forme identifiée comme étant de la banlieue, de la cité, du quartier, autrement dit
d’espaces socialement élaborés et produits comme dévalorisant. Pour ceux dont on finit
par croire qu’ils ne parlent ni ne comprennent plus le français, les formes stigmatisées
doivent devenir des formes identitaires et positives, et cela, quand bien même leurs
usages renforcent la stigmatisation. La survalorisation du rapport à une communauté au
détriment de celui que tente de faire valoir l’école, le rapport à la société, est une
réponse ultime et finalement régressive à la minoration sociale. Reste que les parlers(de)
jeunes proposent d’autres modèles interactionnels et langagiers et certainement une
identité culturelle et linguistique en émergence, en tension voire en conflit avec celle(s)
imposées et diffusée(s) par les couches sociales culturellement hégémoniques. En cela,
ils sont le signalement possible d’un mouvement social, disons un changement possible,
un autre paradigme discursif.
On sait, de toutes les façons, qu’il n’existe pas un parler jeune (comme une unique
variété homogène), mais autant de pratiques différenciées que les stratégies identitaires
de chacun requièrent. Les parlers jeunes sont de fait les traces urbaines des nouvelles
formes d’exclusion où la connaissance de la langue - en fait de la variété dominante -
pour réussir son intégration sociale reste en discours la condition indispensable et quasi
rédhibitoire mais où, en pratique, cette connaissance renvoie conjointement à une
connaissance dévalorisée et surtout frustrante de la langue dominante quasi-exogène.
Être bon en français, se savoir compétent en langue française, à l’écrit comme à l’oral,
n’est plus perçu comme le vecteur de la réussite sociale, mais comme une forme
d’imposture face aux diverses formes de la discrimination : ce n’est pas la compétence
linguistique qui fait sens et valeur, mais une compétence sociale construite sur les
représentations relatives aux lieux de naissance et de vie, à la situation du
multilinguisme [3], à la configuration de l’habitat...
Si urgence il y a, elle n’est pas donc de réduire l’acquisition et la maîtrise de la langue à
la grammaire, mais de considérer, tant pour l’enseignant que pour l’élève, qu’être
francophone ne signifie pas nécessairement parler exactement la même langue.
L’urgence n’est pas d’enseigner une grammaire de la langue, grammaire confondue
avec la seule nomenclature grammaticale, mais bien d’enseigner la langue commune
comme une entité plurielle tant des points de vue uniquement formels que des points de
vue culturels et non pas comme une structure finie et ossifiée. Si urgence il y a, c’est de
faire de la grammaire vivante.
Thierry Bulot, Université de Rennes 2
ERELIFF-CREDILIF EA 3207.
[1] Touraine A., 2006, Un nouveau paradigme (Pour comprendre le monde d’aujourd’hui), Le Livre de
Poche collection Essais, Paris, 410 pages (citation page 106).