale pour élaborer des recommandations de pratiques cliniques... Elles doivent établir la valeur d’usage pour la société, d’une technique ou d’une pratique médicale co”troversée, en s”nn0*ta”t les divergences existantes sur la valeur et les modalités de son utilisation, par l’obtention d’un consensus suivant une méthode particulière » (28). Pratiquées en médecine, elle est transposable en soins infirmiers. Méthodologie : Pour décrire cette méthodologie nous nous référerons à I’artkle de A. GIRAUD (28) dont nous reprendrons les poitits essentiels : tocole .s”r~ “ne population cible. C’est ce que nous appelons « test » ou évaluation théorique (voir plus haut). Elle doit être répétée à des périodes régulières pour éviter les dérapages (efficacité populationnelle). - cerner le problème à étudier, Ici, ~O~IS laissons place à la créativité des auteurs de proto<ole, nous nous contenterons de développer les bases (invariantes) que l’on doit ttouver dans tous les protocoles écrits. - réunir 3 types d’acteurs. Chacun des groupes ayant un rôle très précis. 1 Les experts : Ce sont des pekonnes teconnues pour leurs compétences dans le sujet. Ils doivent représenter des approches contradictoires, divergentes. Ils peuvent appartenir à des disciplines différentes : infirmières - médecins biologistes - psychologues anthropologues, etc. 2 Le public qui doit être assez large. II a pour fonction d’argumenter les communications des experts, de les questionner, de les contester au besoin. 3 Le jury sous la responsabilité d’un président, il est l’élément fondamental de la conférkce car, c’est lui qui est chargé de rédiger les recommandations pratiques, d’apporter un jugement et de mettre au point « la définition d’unes conduite optimale compte tenu de l’état de la science, des données de l’expérience et des contraintes de l’environnement ». Cette démarche est limitée dans le temps. Plus que d’autres, cette méthodologie doit être testée et évaluée. Exemple : Nous n’avons pas connaissance de protocole infumier bâti sur “ne conférence de consensus. Mais, cette méthodologie pourrait être utili& actuellement pour la fréquence de l’héparinisation des cathéters à chambre implantable, compte tenu des pratiques différentes (12 pratiques recensées) et du peu de recul que nous â”O”S SUI le sujet. 4.4. L’évaluation L’évaluation d’un protocole porte sut la fiabilité, la validité et l’efficacité des processus &OU des résultats. Cette évaluation n’est pas originale, elle emprunte aux outils de l’évaluation ses méthodologies et ses outils (29). Elle doit être pratiquée immédiatement après la mise en ceuvre du pro- (28) GIRAUD (A.), op. dt pp. 5, 6. (29) Entre autres ouvrages sur l’évaluation nous recommmdons au lecteut le livre de J. LAUPJN, Evaluation de la qualité des soins, ed. Chenelière et Stmke, Montréal, 1983, Maloine. 5 - PRÉSENTATION D’UN PROTOCOLE Un protocole doit toujours comporter : - Un tiae et “ne définition. - Ses objectifs et résultats escomptés. - La population à qui il est destiné. - Le matériel requis. - Le descriptif précis du déroulement de I’actien ou pour un protocole ouve*t, le référentiel de l’action. - La surveillance (si nécessaire). - Les risques encouius (et leurs préventions éventuelles) dans le cas de certains protocoles. - La date de son élaboration et ses évaluations successives. - Ses auteurs. Un protocole doit être synthétique, mais il peut comporter des schémas, etc. Il ne faut pas confondre le travail de rédaction qui concerne l’élaboration et qui comprend la documentation et toutes les autres phases, et l’outil lui-même. Il doit être rédigé SUI la base de données précises et non d’informations floues. Exemple : II ne suffit pas de dire qu’il faut hépariniser un cathéter. 11 convient de préciser tous les éléments de cette opération : la concenaation, le.volume, la durée, etc. 6 - QUI BÂTIT LES PROTOCOLES DE SOINS INFIRMIERS ? Il est évident que les personnes qui utilisent les protocoles se sentent davantage concernées et impliquées, et les respectent mieux lorsqu’elles ont participé à leur élaboration. C’est donc aux équipes de soins, de bâtir ou de s’approprier en fonction de leurs besoins, des protocoles. La complexité de certaines méthodologies peut demander l’intervention de personnes extérieures à l’équipe pour guider cette dernière vers un résultat opérant (infirmière clinicienne, cadre chargé de la qualité, etc.). Un certain nombre de protocoles sont matétitisés dans le cadre de projet d’équipe ou projet de Recherche en soins iniîrmiers N’ 32 - Mars 1993 ,’ soins. Très souvent en fonction de son objet un protocole peut réunir, pour son élaboration, “ne équipe pluridisciplinaire : infirmière, médecin, biologiste, kinésithérapeute, informaticieti, psychologue, etc. CONCLUSION Si cet article met en évidence la complexité de la constrwtion scientifique des protocoles de soins, il nous semble cependant important de souligner leur intérêt aussi bien pour le service rendu aux patients, que la scienhfisation des soins, dont les protocoles sont un des éléments. Notre expérience d’encadrement des équipes et de formateur, nous a prouvé que toutes les intïrmières ont les capacités cognitives nécessaires pour réaliser ce tmvail. En plus de l’investissement en temps et en moyens, il nécessite un état d’esprit scientifique. Nous sommes convaincues que, plus I y aura d’échangea, de discussions, d’écritures, de puhlications autour des protocoles, plus il y aura des bénéfices pour les infirmières et les patients. 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