LE DOSSIER MEDICAL INFORMATIQUE - Introduction La numérisation des informations qui caractérise les nos sociétés modernes se traduit, entre autre, dans nos hôpitaux, par la mise en place progressive de l’informatisation des dossiers des patients, le support papier évoluant ainsi vers le support numérique. Cette évolution ne va pas sans poser de multiples questions quant aux changements dans les habitudes de travail, à la relation des soignants à l’objet « dossier médical », aux craintes liées à la sécurité des données ainsi numérisées et dématérialisées, à la facilité de leur accessibilité et transmission et à la perte de confidentialité pouvant en résulter. Le but de cet article n’est pas de traiter tous les problèmes soulevés par l’informatisation des dossiers patients mais plutôt d’évoquer, à travers la mise en place d’un système de dossier numérisé à l’Etablissement Public de Santé Mentale de la Marne, à Chalons en Champagne, il y a une dizaine d’années, les problèmes soulevés, les réflexions menées et les solutions adoptées. -L’Etablissement Public de Santé Mental de la Marne (EPSSM) L’EPSMM gère l’ensemble des structures de psychiatrie publique du département, à l’exception de deux secteurs (adulte et infanto-juvénile) rattachés au CHU Robert Debré de Reims. Il comporte 9 secteurs adultes et 2 secteurs infanto-juvéniles. L’hospitalisation temps plein est répartie sur deux sites : l’un, l’hôpital Pierre Briquet, correspond au site historique de l’Hopital Psychiatrique Départemental, à Chalons en Champagne, l’autre, la Clinique Henri Ey, est situé dans l’enceinte du CHU à Reims et a été crée il y a une vingtaine d’années pour rapprocher les unités d’hospitalisation des secteurs situés sur l’agglomération rémoise. Chaque secteur est équipé en outre, bien sur, d’un ou plusieurs CMP voire CATTP ou HDJ, installés en ville, dans des locaux loués ou achetés par l’Etablissement. Il n’y a pas d’hospitalisation infanto juvénile temps plein et les deux secteurs correspondants disposent de différents locaux (CMPE, CATTP, HDJ)en ville, l’un à Chalons en Champagne, l’autre à Epernay. - Des dossiers patients multiples et cloisonnés Avant l’arrivée du dossier numérique, chaque structure hospitalière et ambulatoire disposait ainsi de son propre dossier patient, avec comme conséquence : - L’absence fréquente de communication écrite entre les différentes équipes soignantes, y compris au sein d’un même secteur (Hospitalisation, CMP, CATTP, HDJ, etc). - Un clivage entre soins intra et extrahospitalier, au détriment de la notion même de secteur. - Clivage majoré en présence de cultures de soin différentes entre différents secteurs, voire parfois à l’intérieur du même secteur. - Des dossiers patients peu accessibles Dans un certain nombre de situations, il était difficile de récupérer le dossier en cas de (ré)hospitalisation. En effet, la régle était que le dossier hospitalier soit archivé au secrétariat du dernier pavillon d’hospitalisation fréquenté par le patient (qui n’était loin d’être toujours le pavillon du secteur du patient, du fait du manque de lits, réduits drastiquement depuis des années, et de la gestion des places en « flux tendu ». Il arrivait donc régulièrement que le psychiatre de garde et l’équipes de soins, accueillant un patient inconnu d’elles, en dehors des heures ouvrables, ne puisse avoir connaissance de son dossier que le lendemain matin, voire le lundi matin en cas de WE. La situation pouvait encore se compliquer en cas d’absence des secrétaires (congés, maladie) et du fait de règles d’archivage différentes d’un secrétariat à l’autre, qui compliquait encore l’éventuelle tentative de récupération par un tiers (cadre de garde, par exemple). - Des exigences réglementaires Elles concernaient :- - d’une part le contenu obligatoire du dossier. o Le passage sur support informatique pouvait laisser espérer une meilleure exhaustivité, grâce à une restructuration des rubriques. d’autre part les débuts, à l’époque, des tentatives d’application du PMSI en psychiatrie. o Le support informatique laissait entrevoir un allégement du travail de recueil de l’activité par une automatisation de celle-ci. - Problématique et enjeux Nous venons donc de voir les difficultés préexistantes à l’arrivée du dossier informatique et les perspectives positives attendues de celle-ci. Cependant, au-delà des bénéfices immédiats, la mise en place du dossier informatisé est venu soulever des questions de fond, non pas d’ailleurs uniquement liées à l’outil lui-même, mais en ce qu’il venait accompagner, révéler et accentuer le sévolutions sociales et politiques qui influent de plus en plus sur les conditions de nos pratiques professionnelles. C’est ainsi que, dans notre établissement, la mise en place de ce dossier, en relançant la question « qu’y écrit on et pourquoi » est venu accélérer et renforcer la prise de conscience des évolutions réglementaires évoquées plus haut. - Du dossier médical vers le dossier du patient Il s’agit de l’évolution du dossier médical, considéré comme œuvre du médecin, recueil de l’intimité de sa pensée, de sa réflexion, voire de quelque saillies littéraires, vers la notion de dossier du patient,tel que définit maintenant dans le Code de Santé Publique, outil de recueil exhaustif des données concernant le patient et instrument de traçabilité des soins le concernant. Il s’agit là quasiment d’un changement de paradigme, qui s’accompagne dans notre spécialité d’enjeux psychiques non négligeables, sensation d’une menace plus ou moins consciente de devoir renoncer à sa pensée, ou au moins d’une perte de confidentialité de celle-ci. - D’une culture orale vers une culture écrite Cette évolution est souvent présentée comme inhérente à toute sociéte « moderne », et sa remise en cause suspecte d’un refus de changement. La formulation renvoie aussi plus ou moins allusivement à un désir régressif d’attachement à des formes « moins évoluée » de l’humanité : préhistoire ou société dites primitives. Elle s’accompagne pourtant d’un risque de perte des éléments les plus subjectifs, ténus et subtils recueillis auprès du patient et de sa famille, partagés avec lui et partageables avec les autres soignants, dans la recherche d’une représentation commune qui participe à la construction du cadre de soin. - Du travail de soin au recueil des actes Les contraintes économiques aboutissent à mettre en avant la valeur marchande du travail de soin au détriment de sa valeur intrinsèque et de sa qualité propre. Parallèlement, la nécessité des comptes à rendre et de l’évaluation induit un surcroit de travail peu valorisant pour les soignants et d’un intérêt peu perceptible dans la qualité du soin au patient. De ce point de vue, l’outil informatique génère à la fois la promesse d’une automatisation de ces tâches, mais en même temps la menace d’une perte de maitrise, voire d’une transparence inquiétante accordée à des tutelles anonymes sur « la vie au travail » de chacun. - De la confidentialité à la transparence ? C’est finalement ce dilemme entre confidentialité et transparence, mais évoquée cette fois du côté du patient, qui a le plus animé les discussions autour de la mise en place du dossier informatisé à l’EPSMM. Peut-être justement parce que c’était une des questions les plus sensibles pour les soignants eux-mêmes (et en premier lieu les médecins) et par conséquent celle avec laquelle ils pouvaient le mieux s’identifier au patient, dans un processus peut être assez projectif. - Mise en application - Choix du Logiciel Le logiciel choisi dans l’établissement est CORTEXTE, édité et développé depuis 1993 par la société CAPCIR, et dédié à la gestion du dossier du patient en établissement psychiatrique. Il existe d’autres logiciels sur le marché mais tous ont en commun d’être des développements de système de gestion de base de données. A ce titre, ils permettent à des utilisateurs identifiés, ayant des droits d’accès plus ou moins étendus, d’avoir accès soit en écriture (création) soit en lecture (consultation) avec les informations contenues dans la base de données. Ces derniers vont donc être structurées selon les nécessités du dossier patient et les orientations de l’établissement : (observations médicales, notes infirmières, compte-rendu de réunion, bilan et suivi psychologique, etc…) Leur accès va de son côté être modulé selon la nature de chaque catégorie d’utilisateur et c’est là qu’intervient justement la question de la confidentialité des données. La difficultés est de trouver un équilibre entre l’accessibilité aux données et le respect de leur confidentialité. Il serait par exemple tout à fait possible d’ouvrir des droits d’accès de tous les soignants d’un établissement à l’ensemble des données de tous les patients, l’accessibilité serait alors idéale, le patient aurait la garantie que, quelque soit le soignant qu’il rencontre, les circonstances les plus imprévues, ce dernier aurait en main tous les éléments nécessaires pour adapter (théoriquement en tout cas) sa conduite thérapeutique. Par contre, on imagine bien qu’il n’y aurait plus aucune confidentialité, puisque ce serait comme offrir à chacun un exemplaire de la clef du secrétariat de chaque service et des archives de l’hôpital. A l’inverse, restreindre l’accès au dossier au seul médecin référent du patient serait une garantie, en principe forte, de respect de la confidentialité mais l’accessibilité ainsi restreinte lui ôterait toute valeur d’outil de soins au service du patient, et sortirait par ailleurs du cadre légal définissant le dossier du patient. - Elaboration des règles de confidentialité et de gestion des accès o Une procédure collégiale : Ces différentes discussions concernant le paramétrage du logiciel, notamment quant au droit d’accès des utilisateurs s’est fait au sein d’un Collège Technique de l’Information Médicale (CTIM) présidé par le médecin responsable du SIM (Service d’Information Médicale) et ou était représenté chacun des secteurs psychiatriques de l’établissement. La règle de décision était celle de l’unanimité, à défaut, la question litigieuse était rapportée devant la CME, appelée alors à se prononcer, ce qui s’est produit à quelques rares reprises. Le Médecin du SIM est resté vigilant dans l’articulation permanente des nécessités réglementaires, des contraintes techniques, et des préoccupations éthiques. Celles-ci ont en effet toujours été au centre des débats, rappelées sans cesse notamment par ceux de nos collègues engagés dans le mouvement de la psychothérapie institutionnelle. o Des règles de confidentialité renforcées : Actuellement, le travail engagé a donc abouti aux règles suivantes : Chaque utilisateur de Cortexte ne peut se connecter qu'avec un identifiant et un mot de passe personnel et unique. En cas d'erreur, l'accès est désactivé après trois tentatives infructueuses et il faut faire appel à un tiers (soit le SIM, soit un autre utilisateur "valide" ) pour réactiver l'accès. Chaque soignant a accès aux dossiers de son service en lecture, mis ne peut écrire, évidemment que dans la rubrique correspondant à sa catégorie. Les rubriques du dossier patient se limitent à celles strictement prévues par les textes. Les fonctions de recherche de patient dans l’ensemble de la base de données à partir des renseignements partiels (nom ou prénom, ou date de naissance) ont été désactivées de façon à limiter le risque de « furetage » lié à une curiosité mal placée. Une recherche de patient par les trois premières lettres de son nom reste possible, mais réservée aux seuls soignants de son secteur (et ceux-ci ne verront apparaître que les patients de leur secteur). Une proposition avait été faite que l’accès au dossier nécessite l’entrée complète du nom de famille, du prénom et de la date de naissance, mais était techniquement impossible dans l’état du logiciel, et aurait entraîné trop de risques de ne plus avoir l’accès à certains dossiers (en effet, plus les informations demandées pour une recherche de dossier sont complexes, plus le risque d’erreur est important). Il reste malgré tout une possibilité d’accéder au dossier d’un patient inscrit dans la base de données, en tentant de créer un nouveau dossier avec le nom de la personne «recherchée ». Le logiciel va alors signaler qu’il existe déjà un dossier à ce nom et va proposer soit d’en créér un nouveau soit de récupérer l’existant (c’est un processus necessaire pour éviter la création de doublons) L’ouverture du dossier va alors inscrire le nom de la personne ayant fait la recherche , dans une " liste des utilisateurs" spécifique à ce dossier et consultable dans celui-ci, mais il s’est avéré à l’usage que très peu de soignants pensaient à consulter cette liste. Il a donc été introduit une nouvelle modalité de soins, dite « consultation dossier » qui est générée automatiquement à chaque ouverture d’un dossier patient par un utilisateur extérieur au service.et apparaitra alors dès l'affichage du dossier Enfin, il a été créé une modalité particulière de consultation de dossier, limitée aux médecins et psychologues, pour certains patients susceptibles d’exacerber une curiosité indésirable (personnages publics et/ou médiatiques, membre de la famille de soignants, etc.). -Conclusion Lors des échanges avec les autres Etablissements utilisateurs de Cortexte il est apparu que notre établissement est un de ceux qui s’est choisi le niveau de celui de confidentialité des données le plus élevé. Tout ceci ne s’est pas fait en un jour, le processus de réflexion a constamment évolué au fur et à mesure de la familiarisation croissante des utilisateurs avec le logiciel, de la prise de conscience consécutive de ses possibilités, ses limites et ses failles, et des évolutions apportées par l’éditeur. Ce processus reste par ailleurs ouvert et une vigilance toujours active nécessaire.