phénoménologie des rapports de l'individu au Monde pour mieux cerner les concepts
d'espace, de territoire, de lieu et de territorialité. Et Christian Grataloup, de son côté, préfère
analyser la société elle-même pour mieux montrer que l'espace est une composante interne à
la société et non pas extérieure. Notons que ces « pierres d'angle » entendent toutes élaborer
un édifice qui ne repose pas sur une essence immuable de l'espace.
Les « Diagonales » proposées en deuxième partie souffrent d'encore plus d'éclectisme que les
quatre pierres d'angle de la première. En effet, à travers deux approches transversales très
larges - l'histoire de la discipline ; les relations entre quantité et qualité - cinq chapitres
couvrent des thèmes fort variés. Quoi de commun entre le regard réducteur des historiens
français sur la géographie (P. Garcia), l'écriture qui se voulait transparente des géographes
postvidaliens (O. Orain), et l'intérêt d'étudier le récit en géographie bien qu'il ait été dévalorisé
par la modernité (V. Berdoulay) ? Quoi de commun aussi entre le chapitre de Thérèse Saint-
Julien sur le bilan positif de la quantification en géographie et la méditation d'Hervé Le Bras
sur les propriétés des labyrinthes, qui incite à scruter les brisures de symétrie propres à
l'espace humain ? L'intérêt des divers chapitres est peut-être plutôt à chercher, non dans leurs
liens hypothétiques, mais plutôt dans les pistes qu'ils lancent et l'originalité de leurs
démonstrations. Hervé Le Bras montre ainsi dans son chapitre que la symétrie parfaite d'un
labyrinthe renverrait à la perfection divine, alors que les brisures de symétrie des labyrinthes
médiévaux, correspondent au contraire à la nécessité de tracer des cheminements contingents.
L'intérêt des labyrinthes serait donc de nous inciter à scruter non pas les régularités spatiales
d'un espace physique parfait, mais bien plus les irrégularités de l'espace humain.
La troisième partie - de loin la plus importante - nous plonge dans « l'atelier des géographes
d'aujourd'hui » (p. 155), autour de trois chantiers majeurs de la discipline. La ville, tout
d'abord, est considérée sous l'angle de « l'urbanité ailleurs » (p. 157) - une urbanité indienne,
qui peut être authentiquement urbaine sans être occidentale (O. Louiset) - selon les langages
dans la ville et sur la ville qui configurent les espaces urbains (L. Mondada), et enfin à partir
de la question de la centralité urbaine qui se jouerait autant dans les configurations spatiales
que dans les interactions (L. Devisme). Ensuite, la dimension spatiale du politique est
envisagée à partir des concepts spatiaux utilisés dans les théories de la démocratie, théories
qui deviennent alors métaphoriquement géographiques (N. Entrikin). Dominique Joye
questionne l'actualité de l'idée même de société dans un contexte urbain changeant, où on ne
sait plus comment le lien social se reconstruit. L'adaptation aux spécificités locales et aux
territorialités des différents acteurs en présence, et la prise en compte de leurs ressources,
notamment les services sociaux de proximité, permettraient de reconstituer la relation entre
individus et collectivités et de faire face à l'éclatement des différents modes de gouvernance.
Enfin, Jean-Marc Offner prolonge cette interrogation sur les espaces du politique, en
rappelant que les réseaux techniques transcendent les territoires légitimes des pouvoirs locaux
mais ne les disqualifient pas pour autant. La nature enfin, troisième chantier majeur de la
discipline, est abordée dans une géographie qui, en bonne science sociale, n'isole pas les faits
physiques des faits sociaux (JP Marchand) et qui ne néglige pas la place du milieu à l'heure du
développement durable (O. Soubeyran). Intitulée à juste titre « Jalons », cette troisième partie
de l'ouvrage ne couvre qu'une petite partie des thématiques de la géographie contemporaine.
Ses huit chapitres sont cependant tous marqués par le tournant linguistique et culturel, qui est
présenté comme une tendance réelle de la discipline actuelle.
La partie qui clôt le livre propose des « Seuils » (p. 269-343), plus précisément cinq
ouvertures assez diverses autour du thème du tournant géographique. Elles portent d'abord sur
l'émergence d'un espace mondial, qui invite la discipline à une éducation du rapport au monde