Observer au lieu de construire des systèmes : lire p 75

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Cours du 19 mars Aux origines de l’anthropologie française : notes
(Jean Copans & Jean Jamin, 1993)
Aperçu de cette période qui va de la fin du 18e à la fin du 19e en référence au livre de Copans
et Jamin et surtout au texte de de Gerando lui-même.
Pour Jamin et Copans, les membres de la Société des observateurs de l’homme appelés aussi
Idéologues, ont été victimes, comme Lévy-Bruhl pour Madame Sewane ainsi que nous le
verrons plus tard, de la conspiration du silence !
Nous ne reviendrons pas sur le détail des évènements contemporains de leurs publications qui
ont amené Napoléon à les discréditer et à les éloigner. D’un côté on leur reproche leurs
théories abstraites, de l’autre on les considère pour leur méthodologie « progressiste ».
Il est vrai que cette période de l’histoire a retenu plutôt l’attention des historiens et des
politiciens : la Révolution française n’est pas souvent étudiée sous l’aspect des institutions
d’enseignement auxquelles elle a donné naissance…
Selon Michel Foucault- le grand philosophe structuraliste, ils ont été à la source d’une science
naturelle de l’homme.
Selon Copans et Jamin (16-17) ces idéologues ont conçu un véritable projet anthropologique.
De Gerando serait l’inventeur français de l’observation participante ; en revanche ses
« Considérations » demeurent théoriques, c’est-à-dire qu’il ne les appliquera pas lui-même et
qu’elles auraient demandé des séjours sur le terrain impraticables de son temps pour des
ethnographes d’ailleurs inexistants… Marcel Mauss également digera un Manuel
d’ethnographie sans aller lui-même sur le terrain…
Du sauvage naturel au primitif retardé
Par rapport à la littérature philosophique des Montaigne, des Montesquieu et des Rousseau,
qui tentent de défendre une certaine différence, celle qui les distinguent des bons sauvages, ne
serait-ce que pour nous rappeler à l‘ordre de la nature et de la raison, et la décadence de la
culture européenne, le 19è siècle va tenter d’intégrer le sauvage dans son système, dans le
système universel de la science naturelle et en fait ainsi un « primitif ».
1.- Le cadre de l’anthropologie française au XIXe siècle
Le long débat sur le bon sauvage semble clos avec Bougainville et Diderot. Tandis que les
philosophes causaient, les naturalistes s’étaient attachés à comprendre le monde à partir non
seulement de l’homme, mais de la nature: minéraux, plantes, animaux qu’ils ont étudiés,
décrits et classés systématiquement. L’homme comme être vivant n’échappe pas aux
naturalistes qui le décrivent comme une espèce avec ses variétés: les races humaines,
identifiées premièrement par la couleur: noire, jaune, blanche. L’homme sauvage n’échappe
plus à l’observation scientifique. De source d’étonnement philosophique, il devient témoin
vivant de notre passé primitif
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Il semble que ce soit un Suisse, nommé Chavannes, théologien de son état, qui utilise pour la
première fois le terme d’ethnologie en 1787 dans son « Essai sur l’éducation intellectuelle
avec le projet d’une science nouvelle »
Cet ouvrage consacre l’idée -largement répandue au XVIIIe siècle- selon laquelle l’histoire de
l’homme est faite d’étapes progressives vers la civilisation: l’ethnologie montrera donc
comment chaque peuple (ethnie) s’inscrit sur cette échelle.
Mais pour pouvoir ranger les races et les peuples dans un ordre évolutif, il faudra auparavant
établir des critères de classification. Ainsi, au XIXe siècle, l’ethnologie servira plutôt à
caractériser les différences entre les types humains, à partir de l’anthropologie physique c’est-
à-dire de l’observation du corps humain dans ses particularités; on parlera également de
raciologie.
La grande révolution dans la pensée anthropologique - en France comme ailleurs - au XIXe
siècle, réside dans la démarche et la méthode utilisées:
jusqu’au XVIIIe siècle la question anthropologique se pose sur un registre métaphysique et
moral avec comme toile de fond le récit de la création figurant dans le livre de la Genèse:
création du couple originel, déluge, dispersion des fils de Noé etc... et même si le récit de la
Genèse est mis en doute du point de vue scientifique, on essaie de le remplacer par le mythe
de l’état de nature, comme on peut le voir chez Rousseau (qui n’est pas celui du bon
sauvage).
C’est la confrontation avec des hommes si différents par leurs mœurs et coutumes
qu’ils semblent avoir échappé au péché originel (notamment eu égard aux pratiques
vestimentaires et sexuelles) qui ébranlera, au 18è siècle, les certitudes métaphysiques et
morales. Les hommes peuvent-ils tous provenir d’une même origine? (Monogénisme :
comparatisme, diffusionnisme) (Cuvier par ex. qui distingue la race caucasique, mongolique
et négroïde)
Face à des mœurs si diverses qui paraissent aux observateurs à la fois sauvages et
paradisiaques, quel jugement porter sur ces sociétés? (Polygénisme : comparatisme,
relativisme, évolutionnisme)
Chez les philosophes les faits observés ne servent qu’à alimenter un débat d’idées, politique
ou philosophique comme l’illustrent bien les « discours » de Rousseau. La question pour eux
n’est pas vraiment de connaître systématiquement des civilisations différentes des nôtres,
mais plutôt de retracer une hypothétique histoire de l’humanité, en remontant aux origines,
soit à partir du constat désabusé de l’état actuel de la civilisation occidentale soit à partir de la
nécessité de classer des différences inacceptables face à la conviction de l’unité du genre
humain mais de l’inégalité de son développement. Dans tous les cas cela relève de la
démarche philosophique au sens large.
Gerando, par son court texte méthodologique pourrait être mis en évidence comme précurseur
d’une ethnologie non philosophique, l’ethnologie de terrain, mais précurseur malheureux
parce que non suivi, même pas par celui à qui il destinait sa méthode, le médecin Péron.
Mais tandis que les philosophes et les Encyclopédistes s’interrogent sur l’égalité des hommes
et sur la place de la raison, la révolution scientifique du XVIIIe siècle ouvre une immense
brèche: il s’agit de la naissance des sciences naturelles (complètement indépendantes de toute
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référence théologique ou révélée) qui aboutira au XIXè siècle à la philosophie positiviste que
nous verrons développée chez Auguste Comte, dans une sorte de catéchisme universel.
Cette révolution commence par mettre l’homme sur le même pied que l’animal ou la plante: il
est un objet d’observation. La révolution de perspective, véritable sacrilège, est de taille.
Buffon écrit en 1749 dans son « Histoire naturelle »: « La première vérité, qui sort de cet examen sérieux de la Nature, est une vérité peut-
être humiliante pour l’homme; c’est qu’il doit se ranger lui-même dans la classe des animaux auxquels il ressemble par tout ce qu’il a de
matériel, et même leur instinct lui paraîtra plus sûr que sa raison, et leur industrie plus admirable que ses arts » Même si la distance entre
l’homme et l’animal demeure, un pas est franchi qui ressemble plus à un renversement: l’homme est dans la nature et non plus au-dessus
d’elle.
Mais déjà en 1717 Linné dans son système de la Nature avait établi la catégorie « animale » Homo Sapiens et distingué les races selon les
continents.
A partir de cette constatation et de l’acceptation de se prendre pour objet de la science sans
privilège aucun, s’ouvre l’anthropologie comme une des branches des sciences naturelles.
Cela explique en partie le virage « physique » pris par l’anthropologie au XIXe siècle. Les
balbutiements d’une anthropologie sociale et culturelle (Lafitau et Gerando chacun à leur
manière) sont noyés par l’anthropologie physique et la raciologie, science des variétés de
l’espèce humaine qui prétendent seules à la nouvelle objectivité scientifique.
Les grandes questions sont posées au XVIIIe en théorie; le XIXe veut les étudier en pratique,
c’est-à-dire à partir de la seule observation.
Du raisonnement et des conjectures, on va passer à l’observation, aux fouilles, aux collections
et aux classifications.
Mais pour que l’ethnologie ait la place qu’elle rite dans ce débat, il aurait fallu que l’étude
de l’homme soit mise non seulement dans son contexte physique, mais aussi social: cela
n’aura lieu qu’à la fin du siècle.
Pour illustrer et comprendre le changement de démarche et de méthode, survenu à l’aube du
XIXe siècle en France en anthropologie, il faut revenir sur les institutions qui ont servi de
cadre aux études anthropologiques:
1799 Société des Observateurs de l’Homme
1838 Société ethnologique de Paris
1855 Chaire d’anthropologie au Museum d’Histoire Naturelle
1859 Société d’anthropologie de Paris
1875 Ecole d’anthropologie de Paris
1878 Musée d’ethnographie du Trocadéro
la Société des Observateurs de l’Homme que nous avons mentionnée en parlant de De
Gerando doit retenir notre attention pour la première moitié du XIXe
Grâce au travail de Copans et Jamin nous disposons d’une série de textes réédités, présentés
dans le cadre de cette Société qui traduisent bien l’esprit du temps. Il ne faudrait pas croire
que le rejet de la révélation chrétienne en termes d’explication scientifique du monde entraîne
un discours brusquement «objectif ». Ces discours on va le voir -et c’est l’intérêt des
préambules et des conclusions- trahissent l’idéologie nouvelle: la nouvelle science de
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l’homme n’est pas purement gratuite; elle partage les idéaux humanitaires et utilitaires des
Lumières et de la Révolution; elle s’aligne aussi sur les ambitions nationales civilisatrices.
Jauffret qui en fut le secrétaire perpétuel définit le programme de la Société:
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interdisciplinarité: médecins, linguistes, philosophes, historiens, naturalistes
collection
comparaison
exposition (nouvelle forme de publication)
laboratoire expériences
Un peu comme Rousseau avait laïcisé la Genèse en créant l’état de nature, les savants du
XIXe siècle créent le mythe de la Science, comme système explicatif totalisant: observer,
classer, comparer pour expliquer. Le XIXe siècle est celui qui voit naître Darwin, ne
l’oublions pas et il a hérité des enseignements de Lamarck (1744-1829) le premier à avoir
émis l’hypothèse de l’évolution des espèces par une tendance naturelle au perfectionnement et
l’adaptation au milieu. C’est ce que l’on peut nommer de façon globale « déterminisme ». On
se souviendra de la théorie des climats qui représentait une première tentative scientifique-
déterministe en anthropologie (Montesquieu). Or l’étude de l’homme à partir de la seule
observation de ses caractères physiques risque bien d’en donner une image fort limitée, bien
que rigoureuse. C’est tout l’enjeu du premier scientisme qui remplacera ultimement Adam
et Eve par le singe. L’anthropologie y aura peut-être gagné, en observations physiques, mais
l’anthropologie sociale proprement dite n’avancera guère avant la fin du siècle.
Anthropologie française et colonies
Peut-on dire qu’au XIXe siècle, en France, l’anthropologie a été marquée de manière
significative par ses colonies? Non!
Les colonies françaises au XIXe siècle n’auront pas et de loin l’importance que les premiers
établissements coloniaux ont eue sur le développement de l’ethnologie à partir du XVIe
siècle. Au début du XIXe siècle la colonisation française est quasi nulle; il suffit de
mentionner l’abolition de la traite des Noirs en 1815 (Napoléon) reprise par Louis XVIII en
1817 pour comprendre que les colonies françaises sont en déclin. (Toussaint Louverture
illustre le courant indépendantiste-révolutionnaire des Noirs de Haïti).
Le contact avec le monde exotique a lieu essentiellement par des expéditions
scientifiques, comme celle de Baudin pour laquelle de Gerando avait préparé son
mémoire.
En 1848, l’esclavage est aboli et les propriétaires d’esclaves dédommagés. Les plantations
vivotent. Ce n’est que dans la deuxième moitié du XIXe siècle que l’on peut réellement parler
de la naissance d’un Empire colonial: hormis les traditionnelles colonies du Sénégal et de
l’Algérie, la France conquiert la Cochinchine , établit son protectorat sur le Cambodge (1863-
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67); elle annexe la Nouvelle Calédonie (1862). Mais en 1880 les colonies françaises ne
comptent que 5 millions et demi d’habitants. L’ethnographie coloniale -faite par des
fonctionnaires coloniaux résidant sera pour plus tard...
Plus important pour comprendre l’histoire de l’ethnologie, au XIXè siècle est le
développement des institutions
Après la Société des observateurs de l’homme du début du siècle naît en 1859 à Paris La
Société d’Anthropologie avec comme figure de proue Paul BROCA dont l’ambition est aussi
d’écrire l’histoire naturelle de l’homme. A en juger par les « Instructions anthropologiques
générales », l’accent est mis sur le recueil quantitatif des données d’anthropologie physique.
Broca fait appel à tout voyageur pour qu’il ramène du matériel
Il vaut la peine de s’arrêter sur l’introduction et quelques extraits de la méthode
Il est évident que ces recherches anthropologiques allaient de pair avec la pratique de
nouvelles sciences expérimentales, sciences naturelles d’abord intégrant l’homme dans une
classification animale et préhistoire ensuite, travaillant sur des fossiles et des vestiges de
l’industrie humaine (début des collections préhistoriques)
Le laboratoire humain
Dès que l’on a abandonné l’idée du Bon Sauvage pour la remplacer par l’hypothèse d’un état
de nature, on s’est intéressé à deux catégories d’hommes: les enfants sauvages (cités déjà par
Linné), c’est-à-dire grandis hors de la société humaine et les enfants en institution, non doués
des capacités humaines normales, du sourd-muet à l’idiot. Ces hommes exceptionnels
fournissaient aux savants, l’occasion rêvée d’étudier l’homme en laboratoire. Si le sauvage
avait déjà pu être observé dès le XVIe siècle du fait que des voyageurs en avaient ramené
dans leurs bagages, au XIXe siècle c’est l’observation de l’évolution de l’enfant sauvage qui
défraye la chronique anthropologique. Pour bien comprendre comment la culture vient
éclairer la nature il faudrait pouvoir expérimenter le développement d’êtres humains isolés de
toute culture, comme le propose Jauffret. Les plusieurs enfants sauvages signalés au XIXe
siècle en France vont permettre un premier pas dans cette direction tandis que l’abbé Sicard
inventait le langage pour les sourds-muets.
Le thème de l’enfant-sauvage est un thème récurrent dans les mythes fondateurs de
civilisation (de Romulus à l’enfant sauvage (Truffaut) en passant par Mowgli
Des ouvrages et des films ont repris ce thème mythique jusqu’à aujourd’hui (Les égarés)
On le compare aux idiots des institutions (145)
Si les anthropologues naturalistes du XIXe remettent en question tout exotisme bon sauvage
et prétendent placer l’ethnologie sur le terrain de l’observation scientifique, ils restreignent
considérablement le champ de vision: les instruments anthropométriques seront aussi rigides
que les dogmes théologiques ; au lieu de la Foi chrétienne, l’aune de jugement sera le
dynamomètre (Péron) et permettra au savant de conclure à la « débilité musculaire des
sauvages » un peu comme plus tard, au XXe siècle on évaluera les enfants des pays ou des
quartiers « sous-développés » à partir de tests psychologiques établis pour les enfants
scolarisés...
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