La doctrine américaine de la guerre préemptive, entre

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UNIVERSITÉ DE PERPIGNAN VIA DOMITIA UFR SJE site juridique de NARBONNE
Gaëtan FERRARA
Licence 3 - Droit Public
année universitaire 2014-2015
La doctrine américaine de la guerre
préemptive
entre illégitimité et illégalité
Initiation à la recherche
Droit constitutionnel comparé
Sous la direction de
Philippe Ségur
Professeur des universités
La doctrine américaine de la guerre
préemptive
entre illégitimité et illégalité
Par Gaëtan Ferrara
Publié dans le cadre du Cycle relations internationales - La
doctrine américaine de la guerre préemptive
entre illégitimité et illégalité
sur le site internet : www.historius.fr
Juin 2016
La doctrine américaine de la guerre préemptive, entre illégalité et illégitimité
Publication de juin 2016 pour www.historius.fr
Gaëtan FERRARA
Sommaire
I-
Le Léviathan étasunien
A- Le colosse aux pieds d’argiles
B- Les conditions nécessaires à l’invocation de la guerre préemtpive
II-
Illusions et désillusions de la guerre par divination
A- Les dangereuses limites de la préemption
B- L’ultime action préventive
La doctrine américaine de la guerre préemptive, entre illégalité et illégitimité
Publication de juin 2016 pour www.historius.fr
Gaëtan FERRARA
« La guerre est le fruit de la faiblesse des peuples et de leur stupidité » écrivait Romain
Rolland dans son œuvre Au-dessus de la mêlée;et à Nicolas de Condorcet d’anticiper dans son
ouvrage posthume « Les peuples, plus éclairés, se ressaisissant du droit de disposer d’eux-mêmes,
de leur sang et de leurs richesses, apprendront peu à peu à regarder la guerre comme le fléau le plus
funeste, comme le plus grand des crimes. »1À la fin du XVIIIème siècle, ces lignes de Condorcet
apparaissent comme un vœux pieux. Pourtant c’est bien en ce sens que semble prendre pour
aspiration l’évolution du droit international public. Il est avant toute autre chose impératif de
distinguer, au sein du droit international public, le jus in bello du jus ad bellum.
Le premier désignant le droit international humanitaire, encore appelé droit dans la guerre ou
Droit de Genève, et se distingue du second par son caractère récent. À ce jour, en effet, les
conventions applicables en la matière sont au nombre de sept, soit les quatre Conventions de
Genève du 12 août 1949, auxquelles s’ajoutent les deux protocoles additionnels du 8 juin 1977 ainsi
que le troisième protocole additionnel du 8 décembre 2005. Les Conventions de Genève sont des
traités internationaux, initiés par le Comité International de la Croix Rouge, qui définissent les
règles à respecter au cours d’un conflit armée en ce qui concerne « le respect de la personne
humaine et de sa dignité. » 2 Puisqu’un exemple vaut toujours mieux qu’un long discours, aux
termes de l’article 12 des Conventions de Genève du 12 août 1949 « les membres des forces armées
et les autres personnes mentionnées à l’article suivant, qui seront blessés ou malades, devront être
respectés et protégés en toutes circonstances. »3
Ainsi, alors que le jus in bello règlemente les règles à respecter pendant la guerre, le jus ad
bellum se place en amont et pose les fondements d’un droit à la guerre, encore intitulé droit de faire
la guerre. En cela il établit les règles qui conditionnent la possibilité de faire une guerre dite juste,
voire légitime, en droit international public. À titre d’exemple, à partir de la seconde moitié du
Moyen-Âge, les souverains ont intégré comme droit coutumier d’établir une déclaration de guerre
préalablement à toute agression armée. 4 Cela se pouvait se faire par lettre de défi, ou affiches
installées sur le territoire du souverain pour peu qu’il ait refusé d’ouvrir la missive précédente. Dans
le cas où un seigneur n’avait pas reçu de déclaration de guerre, il le considérait comme une vilenie
et n’hésitait pas à le scander aux autres seigneurs. Tel fut le cas du capitaine de l’armée vénitienne
qui attaqua le seigneur de Padoue sans commune mesure en 1372. Ce dernier n’hésita pas à
« dénoncer la traitrise au monde entier. »5 C’est ainsi qu’au XVIIème siècle, le juriste néerlandais
Hugo Grotius - posant par la même occasion les fondements du droit international - rédige un traité
Sur les lois de la guerre et de la paix.6 Il restreint alors la guerre aux termes de sa proposition XXVI
« qu’en se tenant dans les bornes de la Justice et de la Bonne Foi. »7 Dès lors le droit international
n’a cessé d’évoluer vers une légitimité toujours plus étroite du recours à la guerre.
1
Condorcet, Esquisse d'un tableau des progrès de l'esprit humain, 1795.
Les Conventions de Genève du 12 août 1949, note préliminaire.
3
Les Conventions de Genève du 12 août 1949, Chapitre II Des blessés et des malades, Article 12.
4
Glénisson Jean. Notes d'histoire militaire. Quelques lettres de défi du XIVe siècle. In: Bibliothèque de l'école des
chartes. 1948, tome 107, livraison 2. pp. 235-254.
5
Ibidem. p.245.
6
Hugo Grotius, De iure belli ac pacis, 1625.
7
Ibidem. § XXVI, Discours préliminaire de la certitude du Droit en général, Nouvelle traduction par Jean Barbeyrac,
1746, p17.
2
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Le 26 juin 1945, la Charte des Nations Unies8 est signée à San Francisco et entrera en vigueur
le 24 octobre de la même année. Aux termes de l’article 2 §4 de la Charte « les membres de
l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à
l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit
de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies. » À ce titre la Charte exhorte
les États parties à régler leurs différends de manière pacifique9. L’emploi de la force armée apparaît
donc comme un ultime recours. Pour autant les États les plus belliqueux cherchent des parades pour
légitimer leurs interventions armées aux yeux de la communauté internationale et surtout à ceux du
Conseil de Sécurité. C’est ainsi que, tout droit sortie de think tanks10conservateurs, George W. Bush
prononce en 2002 un discours dans lequel il invoque la nécessité de « preemptive action11 ». Cette
doctrine de l’action préemptive sera ensuite un peu plus détaillée dans le rapport sur la National
Security Strategy de 200212. L’action préemptive se caractérise par une intervention armée anticipée
à l’encontre d’une menace potentielle. Mais le manque de certitudes constitue un défaut probant en
Droit.
Pourquoi la guerre préemptive ne peut pas être considérée comme légal en droit international
public ?
Avant d’afficher les illusions et désillusions de la guerre par divination (I) comme il serait bon
de définir la guerre préemptive, il semble judicieux de revenir sur les causes de son apparition au
sein de la doctrine militaire américaine qui vise notamment à la pérennisation du Léviathan
étasunien (I).
Le sujet présentement traité, la doctrine de la guerre préemptive, peut apparaître en premier
lieu comme un objet d’étude vaste. Pourtant, le concept de guerre préemptive est loin de faire
consensus. Il est d’ailleurs difficile, voire impossible, de le distinguer du concept de guerre
préventive. Il s’agira donc d’envisager, dans un premier temps, la raison pour laquelle les ÉtatsUnis en sont venus à concevoir la guerre préemptive ; puis, dans un deuxième temps, à examiner les
conditions nécessaires à l’invocation d’une guerre préemptive ; ensuite, dans un troisième temps, il
semblera judicieux de revenir sur les limites de la guerre préemptive ; enfin, dans un quatrième
temps, il conviendra d’ouvrir le sujet sur les concepts de guerre préventive et de légitime défense
8
Charte des Nations Unies, San Francisco, 26 juin 1945. http://www.un.org, 1er mai 2015. [En ligne]
http://www.un.org/fr/documents/charter/index.shtml
9
Ib. Article 33 §1 : « Les parties à tout différend dont la prolongation est susceptible de menacer le maintien de la paix
et de la sécurité internationales doivent en rechercher la solution, avant tout, par voie de négociation, d'enquête, de
médiation, de conciliation, d'arbitrage, de règlement judiciaire, de recours aux organismes ou accords régionaux, ou par
d'autres moyens pacifiques de leur choix. »
10
Réservoir de pensée, laboratoire d’idée, clubs de réflexion privés qui cherchent à peser sur les affaires publiques.
11
President Bush Delivers Graduation Speech at West Point, United States Military Academy, West Point, New York,
1er juin 2002. « Our security will require transforming the military you will lead -- a military that must be ready to
strike at a moment's notice in any dark corner of the world. And our security will require all Americans to be forwardlooking and resolute, to be ready for preemptive action when necessary to defend our liberty and to defend our lives. »
Traduction : « Notre sécurité requiert que nous transformions l’armée que nous dirigeons - une armée qui doit être prête
à frapper à l’instant même où l’on en donnera l’ordre dans n’importe quel coin sombre du monde. Et notre sécurité
exige que tous les Américains soient proactifs et résolus, à être prêt à mener des actions préemptives quand cela sera
nécessaire pour défendre notre liberté et défendre nos vies. »
12
The National Security Strategy of the United States of America, Septembre 2002. www.state.gov, 1er mai 2015 [En
ligne] http://www.state.gov/documents/organization/63562.pdf
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préventive qui apparaissent à bien des égards semblables à la guerre préemptive. Chaque temps
équivaudra à une sous-partie de la présente étude.
La guerre préemptive est intimement liée à la guerre préventive. Il ne fut donc pas chose aisée
que de rester pleinement dans le sujet. D’autant plus que la guerre préemptive apparaît
progressivement comme parfaitement illégal en Droit international, et donc que ses fondements et
sa légitimité devraient être envisagés sous l’angle des relations internationales ainsi que de la
diplomatie. Et même un brin de sociologie pour comprendre pleinement pourquoi la doctrine
américaine de guerre préemptive a pu apparaître dans le discours de George W. Bush en 2002 alors
qu’il s’adressait aux élèves de l’académie militaire de West Point.
I.
Le Léviathan étasunien
Après avoir pacifié leur pays, les américains ont été sollicité par les européens au cours des
deux Guerres mondiales. Ainsi sortis de leur politique isolationniste, les États-Unis se sont vite
rendus compte que le monde était loin d’être en paix. Semblant tout à la fois résulter d’une mission
divine de pacification mais surtout d’une peur du désordre international, le climat de paranoïa qui
s’en dégage peut faire apparaître la Superpuissance Américaine comme un colosse aux pieds
d’argiles (A). En réaction aux attentats du 11 septembre 2001 se développe la doctrine de guerre
préemptive pour contrer toute menace potentielle à l’encontre du peuple américain. Il est impératif
de revenir sur les conditions nécessaires à l’invocation de la guerre préemptive (B) pour en
appréhender au mieux les limites.
A. Le colosse aux pieds d’argiles
Tout d’abord, avant d’entrer plus en détail dans la définition, il est possible d’envisager une
intervention préemptive comme « un droit de l’État à recourir à la force armée […] avant même
qu’une [attaque imminente] à sa sécurité nationale ne puisse se concrétiser.13 » Cela dit aucun texte
formel en Droit international ne définit la guerre préemptive, il faut donc se tourner vers la doctrine.
Le cas d’école hypothétique, faisant suite au discours de George W. Bush en 2002, est la
guerre d’Irak, aussi nommée seconde guerre du Golfe, commencée le 20 mars 2003 sous l’égide de
l’opération liberté irakienne14. La guerre d’Irak et l’opération liberté irakienne ont officiellement
pris fin le 15 décembre 2011 avec le retrait des troupes américaines suite à l’opération New Dawn15.
Cette dernière opération laisse place à la responsabilité des belligérants d’assurer la transition
démocratique en Irak16. Mais finalement la guerre d’Irak s’est révélée être une guerre préventive car
infondée, illégitime et illégale. Le discours de George W. bush en 2002 fait lui-même suite aux
attentats de septembre 2001. Il s’agit d’une donnée importante pour comprendre pourquoi cette
doctrine est apparue et comment elle a pu apparaître. En effet, les États-Unis ont été secoués par
13
Ferrajolo Ornella. - « La pratique et la règle de droit. Réflexions à propos de la seconde guerre du Golfe ». - Actualité
et Droit International, mai 2004. http://www.ridi.org/adi. Consulté le 2 mai 2015 [En ligne]
http://www.ridi.org/adi/articles/2004/200405fer.htm
14
Operation Iraki Freedom.
15
Operation New Dawn. http://www.usf-iraq.com, 2 mai 2015 [En ligne] http://www.usf-iraq.com/operation-newdawn/
16
résolution S/RES/1483 (2003) du 23 mai 2003.
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cette attaque directe sur leur territoire, en plein cœur sur leur capitale économique. La communauté
internationale s’est très vite rassemblée autour des États-Unis pour les supporter dans leur
souffrance. Une telle attaque a vu naître un sentiment de peur et un climat de tension au sein de la
population. Personne ne semblait plus à l’abri après cette attaque sur New York même. C’est un
sentiment de peur qui domine alors les américains de l’époque. La recherche de responsables tourne
les soupçons en direction du terrorisme et plus précisément de l’organisation Al-Qaida. Ainsi unis
dans la peur et la souffrance, ils l’ont d’autant plus été dans leur nouvelle haine d’un ennemi
commun. Ainsi, grâce à une opinion publique favorable à l’intervention armée, les démocrates
n’opposèrent que peu de résistance au Président des États-Unis. Ce fut le début de la seconde guerre
du Golfe.
Les américains ressentent également le besoin de monopoliser la violence pour contrôler la
violence car ils s’estiment seuls dépositaires de la bonne façon de l’utiliser. Ce sont des
missionnaires souhaitant rétablir un droit qu’ils estiment légitimes17. Cela cache un autre complexe.
Celui de vouloir être juge pour ne pas être jugé 18 tel un chef d’État se cachant derrière son
immunité. L’armée américaine est en effet la seule à ce jour à avoir utilisé la bombe atomique
contre des être humains, qui plus est des civils et cela à deux reprises. Les États-Unis se rendent
également coupable de « la pire campagne terroriste dans le monde et de loin, […] une campagne
mondiale d’assassinat 19 » affirme le Professeur Chomsky accusant notamment l’utilisation des
drones.
Les États-Unis sont ainsi dans un équilibre précaire entre leur fin et les moyens qu’ils utilisent
pour y parvenir. Leur objectif étant leur propre sécurité et cela passe par la sécurisation du monde.
Il n’en demeure pas moins que les moyens utilisés par les États-Unis pour y arriver peuvent être
soumis à controverse et la guerre préemptive en est un exemple caractéristique.
B. Les conditions nécessaires à l’invocation de la guerre préemptive
L’action préemptive se distingue difficilement de l’action préventive. Cette nuance ne peut
être étudiée significativement qu’en anglais. En effet, dans la langue de Shakespeare, « preempt »
signifie devancer, et « prevent » signifie prévenir. Ainsi, alors que la guerre préventive est illégale
en droit international, la guerre préemptive tente de se définir comme une forme de légitime
défense. Effectivement, la Charte des Nations Unies consacre le droit à la légitime défense dans son
article 51 20 . Pour autant il ne faut pas en oublier l’article 2 §4 21 qui rappelle la primauté du
règlement pacifique des différends.
Invoquer la légitimité d’une action préemptive nécessite la réalisation de plusieurs conditions.
La plus importante tient au terme de devancer. Il faut que la menace soit réelle et certaine22. Pour se
17
François-Bernard Huyghe, Guerre préemtive. http://www.huyghe.fr, 2 mai 2015 [En ligne]
http://www.huyghe.fr/dyndoc_actu/443e0aa62ba1f.pdf
18
Ibidem.
19
Noam Chomsky. L’interview qui dénonce l’Occident. http://fr.euronews.com 3 mars 2015 [En ligne]
http://fr.euronews.com/2015/04/17/noam-chomsky-l-interview-qui-denonce-l-occident/
20
article 51, Chapitre VII Action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d'acte d’agression. Charte des
Nations Unies, San Francisco, 26 juin 1945.
21
voir supra introduction p2.
22
Alia Al Jiboury, Guerre Préventive /Guerre préemptive. Paris, novembre 2006. http://www.irenees.net, 3 mai 2015
[En ligne] http://www.irenees.net/bdf_fiche-notions-175_fr.html
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faire il faut avancer des preuves. L’exemple typique est Colin Powell qui agite, devant le Conseil de
Sécurité le 5 février 2003, un flacon supposé d’Anthrax comme preuve de la détention d’armes de
destruction massive par l’Irak23. Il s’est avéré qu’il s’agissait d’une mise en scène, Colin Powell
accusant par ailleurs la CIA de l’avoir trompé24.
Après avoir apporté les preuves d’une menace réelle et certaine, une guerre préemptive doit
être justifiée par l’imminence de la menace et l’urgence d’une réaction. Encore une fois il est très
difficile de prouver l’imminence d’une menace réelle. Les États-Unis se sont servis de l’hostilité
dégagée par Saddam Hussein pour le rendre dangereux qu’il soit en possession ou en cours de
possession d’armes de destruction massive25.
Les armes de destruction massive, le terrorisme et les États-voyous sont les trois cibles de
l’équation d’utilisation de la guerre préemptive 26 . Puisque ces trois catégories ont déjà une
mauvaise réputation au sein de la communauté internationale, il est d’autant plus aisé d’utiliser ces
termes pour incriminer un État. Il s’agit ni plus ni moins de manipulation sémantique. Cet État sera
alors pris au piège, contraint de prouver son innocence et montrer patte blanche. Pour l’Irak, Tony
Blair avait demandé une déclaration télévisée de Saddam Hussein révélant où se cachaient ses
armes de destruction massive et la preuve qu’il allait s’en débarrasser sinon quoi une intervention
armée serait nécessaire27. Évidemment cela plaçait Saddam Hussein dans une situation de double
contrainte. Si Saddam Hussein faisait cette déclaration il se rendait coupable de posséder des armes
de destruction massive, et s’il ne réalisait pas cette déclaration il allait à l’encontre de la demande de
Tony Blair et causait de nouveau un casus belli28.
Si de tels stratagèmes ont été utilisé pour légitimer la guerre préemptive en Irak c’est bien car
il subsiste des obstacles juridiques importants. Sans la diplomatie et l’influence des États-Unis cette
guerre n’aurait jamais pu être consentie par la communauté internationale.
II.
Illusions et désillusions de la guerre par divination
La guerre préemptive est diplomatiquement et légalement difficile à légitimer. L’évocation
d’une action préemptive relève bien plus de la tactique que de la stratégie car, après coup, les États
et l’opinion publique se rendent vite compte de la supercherie. Ainsi il existe de dangereuses limites
à la préemption (A). Les belligérants en ont conscience et c’est pourquoi ils continuent de jouer
23
Reportage France 2, Discours de Colin Powell devant l’ONU. http://www.ina.fr, 3 mai 2015 [En ligne]
http://www.ina.fr/video/2205136001007
24
Vincent Jauvers, 3 mars 2013. Colin Powell : comment la CIA m’a trompé. interview avec Colin Powell, L’OBS
société.
http://tempsreel.nouvelobs.com,
3
mai
2015
[En
ligne]
http://tempsreel.nouvelobs.com/debat/20130301.OBS0470/exclusif-colin-powell-comment-la-cia-m-a-trompe.html
25
« Si Saddam Hussein tente de se cramponner au pouvoir, il restera un ennemi mortel jusqu’à la fin. » / « La menace
terroriste qui pèse sur les Etats-Unis et le reste du monde diminuera dès que Saddam Hussein sera désarmé. » / « La
sécurité du monde exige le désarmement immédiat de Saddam Hussein. » George W. Bush. Discours du Président Bush
à la Nation. 17 mars 2003. http://www.monde-diplomatique.fr, 3 mai 2015 [En ligne] http://www.mondediplomatique.fr/cahier/irak/a9941
26
Alia Al Jiboury, Guerre Préventive /Guerre préemptive. Paris, novembre 2006. http://www.irenees.net, 3 mai 2015
[En ligne] http://www.irenees.net/bdf_fiche-notions-175_fr.html
27
Blair spells out demands on Saddam, 12 mars 2003, The Guardian. http://www.guardian.co.uk, 3 mai 2015 [En ligne]
http://www.guardian.co.uk/Iraq/Story/0,,912742,00.html
28
François-Bernard Huyghe, Guerre préemtive. http://www.huyghe.fr, 2 mai 2015 [En ligne]
http://www.huyghe.fr/dyndoc_actu/443e0aa62ba1f.pdf
La doctrine américaine de la guerre préemptive, entre illégalité et illégitimité
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avec d’autres concepts notamment l’action préventive (B). Encore une fois, il s’agit d’un jeu
d’équilibriste entre légitimité diplomatique et légalité juridique. Il semble par ailleurs que les ÉtatsUnis ont tenté par trop de fois d’y jouer en défaveur de populations qui n’hésitent plus à dénoncer
les pratiques hégémoniques de l’impérialisme étasunien29.
A. Les dangereuses limites de la préemption
Le concept de guerre préemptive est dénoncé par les juristes et les États. En effet, l’une des
finalités d’une action préemptive est d’attaquer avant d’être attaqué. Dans l’absolu cela permettrait
de légitimer n’importe quelle agression armée et donc apporterait une instabilité des relations
interétatiques qui contreviendrait grandement à l’article 2 §4 de la Charte des Nations Unies. Sur ce
point l’unilatéralisme américain à la suite de l’opération “Renard du Désert“ en décembre 1998 fut
largement critiquée, notamment par la France, la Russie et la Chine dont les ambassadeurs aux
Nations Unies découvraient les images du conflit au cours d’une réunion du Conseil de Sécurité30
alors même que l’opération débutait. Cet unilatéralisme se reflète de nouveau dans le discours de
George W. Bush du 1er juin 2002 dans lequel il affirme : « Yet the war on terror will not be won on
the defensive. We must take the battle to the enemy, disrupt his plans, and confront the worst threats
before they emerge. In the world we have entered, the only path to safety is the path of action. And
this nation will act.31 »De nouveau l’anticipation, mais aussi le vocabulaire religieux, marque une
faiblesse de la doctrine américaine qui repose sur la croyance alors que le Droit repose sur des faits
et des preuves tangibles. Qui plus est, une légalisation de l’action préemptive contribuerait à
universaliser la pratique. Pour l’instant cette pratique n’a été affichée que par les États-Unis32 se
considérant à l’abri derrière leur puissance militaire et leur influence diplomatique. Mais si l’action
préemptive devenait courante, d’autres États en tension pourraient être tentés de l’utiliser. Cela
conduirait à des situations dangereuses d’autant plus en présence de puissances nucléaires comme
l’Inde et le Pakistan.
Une action préemptive pour être en théorie légitime demande des éléments qui sont en
pratique impossible à réunir. Il s’agit, pour le rappeler, de prouver l’existence d’une menace
existante et certaine, ainsi que de l’imminence d’une telle menace, devenue inévitable, qui
justifierait l’urgence d’une intervention armée. De telles preuves sont impossible à réunir, c’est la
raison pour laquelle les États-Unis ont eu recours à des supercheries à l’image de la scènette de
Colin Powell. Qui plus est, il n’est possible de juger en Droit qu’a posteriori. Or, les facteurs
permettant de justifier une guerre préemptive sont de l’ordre de l’a priori. D’où une recherche
postérieure de légitimité par rétrospective. La stratégie consiste dans un premier temps à désigner
un ennemi ; puis à évoquer la potentialité de la menace que cet ennemi représente afin de légitimer
29
À ce titre pour exemple : Claude Julien, L'Empire américain, Paris, Grasset, 1968 et Michael Parenti, L'horreur
impériale : Les États-Unis et l'hégémonie mondiale, Aden Éditions, 2004
30
Sophie Albert, Les représailles armées et “l’ingérence démocratique“ des États-Unis en Irak, actualité et Droit
international. http://www.ridi.org, 9 mai 2015. [En ligne] http://www.ridi.org/adi/199901a3.html
31
President Bush Delivers Graduation Speech at West Point, United States Military Academy, West Point, New York,
1er juin 2002. Traduction : « Pourtant la guerre contre le terrorisme ne sera pas gagnée sur la défensive. Nous devons
prendre la bataille à l’ennemie, perturber ses plans, et affronter les pires menaces avant qu’elles n’émergent. Dans le
monde dans lequel nous sommes entrés, la seule voie du salut est la voie de l’action. Et cette nation va agir. »
32
et Israël lors de la Guerre des Six Jours, mais il s’est avéré qu’il s’agissait d’une guerre préventive. Guerre des Six
Jours (1967). http://tsahal.fr, 10 mai 2015 [En ligne] http://tsahal.fr/glossaire/guerre-des-six-jours-2/
La doctrine américaine de la guerre préemptive, entre illégalité et illégitimité
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a priori une intervention armée ; et enfin à mettre la communauté internationale devant le fait
accompli.
En définitive, la guerre préemptive n’existe pas. Soit l’urgence est constitutive d’une
agression armée et dans ce cas il s’agit de l’application de la légitime défense aux termes de l’article
51 de la Charte des Nations Unies ; soit l’intervention armée ne repose sur aucune menace probante
et dans ce cas il s’agit d’une action préventive. Celle-ci ne se distingue de l’action préemptive que
par un jeu de sémantique et la subjectivité manifeste des éléments de preuve. L’action préventive
est illégale en Droit international. Pourtant des États comme les États-Unis ont cherché à utiliser et
à mélanger les deux concepts de guerre préventive et de légitime défense pour créer la légitime
défense préventive.
B. L’ultime action préventive
Il existe deux formes d’action préventive. La première est la guerre préventive, et la seconde
est la légitime défense préventive. Ces deux notions sont ouvertement critiquées par les États et
critiquables par les juristes.
La guerre préventive peut se définir comme une « une agression ou une guerre dont un pays
prend l’initiative pour empêcher un autre pays d’acquérir la capacité de lui infliger de graves
dommages 33 » sans que la menace ne se soit encore concrétisée. Le Conseil de l’Europe a
ouvertement rejeté « le recours unilatéral à la guerre préventive car il est contraire au droit
international, comporte des risques considérables pour le maintien de la paix et de la sécurité
internationales et porte atteinte à la pertinence, à la crédibilité et à la légitimité du Conseil de
sécurité de l’ONU dans ce domaine.34 » En effet, l’avénement des Nations Unies et de son Conseil
de Sécurité marquait, après la Seconde Guerre mondiale, une volonté de la communauté
internationale de restreindre le recours à la force armée. Cette volonté fut quelque peu affaiblie à
l’occasion de la Guerre froide mais elle subsiste et demeure à ce jour parmi les principes
fondamentaux du Droit international contemporain onusien. Il est important de relever une nuance
apportée par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. En effet, l’illégalité repose sur
l’unilatéralisme de la guerre préventive. Celle-ci devient légale lorsqu’elle devient donc multilatéral
et plus exactement lorsqu’il s’agit d’une action décidée par une résolution du Conseil de Sécurité en
vertu de l’utilisation du Chapitre VII35 de la Charte. Ainsi, après que les preuves avancées par les
américains pour justifier une intervention en Irak se soient révélées fausses, la seconde guerre du
Golfe fut catégorisée guerre préventive. Pour autant, de nombreux États, dont le Royaume-Uni, ont
accepté les preuves avancées par les États-Unis et ont rejoint leur coalition contre l’Irak. Une autre
raison pourrait être de intérêts convergents notamment dans le contrôle de ressources pétrolières36,
mais les américains ont été très peu partageur sur ce point. Afin de maintenir la stabilité au sein des
33
M. Lluis Maria de Puig, rapporteur de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, La notion de guerre
préventive et ses conséquences pour les relations internationales, 8 juin 2007. http://assembly.coe.int, 10 mai 2015 [En
ligne] http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/X2H-Xref-ViewHTML.asp?FileID=11677&lang=fr
34
Ibidem.
35
Chapitre VII : Action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d'acte d’agression, Charte des Nations
Unies.
36
Mathieu Auzanneau, La guerre d’Irak était bien une guerre du pétrole, 14 juin 2011, Le Monde.
http://petrole.blog.lemonde.fr, 10 mai 2015 [En ligne] http://petrole.blog.lemonde.fr/2011/06/14/la-guerre-dirak-etaitbien-une-guerre-du-petrole-cette-fois-cest-sur/
La doctrine américaine de la guerre préemptive, entre illégalité et illégitimité
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Gaëtan FERRARA
relations internationales, un État devrait en premier lieu avertir le Conseil de Sécurité de sa
situation.
Quant à la légitime défense préventive, son caractère insidieux l’a rendu d’autant plus
illégitime aux yeux de la communauté internationale. Sorte d’hybride entre la guerre préventive et
la légitime défense, la légitime défense préventive se rapproche de la notion de guerre préemptive
en ce qu’elle avance une menace certaine et l’imminence d’une agression inévitable. Mais la
légitime défense préventive se heurte à l’article 51 de la Charte. En effet, pour le Liban l’article 51
est « parfaitement explicite à cet égard : le recours à la force dans l’exercice du droit de légitime
défense est subordonné à l’existence d’une agression armée.37 » Ce sentiment est partagé par les
États de l’Égypte, de l’Irak, et de la Mongolie. Pour le Kenya, il s’agit même d’une forme de
camouflage d’une agression armée38. Sans surprise, les États-Unis estiment que que les agressions
indirectes doivent également entrer dans la définition d’une agression armée dans le cadre de la
légitime défense39. Toutefois, les agressions indirectes sont considérées par bien trop subjective à
déterminer à l’instar de toute action préemptive ou préventive.
Enfin, selon certains États dont les États-Unis, une intervention préventive devient légitime, et
donc préemptive, dans le cas particulier d’un État-voyou qui disposerait de l’arme nucléaire. Cela
dit, l’intervention préemptive ne devrait alors cibler que, et uniquement, les sites de production de
ces armes ainsi que les bases où elles sont stockées. La doctrine de guerre préemptive soutenue par
les États-Unis a conduit d’autres États, comme Israël, à utiliser eux aussi la notion de guerre
préventive. En contrepartie des États-voyous, comme la Corée du Nord et l’Iran, ont durci leurs
positions sur la question, fermant ainsi le dialogue 40 . La doctrine américaine de la guerre
préemptive qui se galvaudait de se défendre face à la prolifération des armes nucléaires et à leur
acquisition par des États-voyous a, bien au contraire de ses objectifs, constitué un prétexte
supplémentaire pour ces États à fermer toute discussion sur le sujet en opposition à l’unilatéralisme
américain. Les États-Unis souhaitaient dissuader et faire naître un sentiment de peur, ils n’ont réussi
finalement qu’à provoquer un sentiment de rejet face à l’impérialisme étasunien.
Bibliographie
• Condorcet, Esquisse d'un tableau des progrès de l'esprit humain, 1795.
37
Olivier Corten, Résolution 3314 (XXV), aspects du problème de la légitime défense.
https://iusadbellum.files.wordpress.com,
10
mai
2015
[En
ligne]
https://iusadbellum.files.wordpress.com/2011/07/3314_ld.pdf
38
Ibidem
39
Ibidem
40
M. Lluis Maria de Puig, rapporteur de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, La notion de guerre
préventive et ses conséquences pour les relations internationales, 8 juin 2007. http://assembly.coe.int, 10 mai 2015 [En
ligne] http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/X2H-Xref-ViewHTML.asp?FileID=11677&lang=fr
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• Glénisson Jean. Notes d'histoire militaire. Quelques lettres de défi du XIVe siècle. In:
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• Hugo Grotius, De iure belli ac pacis, 1625
• Charte des Nations Unies, San Francisco, 26 juin 1945
• President Bush Delivers Graduation Speech at West Point, United States Military Academy, West
Point, New York, 1er juin 2002
• The National Security Strategy of the United States of America, Septembre 2002
• Ferrajolo Ornella. - « La pratique et la règle de droit. Réflexions à propos de la seconde guerre du
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• Operation New Dawn. http://www.usf-iraq.com
• Résolution S/RES/1483 (2003) du 23 mai 2003
• François-Bernard Huyghe, Guerre préemtive
• Noam Chomsky. L’interview qui dénonce l’Occident. http://fr.euronews.com
• Alia Al Jiboury, Guerre Préventive /Guerre préemptive
• Reportage France 2, Discours de Colin Powell devant l’ONU
• Vincent Jauvers, 3 mars 2013. Colin Powell : comment la CIA m’a trompé. interview avec Colin
Powell, L’OBS société
• George W. Bush. Discours du Président Bush à la Nation. 17 mars 2003
• Blair spells out demands on Saddam, 12 mars 2003, The Guardian
• Sophie Albert, Les représailles armées et “l’ingérence démocratique“ des États-Unis en Irak,
actualité et Droit international
• Guerre des Six Jours (1967). http://tsahal.fr
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