Journée technique et scientifique Abeilles en territoires de grandes cultures Une journée technique et scientifique sur la thématique « Abeilles en territoires de grandes cultures » s’est déroulée jeudi 21 janvier 2016 au Centre d’Etudes Biologiques de Chizé à l’initiative de Fabrice Allier (ITSAP Avignon), Vincent Bretagnolle (CNRS Chizé), Axel Decourtye (ACTA/ITSAP-Institut de l'abeille Avignon), Mickaël Henry (INRA Avignon) et Jean-François Odoux (INRA Magnereaud). Ces journées ont rassemblé plus de 130 personnes d’horizon très divers : apiculteurs, agriculteurs, instituts techniques, chercheurs, ADA, Chambres d’agriculture, coopératives… Pierrick Aupinel a animé cette journée assurant le bon déroulement des 12 interventions réparties en trois sessions et des débats qui ont suivis les interventions. Les organisateurs remercient également l’ensemble des intervenants et des participants pour la qualité des exposés et la richesse des échanges. Nous remercions Mathieu Havsali, représentant Madame La Députée Delphine Batho retenue sur le projet de loi numérique, pour sa présence lors de cette journée. Malgré son absence, Delphine Batho qui devait ouvrir cette journée, nous a envoyé le message suivant : Mesdames, Messieurs, J’avais prévu d’être parmi vous ce matin et d’assister d’ailleurs à l’ensemble de vos travaux. Malheureusement je suis retenue par le débat à l’Assemblée nationale sur le projet de loi numérique dont l’examen n’a pas été achevé cette nuit. Je voudrais néanmoins par ce message saluer le travail qui est accompli par le CNRS de Chizé et l’ensemble des chercheurs sur la Zone Atelier. Sur ma proposition, Vincent Bretagnolle a été auditionné le 12 janvier dernier par la commission du Développement durable de l’Assemblée nationale pour présenter les conclusions des travaux conduits sur les néonicotinoïdes. La qualité de son intervention a été saluée par tous mes collègues parlementaires. Et je veux souligner à quel point cette contribution scientifique au débat est essentielle pour le législateur. Je suis très fière que notre territoire des Deux-Sèvres soit à la pointe de la recherche-intervention, en condition réelle de culture, en lien avec les agriculteurs et les habitants. J’avais fait voter en première lecture du projet de loi sur la biodiversité à l’Assemblée nationale en mars dernier le principe de l’interdiction de ces substances néonicotinoïdes pour tirer les conséquences des preuves scientifiques qui s’accumulent concernant leurs effets notamment sur les pollinisateurs. Je me félicite que des parlementaires de toutes sensibilités soient désormais conscients de la nécessité d’agir. Votre colloque se tient aujourd’hui alors même que le Sénat a engagé l’examen du projet de loi sur la biodiversité et va probablement revenir en arrière sur la disposition adoptée par l’Assemblée nationale. Je veux néanmoins vous assurer de ma détermination, comme celle de mes autres collègues, à ce que cette disposition soit réintroduite lorsque le projet de loi viendra en deuxième lecture à l’Assemblée nationale. J’ai demandé à mon assistant de me remplacer auprès de vous ce matin pour suivre attentivement le contenu de vos échanges car toutes les connaissances scientifiques et l’expérience dont vous disposez, avec maintenant de nombreuses années de recul, est précieuse dans ce débat. Bonne journée à tous. Delphine Batho 1 Exposé introductif : (V. Bretagnolle, CNRS) La journée a été introduite par un exposé de Vincent Bretagnolle qui a présenté l’évolution du territoire de la Zone Atelier Plaine & Val de Sèvre (ZA-PVS ; http://www.za.plainevalsevre.cnrs.fr/) et de son agriculture. Après une présentation des tendances environnementales et de production ces dernières décennies, Vincent Bretagnolle a abordé le concept de socio-écosystème1 dont les Zones Ateliers (13 actuellement dans le réseau) en sont des observatoires, à la fois à long terme et à grande échelle, traitant des interdépendances entre Nature et Sociétés. Cet exposé a également été l’occasion de présenter le dispositif ECOBEE, dispositif de suivi de l’écologie de l’abeille et de l’apiculture en plaine céréalière. Ce dispositif, comprenant 50 colonies d’abeilles annuellement, a été mis en place en 2008 sur la ZA-PVS en collaboration entre l’INRA et le CNRS. Les analyses des suivis des colonies mettent en avant une diminution importante des couvains, des populations adultes et de la production de miel ces 7 dernières années. Session 1 : Description des territoires et la biologie des abeilles Quelles espèces fleuries sont fréquentées par les abeilles? (O. Rollin & M. Henry, INRA) Il existe un nombre important d’espèces d’abeilles dans le monde qui se caractérisent par des traits de vie et traits fonctionnels différents. Ces abeilles sauvages se nourrissent de flore sauvage des écosystèmes agricoles, qui comprend la flore des milieux semi-naturels (prairies, haies) mais également la flore adventice des grandes cultures. Des aménagements floristiques sont proposés pour assurer une fourniture suffisante de ressources et réduire les risques de compétition entre abeilles. Cependant, il a été remarqué lors des discussions qui ont suivi la présentation de Mickaël Henry qu’il était souvent difficile de combiner les implantations des bandes mellifères avec la réglementation. 1 Reconnaissance de la complexité des systèmes humains en interaction forte avec le système environnemental leur servant d’interaction forte avec le système environnemental leur servant de matrice de vie 2 Dynamique des colonies d’abeilles mellifères, régime alimentaire et effet de la nutrition sur la biologie des abeilles et performances dans la ZA-PVS (J-F Odoux, INRA) Après avoir rappelé que la majorité des abeilles provient des milieux agricoles, Jean-François Odoux (INRA Magneraud) a présenté le dispositif ECOBEE qui vise à déterminer comment les paysages agricoles affectent les abeilles. La relation entre l’abeille et le territoire se fait par les ressources alimentaires. Ainsi l’analyse des données du dispositif ECOBEE met en évidence une constitution de réserve hétérogène au cours de la saison avec des pics d’accumulation en avril-mai et en juillet. Ceux-ci correspondent aux pics de floraison des cultures de colza et de tournesol. Les compétences en palynologie de l’INRA du Magneraud permettent également d’identifier les pollens ramenés à la ruche. Ces analyses ont mis en évidence le rôle crucial des espèces adventices (32 espèces retrouvées) pendant la période de disette dans le régime alimentaire des abeilles domestiques. Production de miel de tournesol : des facteurs variétaux à la performance des colonies (F. Allier ITSAP & N. Cerrutti Terres Inovia) Depuis 1994, la production de miel n’a cessé de diminuer. Fabrice Allier et ses collègues ont cherché à comprendre les déterminants de cette diminution. Trois hypothèses sont actuellement testées : la sélection de variétés moins productives de nectar, la dégradation des conditions environnementales et l’état populationnel des colonies. Les résultats portant sur la première hypothèse ont été présentés. La fréquentation des abeilles a été quantifiée sur les capitules de tournesols de différentes variétés dans trois régions en France. Les résultats mettent en évidence une grande hétérogénéité de fréquentation entre les variétés de tournesol, qui pourrait s’expliquer, entre autres facteurs non présentés, par des variations d’accessibilité des ressources (morphologie des fleurons avec une évolution de la profondeur et la largeur de la corolle. Observatoire des résidus en milieu céréalier (C. Vidau ITSAP & M. Pioz INRA) Quel risque représente les pesticides pour la santé et les performances des abeilles ? C’est cette question qu’adresse le projet France Agrimer Expérimentation présenté par Cyril Vidau. Des analyses multi-résidus sont conduites dans des ruchers disposés dans 7 régions en France sur les cires, les pollens et le miel. Les substances retrouvées varient en fonction des éléments mesurés. Ainsi, 100% des échantillons de cires contenaient du taufluvalinate (acaricide), 75% des échantillons de pollen contenaient du thiamethoxame (insecticide) et la majorité des échantillons de miel étaient contaminés majoritairement avec des fongicides. 3 Effets des pratiques agricoles sur l’abeille mellifère sur la ZA-PVS (G. Caro Univ. Lorraine & V. Bretagnolle CNRS) Depuis les années 1990, on observe une diminution de production de miel en France, et ce malgré l’augmentation du nombre de ruches. L’influence négative des pratiques agricoles sur la performance et la survie des abeilles mellifères est fréquemment citée comme une des causes de cette diminution. Gaël Caro a présenté une analyse de l’effet des pratiques agricoles à l’échelle du paysage agricole sur la production de miel. Cette analyse spatialisée basée sur les données d’enquêtes acquises précédemment par l’ITSAP et le CNRS sur la Zone Atelier Plaine & Val de Sèvre et le dispositif ECOBEE a permis de détecter que la surface de cultures annuelles pouvait influencer la production de miel jusqu’à 600m. L’analyse plus précise des pratiques ayant le plus grand effet (ex. MAE, pression phytosanitaire) est actuellement en cours. Session 2 : Service écosystémique de pollinisation Le rôle des abeilles dans la production des cultures oléagineuses Tournesol et Colza (Th Perrot (CNRSINRA), S Gaba (INRA) & V Bretagnolle (CNRS)) Le service de pollinisation est estimé à plus de 150 milliards d’euros. 70% des cultures dépendent de ce service. Parmi elles, le colza et le tournesol. Bien que démontrée, la dépendance des rendements de ces cultures à la pollinisation entomophile reste débattue allant de 10 à 50% selon les études menées. Dans sa thèse, Thomas Perrot a pour objectif de quantifier le rôle de la pollinisation entomophile sur la production de colza et de tournesol à partir de données acquises dans les parcelles des agriculteurs de la Zone Atelier Plaine & Val de Sèvre. L’analyse des données des expérimentations menée depuis 2013 montre des diminutions conséquentes de rendement du colza et du tournesol en absence totale de pollinisateurs. La contribution des différentes guildes de pollinisateurs sur ce résultat est actuellement en cours. Session 3 : Céréaliers, apiculteurs, itinéraires techniques et politiques publiques : quelles interactions ? Interactions entre acteurs sur un territoire et jeux de rôles (M. Gourrat ITSAP) La plaine céréalière abrite de nombreux acteurs (céréaliers, apiculteurs, associations, élus …) et des productions diverses dont les céréales et le miel. Dans ce contexte, les objectifs du projet DEPHY-Abeille sont triples : (1) comprendre les enjeux de chaque acteur, (2) promouvoir la collaboration entre apiculteurs et exploitants de grandes cultures et (3) engager un dialogue constructif. En se basant sur une démarche de 4 modélisation de l’accompagnement, Marine Gourrat et ses collaborateurs ont entrepris d’expliciter les représentations individuelles de différentes catégories d’acteurs sur les moyens pour mieux produire en grande culture. Un modèle générique de la représentation des interactions entre apiculture et agriculture, ainsi que des ateliers de mise en situation ont mise en évidence la faible visibilité des apiculteurs dans les zones de grandes cultures. La démarche se poursuit en 2016. Attentes sociétales, apiculture participative et place de l’abeille noire (S. Houte CNRS) Sylvie Houte a présenté le réseau VILLAGE de la Zone Atelier Plaine & Val de Sèvre. Ce réseau comprend 2 000 foyers qui participent à deux programmes de science citoyenne. Dans le cadre du dispositif Mon Village Espace de Biodiversité, le CNRS de Chizé accompagne depuis 2012 des citoyens groupes locaux - dans chaque commune où un rucher communal est installé afin que chacun puisse participer à la gestion ses colonies d’abeilles et s’approprier ainsi les enjeux du service de pollinisation. La démarche participative de ce projet s’ancre dans la théorie des communs et fait appel au concept d’attachement de lieu. Le service de pollinisation est ainsi expliqué aux scolaires, aux élus et habitants des villages avec l’aide des apiculteurs locaux. Actuellement, 19 ruchers communaux sont installés. Ce projet est porté par les collectivités locales, les écoles et les apiculteurs. Il bénéficie du soutien du Conseil départemental, d’EDF Poitou-Charentes, de la MAIF et du CNRS. Depuis 2015, le réseau VILLAGE est impliqué dans un programme européen de valorisation de l’abeille noire, le programme BEEHOPE (France, Espagne, Portugal). Effets sublétaux des pesticides, de l’individu à la colonie (M. Henry INRA) Les néonicotinoïdes sont des insecticides systémiques ayant une forte rémanence. L’équipe de l’INRA d’Avignon a développé des expérimentations de vol de retour pour étudier les effets sublétaux de ces insecticides en conditions réelles. L’analyse des vols d’abeilles mellifères équipées de puces RFID montre que les effets sublétaux augmentent avec la distance à la ruche, indiquant que les insecticides pourraient affecter les capacités d’orientation des abeilles. Plus récemment, Mickaël Henry et ses collaborateurs ont établi une corrélation positive entre la co-exposition au thiamethoxam et à l’imidaclopride, et l’augmentation de la mortalité des abeilles sur un échantillon de 7000 abeilles équipées de puces RFID. L’exposition affecte également la dynamique des colonies : les colonies les plus exposées retardant la production de mâles reproducteurs. Gestion des adventices dans les céréales en lien avec le Plan ECOPHYTO (S. Gaba INRA & V. Bretagnolle CNRS) Par les espèces adventices, le coquelicot, la mercuriale et la moutarde sauvage sont consommées en grande quantité par les abeilles mellifères entre les périodes de floraison du colza et du tournesol. Or les espèces adventices sont en déclin dans les milieux agricoles du fait de l’utilisation massive d’herbicides. Sabrina Gaba a présenté les résultats d’une expérimentation menée dans 56 parcelles en céréales d’hiver de la Zone Atelier Plaine & Val de Sèvre en 2013 et 2014, en collaboration avec Vincent Bretagnolle pour répondre aux enjeux 5 du Plan Ecophyto. Dans cette expérimentation en conditions réelles, aucun effet significatif de la réduction d’herbicides n’a été observé sur la production agricole. A l’inverse, la réduction d’herbicides a permis d’augmenter la fréquence et l’abondance de coquelicots et de mercuriales. Ces résultats ouvrent de nouvelles pistes en termes de synergies entre services de production et de régulation. Recherche et mise en œuvre de solutions au sein d’un réseau d'agriculteurs expérimentateurs dans un programme ECOPHYTO (M. Gourrat - ITSAP, G. Chaigne – CA79 & A. Barbottin - INRA) Le programme DEPHY-Abeille propose de co-construire des leviers et des systèmes de cultures favorables aux abeilles et économes en produits phytosanitaires. Dans le cadre de ce projet des prototypes de systèmes de cultures « innovants » sont testés en conditions réelles avec les exploitants agricoles dans une zone « expérimentale » de leur parcelle. Les suivis effectués pour cette première année en 2015 dans les zones témoin et expérimentale ne met pas en évidence d’effets majeurs de la réduction de la réduction d’IFT sur la présence des pollinisateurs ni sur la production agricole. Ces résultats ont soulevé de nombreuses questions d’ordre méthodologique qui seront étudiées en 2016. Les produits de la recherche sur les abeilles et l’évolution des politiques publiques en faveur des insectes pollinisateurs (A Decourtye ACTA / ITSAP) Il existe de nombreuses politiques publiques en faveur des insectes pollinisateurs. Après avoir relevé le décalage entre recherche et réglementation, notamment en ce qui concerne les procédures d’autorisation de mise sur le marché des pesticides, Axel Decourtye a retracé l’historique de plusieurs réglementations. Il a ensuite ré-insisté sur la nécessité de préserver la flore sauvage dont les espèces adventices pour la diversité de l’alimentation des abeilles mellifères et sauvages assurant ainsi leur santé et leur persistance. Cette présentation s’est conclue avec des perspectives pour la recherche, la surveillance et les politiques publiques. Les actes du colloque sont mis à disposition sur www.itsap.asso.fr et http://www.za.plainevalsevre.cnrs.fr/ Structures organisatrices du colloque 6