Histoire de l'Inde : Le passé pré-colonial ASU 3A19a - Cours de M. Harit Joshi, 2011-2012 Notes de cours prises par François Thomasset Les historiens, les sources Le sultanat de Delhi Relations ambiguës entre les sultans et les maîtres soufis Le Deccan : le royaume Bahmani Vijayanagar : « la cité de la victoire » Les royaumes rajputs Le mouvement Bhakti L'empire moghol Les Marathes Awadh Inalco 2011 1 page 2 page 5 page 8 page 11 page 14 page 17 page 21 page 24 page 28 page 31 francois point thomasset arobase club tiret internet point fr Les historiens modernes 11/10/2011 Au 19ème siècle, redécouverte des anciens textes. Parmi les britanniques du 19ème siècle, on distingue deux groupes : Les « orientalistes » : linguistes, apprennent les langues orientales William Jones, fondateur de la Société asiatique du Bengale les « impérialistes » : anglais, travaillent pour la Compagnie des Indes. Ils sont de parti pris : les anglais sont venus apporter la civilisation. Les deux groupes comparent l'Inde au modèle grec (au désavantage de l'Inde). Ils produisent des histoires événementielles, basées sur des biographies. Ces historiens britanniques du début du 19ème siècle ont traditionnellement découpé l'histoire en 3 périodes : des origines à 1000 ap. J.-C. « période ancienne », « période hindoue » de 1000 à 1800 « période médiévale », « période musulmane » de 1800 à nos jours « période moderne » Cette classification est évidemment biaisée et sous-entend que les anglais sont venus apporter la civilisation et l'ordre après une période obscure. Elle reste ancrée encore aujourd'hui même en Inde. On a cependant plutôt tendance à adopter le découpage suivant : des origines à 500 ap. J-C. (fin de l'empire Gupta) de 500 à 1500 (installation des Moghols) « période médiévale » de 1500 à nos jours « période moderne » Idées reçues Qu'est-ce qu'un « hindou » ? C'est un mot d'origine persane, il a d'abord désigné une identité géographique (Inde du Nord). A partir du 19ème siècle seulement : connotation religieuse. Pour James Mill, philosophe et économiste écossais (1773-1836) : « l'Inde n'a pas d'histoire ». Il a quand même écrit une histoire de l'Inde britannique. Henry Miers Elliott (1808-1853), aidé par John Downson (1820-1882), a publié « The History of India, as told by its own historians », en 8 volumes. Contient des traductions de textes de 1200 à 1800, traduits par des munshis. C'est un recueil toujours utilisé ; mais la sélection des textes est biaisée : on n'y parle que de guerres, de révoltes, de massacres, et jamais de mesures administratives prises par les souverains en faveur des populations. Remise en cause des préjugés De nouvelles classes émergent au 19ème siècle, ouvertes sur le monde. Les nouveaux historiens remettent en cause la vision coloniale, mais prennent un parti pris opposé : l'époque coloniale devient un âge d'or qu'auraient détruit les anglais. L'école d'Aligarh Mohammedan Anglo Oriental College : fondé en 1875 par Syed Ahmed Khan (1817-1898, grand réformiste musulman), devient Aligarh Muslim University en 1920. Visait à former des administrateurs. Ses historiens ont une vision marxiste. La période précédant les anglais n'est plus une période de stagnation. L'école « subalterne » (subaltern studies) Renvoie dos à dos les « impérialistes » et les « marxistes ». Objectif : produire une histoire qui restaure la parole du peuple des « subalternes », histoire vue « par le bas ». Etude de la période coloniale. Cf. Jacques Pouchepadass (EHESS) : http://ceias.ehess.fr/docannexe.php?id=445 2 La politisation de l'histoire Depuis la partition la montée de l'orthodoxie hindouiste s'est affirmée. En Inde Akbar a une image de bon souverain, tolérant, ouvert, administrateur compétent, tandis qu'Aurangzeb passe pour intolérant et fossoyeur de l'empire. Au Pakistan c'est l'inverse : Akbar est au mieux ignoré, ou bien est présenté comme contribuant au déclin de l'Islam, et Aurangzeb est le champion de l'Islam. Aujourd'hui on sait qu'il faut nuancer ces jugements ; par exemple Aurangzeb a bien détruit des temples (hindous), mais pour des raisons politiques. Années 1990 : BJP au pouvoir : réécriture des livres scolaires. Imaginaire populaire Pendant 6 siècles, jusqu'en 1837, la langue de culture a été le persan. A cause de la rupture de 1837 beaucoup d'Indiens sont coupés de leur passé. Exemple : une colonne d'Ashoka (transportée dans la forteresse Feroz Shah Kotla construite par Feroz Shah Tughluq à Delhi) couverte d'inscriptions en brahmi, est considérée par les habitants des environs comme une demeure de djinns. On y dépose des messages exposant des vœux que l'on espère voir exaucés. Cinéma Beaucoup trop de libertés avec l'histoire Les sources 3 Les chroniques officielles, mandatées par les souverains ; écrites en persan indien, très pompeux ; doivent donner une image positive du souverain. Akbar Nāma par Abdul Fazl, homme de confiance d'Akbar Le 3ème volume Ain-i-Akbari (institutions créées par Akbar) parle de tout. Les autobiographies impériales Bābur Nāma (en turc), Humāyūn Nāma (en persan, par la fille d' Humāyūn), Tuzuk-i Jahāgīrī (en persan) Souvenirs très personnels, que n'oseraient pas écrire des biographes officiels. Textes normatifs sur la gouvernance : akhlākī = « moeurs, traditions » : les « miroirs des princes ». Spécifient ce que devrait faire les souverains. Les écrits individuels non mandatés par les souverains. Courtisans écartés du pouvoir, qui jugent que des gens moins compétents qu'eux-mêmes sont désormais proches du souverain. Tarikh-i Firozshāhī par Ziauddin Barani (1285-1357) Muntakhab-ut-Tawarikh (« Sélection de chroniques ») par Abd al-Qadir Badauni (1540-1615) : critique acerbe d'Akbar La correspondance diplomatique, avec : ottomans, ouzbeks, safavides Entretiens avec des maîtres religieux malfūzāt : entretien avec un maître soufi Amīr Hasan Sizji, disciple de Nizamuddin Auliya (1238-1325) Oeuvres littéraires à caractère non politique Amīr Khusrau, poète et mystique (1253-1325) Discours vernaculaires Banarasidas (1586-1643), commerçant jaïn et poète. Parle de sa vie sous Akbar. Récits de voyageurs étrangers Alberuni (973-1048) : mathématicien, historien, géographe, linguiste... Ibn Battuta (1304-1368) : berbère, grand voyageur, né au Maroc Thomas Roe (1581-1644) : diplomate anglais François Bernier (1625-1688) : médecin personnel d'Aurangzeb, né en Anjou 4 Jean-Baptiste Tavernier (1605-1689) : commerçant en diamants Niccolao Manucci (1639-1717) : récits de règnes de Shah Jahan et Aurangzeb Littérature biographique nobiliaire Mumtakhab-ul-lubab par Khafi Khan Le sultanat de Delhi 18/10/2011 Le « sultanat de Delhi » désigne les dynasties d'origine turque et afghane qui ont régné sur le nord de l'Inde entre la fin du 12ème siècle (1192 : bataille de Tarain) et la moitié du 16ème siècle (1526 : bataille de Panipat, victoire des moghols). Les souverains sont certes musulmans, mais on ne saurait voir cet établissement uniquement comme un processus religieux. Précisions sur les termes géographiques employés Irân = l'Iran contemporain Tûrân = Asie centrale = Transoxiane, entre Syr Daria et Amou Daria Hindostân = Inde du Nord, au nord de la rivière Narmada (Inde du Sud = Deccan) Le contexte politique dans le Nord-Ouest du sous-continent à la fin du 12ème siècle Un premier contact avec l'Islam avait eu lieu dès les 7ème-8ème siècles : Muhammad ben Al-Qasim s'empare du Sindh en 711. Au 11ème siècle existent un ensemble de petites principautés contrôlées par des gouverneurs militaires d'origine turque, les « amîrs », ou « commandants ». Ceux-ci font symboliquement allégeance au calife de Bagdad, dont le pouvoir réel est très affaibli, mais qui reste un symbole. Les amîrs envoient chaque année au calife des ambassades avec une partie du butin qu'ils ont pu conquérir. En échange ils reçoivent des cadeaux de prestige (robes d'honneur) ou des titres pompeux (« bras droit du calife ») qui, espèrent-ils, soutiennent leur légitimité. Ils frappent des monnaies au nom du calife. Mais en 1258 les mongols mettent fin au califat. Pour gouverner les amîrs font appel à des « esclaves » militaires qu'ils font venir des régions montagneuses. Ces « esclaves » (ghulâm, mamlûk, banda) sont en fait de redoutables guerriers, dévoués à leurs maîtres ; ils sont sous influence islamique depuis 2 générations au plus, et ont donc le zèle des convertis de fraîche date. Ce sont d'habiles cavaliers. Enfin la menace mongole est constamment présente au 13ème siècle. Il faut retenir le nom de deux personnages emblématiques : Mahmoud de Ghaznî et Muizuddîn de Ghur. Mahmoud de Ghaznî (971-1030), d'origine turque. Son père était un amîr qui avait été esclave. Très ambitieux. Il mène 17 campagnes en Inde, dans le but de ramasser du butin et de s'enrichir. Sa capitale est à Lahore depuis 1022. Il servira de modèle pour les premiers sultans de Delhi. Il pille le temple de Somnath (Shiva) au Gujarat. Il laisse à la postérité une image fausse de musulman bigot ; en fait il n'a jamais cherché à faire de conversions ; mais il a cruellement persécuté les chiites. Firdausi a écrit Shahnamah (histoire des anciens rois de Perse) pour Mahmoud. Alberuni a suivi Mahmoud à Ghazni (écrit un livre très critique sur les brahmanes). Muizuddîn de Ghur (1150-1206), d'une famille de petits commandants. Mène des campagnes en Inde pour s'enrichir, mais son centre d'intérêts reste l'Afghanistan. Persécute lui aussi les non sunnites. En 1192, mène une campagne contre la plus puissante dynastie hindoue, les Chauhan ; bat Prithvirâj Chauhan à Tarain. En 1206 : assassinat de Muizuddîn ; les esclaves amenés par Muizuddîn restent en Inde et se déclarent indépendants. Pour la postérité, Prithvirâj garde l'image de l'hindou courageux qui lutte contre les envahisseurs musulmans. Les raisons des succès des ghurides On a avancé des hypothèses erronées, surtout soutenues par les membres de l'université d'Aligarh : les intouchables auraient vu les musulmans comme des libérateurs seuls les kshatriyas auraient pu participer aux combats Hypothèses plus sérieuses : manque d'unité dans le camp hindou 5 efficacité des archers montés dans le camp musulman La mise en place du sultanat Au début les empereurs de la dynastie des « esclaves » ne contrôlent que quelques villes : Delhi, le Doab (entre le Gange et la Jamuna). L'espace privilégié de leur conquête sera la riche vallée du Gange. Spécificités de l'Islam en Inde Les nouveaux maîtres renoncent à convertir toute la population -- cependant il était plus facile de faire carrière à la cour en se convertissant. Pour les affaires concernant uniquement des musulmans on applique la charia. Pour les autres : un dhimmi (= « peuple protégé ») est un non musulman ; doit payer un impôt, la jizyâ (incertitude sur le montant de cet impôt). Comment les indigènes parlent-ils des envahisseurs ? On utilise des mots anciens : yavanâ : désignait les Grecs qui suivaient Alexandre au 4ème siècle av. J.-C. mleccha : celui qui parle mal le sanscrit, un barbare La langue de cour et d'administration est le persan, et le restera jusqu'au 19ème siècle. Cette langue commune permet des échanges d'idées à travers tout l'Orient (Amîr Khusrau, poète, musicien). Les dynasties du sultanat 1. Les sultans « esclaves », 1206-1290. Delhi est la capitale. Qutbuddîn Aibak (1206-1210), mort dans un accident de polo son gendre Iltutmish (1211-1236) Raziyâ (1205-1240), la seule femme à avoir régné en Inde, fille d'Iltutmish. Monte à cheval, se montre non voilée, exceptionnel pour une femme à l'époque. Assassinée par un serviteur. 2. Khaljî, d'origine afghane (1290-1320) Alauddîn (1294-1316), grand guerrier. Mène des campagnes au Rajasthan, au Deccan : le Rajasthan est en effet sur le passage entre Delhi et le riche Gujarat. Au Deccan il détruit des temples pour récupérer de l'or dont il a besoin pour lutter contre les mongols. 3. Les Tughluq (1320-1398) Muhammad : le roi « fou » (réellement fou sur sa fin). Crée une monnaie expérimentale, qui donne une valeur conventionnelle à des pièces de cuivre ; son objectif est de maintenir des prix bas. Projet visionnaire mais c'est un échec. Campagne au Khorasan : échec. 4. Les Lodî, d'origine afghane (1451-1526) Sikandar Ibrâhim : sans doute trop autoritaire, ne sera pas soutenu par ses nobles face aux moghols L'administration Le système est basé sur 4 piliers : le sultan l'armée : hétérogène la trésorerie les paysans : leur rôle est de fournir le surplus de leurs récoltes, au-delà du nécessaire pour survivre ; transmis aux services de trésorerie, qui servira à payer l'armée. Les non musulmans n'occupent pas les hauts postes, tant qu'ils ne se convertissent pas. L'armée contient des hommes de toutes origines, y compris des noirs africains (habshi). Un gouverneur (amîr) a des tâches administratives ou militaires. Le souverain évite de laisser ses amîrs s'installer trop durablement dans une région pour qu'ils ne prennent pas trop d'indépendance, 6 et il n'hésite pas à les déplacer. Il est exclu que leur charge soit héréditaire. iqtâ : terre attribuée (non héréditairement) à un noble pour faire rentrer les impôts. hanafisme : droit musulman appliqué dans le Nord de l'Inde ; dans ce système on ne peut pas faire payer à un paysans plus de 50% de son revenu en impôt. En pratique on prélève entre 30% et 50%. khalisa : domaine royal, les terres les plus riches. Le système exige de plus en plus de transactions : d'où une monétarisation de l'économie ; urbanisation : centres de collecte des impôts. Création de nouveaux styles d'architecture. Economie dynamique en plein essor, en contradiction avec l'image retardataire qu'ont voulu en donner les historiens anglais. Le déclin Tamerlan (d'origine turque) saccage l'Inde du Nord et met à sac Delhi en 1398 ; il ramène un butin énorme, ainsi que des artisans. Le sultanat ne va pas s'en remettre. Les Sayyid sont une dynastie faible, la dernière dynastie est celle des Lodi. Sultanats régionaux : il se développent à la faveur de l'affaiblissement de Delhi dans les provinces éloignées du centre : Gujarat, très riche grâce au commerce maritime avec l'Arabie (importation de chevaux) Malwa : correspond au Madhya Pradesh actuel Jaunpur, près de Bénarès Bengale 7 Relations ambiguës entre les sultans et les maîtres soufis 25/10/2011 Les régions peuplées de musulmans sont surtout le Bengale et la vallée de l'Indus : régions traversées par des fleuves. On a émis l'hypothèse que ces régions ont été islamisés parce qu'elles étaient en marge de l'hindouisme ; peut-être populations déplacées en profitant des fleuves (Richard Eaton) . Qu'est-ce que le soufisme ? Plusieurs hypothèses ont été émises sur l'étymologie du mot « soufi » : selon l'une des hypothèses il viendrait de « souf » (laine), à cause des habits de laine des premiers mystiques. Le soufisme représente les aspects mystiques de l'Islam. C'est une quête spirituelle de Dieu : recherche ésotérique1 de ce qui est intérieur, par opposition au zahir : apparence. On distingue en Islam deux sortes de maîtres : les oulémas (pluriel de alim, savant) ; docteurs de la loi, spécialistes de l'exotérique, des aspects légaux ; les cheiks : maîtres spirituels, concernés par ce qui est ésotérique. Il existe une forte opposition entre ces deux catégories ; les oulémas ont très tôt été accusés d'être trop proches du pouvoir temporel, d'avoir une vision trop matérialiste. Au moins en apparence, les mystiques soufis rejettent le contact avec le souverain, et affichent une image de pauvreté. On rapporte le mot du grand maître soufi Nizâmuddîn Auliya lorsqu'on annonça la prochaine visite du souverain : « ma maison a deux portes, si l'empereur vient par la première, je sortirai par la seconde. » Cette image des soufis a surtout été promue par l'école d'Aligarh. En fait des études ont montré (Simon Digby, décédé en 2011) que cette image est un peu caricaturale, et qu'un maître soufi pouvait se montrer dur, voire méchant ou cruel. Le soufi recherche la haqîqa, ou réalité, vérité, connaissance de l'essence divine. La charia est la voie des oulémas. La tarîqa est la voie de l'ésotérisme ; le terme désigne une confrérie. Les textes : malfuzat : recueil de conversations entre un maître soufi et un disciple ; les malfuzats parlent de tous les sujets, y compris très pratiques : comment jeûner, comment prier... tazkirat : biographies Les confréries soufies Remarque préliminaire : un disciple n'est pas obligé de rester dans la même confrérie toute sa vie. Chishtiya (du nom d'un village afghan, Chisht) : c'est la confrérie la plus importante. D'abord peu connue, son destin est transformé lorsque Muimuddîn Sijzi vient en Inde à Ajmer, en même temps que les conquérants ghurides : les sultans et les soufis ont besoin les uns des autres, la sainteté du maître soufi légitimant le souverain. La confrérie perdra de son importance avec le déclin du sultanat (fin du 14ème siècle). Le dernier maître partira dans le Deccan. Suhrawardiyya, basée à Multan (Penjab, aujourd'hui au Pakistan), région périphérique. Aucune réticence vis-à-vis du pouvoir, acceptation des dons. Qadiriya : fondée au 11ème siècle par Abd alQadir al-Jilani, période de gloire au 17ème siècle ; c'est l'ordre le plus répandu dans le monde musulman. Naqsbandiya : origine en Asie centrale ; introduite en Inde par Babur. Le maître spirituel ne renonce pas forcément au monde : il réside souvent en ville (sinon à qui prêcher ?) Il faut mentionner des non orthodoxes : beshar = « qui est sans loi » : les qalandars sont venus d'Asie centrale. Mystiques errants, à l'écart de tout ce qui est préconisé par la charia. Ils peuvent avoir un comportement bizarre, violent, ils jettent des sorts. Ils ont des partisans dans le petit peuple 1 Par contraste, l'exégèse coranique, le droit, dont l'apprentissage ne nécessite pas d'initiation mystique et sont enseignées publiquement sont dits « exotériques ». 8 et les nouveaux convertis. La vie quotidienne dans les hospices Le khânqâh = hospice : c'est un lieu dans une ville ou à proximité, où vit le maître avec sa famille, où il prêche, où les visiteurs sont logés et nourris. Le dargâh : la tombe du maître ; après sa mort, son influence continue à s'exercer. jamât khâna : grande salle où le maître enseigne. murîd : disciple murshid, pîr : maître Quels bénéfices espèrent les disciples d'un maître ? Il y a deux sortes de visiteurs : Certains ont déjà eu une initiation à la méditation, et le maître leur apprend le dhikr (ou zikr) : répétition rythmée du nom divin en retenant le souffle, avec ou sans musique. A force de répéter, le disciple peut arriver dans un état provisoire d'extase, où son âme (considérée comme féminine) s'unit à l'âme (masculine) de Dieu : c'est union est « urs » (qui veut dire aussi mariage), en attendant l'union définitive, la mort, désignée par le même mot : urs. Mourir en état d'extase serait la plus belle mort (c'est ce qui serait arrivé à Qutbuddîn Bakhtiyar Kaki). Les gens ordinaires : en chantant les qawwâlis on peut espérer la création d'une ambiance (samâ) et atteindre l'extase. En général on espère que l'influence du maître (barkat) qui imprègne sa résidence ou sa tombe sera propice et qu'il servira d'intermédiaire pour la satisfaction des vœux. sajjida nishin : administrateur d'un hospice, charge qui peut être héréditaire khadim : homme à tout faire d'un sanctuaire futûh : dons non sollicités. Ils sont en fait nécessaires car l'entretien d'un hospice et la nourriture des visiteurs coûtent cher. Mais en principe on ne garde pas le don au-delà d'une journée : il sera dépensé avant le coucher du soleil. sijda : façon de saluer Dieu, prosternation, en principe réservée à Dieu. Mais certains souverains (Akbar) l'exigent pour eux-mêmes, et certains maître soufis également : d'où une jalousie entre les souverains et les maîtres. wilâyat : province : domaine spirituel d'un maître soufi. Les orthodoxes voient (avec reproches) des influences hindoues dans les pratiques soufies. Les maîtres spirituels de la Chishtiya Muimuddîn Sijzi (ou Chishti), 1141-1236. Son sanctuaire à Ajmer a été redécouvert au 14ème siècle par les souverains du Malwa. Qutbuddîn Bakhtiyar Kaki, 1173-1235, son successeur spirituel, né au Fergana, décédé à Delhi. Fariduddîn Ganj-i-Shakar, décédé en 1266 à Ajodhan (aujourd'hui Pakpattan au Pakistan). Convertit des tribus païennes. Nizamuddîn Auliya, 1238-1325, à Delhi : le plus grand des maîtres. A eu la chance d'avoir pour disciples de grands écrivains tels que Amîr Khusrau. Nasiruddîn Chirag-i-Dilli, 1274-1356, à Delhi Muhammad Gesudaraz (« qui a de longs cheveux »), 1321-1422. Enterré à Gulbarg au Maharashtra. A quitté Delhi 3 jours avant l'attaque de Tamerlan. Les qualités d'un maître soufi Il doit surtout montrer un charisme personnel : donne l'image d'un être pauvre, inaccessible aux représentants du pouvoir temporel ; en même temps il doit avoir les moyens de faire vivre son hospice. Il est censé capable de faire des miracles, mais sans l'afficher. Il répond aux attentes spirituelles de ses disciples. Le maître soufi et le sultan Qui est le plus respecté ? 9 Exemple du conflit entre le fondateur de la dynastie des Tughluqs, Ghiyâth al-dîn Tughluq Shah, et Nizâmuddîn : le sultan voulait construire une nouvelle capitale Tughluqabad, et exigeait pour cela la présence de tous les hommes valides. En même temps Nizâmuddîn faisait construire un baoli (puits sacré). Le sultan interdit aux hommes d'aller travailler pour le soufi tant que la ville ne serait pas achevée, mais ils sont allés travailler au baoli le soir. Nizâmuddîn a fini par maudire la nouvelle ville du souverain. Pour légitimer leur pouvoir, les sultans ont fabriqué des légendes dans lesquelles leur arrivée au pouvoir aurait été prédite dans leur enfance par un maître soufi. La succession Il n'y a pas de règle établie pour départager les concurrents : le disciple préféré, les fils biologiques du maître. Le maître a plusieurs possibilités pour désigner le successeur : laisser un testament écrit ; laisser un objet personnel (une robe par exemple) auprès de son disciple. shajara : la lignée d'un ordre, succession des maîtres 10 Le Deccan : le royaume Bahmani 8/11/2011 Le mot « Deccan » désigne la région au Sud de la rivière Narmada, correspondant à peu près à l'actuel Maharashtra, avec une partie de l'Andhra Pradesh. L'étymologie du mot est liée au sanscrit dakshin = Sud. La naissance du royaume Au 14ème siècle les sultans Tughluq règnaient sur un empire très vaste, et ils avaient du mal à en contrôler les régions périphériques. Ils ont tenté d'installer leur capitale à Daulatabad, à la limite du Deccan. Les gouverneurs en poste dans le Deccan étaient encore fidèles aux sultans Khalji, prédécesseurs des Tughluqs. Vers 1330 ces gouverneurs se révoltent contre Mohammed Shah Tughluq, particulièrement autoritaire. La révolte est générale en 1345 ; en 1346 les mutins prennent Gulbarga et se déclarent indépendants de Delhi. Gulbarg est une base militaire indépendante et présente l'avantage d'être plus loin du Nord que Daulatabad. En Août 1347, Zafar Khan se fait couronner chef d'une nouvelle dynastie, sous le titre pompeux de Alauddin Hasan Bahman Shah. La même année est fondée le royaume de Vijayanagar, qui sera en conflit avec les Bashmanis pour le Doab (= « entre deux eaux »), riche région fertile entre les rivières Krishna et Tunghabhagda. Comment se légitimer ? Le nouveau pouvoir étant issu d'une insurrection, le souverain cherche les moyens de renforcer sa légitimité. Des légendes sont répandues : Zafar Khan serait un descendant du mythique souverain iranien Bahman. Ces tentatives de légitimation sont renforcées par le panégyrique d'Isami : Futuhus-Salatin = « victoire du souverain », histoire en vers des souverains musulmans de l'Inde. L'architecture de la nouvelle capitale à Gulbarg est inspirée de celle des Tughluqs, avec un style assez lourd : le nouveau souverain cherche à se placer dans la continuité du pouvoir Tughluq. Les souverains bahmanis Alauddin Hasan Bahman Shah (Zafar Khan), règne de 1347 à 1358 Muhammad 1er, règne : 1358-1375 Suit une période troublée d'une vingtaine d'années avec 5 souverains différents. Muhammad II, règne : 1378-1397 Tajuddin Firuz, règne : 1397-1422 Shihabuddin Ahmad 1er, règne : 1422-1436 Les Bahmanis et les cheiks soufis Les Bahmanis cherchent la bénédiction des cheiks soufis. On rapporte la légende suivante : un jour Mohammed Tughluq serait venu visiter Nizamuddîn Aliya (pourtant réputé refuser la visite de représentants du pouvoir temporel). Zafar Khan serait arrivé alors que le Tughluq s'apprêtait à partir. Nizamuddîn aurait alors commenté : « Un souverain quitte ma résidence et un autre vient à ma porte. » Légende évidemment fabriquée pour placer les Bahmanis comme successeurs des Tughluqs. Afin de l'aider à coloniser des territoires éloignés de son centre, Mohammed Tughluq avait demandé à des cheiks soufis de s'installer dans le Deccan, et avait par exemple invité Burhamuddin Gharib, décédé en 1369 (ou 1344?). Le successeur de Burhamuddin Gharib est Zainuddin Shirazi, né à Shiraz en Iran, mort en 1369. Une tradition rapporte que la robe portée par Mahomet lors de son voyage céleste aurait été transmise à Zainuddin Shirazi, qui l'aurait remise à Zafar Khan pour son couronnement, rehaussant évidemment le prestige du nouveau souverain. On constate une grande complicité entre le nouveau pouvoir et les cheikhs qui reçoivent des cadeaux somptueux, parfois jusqu'à 1/5 du butin d'une campagne militaire. Le conflit mortel des Afaqis et des Dakhinis Les Maghribis = Afaqis sont venus d'Iran pour s'enrichir ; ils apportent une culture persane et sont encouragés à s'installer par les souverains bahmanis ; ils prennent une importance croissante à la 11 cour. La communauté indigène musulmane (Dakhinis) est formée des anciennes familles nobles envoyées par les Tughluqs pour coloniser le pays, et voient d'un très mauvais oeuil l'arrivée des iraniens. Les dakhinis se considèrent comme seuls légitimes pour occuper des postes de responsabilité à cause de leur ancienneté, tandis que les Afaqis porteurs d'une culture persane raffinée s'estiment naturellement voués à devenir proches du pouvoir. Le conflit sera fatal à la dynastie. Les Afaqis sont actifs dans le commerce, essentiellement maritime car la voie terrestre est occupée par les Tughluqs : importation de chevaux arabes. Les ports sont Chaul (sud de Bombay) et Dabhol plus au Sud. Tajuddin Firuz Tajuddin Firuz succède à Muhammad II en 1397, c'est le plus grand des souverains bahmanis. Très érudit, parle plusieurs langues. Continue à encourager l'arrivée des Afaqis, mais pour contrer leur influence, nomme des brahmanes à des postes importants. Epouse une princesse hindoue de Vijayanagar qui n'est pas obligée de se convertir, exemple qui ne sera suivi que par Akbar. Tente de fonder une nouvelle capitale à Firizabad sur la Bhima. Peu après son couronnement, Tajuddin Firuz apprend l'arrivée de l'un des derniers cheiks : Gesu Daraz a quitté Delhi 3 jours avant sa mise à sac par Tamerlan. Gesu Taraz aurait promis à Tajuddin Firuz de prolonger sa vie... Tous deux mourront à un mois d'intervalle en 1422. Gesu Daraz s'installe à proximité de la cour de Tajuddin Firuz. Tajuddin Firuz envoie des ambassadeurs à Tamerlan pour lui demander de lui reconnaître le pouvoir à Gulbarg, ce que Tamerlan accepte, et lui accorde même la souveraineté sur le Gujarat et le Malwa. En suite les relations vont se dégrader entre Tajuddin Firuz et Gesu Daraz. On invoque pour cela une déception de Tajuddin Firuz, qui aurait découvert que Gesu Daraz n'était pas aussi savant dans les « sciences non cachées » (ilmi-zahiri) qu'il le pensait. En fait il y a une raison politique à ce refroidissement : Tajuddin Firuz a un fils qu'il aimerait voir comme son successeur, et un frère cadet Ahmad, qui brigue lui aussi la succession. Ahmad devient un grand adepte de Gesu Daraz et cette proximité est mal vue de Tajuddin Firuz ; le souverain demande à Gesu Daraz de déménager, là où se trouve actuellement son mausolée. Même si c'est un déménagement de quelques centaines de mètres, c'est un geste très fort contre un maître soufi. Gesu Daraz se rapproche encore plus d'Ahmad, à qui il promet la succession. Il aurait manifesté son appui en coupant son turban, et en donnant un moitié à Ahmad, et l'autre au fils de celui-ci. Il devient clair que la population soutient Ahmad ; finalement Tajuddin Firuz se résigne et reconnaît son frère comme successeur. Il meurt un mois plus tard, et Gesu Dazar encore un mois après. Gesu Daraz a un énorme prestige, explicable par plusieurs causes : Ahmad, qui doit beaucoup à Gesu Daraz, lui fait construire un immense mausolée là où se trouvait son hospice. Il consacre les revenus des terres voisines à l'entretien du mausolée et des descendants du maître ; le sanctuaire est ainsi institutionnalisé ; avant de mourir gesu Daraz déclare qu'après lui son autorité spirituelle passera à son fils, de même pour ses descendants à lui, rompant avec une tradition faisant passer la succession d'un maître à un disciple ; Gesu Daraz a sans doute eu la chance d'être associé à une dynastie montante, comme Nizamuddin Auliya l'avait été à Delhi. Shihabuddin Ahmad Shihabuddin Ahmad succède à son frère Tajuddin Firuz. Bien que reconnaissant à Gesu Daraz, il ne prend pas les membres de sa famille comme conseillers, estimant que les maîtres soufis sont un peu trop impliqués en politique. Il invite Shah Nimatullah (résidant à Kirman en Perse) qui refuse en prétextant son âge (104 ans) mais envoie son fils Shah Khalilullah. Il est reçu à bras ouverts et 12 reçoit une princesse en épouse. La famille de Shah Nimatullah viendra ensuite s'installer en masse chez les Bahmanis. Pour échapper au conflit entre Afaqis et Dakhinis, Ahmad transporte sa capitale à Bidar, dans un région riche, ancienne capitale de vieilles dynasties hindoues. Le conflit ne se calme pas pour autant. A Bidar il n'est plus nécessaire d'afficher une quelconque légitimité vis-à-vis des Tughluqs, on abandonne donc les liens avec la lourde architecture tughluq, et on adopte les influences iraniennes. Le palais de Bidar est inspiré du palais de Tamerlan à Samarcande. Mahmud Gawan En 1453 arrive à Bidar Mahmud Gawan ; iranien de 42 ans, d'une famille d'aristocrates, riche, commerçant, raffiné. En commerçant il amène des biens : soies, bijoux, esclaves, chevaux. Il est bien accueilli à Bidar par Ahmad II, le fils de Shihabuddin Ahmad, qui l'incite à abandonner son projet initial de continuer jusqu'à Delhi. Mahmud Gawan reste à Bidar, et en un quinzaine d'années devient l'homme fort du royaume. Il obtient deux titres prestigieux : wakil-i-sultanat = premier ministre ; malik-al-tujja = prince des marchands. C'est un administrateur remarquable, chef de guerre, et en même temps un homme très cultivé. Il entreprend des réformes pour augmenter les ressources du royaume. Il aurait introduit la poudre à canon dans le Deccan. Sous son administration l'empire s'agrandit. Il laisse un héritage architectural très riche : en particulier une madrasa à Bidar, d'architecture timouride, avec un grande bibliothèque (3000 ouvrages). Voir le récit du voyage du marchand russe Athanase Nikitine (Afanasy Niketan), entre 1466 et 1472. Le conflit afqanis/dakhinis est toujours vif ; pour tenter de le calmer Mahmud Gawan s'efforce d'accorder autant de pouvoir aux deux factions. Mais en 1481 les dakhinis jaloux l'accusent de trahison et parviennent à la faire condamner à mort (le souverain était ivre quand il l'a condamné et s'en serait repenti mais trop tard). Sa mort marque le début du déclin et de la désintégration. En 1500 il ne reste presque plus rien du royaume. Les états successeurs Berar indépendant en 1490 (Imad Shah) Bijapur en 1490 (Adil Shahi) Ahmadnagar en 1490 (Nizam Shahi) Golconde (Quli Qutb Mulk) Bidar (Barid Shahi) Ces nouveaux états adoptent le chiisme. Les raisons de la stabilité du royaume 13 Les Bahmanis pratiquent le primogéniture royale (à l'exception d'Ahmad qui succède à son frère), et évitent les guerres de succession, au contraire des autres états indiens ; politique de mariages avec les états voisins, entretenant un réseau d'alliances ; combinaison commerce / politique, le royaume est lié aux mondes arabe et iranien, participe à l'économie mondiale. Vijayanagar, « la cité de la victoire » 15/11/2011 Le territoire de Vijayanagar est situé au Sud du domaine Bahmanide, et correspond aux actuels états du Karnataka et du Tamil Nadu. Le site de la capitale Hampi ayant été abandonné après le désastre de la bataille de Hampi en 1565 (ce qui a permis la conservation du site), Vijayanagar a été le « royaume perdu » jusqu'au 19ème siècle : les historiens brahmanes l'ont alors redécouvert dans un esprit nationaliste ; Vijayanagar a été présenté comme un bastion hindou résistant aux envahisseurs musulmans. On sait maintenant que cette approche est erronée : rien n'indique que les rois de Vijayanagar s'affichaient comme des protecteurs de l'hindouisme (notion moderne) contre les musulmans. On peut voir plusieurs aspects de cet état : un « état théâtre » : le pouvoir gardien de l'ordre cosmique cherche à se montrer ; l'état guerrier, très militarisé ; état décentralisé : en général pas de contrôle central par le souverain. Les travaux des historiens ont connu de grands développements ces 30 dernières années et se poursuivent ; on découvre toujours de nouveaux sites. Les sources : très nombreuses sources épigraphiques : inscriptions sur des stèles, rochers, piliers de temples... récits de voyageurs : chinois, portugais (Nuniz, Domingo Pez...), Abdul Haza (ambassadeur timouride) La fondation Vers 1330 le sultan de Delhi Muhammad bin Tughluq qui était installé à Daulatabad, décide de rentrer à Delhi avec ses troupes, ce qui crée un vide dans le Deccan ; les Bahmanides et Vijayanagar vont en profiter : l'état bahmanide au nord de la rivière Krishna, Vijayanagar au Sud, les deux états naissant pratiquement en même temps. L'empire a été fondé par cinq frères, les Sangama, des chefs militaires locaux. Cette fondation est liée à une légende : les deux ainés Harihara et Bukka auraient été emmenés à Delhi, où il auraient été forcés à se convertir avant d'être renvoyés au Sud par le sultan. Là ils renoncent à l'Islam et se proclament rois. Bien qu'encore populaire et enseignée à l'école, cette légende est désormais rejetée par les historiens car anachronique : en fait ces chefs locaux ont simplement accordé leur soutien au sultan sans jamais avoir à se convertir à l'Islam, et se sont déclarés indépendants lorsqu'ils ont vu le Tughluq s'éloigner. Les quatre dynasties Sangama (1336-1485), les deux premiers souverains sont les frères Harihara (qui règne de 1336 à 1354) et Bukka (de 1354 à 1377). Les derniers souverains de la dynastie sont incompétents, et un chef militaire installe la dynastie suivante. Deva Raya I règne de 1406 à 1422. Saluva (1485-1505). De même à la fin de la dynastie un général profite de la faiblesse du souverain pour prendre le pouvoir et installer sa dynastie. Saluva Narsinha règne de 1485 à 1491. Tuluva (1505-1565). L'apogée de l'empire est atteint avec Krishna Deva Raya : 1509-1529 (le « maître de l'océan de l'Ouest et de l'océan de l'Est »). Puis Achyuta Raya règne de 1529 à 1542. Aravidu, qui s'installe à Penukunda après le désastre de Talikota. L'organisation du régime En général le régime était décentralisé, le souverain n'exerçant qu'un pouvoir limité, et déléguant beaucoup aux nayaks, chefs locaux gouvernant les provinces éloignées ; ils perçoivent les taxes et en remettent une partie (entre 1/3 et 1/2) au souverain, qu'ils sont censés soutenir militairement et 14 financièrement. Chaque année ont lieu dans la capitale des cérémonies à caractère religieux et politique : les nayaks se rendent à Hampi afin de remettre le produit des taxes. C'est l'occasion pour le souverain de se montrer et de garder le contact avec les nayaks. Les relations avec les puissances voisines Vijayanagar est en relations conflictuelles avec deux états : les bahmanides (de 1330 à la fin du 15ème siècle), et Gajpati (souverains hindous) en Orissa. On utilise des appellations traditionnelles pour ces souverains : les Gajpati sont « seigneurs des éléphants » (l'Orissa produit des éléphants) ; les bahmanides sont « maîtres de chevaux » (importation de chevaux) ; les souverains de Vijayanagar sont narpati = « maîtres des hommes ». Les discordes ne portent pas sur la religion mais sur des territoires : entre Vijayanagar et les bahmanides : conflits pour les ports de l'Ouest et pour la riche région fertile du Doab entre les rivières Krishna et Tungabhadra ; entre Vijayanagar, les bahmanides et l'Orissa : conflits pour le delta de la Krishna : Godaveri et Masulipatam. L'emplacement statégique de Hampi Les Sangama se sont d'abord installés à Anegondi au nord de la rivière Tungabhadra ; puis ils ont déménagé au sud de la rivière à Hampi afin de s'éloigner des Bahmanides. La présence de la rivière et de rochers facilite la construction de fortifications auxquelles se consacrent les premiers Sangama. On construit aussi des réservoirs d'eau. Le site est immense, le centre couvrant 25 km². A son apogée (1ère moitié du 16ème siècle) la ville compte entre 300 000 et 400 000 habitants. Les historiens et archéologues modernes ont l'habitude de diviser cet espace en 3 : le « centre sacré » : l'essentiel des temples ; le centre royal : palais impériaux, administrations ; cœur urbain. Le choix des emplacements est lié à une planification dans un esprit religieux : ainsi un temple est-il aligné sur la colline où Rama aurait rencontré ses futures alliés de l'armée des singes. Dans le Ramayana la région s'appelle Kishkinda. Le domaine religieux Comme tous les pouvoirs issus d'une déclaration d'indépendance Vijayanagar cherche à renforcer sa légitimité. Le site de Hampi choisi pour capitale est un ancien lieu de culte et de pèlerinage depuis le 7ème siècle. Au départ il était associé à une déesse habitant la rivière : Pampa, protectrice des gens traversant la rivière : l'endroit est dit « croisement de Pampa ». Vers la fin du 12ème siècle, on a construit un temple à un dieu masculin, Vinupaksha, associé à une forme de Shiva (aksh = yeux de Shiva, Vinup = déformé, c'est donc une forme de Shiva). On finira par présenter Pampa comme l'épouse de Vinupaksha, autrement dit une forme de Parvati : c'est un processus de sanscritisation par lequel une croyance indigène est assimilée au grand panthéon hindou -- pratique courante en Inde (autre exemple : Madurai). Ce processus renforce la légitimité de la divinité locale. Les frères Sangama se sont présentés comme les protecteurs du site (qui encore aujourd'hui est utilisé pour célébrer les noces de Vinupaksha et Pampa). Vinupaksha devient la divinité du royaume, au point que les actes importants se font dans son temple, et que les décrets portent son nom. Les Saluva sont vishnouïtes (=vishnavites) mais continuent à soutenir Vinupaksha. Les souverains prétendent agir au nom du dharma, et privilégient les brahmanes, qui sont présents dans toutes les cérémonies et à qui on accordent des dons ; on leur attribue même les revenus de villages entiers. Les brahmanes y font construire des réservoirs d'eau, ce qui permet de lutter contre la sécheresse qui sévit à l'Est des ghats, améliore les revenus de ces villages, et donc aussi les leurs. Lorsque les rois conquièrent un nouveau territoire, ils donnent leur patronage au temple du territoire 15 nouvellement conquis : par exemple Tirupati2 à Tirumala en Andhra Pradesh, temple vishnouïte. ce patronage a des implications économiques et militaires. Le souverain accorde aussi son patronage à des jaïns ou à des musulmans3. Société et culture La société est extrêmement cosmopolite. On trouve des jaïns : généralement banquiers ; des musulmans : viennent de l'état bahmanide ou de l'un des états successeurs, ce sont de soldats qui apportent de nouvelles techniques militaires qui contribueront aux succès de Vijayanagar (chevaux, poudre à canon). Ces nouveaux arrivants n'ont pas de problème d'intégration et enrichissent la culture de cour. Le roi porte le titre de « suratrana », forme sanscritisée de « sultan » ; il porte des habits influencés par ceux du sultan, le rituel de cour est persianisé. Hampi est planifiée comme Delhi : la citadelle royale est à une extrémité, et non au centre. Economie La côte malabar (à l'Ouest) est intégré dans le réseau marchand mondial, de la Chine à l'Afrique et l'Arabie, commerce maritime à partir de 1000 -- avec le Gujarat et à l'Est Masulipatnam et le Bengale. La côte est souvent dominée par des chefs indépendants (hindous ou musulmans) dont l'existence dépend du commerce maritime. Vijayanagar entretient des relations tributaires avec ces chefs : le souverain ne les contrôle pas directement mais prélève un tribut. Par exemple à Calicut le chef est le zamorin, qui pratique une politique ouverte et dynamique, accueillant des commerçants arabes, juifs, arméniens, chrétiens. Les produits exportés sont des textiles et des épices. Le commerce intérieur est lui aussi important et les souverains construisent des routes pour le faciliter. La chute Aliya Rama Raya était le gendre du grand roi Krishna Deva Raya et un général capable. Le successeur légitime de la dynastie Tuluva étant mineur il acquiert une importance croissante et s'instaure régent, le véritable maître du royaume. Cet ascension n'est pas acceptée par tous et des luttes intenses ont lieu dans le royaume. Rama Raya soutient certains états successeurs des bahmanides contre les autres, semant la discorde parmi ses adversaires. Ceux-ci finissent cependant par s'unir et attaquent Vijayanagar. Malgré la supériorité numérique, les troupes de Vijayanagar sont écrasées à Talikota sur les rives de la Krishna (26 Janvier 1565). Rama Yana est capturé et décapité. Hampi sera pillée pendant 6 mois par les vainqueurs. Le frère de Rama Yana, Tirumala, s'enfuit du champ de bataille et se réfugie à Penakunda ; sa dynastie Aravidu y subsistera jusqu'en 1652, mais le royaume de Vijayanagar n'existait plus. 2 Actuellement le temple le plus riche de l'Inde 3 Il s'avère par exemple qu'un site appelé Dharamshala est en fait une ancienne mosquée. 16 Les Royaumes rajputs : les « fils de rois » 22/11/2011 La géographie du Rajasthan Les Rajpouts forment la majeure partie du Rajasthan mais sont également présents ailleurs. Le Rajasthan est dans l'ensemble aride. Au Nord-Ouest s'étend le désert de Thar, de plus en plus aride à mesure que l'on s'approche de la frontière pakistanaise. Au Sud-Est la chaîne des Aravalli part du Sud de Delhi et traverse le Rajasthan sur 800km, son point culminant est le Mont Abu (1720 mètres) Il y a peu de rivières : Banas, Chambal (à l'Est des Aravalli). Plusieurs lacs alimentés par l'eau de pluie, souvent artificiels : Sambhar, Rajsamand, Pichola (créé au 15ème siècle), Pushkar (lieu de pélerinage, l'unique temple de Brahma), Anasagar à Ajmer. Les origines des rajputs Les origines sont discutées ; ils sont apparus au Nord-Ouest de l'Inde, dans les siècles qui suivent le déclin de l'empire Gupta (6ème siècle, lié à l'arrivée des Huns). Les rajputs seraient les descendants d'envahisseurs Huns, ou bien d'autres peuples arrivés à la suite des Huns. Leur nom apparaît à l'époque du sultanat, et désigne d'abord des chefs militaires ou des chefs de village, avant de désigner des clans entiers. A cette époque existent en Inde des groupes mobiles de mercenaires ; certains vont se sédentariser et créer des états en Inde centrale, au Gujarat, et au Rajasthan. Les deux principaux courants des rajputs On distingue deux groupes : la « grande tradition » : grands propriétaires terriens au Rajasthan ; des groupes de bardes racontent leurs légendes ; la « petite tradition » : groupes de mercenaires au Rajasthan et dans la vallée du Gange ; pas nécessairement attachés à une région, ils peuvent être successivement soldats et agriculteurs ; ils n'ont pas eu la chance de s'attacher des bardes pour conter leurs faits et gestes. Le colonel James Todd (1782-1835) travaillait pour la Compagnie des Indes, et il a effectué des missions au Rajasthan où il a signé des traités avec les états princiers pour le compte de la Compagnie. Todd a rencontré de nombreux bardes dans les cours des maharajas qui lui content les exploits de la « grande tradition » ; c'est cet aspect des rajputs que Todd relatera dans son livre (Annals and Antiquities of Rajasthan) et que retiendra l'Occident sur les rajputs. Les sources généalogies inventées (par exemple : les souverains d'Udaipur descendent su soleil) : Vansavali, piḍhiyavali ; khyat : histoire du clan ; gatha : histoire ; vigat : chronique administrative. Toutes ces sources (à l'exception des chroniques administratives) sont longtemps restées orales, chantées par des bardes. Les historiens nationalistes aux 19ème et 20ème siècles rejettent une origine étrangère : pour eux des guerriers aussi braves que les rajputs ne sauraient descendre des Huns et ne peuvent être que des Aryens. Les clans de la grande tradition 17 Chauhan : créent un état très puissant ; Prithvirâj Chauhan est battu en 1192 à Tarain. Leur capitale est Ajmer. Sisodiya au Melwar, capitale : Chittor puis Udaipur. Résistent aux Moghols jusqu'au 18ème siècle. Kachwah : Amer (maintenant Jaipur). Accord avec les Moghols au 16ème siècle. Ratthor au Marwar, pays très aride (« pays de la mort »). Capitale : Jodhpur fondée en 1459 par Jodha. Jodha craignant un complot de l'un de ses fils, Bika, il le chasse. Bika fonde Bikaner. Bhati : Jaisal fonde Jaisalmer en 1156. Dynastie lunaire. Sur la route des caravanes. Hada : Kota, Bundi, à l'Est. Les clans de la petite tradition Ces clans sont méprisés par la « grande tradition ». Purabiya = « qui viennent de l'Est », viennent du Bihar, clans de mercenaires jusqu'au 19ème siècle. Bundelas : fondent un état à Orchha (aujourd'hui au Madhya Pradesh) au début du 16ème siècle. Clan médiocre jusque vers 1600. Ils vont profiter de la politique d'ouverture des Moghols, et servir Akbar puis Jahangir. Jahangir s'étant révolté contre son père Akbar, Bir Singh Deo collabore avec lui et tue le vizir d'Akbar Abul Fazl. Bir Singh Deo devient alors le principal allier de Jahangir. Il construit des temples (Keshav Rai à Mathura, détruit par Aurangzeb). Le sucesseur de Bir Singh Deo se révoltera contre Shah Jahan, sera vaincu et tué. Les récits mythiques La tradition rajput est riche de personnages mythiques Padmini, reine de Chittor, extrêmement belle, épouse de Ratan Singh. Le sultan Alauddin demanda à la voir, mais son mari Ratan Singh ne consentit à montrer que son reflet dans un miroir. Alauddin décida de la conquérir et réussit à enlever Ratan Singh. Padmini promit de rejoindre le sultan, et une longue caravane de palanquins se mit en marche vers le camp du sultan. Mais arrivés au camp, on vit que les palanquins contenaient non la reine et ses suivantes, mais des soldats qui réussirent à ramener leur roi dans son palais. Alauddin mit alors le siège devant Chittor. Quand tout espoir fut perdu pour les assiégés, les femmes se suicidèrent dans un grand bûcher et les hommes lancèrent une attaque suicide (jauhar). Rana Pratap : confrontation avec Akbar, bataille de Haldighati en Juin 1576. Chetak : cheval de Rana Pratap. Karnavati : reine de Chittor, épouse de Rana Sangha, adversaire de Babar. Le sultan du Gujarat assiégeant Chittor alors que la reine y était seule, elle a envoyé un raki (demande de protection) à Humayun qui a accepté, mais est arrivé trop tard : les femmes avaient commis le jauhar. Panna : une nourrice (dai). Rana Sangha étant mort, son frère veut mettre à mort son neveu, fils de Rana Sangha. La nourrice protège le prince, et met son propre fils à la place, qui est tué. Mais le jeune prince Udai Singh est sauvé (et fondera Udaipur). Les légendes de fondation De nombreuses légendes lient la fondation d'une cité à la rencontre du prince fondateur avec un saint homme. En 1156, Jaisal a quitté son ancienen capitale, arrive à une colline, et rencontre un ermite qui lui conseille de fonder son royaume à cet endroit même. De même Udai Singh a rencontré un saint au sommet d'une colline. Bika, jeune prince chassé par son père, arrive à Deshnok où il rencontre Karni Mata, incarnation locale de Durga. Elle lui conseille d'aller fonder une ville à 30 km de là : Bikaner. Le lieu de cette rencontre est Deshnok, temple où les rats sont toujours protégés et nourris (supposés être les réincarnations des dévots de Karni Mata). Les liens de parenté Un rajput a deux groupes de personnes avec qui il traite et à qui il peut éventuellement demander aide et protection : 18 Le Bhaibandh (fraternité) : ceux à qui on est prêt à donner une fille ou une soeur en mariage, ou bien chez qui on peut aller chercher une épouse. Le saga : les familles qui deviennent parentes par mariage. On ignore les gens hors de ces groupes. Les ressources des rajputs Le Rajasthan étant assez pauvre, comment ses souverains ont-ils pu construire de splendides forteresses ? C'est que le Rajasthan occupe une position stratégique pour les souverains de Delhi : il est en effet sur la route de Delhi vers les ports du Gujarat. C'est pourquoi les moghols vont chercher à s'en faire des alliés en leur offrant de nombreux avantages financiers. Ils vont donc recevoir de l'empereur la concession héréditaire des revenus de leurs propres terres (ce qui est exceptionnel dans l'empire moghol) : watan jagir (watan = pays, jagir = terre donnant des revenus) ; en outre ils recevront les revenus associés à des terres situés dans d'autres parties de l'empire, par exemple au Bengale. Pratiques religieuses On observe des pratiques un peu à l'écart de l'hindouisme dominant en Inde avec des croyances régionales. Les divinités gardent leur personnalité, mais pour certaines on a essayé de les associer aux grandes divinités du panthéon hindou. Jimbhoji (1451-1536), fondateur de la secte des Bishnois (Bish=20, Noi=9), qui respectent 29 commandements : respecter l'environnement, ne pas abattre d'arbres (et donc refuser la crémation qui implique de brûler du bois), ne pas fumer, ne pas boire d'alcool, s'habiller en blanc, ne pas manger de viande, se laver, vivre en harmonie avec les autres. Pabuji (14ème siècle), prince rajput ; aurait tué Ravana : assimilation à Rama. Gogaji (11ème siècle). Lieu de culte à Gogamedi, où il aurait atteint le samâdhi (concentration, l'esprit s'évade du corps, peut-être décès). Tejaji (11ème-12ème siècles). Protecteur des vaches. Serait mort de la piqûre d'un serpent. On l'invoque pour se protéger des serpents. Karni Mata Baba Ramdevji (14ème siècle), incarnation de Krishna. Ces héros guerriers ont été assimilés par les populations locales aux divinités su grand panthéon hindou (exemple : Pabuji à Rama). Lieux de culte Ramdevra (district de Jaisalmer) : samâdhi de Baba Ramdevji. Foire et pélerinage en AoûtSeptembre. Deshnok Nathdwara dans les Aravalli : temple de Krishna. Mont Abu : c'est là que serait apparu le clan rajput censé descendre du feu (agni kul). Sanctuaires jaïns au 11ème siècle. Ranakpur : à 60 km au nord d'Udaipur. Temple Jaïn du 15ème siècle. Communautés brahmanes, paliwal jats : castes de paysans (fonderont un état au 18ème siècle à Bharatpur entre Jaipur et Agra) Charans et bhats : chanteurs ambulants Manganiyars : chanteurs de couronnement Mina : aborigènes (scheduled tribe), guerriers, gardiens du trésor. Bhil : aborigènes (scheduled tribe), guerriers au service des maharanas. Quelques traditions 19 Amal : pratique consistant à consommer de l'opium (respirer, pas fumer) afin de mettre fin à une situation d'hostilité. Jauhar : attaque suicide des guerriers, précédée d'un suicide collectif des femmes tikâ daur : affirmation du pouvoir d'un souverain nouvellement couronné, qui entreprend une campagne militaire de conquête chez ses voisins. Réalisations architecturales Chittor, 8ème siècle. Le jauhar y a été pratiqué 3 fois : 1303, 1535, 1568, alors que la ville était assiégée par des musulmans. Ajmer capitale des Chauhan, 11ème-16ème siècles Mehrangarh, formidable forteresse dominant Jodhpur (15ème siècle) Kumbhalgarh, à 80km d'Udaipur. Fort bâti au sommet d'une colline à 1100 mètres. La muraille fait 36 km de long. Achalgarh à 11km au nord du Mont Abu. Fort construit au 15ème siècle. Temple hindou dédié à Shiva. Taragarh, à l'Est du Rajasthan : forteresse (14ème-16ème siècles) tours de victoire (parfois décorées de scènes du ramayana) cénotaphes (=chatris) : le cénotaphe est un mémorial qui ne contient pas de corps puisque les corps sont brûlés ; il rappelle le lieu de crémation d'un souverain ou d'un personnage important. Les souverains râja = roi, son épouse = rani ; mahârâja = grand roi, son épouse = maharani A Udaipur : râna (épouse=rânî), mahârâna, mahârânî. A Jaisalmer : râwal, mahârâwal. Chez les Marathes : râo. 20 Le mouvement dévotionnel bhakti 29/11/2011 C'est la forme dominante de l'hindouisme actuel, caractérisée par une relation de grâce bienveillante attribuée par Dieu à des créatures, en contrepartie de dévotions. Elle permet d'obtenir le salut tout en restant dans la société. C'est une notion absente du culte védique introduit par les Aryens. Pour les védas, il convient de vénérer un dieu très puissant, transcendant, inspirant la peur ; il faut lui plaire en pratiquant des rites compliqués, dont les brahmanes sont les intermédiaires obligés. Pour le bhakt (dévot), le dieu est accessible et n'inspire pas la crainte mais l'affection. Certains ont suggéré une influence musulmane à l'origine du mouvement bhakti, mais cette hypothèse est à écarter, puisque la bhakti existe bien avant l'arrivée des musulmans (des influences soufies ont cependant pu être notées plus tard ; on note aussi des infleunces du bouddhisme). Il est plus probable que l'origine est à chercher dans des courants religieux préexistant à l'arrivées des Aryens. On distingue deux sortes de bhakti : saguna bhakti : présence d'un dieu avec ses attributs nirguna bhakti (nir=préfixe privatif) : dieu abstrait, sans attribut, sans forme : Kabir Dans la Bhagvat Gita (200 av. J.C.), Arjuna a une relation personnelle avec Krishna avatar de Vishnou, mais Krishna est encore un dieu transcendant, lorsqu'il se montre à Arjuna dans toute sa puissance. La Bhâgvat purâna, écrite en sanscrit aux 9ème-10ème siècles, est un texte fondamental, produit dans le sud de l'Inde. C'est une biographie très détaillée de Krishna, insistant sur ses pouvoirs surnaturels, ses gestes d'enfant et d'adolescent taquin. Il a été traduit dans de nombreuses langues régionales indiennes (il existe par exemple 40 traductions en bengali). Le mouvement bhakti naît en pays tamoul et s'étend progressivement à toute l'Inde. Il séduit particulièrement les castes inférieures puisqu'il leur permet de se passer des brahmanes. Le chant (bhajan), répétition du nom divin, a une grande importance : souvent composé et chanté par des femmes. La bhakti dans le Sud L'expression la plus ancienne du mouvement bhakti est au pays tamoul au 7ème siècle : les nayanars (poètes, shivaïtes) ; alvars (vishnouïtes). Adi Shankara, né au Kerala (788-820), voyage dans toute l'Inde. brahmane shivaïte. Vise à purger l'hindouisme de toute influence extérieure. Mène des débats avec les bouddhistes. Son dieu est encore un dieu transcendant. Ses successeurs vont transformer sa religion dans le sens de la bhakti. Ramanuja (11ème-12ème siècle) : dieu personnel, plein d'amour Madhava (13ème siècle) au Karnataka Basava (12ème siècle), Karnataka : fonde la secte des lingayats (virasaivas) ; il est brahmane mais se révolte contre les brahmanes ; rejette les védas, les pélerinages, les sacrifices, la crémation. La bhakti dans l'Ouest Au Maharashtra, la bande côtière (Konkan) d'environ 50km de large est depuis longtemps cultivée car arrosée par la mousson. Elle est bordée à l'est par les ghats : la chaîne des Sahyadri. Au-delà les terres sont plus arides, mais il y a des rivières qui permettront l'agriculture. Au début la zone à l'Est des ghats est occupée par des éleveurs nomades. Des cultivateurs de l'Ouest vont peu à peu émigrer vers l'intérieur et s'imposer aux pasteurs autochtones ; ils apportent une organisation en castes, ce qui provoque des conflits avec les indigènes. Des divinités locales ont été assimilées au grand panthéon hindou : Biroba Vithoba, vénéré à Pandharpur, en particulier par les varkaris, devots de Vithoba. 21 Les saints prêchent en marathi sous forme de chants : Gyandev (Jnandev), 14ème siècle ; écrit des commentaire en marathi de la Bhagvat Gita. S'oppose aux brahmanes : pour lui les brahmanes ne doivent pas avoir le monopole de la récitation des védas. Nandev, 13ème-14ème siècles. Issu d'une caste de tisserands. S'installe à Pandharpur. Eknath, 15ème siècle : brahmane qui fréquente les castes inférieures, et donc critiqué par les autres brahmanes. Tukaram, 17ème siècle, peut-être le plus grand. Fils d'un vendeur de légumes. Krishnaïte. Il a écrit 4000 chants. Son oeuvre a une dimension sociale, et une identité marathie. Il insulte les brahmanes. Ramdas, 17ème siècle : influence sur Shivaji. La Bhakti dans l'Est Gita Govind (« chant dédié au seigneur des vaches », c'est-à-dire à Krishna) de Jaideva, 1199 Chaitanya Mahaprabhu (né au Bengale en 1486, mort à Puri, Orissa en 1533) ; bengali, brahmane ; évoque Krishna adolescent. Fondateur de la secte Gandiya. Vallabha (1481 - 1533) ; telougou, brahmane ; ami de Chaitanya ; évoque les relations entre Krishna et sa mère adoptive. Fondateur de la secte Pushti Marg. Séjourna régulièrement dans le Braj. La Bhakti dans l'Inde du Nord Mirabaï (vers 1498 - vers 1546), poétesse, auteur présumée de centaines de bhajans, chants d'amour mystique dédiés à Krishna. Epouse de Bhoraj Singh prince de Mewar (Udaipur), résidant à Kumbhalgarh. Elle ne lui donna pas d'enfant, mais les deux époux auraient entretenu des relations de respect mutuel et d'affection. Le prince ayant été tué, le pouvoir revint à son frère qui chercha à faire empoisonner sa belle-soeur. Celle-ci s'enfuit et partit parcourir le nord de l'Inde. Kabîr (vers 1440 - 1518) ; adopté par un couple de tisserands musulmans. Il a gardé jusqu'au bout son métier de tisserand, et continuait à tisser en prêchant tout en chantant ses poèmes et en prêchant dans une langue simple ; il entendait ainsi prouver que l'on peut honorer Dieu tout en gardant sa profession, s'opposant ainsi aux brahmanes. Pour Kabîr tout religion qui n'est pas amour est une hérésie. Il refusait les distinctions de caste ou de race et enseignait l'égalité de tous les êtres humains. Il mettait en cause l'orthodoxie religieuse, le renoncement. A sa mort les hindous et les musulmans auraient réclamé son corps : les hindous pour le brûler, les musulmans pour l'enterrer. Mais sous le linceul, le corps se métamorphosa en pétales de fleurs que l'on partagea entre les différents cultes. Ses compositions sont des proverbes, par exemple : « est-ce que Dieu est sourd qu'il soit nécessaire au muezzin de monter en haut du minaret pour se faire entendre ? » Le recueil de ses dohas (distiques) est le Bijak. Tulsîdâs (1532 - 1623), a vécu à Bénarès. Auteur du Ramcharitmanas (« lac des bons gestes de Râma »), une vie de Râma en 8 chapitres, écrite en awadhi (la langue de Lucknow). Il ne raconte pas exactement la même histoire que le Râmâyana : Râma y apparaît comme un dieu absolument sans faille, encore plus que dans le Râmâyana. Contient des propos jugés misogynes. Dadu (1544 - 1603), saint né au Gujarat. Fondateur d'une secte (dadupanth, panth = « chemin ») installée à Amber près de Jaipur. Influencé par Kabîr. Surdas (15ème - 16ème siècles), poète et musicien, auteur de chants dédiés à Krishna. Le recueil est « Sur Sagar » (« Océan de mélodie »). Le recueil de commentaires de l'un de ces saints est un « bani » (« voix »), commentaires inspirés prononcés dans un état d'extase : dadubani, kabîrbani... 22 Autres formes de bhakti On note d'autres formes de bhakti : entre un serviteur et son maître, exemple Hanuman et Rama ; entre deux amis ; entre la mère et son enfant (la mère est le dévot) entre épouse et époux (il n'y a pas d'amour de Sita pour Rama mais de la dévotion). 23 L'empire moghol 6/12/2011 Le mot « moghol » vient de mongol, à cause de l'ascendance de son fondateur. Bâbur : le fondateur Bâbur (1483-1530). Né au Ferghana ; descend de Tamerlan par son père (6 générations le séparent) et de Gengis Khan par sa mère. Bâbur (comme ses descendants) cherchera à mettre en avant son côté paternel, bien que le côté mongol ait prévalu pour désigner la dynastie. Fils du roi du Ferghana, il devint roi à 12 ans à la mort de son père (1494). Chassé du pouvoir par Muhammad Shaibânî, khan des Ouzbeks. Réfugié à Kaboul, il tenta à nouveau de reprendre son royaume mais fut à nouveau chassé en 1514. Kaboul était une région très pauvre, Bâbur s'intéressa à l'Inde, qu'il considérait comme lui revenant légitimant comme descendant de Tamerlan (qui avait conquis et pillé Delhi). Au début du 16ème siècle régnait à Delhi la dynastie des Lodî, jusque là en bons termes avec les nobles ; mais Ibrahil Lodî chercha à renforcer son autorité, et emprisonna de nombreux nobles. Mécontents, les nobles firent appel à Bâbur qui accepta l'invitation. A la bataille de Pânipat (1526), Bâbur écrasa l'armée d'Ibrahim Lodî ; Bâbur avait 12 000 hommes et Ibrahil Lodî 100 000. Mais l'armée de Bâbur était plus mobile ; il disposait d'une cavalerie performante, et ses archers étaient capables de tirer au galop, techniques ignorées de l'armée des Lodî qui avaient des éléphants. Bâbur avait aussi de l'artillerie. La bataille dura 3 heures et ce fut un massacre. Ibrahim Lodî mourut sur le champ de bataille. Bâbur n'avait sans doute pas l'intention de rester en Inde dont il n'aimait ni les climat, ni les gens, et certains de ses compagnons repartirent vers l'Afghanistan. Il resta cependant et s'installa à Agra qu'il entreprit d'embellir (construction de jardins). Il distribua tous les trésors du sultan à ses fidèles. Cependant les rajpoutes n'étaient pas soumis : s'ils s'étaient montrés neutres pendant le conflit avec Ibrahim Lodî, Rana Sangha roi de Mewar décida de l'affronter. La situation était sérieuse et le moral des troupes de Bâbur était au plus bas ; mais Bâbur était un meneur d'hommes ; il remonta le moral de ses troupes (voeu de renoncement à l'alcool). Rana Sangha et les Rajpoutes furent vaincus à Khanwa près de Fatehpur Sikri (Février 1527). Rana Sangha mourut la même année, peut-être empoisonné. Bâbur affronta encore le sultan Mahmud Lodî, le frère d'Ibrahim Lodî et prétendant à la succession, à la bataille de Ghagra (Février 1529). Bâbur n'a pas profité longtemps de son pouvoir et est mort en 1530. Dans ses mémoires, sa fille Gulbadan rapporte que voyant son fils préféré Humâyûn très malade, il pria et émit le vœu de mourir si cela pouvait sauver la vie de son fils. Humâyûn guérit et Bâbur mourut le lendemain. Bâbur est enterré à Kaboul. Il a laissé une autobiographie : bâburnâma. Humâyûn Le fils de Bâbur (1508-1556, « le fortuné ») était un érudit et savant astronome, mais il était aussi un soldat et il a participé aux batailles, d'abord aux côtés de son père. Il n'avait cependant pas les qualités de meneur d'hommes de son père, et était opiomane. Bâbur avait quatre fils et les frères d'Humâyûn ne cessèrent de lui causer des difficultés. Il règna pendant 10 ans avant de perdre le pouvoir devant Sher Shah Suri. Sher Shah Suri : l'intermède afghan Sher Shah Suri (1486-1545, Farid Khan ou Sher Khan), vient d'une famille de commerçants pashtouns (son grand-père était importateur de chevaux). Très dynamique et rusé, il servit dans l'armée de Bâbur et devint gouverneur du Bihar pour Bâbur. Profitant de l'absence de Humâyûn, il s'empara du Bengale ; battit Humâyûn à Chaunsa (Juin 1539) puis à Kânauj (Mai 1540). Humâyûn dut s'exiler et fut accueilli en Perse par le roi safavide. Sher Shah installa une administration efficace et centralisée ; réforma la monnaie (création de la roupie) ; fit faire l'inventaire des terres. Grand bâtisseur, il embellit Delhi (vieux fort). Mort accidentellement dans une explosion de poudre lors du siège de Kalinjar au Bundelkhand (Mai 24 1545). Son fils et successeur Islam Shah mourut en 1554. La dynastie des Suri dura jusqu'en 1556 sans avoir les capacités de Sher Shah. Ce sont finalement les moghols qui profiteront des réformes de Sher Shah. Humayûn : le retour Avec Bairam Khan comme général, Humâyûn reconquit l'Inde (1555). Il s'installa à Delhi. Il ne put en profiter longtemps : il trébucha en descendant précipitamment l'escalier de sa bibliothèque, et sa tête heurta le mur ; il mourut 3 jours plus tard (Janvier 1556). Son mausolée est à Delhi. Akbar Akbar (Jalâl ud-Dîn Muhammad, 1542-1605) : le fils d'Humâyûn avait peu de chances de survie : il n'avait que 14 ans et en outre n'était pas présent à Delhi à la mort de son père. On montra un sosie au public en attendant son retour. Bairam Khan servi de régent pendant les premières années du règne (victoire contre l'hindou Hemu en Octobre 1556, seconde bataille de Panipat). Mais Akbar finit par éloigner Bairam Khan qui partit en pèlerinage et mourut assassiné par un Pashtoun (1561). Akbar saura faire face aux défis qu'il doit affronter. Tout d'abord il dût s'imposer aux anciens nobles d'Humâyûn, voire de son grand-père Bâbur, membres des Turanis (turcs), qui considéraient que les nobles ont le droit d'influencer l'empereur, surtout lorsqu'il est jeune. Akbar chercha donc à donner plus d'importance aux Iranis qui avaient accompagné Humâyûn à son retour de Perse : pour les Iraniens en effet un souverain est imbibé de lumière divine (fanr), ce qui allait dans le sens des intérêts d'Akbar. Il chercha en outre à promouvoir deux autres groupes : les shaikhzadas, musulmans indiens, descendants d'hindous convertis ; les rajpoutes. La première qualité comptant pour Akbar chez un serviteur était la loyauté : le fils de l'un de ses compagnons, ou d'un compagnon de son père, bénéficiait d'un a priori favorable tant qu'il était loyal : il était khanâzâd (« celui qui est né dans la maison »), et pouvait espérer une bonne situation. Akbar a pratiqué une politique de mariages politiques avec des princesses rajpoutes (qui n'étaient pas contraintes de se convertir à l'Islam). Il conquit toute l'Inde du Nord : Bengale, Rajasthan, Gujarat (1572). Akbar mourut de dysenterie en Octobre 1605. Jahângîr Le fils d'Akbar Jahângîr (1569-1627) s'est révolté contre son père à la fin du règne. Il a fait assassiner Abul al Fazl, proche collaborateur d'Akbar, par Bir Singh Deo. Il épousa la jeune veuve de l'un de ses officiers afghans qui reçut le titre de Nur Jahan, « Lumière du monde ». Le père de Nur Jahan devint premier ministre et son frère (Asaf Khan) ministre ; la fille d'Asaf Khan, Mumtaz Mahal, épousa Khurram, fils de Jahângîr, qui allait devenir Shâh Jahân. Guerres contre le Mewar (vaincu en 1613), les Âhoms (Assam), les Perses (perte de Kandahar). A partir de 1622, Jahângîr sombra dans l'alcool et l'opium, et Khurram s'est révolté contre son père. Shâh Jahân Shâh Jahân (1592-1666, Khurram) était le 3ème fils de Jahângîr, fils de son épouse hindoue Bilqis Makani. Constructeur du Taj Mahal. Aurangzeb Aurangzeb (1618-1707) était le 3ème fils de Shâh Jahân. En 1657, la maladie de Shâh Jahân déclencha une lutte entre ses 4 fils pour la succession. Shâh Jahân soutenait l'aîné Dara Shikoh (un intellectuel soufi, piètre général), mais Aurangzeb finit par l'emporter, massacra ses frères et fit enfermer son père pendant les 8 dernières années de sa vie au Fort Rouge. Aurangzeb n'a cessé de guerroyer pour étendre l'empire et mater les révoltes. L'expansion vers le Deccan était la seule possibilité d'accroître le domaine de l'empire ; mais les terres y sont accidentées et difficiles à contrôler. Aurangzeb ne contrôlera jamais réellement les Marathes. Les différences religieuses (chiites vs sunnites) ont servi de prétextes aux interventions dans le Deccan. 25 Le régime moghol : la cour, l'administration Akbar héritait des traditions turco-mongoles valorisant l'autorité du souverain ; il se rattachait à Tamerlan et Gengis Khan. Il élabora un rituel de cour et une étiquette (par exemple on présente les cadeaux à l'empereur par multiples de 9, tradition d'Asie centrale). Il profita aussi de l'héritage persan (lumière divine sur le souverain). En même temps on observa une certaine indianisation : certaines cérémonies étaient d'inspiration indienne ; par exemple, la pesée du souverain (tulâdan) est une tradition hindoue, dans laquelle le souverain était pesé contre de l'or ou des présents, distribués ensuite aux nécessiteux dans le but de conjurer le mauvais sort ; une telle cérémonie (initiée sous Humâyûn) avait lieu pour l'anniversaire solaire d'Akbar, en recommençant 7 fois la pesée ; elle s'est poursuivie sous ses successeurs : pour les anniversaires solaires et lunaire de Shâh Jahân. Les fêtes hindoues étaient célébrées tandis que beaucoup d'hindous apprenaient le persan pour monter dans l'administration. Les piliers de l'administration : wazîr : premier ministre, homme de confiance du souverain (pour Shâh Jahân : Asaf Khan) bakhshi : le responsable des recrutements militaires dîwân : responsable des questions économiques sadr : responsable de l'attribution des terres non imposables attribuées aux personnages et institutions religieux (hindous comme musulmans), qui prient pour le souverain Cette division est répliquée au niveau des provinces. Il y a 22 provinces (sûba) sous Shâh Jahân. sarkâr : division d'un sûba, district pargava : la plus petite subdivision Le statut d'un noble Le terme de noblesse n'a pas le même sens qu'en Europe, puisque les terres des nobles ne sont pas héréditaires (sauf au Rajasthan). Le statut d'un personnage important est défini par un mansab composé de deux chiffres : zât : détermine le rang et le salaire versé par le souverain savar : nombre de soldats (cavaliers) qu'on est censé équiper Le mansabdâr est le détenteur d'un mansab. Ce sont les généraux qui ont un haut mansab. Le salaire peut être donné à l'aide d'un jâgîr : terres dont le revenu est attribué à un mansabdâr ; si le revenu effectif est inférieur au revenu théorique, le souverain complète la différence ; dans le cas contraire, le jâgîrdâr verse le supplément au souverain. Contrairement à l'iqta des sultans, le jâgîr n'implique pas de responsabilité administrative. Le peshkash est un présent offert par un subordonné à un supérieur (éventuellement à l'empereur, par exemple à l'occasion d'un anniversaire) qui peut le redistribuer. Les relations avec les autres puissances 26 les ottomans : ils ont une position prestigieuse du fait qu'il contrôlent les villes saintes (La Mecque, Médine) depuis le début du 16ème siècle ; lieux de pèlerinage mais aussi de commerce ; les safavides : souverains iraniens, chiites ; ils ne manquent jamais dans leur correspondance avec les moghols de rappeler qu'ils ont aidé Humâyûn pendant son exil. Les moghols ont un complexe d'infériorité vis-à-vis des Iraniens ; les uzbeks : ils avaient chassé Bâbur, mais ils sont devenus une puissance secondaire ; les compagnies européennes, d'abord les Portugais : Vasco de Gama arrive à Calicut en 1498. Les Portugais étaient alors dominants en mer d'Oman. Puis les Hollandais : leurs colonies indonésiennes étaient demandeuses des cotonnades indiennes. Enfin les Anglais qui ont construit une factorerie au Gujarat, c'est-à-dire un entrepôt ; ce qui présente l'intérêt de pouvoir acheter les marchandises tout au long de l'année, au meilleur prix (sans la factorerie, le marchand était contraint d'acheter aux dates de son séjour en Inde, et donc était fortement contraint par la mousson). La politique religieuse Les moghols sont sunnites mais ouverts au dialogue. La rigueur orthodoxe d'Aurangzeb est une idée reçue, très exagérée. Akbar a débattu avec tout le monde : les jésuites, les jaïns. Il a fait traduire le Mahabharata en persan, Dara Shikoh a fait traduire les upanishads. Une autre idée reçue est la fondation d'une nouvelle religion par Akbar : en fait il estimait peut-être que toutes les religions avaient raison. En tous cas il n'y eut jamais de campagne de conversions forcées ou de prosélytisme. Aurangzeb a certes détruit des temples, mais pour des raisons politiques, afin de saper les soutiens de gouverneurs ou roitelets opposants. Le déclin de l'empire moghol Plusieurs explications ont été avancées, et la cause est sans doute une combinaison de plusieurs facteurs : Aurangzeb se serait éloigné des hindous par ses persécutions : hypothèse désormais périmée « imperial fault lines » : classes qui ont abandonné l'empereur : rajpoutes, gouverneurs régionaux qui déclarèrent leur indépendance (Hyderabad, Awadh, Bengale), zamindârs (marathes, sikhs, jats qui saccagent Delhi) exode des paysans : comme un jâgîrdâr ne restait pas longtemps titulaire de son jâgîr, il cherchait à en tirer le profit maximal ; écrasés par cette exploitation les paysans quittaient les terres. En 1739 Nadir Shâh (chah d'Iran qui avait remplacé les safavides) s'empara de Lahore et entra en Inde. Les Iraniens écrasèrent l'armée moghole à Karnal (110 km au Nord de Delhi), grâce à la mobilité de la cavalerie face aux éléphants des moghols, au manque de coordination des généraux indiens et à l'apathie de l'empereur Muhammad Shah. L'armée iranienne entra dans Delhi ; les habitants s'étant soulevés contre les occupants, Nadir Shah ordonna la mise à sac Delhi. Il repartit de Delhi avec un butin considérable (entre 100 et 700 millions de roupies, dont le trône de paon). 27 Les Marathes 3/1/2012 Le sens du mot « marathe » a évolué : avant l'époque des sultanats, il désigne la population parlant la langue marathi ; puis aux 15ème-16ème siècles, il désigne des chefs militaires, souvent d'anciens paysans, au service des bahmanides et des états successeurs. La géographie du pays des Marathes Le pays des Marathes correspond maintenant à l'état du Maharashtra et au nord du Karnataka. Il se divise en trois parties : à l'Ouest la côte de Konkan, large d'environ 50 km, la plus fertile, et la plus arrosée (200cm par an) ; les Ghats, bande montagneuse de 50 km, très fortifiée (200 fortifications) ; le Desh : l'intérieur, assez aride ; tout pouvoir souhaitant s'établir sur le Desh doit contrôler un accès aux Ghats, et donc aux zones fertiles, d'où l'importance des fortifications dans les Ghats. Il y a trois rivières principales : Tapti (au nord, coulant vers l'ouest), Godavani, Krishna. La mousson arrive en Mai ; de Mai à Septembre, les paysans se consacrent à l'agriculture. Ensuite pendant 7 mois ils sont disponibles pour s'engager comme mercenaires. L'histoire du pays jusqu'à l'arrivée des Moghols Du 6ème au 12ème siècle, le pays est occupé par l'empire Chalukya ; puis le pays s'est divisé en 2 parties : au Sud la partie correspondant à l'actuel Karnataka, le Nord au Maharashtra actuel, de langue marathi, gouverné par la dynastie Yadava. Au début du 14ème siècle les Yadava sont défaits par le sultan de Delhi Ala-ud-Din Khalji (armée commandée par Malik Kafur). La capitale yadava, Devagiri, deviendra Daulatabad sous Muhammad Tughluq. Les Bahmanides prendront le contrôle de la région, suivis par les états qui leur succéderont : Ahmadnagar : dynastie Nizamshahi ; conquise par Akbar en 1600 ; Bijapur : dynastie AdilShahi ; occupée en 1686 par les Moghols ; Golconde : dynastie QutubShahi ; occupée en 1686 par les Moghols ; Bidar, Bera : moins importants. Plusieurs communautés d'élite s'affrontaient dans l'état bahmanides et ses successeurs : les Dakhinis, les Afaqis ; peu à peu les Marathes vont se rendre utiles aux gouvernants comme des alternatives à ces communautés rivales, d'autant plus utiles qu'ils sont originaires du pays. Une communauté moins prestigieuse est celle des Habshis, émigrés d'Afrique (même étymologie que « Abyssinie ») : par exemple Malik Ambar, né en Ethiopie au Harar. Les Siddis sont arrivés d'Afrique plus tard, au 17ème siècle. L'arrivée des Moghols A la fin du 15ème siècle, Akbar conquit Ahmadnagar mais ne parvint pas à y renforcer son pouvoir, faute de pouvoir contrôler l'arrière-pays. Son fils Jahangir s'étant révolté, Akbar rentra à Agra. Malik Ambar a initié les pratiques de guerrilla qui seront utilisées plus tard par Shivaji. Ayant reconquis Ahmadnagar, il devient l'homme fort et le régent de la dynastie Nizamshahi ; décédé en 1626, un an avant Jahangir. Shivaji Le père de Shivaji, Shahaji Raje Bhosle, était lui-même fils de Maloji Bhosle, un cultivateur-soldat devenu jagirdar. Shahaji fut un général capable qui battit les armées mogholes, aux côtés de Malik Ambar. Mit sur le trône d'Ahmadnagar un descendant des Nizamshahi. Servit également les Adilshahi à Bijapur. En 1630 les Moghols s'emparèrent pour de bon d'Ahmadnagar. Shivaji est le symbole des Marathes, et aujourd'hui le symbole du nationalisme hindou. Ce n'est pas du tout l'image qu'il représentait à son époque ; d'ailleurs il s'est beaucoup inspiré des souverains musulmans. 28 Shivaji est né en 1630 au fort de Shivneri près de Poona. Il hérite de son père des terres qu'il va chercher à agrandir. Il va rencontrer l'opposition des autres propriétaires terriens (deshmukh), mais Shivaji va réussir à s'imposer et à étendre son domaine. Il maîtrise les techniques de guerrilla. Il attaque même avec succès les comptoirs européens, par exemple Surat en 1658 et 1664. Adilshahi à Bijapur trouvant que Shivaji prenait trop d'importance, chercha à s'en débarrasser : en lui proposant un emploi ; puis en séquestrant ses terres, mais Shivaji en avait d'autres ; alors on envoya Afzal Khan, un général expérimenté, pour défaire Shivaji. Une entrevue fut organisée à Pratapgarh entre Shivaji et Afzal Khan ; celui-ci espérait assassiner Shivaji pendant la rencontre mais fut tué par Shivaji (qui s'était muni de « griffes de tigre » (bagh nakh)). Dans le combat qui s'ensuivit l'armée de Bijapur fut écrasée (Novembre 1659). A la requête de Bijapur, Aurangzeb envoya son oncle maternel Shaista Khan avec une armée pour défaire Shivaji, mais celui-ci réussit à s'introduire dans le palais occupé par Shaista Khan à Poona, massacra les gardes et le propre fils de Shaista Khan, et coupa même les doigts de Shaista Khan. Après cette attaque, choqué, Aurangzeb transféra son oncle comme gouverneur au Bengale. En 1665, Aurangzeb envoya Jai Singh qui obligea Shivaji à signer un traité, et invita Shivaji à Agra. Shivaji fut donc contraint de se rendre à la cour moghole. Mais il fut déçu par l'accueil d'Aurangzeb qui le fit asseoir parmi les mansabdars de la cour. Prétextant un malaise il se retira dans un haveli, surveillé par les soldats de l'empereur. Shivaji fit distribuer des paquets de douceurs aux temples et aux saints hommes d'Agra, et finalement s'évada avec son fils Shambaji dans l'un de ces envois, tous deux déguisés en sadhus. Shivaji rentra au Deccan. Dans les années 1670, c'était un chef puissant, possédant 40 forts, 7000 chevaux, une flotte de guerre. Il était méprisé par les Moghols qui voyaient en lui un parvenu sans prestige (Aurangzeb ne l'appelait pas autrement que le « rat des montagnes »). En 1674 Shivaji organisa son couronnement à Raigarh ; le rituel dura 9 jours, mais la préparation plusieurs semaines. Au préalable il fit venir un brahmane (Gaga Bhatt) qui découvrit une généalogie de Shivaji remontant aux Rajputs. Shivaji fit donc pénitence pour avoir vécu comme un paysan (shudra) alors qu'il était présumé kshatriya. Il rendit hommage à sa divinité « familiale » Bhavani (Parvati) ; considéré comme le représentant d'Indra ; monta sur un trône en or ; construisit un temple dédié à Shiva ; fit des dons aux brahmanes ; commanda la rédaction d'ouvrages en marathi en en braj. Shivaji mourut de septicémie en 1680. Son fils aîné Sambhaji n'avait pas les capacités de Shivaji ; il fut capturé par Aurangzeb et exécuté en 1689. L'autre fils Rajaram lui succéda mais mourut en 1700 ; son épouse Tarabai exerça la régence jusqu'à l'avènement de Shahuji, le fils de Shambaji, en 1708. Aurangzeb s'installa en 1681 dans le Deccan dans l'espoir de mater enfin les Marathes, mais il ne put jamais revenir à Agra et mourut en 1707. Les Peshwas Le pouvoir échappa alors à la famille de Shivaji pour revenir au peshwa, un brahamane marathe ; dans un premier temps, c'était un titre donné à un administrateur ; il finit par désigner l'homme fort du régime, et le titre devint héréditaire. En 1719, le peshwa Baji Rao impose aux moghols un traité qui accorde des privilèges financiers considérables aux marathes : ils obtiennent en effet le droit de prélever des impôts dans les provinces mogholes du Deccan, y compris Bijapur et Golconde, et aussi au Gujarat et Malwa : chauth (1/4 des revenus), et 10% des revenus en plus. L'empereur est alors le malheureux Mohammad Shah, celui qui vit sa capitale dévastée par le persan Nadir Shah. La société marathe au début du 18ème siècle Société militarisée. Certains clans tendent à créer des états indépendants : Gaekwad à Baroda, Holka à Indore, Shinde. L'expansion marathe atteint Delhi. En 1761, c'est l'apogée des marathes ; mais ils sont battus à Panipat (la 3ème bataille de Panipat) par 29 l'afghan Ahmad Shah Abdali. Les afghans se retirent après avoir ramassé du butin et l'état marathe peut continuer à exister mais leur expansion est brisée. L'indépendance marathe s'achève en 1818 avec le traité avec les anglais. 30 Awadh 10/01/2012 Awadh est une province (suba) créée par Akbar en 1580. C'est une province assez riche, arrosée par la rivière Gomti. Une légende veut que la fondation de sa capitale Lucknow remonterait à Lakshman, le frère cadet de Ram. Mais Lucknow restera assez mineure jusqu'au 18ème siècle. Aurangzeb étant mort en 1707, son fils Bahadur Shah (âgé de 60 ans) lui succède à Delhi. Il ne règne que 5 ans ; mais il est plus tolérant que son père, en particulier vis-à-vis des chiites, et de nombreux chiites arrivent d'Iran. Burhan al-Mulk 1722-1739 C'est ainsi que Mir Muhammad Amin Nishapuri, issu d'une vieille famille chiite de Nishapur, arriva à Delhi et se fit rapidement remarquer pour ses capacités d'administrateur. Il fut nommé gouverneur d'Agra, puis d'Awadh en 1722 (sous le règne de Muhammad Shah) avec le titre de Saadat Khan Burhan al-Mulk. Profitant de la faiblesse de l'empereur, Burhan al-Mulk réussit à s'enraciner en Awadh et à créer une dynastie (alors que la règle jusque là dans l'empire moghol était de déplacer les gouverneurs tous les 3 ou 4 ans). Il installa sa capitale à Faizabad, à l'Est de Lucknow. Il commanda une partie de l'armée moghole à la bataille de Karnal remportée par Nadir Shah. Par jalousie du fait de ne pas avoir été désigné comme négociateur par l'empereur avec Nadir Shah, il incita celui-ci à exiger de l'empereur moghol un butin plus grand que prévu. Ensuite comme Nadir Shah lui reprochait de ne pas récolter assez vite la rançon exigée, il se suicida. Les pillages que va subir Delhi après Nadir Shah (les afghans, les jats, les marathes), va entraîner l'exode de nombreux intellectuels de Delhi vers Awadh. Safdar Jung 1739-1754 Le neveu de Burhan al-Mulk épousa la fille de Burhan al-Mulk et succéda à son oncle et beau-père. Il était également vizir à la cour du grand moghol. Son mausolée est à Delhi. Shuja al-Daula 1754-1775 Avec le règne de son fils et successeur Asaf al-Daula, c'est l'âge d'or de l'Awadh pour le développement artistique. Il installa sa capitale à Lucknow. Allié de l'empereur moghol et du nawab du Bengale, il combattit les troupes de la Compagnie anglaise des Indes Orientales ; les anglais (avec Robert Clive) furent vainqueurs à la bataille de Buxar (1764). Il fut contraint de signer le traité d'Allahabad qui prévoyait : le versement d'une indemnité de 5 000 000 de roupies ; l'interdiction faite à Awadh de toute expansion territoriale ; l'inhibition de toute activité militaire. Les nawabs compensèrent cette perte d'activité sur le plan militaire en encourageant le développement des arts. Asaf al-Daula 1775-1797 Le fils de Shuja al-Daula s'installa définitivement à Lucknow. Il continua à encourager les arts. L'exode des immigrés (d'Iran, de Delhi) vers Lucknow se poursuivait. Officiellement les nawabs étaient encore des gouverneurs au nom de l'empereur. Mais leur train de vie (mariages princiers) était celui d'un souverain indépendant. En 1773 un résident anglais s'installe à Lucknow qui va prendre de plus en plus de pouvoir ; au début du 19ème siècle c'est lui qui finira par prendre les décisions financières et administratives. Les nawabs successeurs seront de plus en plus faibles : Wazir Ali-Khan 1797-1798 : fils adoptif de Asaf al-Daula, tenta de s'opposer aux anglais qui le déposèrent et l'emprisonnèrent. Saadat Ali-Khan 1798-1814 ; les anglais prennent la moitié de l'Awadh. Ghazi al-din Haidar 1814-1827 ; en 1819, poussé par les anglais il se déclare souverain indépendant de Delhi ; le nawab n'a alors plus rien à verser à l'empereur, mais en contrepartie il doit verser des 31 sommes de plus en plus élevées aux anglais. Nasir al-din Haidar 1827-1837 Muhammad Ali Shah 1837-1842 Amjad Ali Shah 1842-1847 Wajid Ali Shah 1847-1856 : poète, musicien, mécène ; déposé par les Anglais et exilé à Calcutta où il décède en 1887. Annexion de l'Awadh par les britanniques. Les projets architecturaux des nawabs Shuja al-Daula fit construire une résidence fortifiée à Macchi Bhavan, démolie par les anglais après la mutinerie de 1857. Asaf al-Daula fit construire par Claude Martin Daulat Khana, immense ensemble. Nasir Al-din Haidar a fait construire Chatar Manzil. Wajid Ali Shah fit construire Kaiser Bagh. L'installation d'un fort ou d'une résidence le long d'une rivière était considéré comme une prérogative impériale. Le chiisme à Lucknow Le souverain était chiite alors que les chiites ne constituaient que 3% de la population. Il n'y a pas eu de tentative de conversion : le chiisme était une façon pour le souverain de se distinguer du peuple. L'accroissement de la population chiite était alimenté par une forte immigration iranienne. Les clercs chiites formaient deux groupes : ceux venus d'Iran et les chiites locaux. Qu'est-ce que le chiisme ? En Octobre 680 (le 10ème jour du mois mouharram en 61 de l'Hégire) eut lieu la bataille de Kerbala qui opposa la puissante armée du calife omeyyade Yazid aux forces moins nombreuses de l'imam Husayn, fils d'Ali, petit-fils de Mahomet. Husayn qui cherchait à rejoindre ses partisans à Koufa n'aurait eut que 72 partisans avec lui. Pour les chiites Kerbala est le lieu du martyre d'Husayn et de sa famille ; exprimer son deuil (processions, mortifications=matam, flagellations) en mémoire de Kerbala est censé apporter autant de mérites qu'un pèlerinage. La bataille n'est pas racontée de la même façon dans tous les pays où vivent des chiites, et est souvent enrichie d'éléments locaux. Le chiisme en Inde L'idéal pour un chiite serait d'être enterré à Kerbala. Comme c'est irréalisable pour un Indien, on a recours à plusieurs mesures symboliques : apport de la terre de Kerbala dans des cimetières ; quartiers renommés « Kerbala » ; utilisation de taziya. Le taziya est un mausolée de Husayn en miniature, porté en procession et enterré à la fin des célébrations d'Achoura commémorant la bataille (Achoura=10). La participation à la procession doit apporter autant de mérites qu'un pèlerinage au tombeau de Husayn. Le zarih est aussi une représentation du tombeau de Husayn, mais réutilisable d'une année sur l'autre. Les Ashurkhanas (de Achour, nom du jour de la bataille=10) sont les lieux où l'on commémore la mort de Husayn dans le Deccan. En Awadh ce sont les imambaras ; on y dépose les zarihs et on y organise les majalis, assemblées où est récitée l'histoire de Kerbala. On dénombre 21 imambaras en Awadh, dont 10 financés par les souverains. Quelques visiteurs européens en Awadh 32 Claude Martin (1735-1800) : soldat français né à Lyon, engagé par la Compagnie française des Indes Orientales ; passe du côté englais en 1760, engagé par la Compagnie anglaise ; nommé percepteur en Awadh en 1765 ; directeur de l'arsenal en 1775. Aide de camp de Lord Cornwallis dans la 3ème guerre de Mysore contre Tipou Sahib (1790-1792). Conduit la cavalerie de l'Awadh contre les Rohillas (clan afghan révolté an 1794). Décide de ne pas rentrer en France en recevant les nouvelles de la Révolution. En 1785 fait la démonstration d'une montgolfière à Lucknow. Utilise son immense fortune pour faire bâtir un palais d'abord nommé « Constantia » (d'après sa devise Constantia et labore), puis « La Martinière ». 33 Son testament prévoit la création d'écoles pour filles et garçons à Lucknow, Calcutta et dans sa ville natale de Lyon. Antoine-Louis Polier (1741-1795) : né à Lausanne, s'engage dans l'armée de la Compagnie anglaise. Sert le nawab Shuja al-Daula et l'empereur moghol. Rentre en France en 1789 ; s'installe à Lausanne puis près d'Avignon. Assassiné par des brigands en 1795. Benoît Leborgne, comte de Boigne (1751-1830), né à Chambéry. Il a eu sa formation militaire au sein du régiment irlandais de Louis XV. S'engage dans l'armée du comte Orlov dans la guerre russo-turque, il est fait prisonnier et emmené en esclavage par les Turcs. Libéré grâce à l'intervention d'un commerçant anglais. Parvient à se faire envoyer en mission en Inde par la tsarine Catherine II dans le but de découvrir de nouvelles voies d'accès par le Cachemire. S'engage dans l'armée anglaise et forme des troupes de cipayes à Madras. Arrive à Lucknow en 1783 où il est accueilli par le nawab Asaf al Daula. Apprend le hindi et le persan. Rencontre Polier et Martin. Se fait désormais appeler « de Boigne », transcription inspirée de la prononciation anglaise de « Leborgne ». Organise l'armée marathe sur le modèle européen, et remporte des victoires. Benoît de Boigne reçoit un jagir. A la mort de Mhadaji Rao Sindhia, rentre en Europe (1796) ; s'installe en Angleterre puis en France (1802) et finalement en Savoie (1807). Fait comte de Boigne par le duc de Savoie. Gère son immense fortune. Consacre beaucoup de temps et d'énergie au développement de sa région natale.