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« En suivant la majorité des savants contemporains, nous devons dire que Thomas a donné à Naples (1272-1273)
un enseignement scripturaire portant exclusivement sur les psaumes. [...] Il se termine brusquement au psaume
54, sans aucun doute à cause de l'extraordinaire expérience du 6 décembre 1273, lorsque Thomas fut contraint
d'interrompre tout travail. L'unique manuscrit de la partie du commentaire sur les psaumes 52 à 54, qui fut
découvert par Uccelli dans les Grandes Archives de Naples (Regio Archivio 25), se termine par le colophon
suivant : "Ici s'achève la postille sur une partie du psautier selon frère Thomas d'Aquin de l'ordre des Prêcheurs,
parce qu'on ne trouve rien de plus dans l'exemplaire de frère Raynald de Piperno, qui fut le socius (compagnon)
de frère Thomas jusqu'à sa mort, et qui avait tous ses écrits." »
Dans son admirable Prologue bâti sur les quatre causes d'Aristote - les causes matérielle, modale ou formelle,
finale et efficiente -, saint Thomas nous donne une clef de lecture du psautier et de l'Écriture sainte tout entière. «
La matière du psautier, dit-il, est universelle, parce qu'il renferme toute l'Écriture, la matière générale de toute la
théologie, qu'il traite de toute l'oeuvre divine, c'est-à-dire de la création, du gouvernement, de la rédemption et de
la glorification, et qu'il se rapporte au Christ et à ses membres. Et c'est la raison pour laquelle le livre des
psaumes est le plus utilisé dans l'Église. [...] Le mode du psautier est la louange et la prière. Sa finalité est l'union
de l'âme à Dieu. Son auteur, c'est l'Esprit-Saint lui-même qui le révèle. »
Dans son commentaire proprement dit, on portera son attention principalement sur trois choses : sur l'importance
des plans qui introduisent chaque psaume commenté ; sur ses sources et ses références ; sur son caractère
particulièrement christologique et ecclésiologique.
Les plans que saint Thomas donne au début de ses leçons scripturaires, et en l'occurrence de son commentaire
sur le psautier, méritent qu'on s'y attarde pour en percevoir tout l'intérêt. Sous un procédé déroutant pour nous
qui sommes habitués aux analyses de l'exégèse contemporaine, et qui pourrait ne paraître qu'artificiel, nous
sommes amenés en réalité à devoir prendre en considération la portée objective des mots du texte inspiré et à les
saisir dans le contexte de la logique spirituelle. Saint Thomas n'est jamais prisonnier de ses structures, au
contraire elles servent de support à sa pensée, lui permettent de pousser plus loin ses analyses et d'exprimer son
génie. Ainsi, dans son commentaire sur le psautier, sa recherche d'un fil conducteur dans le groupement des
psaumes répond à quelque chose de juste et de suggestif.
Les principales sources et références du Super Psalmos de saint Thomas sont en tout premier lieu l'Écriture
sainte, avec dans l'Ancien Testament une préférence accordée au livre des psaumes, au livre d'Isaïe et au livre de
Job ; dans le Nouveau Testament, aux évangiles de saint Matthieu et de saint Jean, ainsi qu'à l'épître de saint Paul
aux Romains. Puis ce sont les traductions du psautier faites par saint Jérôme, c'est-à-dire, pour résumer ce qui a
été dit plus haut, le Psautier gallican qui est son texte de base, et sa version d'après l'hébreu, la iuxta Hebraeos.
Nombreuses sont aussi les références aux ouvrages d'Aristote (Ethique, Métaphysique, Météorologiques,
Politique, Rhétorique, De la génération et de la corruption, Histoire des animaux), de Sénèque (Questions
naturelles), de Cicéron (De natura deorum), de Pline l'Ancien (Histoire naturelle), etc. Étendus sont enfin ses
emprunts aux Pères de l'Église, et surtout à Augustin (Enarrationes in Psalmos), à divers ouvrages de Jérôme, de
Grégoire le Grand, de Denys l'Aréopagite, de Jean Damascène, d'Origène (Homélies sur les Psaumes), de Boèce,
ainsi qu'à d'autres auteurs, sans oublier bien entendu les Gloses sur les psaumes, avec au premier rang celle de
Pierre Lombard.
Le lecteur s'étonnera peut-être de l'importance que saint Thomas accorde à la cosmologie dans le Super Psalmos,
par exemple quand il commente le psaume 17. Il faut savoir à ce propos que tout en donnant ses leçons sur le
psautier, saint Thomas se penchait aussi sur le De caelo et mundo d'Aristote. S'il est vrai que ces enseignements
sont les plus marqués par le temps, ils témoignent cependant de son souci de réalisme et de la place de l'homme
dans le cosmos à l'intérieur du plan divin. Mais la matière fondamentale traitée par saint Thomas dans son
commentaire sur le psautier est le Christ et ses membres, ou le Christ et l'Église. Il s'oppose en cela à l'exégèse
littérale de Théodore de Mopsueste, et suit la règle donnée par saint Jérôme dans son commentaire sur Ézéchiel,
selon laquelle les prophéties sont comme une figure des événements à venir. Cette règle, dit-il, nous devons