SPEECH/07/293 José Manuel Durão Barroso Président de la Commission européenne Europe: une société ouverte dans la mondialisation Forum international "Economie et société ouverte Milan, 8 mai 2007 Monsieur le Président du Conseil, Monsieur le Président (de l'université Bocconi, M. Monti), Monsieur le Président (du Corriere della Sera – Prof. Marchetti), Madame le Maire de Milan (Sindaco di Milano Letizia Moratti), Messieurs les Présidents de la Région de Lombardie (Roberto Formigoni) et de la Province de Milan (Luigi Penati) Mesdames et Messieurs, Je suis très honoré de me trouver ici pour ouvrir ce vaste débat organisé par l'université Bocconi et le journal Corriere della Sera, deux véritables institutions de la vie italienne qui nous accueillent aujourd'hui, avec la complicité de la ville de Milan et de son maire. Je tiens à vous dire mon bonheur de me trouver avec vous, en Italie. Il y a quelques jours, j'ai donné une interview à la presse belge et j'ai dit que l'Europe avait une richesse de culture et de civilisation inouïe, et que, de ce point de vue, l'Italie était pour moi le summum. Je tiens à vous signaler que, n’ayant reçu aucune plainte d'autres États membres, je suis fondé à croire que c'est vrai! Milan a une "valeur sentimentale" particulière pour l'Europe puisqu'elle a accueilli, en juin 1985, la célébration d'un Conseil européen historique, celui qui a jeté les bases de l'achèvement d'un espace européen sans frontières et celui de la signature de l'Acte unique européen, la première grande réforme des traités de Rome, dont nous fêtons cette année le cinquantième anniversaire. Je souhaite donc remercier chaleureusement les coorganisateurs de notre rencontre, les Professeurs Mario Monti et Piergaetano Marchetti, de m'avoir invité ici. Je remercie l'Université Bocconi, lieu de grand prestige international, qui contribue depuis toujours – et avec succès - à former la classe dirigeante italienne. Je remercie aussi le Corriere della Sera, journal qui joue un rôle fondamental dans le monde de l'information et dans le débat politique ouvert, pluraliste et démocratique en Italie. Vous me proposez aujourd'hui de parler d'économie et société ouverte - ou comment concilier les changements économiques actuels et la société européenne confiante que nous voulons tous contribuer à bâtir. Je voudrais dire d'emblée que, pour l'Europe, l'ouverture est une « caractéristique de naissance". Si vous me passez l'expression, l'Europe fait de l'ouverture comme elle respire! L'ouverture est au premier rang de nos valeurs depuis notre origine. Le traité de Rome, il y a 50 ans, prévoyait un marché ouvert et un espace de libertés qui se sont extraordinairement étendues au fil du temps. Aujourd'hui, les quatre libertés de circulation du marché unique sont profondément ancrées dans la vie de notre continent et de nos citoyens. La société ouverte, c'est aussi une notion philosophique "inventée" par l'Europe. La société ouverte d'Henri Bergson, c'est la société des libertés politiques et des droits de l'homme, celle de la confiance entre pouvoir politique et citoyens, celle du gouvernement tolérant et transparent. La société ouverte de Karl Popper, c'est celle de la démocratie, une société pluraliste et multiculturelle. 2 L'Europe est bien le creuset par excellence d'une société démocratique, libre, pluraliste et multiculturelle. Les citoyens sont profondément attachés à ces piliers de leur vie en commun. Mais en ce début de 21e siècle mondialisé, ils aspirent, au fond, à plus d'égalité des chances dans une société du bien-être économique et social qui soit fidèle à ses valeurs d'ouverture, de solidarité et de respect de la diversité. Ils veulent un modèle de développement qui garantisse un mode de vie "à l'européenne". Je crois que c'est en répondant à ces aspirations que le politique renouera un lien de confiance quelque peu distendu avec les citoyens. Pour l'Europe, l'ouverture est donc une question fondamentale, une question de valeurs, une condition de notre prospérité collective, mais aussi un facteur de réalisation de la personne. Alors comment donner corps à cette ouverture quand la mondialisation est là et que l’Europe est inquiète ? L'ouverture et l'inquiétude ne font pas bon ménage. Il faut donc commencer par désamorcer les inquiétudes des citoyens, qui poussent au repli. Le meilleur antidote à ces peurs consiste à donner aux Européens les armes pour être les gagnants de la mondialisation. La mondialisation entraîne, naturellement, des défis ou des menaces – passage de l'emploi industriel à l'emploi tertiaire, besoin de qualifications de plus en plus élevées, difficulté d'orientation professionnelle des personnes peu qualifiées, inégalités de revenus et inégalités régionales, nécessité de réussir l'intégration des immigrants légaux que nous accueillons. L'Europe et ses États membres doivent gagner la bataille de la mondialisation. Notre premier atout pour y parvenir, c’est notre marché intérieur. Consacré par le traité de Rome, le marché intérieur est une « success story » qui nous a apporté cinquante ans de prospérité, de création d’emploi et de richesse. C’est un formidable outil d’efficacité économique. La Commission européenne en est la garante et assume toutes ses responsabilités. Elle a pour fonction de défendre le marché intérieur, les règles de la concurrence, le respect du droit communautaire, et de s’attaquer aux pratiques qui faussent le libre fonctionnement du marché. Or le Président Prodi, mon prédécesseur, et le Professeur Mario Monti, qui a exercé pendant deux mandats, la charge de commissaire au Marché intérieur et à la Concurrence, le savent bien : dans l'application des règles propres au marché intérieur et à la politique de la concurrence la Commission européenne est l’objet de fortes pressions pour l'amener à suivre une ligne moins « rigide ». Je veux le dire clairement : ne nous y trompons pas, remettre en cause ce marché intérieur, qui est la condition de l’économie ouverte, c’est aussi remettre en cause le projet même d’intégration européenne. C’est remettre en question un fondement essentiel de notre projet européen commun et remettre en cause les compétences de la Commission. On ne peut pas défendre l’Europe politique sans respecter les compétences des institutions européennes. Si on laissait aux États membres la responsabilité de décider des questions qui relèvent du marché intérieur, je crois que nous risquerions d’en signer rapidement la fin ! C’est pourquoi la méthode communautaire doit prévaloir sur un nationalisme économique, que la mondialisation rend caduc en soi. Il faut au contraire renforcer cette méthode, lui permettre de jouer tout son rôle; c'est le meilleur moyen dont nous disposons pour appuyer les efforts des États membres. 3 Car les États membres ont de leur côté, pour faire face à la mondialisation, une responsabilité qui leur est propre: celle de mettre en place les mécanismes d’ajustement nécessaires. Autrement dit, ils ont toute latitude pour mener les réformes structurelles et les politiques sociales indispensables, à l’intérieur d’un marché européen qui fonctionne. Personne ne voudrait mettre en place des systèmes de sécurité sociale au niveau européen, par exemple ! C’est bien que l’on considère que les compétences doivent être clairement réparties. Il n’empêche que pour réussir, le partenariat entre les institutions européennes et les États membres est absolument indispensable. C'est en ouvrant ensemble nos économies à la mondialisation qu'en Europe, nous contribuerons à redonner à une société dynamique les moyens d'avoir confiance en elle-même et dans l'avenir. Ces deux dimensions sont intimement liées. Ouverture des marchés et ouverture de la société vont de pair et se renforcent mutuellement. De la même manière qu'il faut concilier compétitivité et équité. L’Europe, d’ailleurs, est là aussi présente, à la place qui est la sienne. Je ne citerai que l’exemple du Fonds d’ajustement à la mondialisation que nous venons de créer. Sur le plan extérieur, comment faire ? Là aussi, il faut renforcer le marché intérieur, car la mondialisation est une question de dimension. Face à la puissance démographique de la Chine, c’est une évidence. Face à la puissance économique et financière des États-Unis, c’est une évidence. Face à la dimension géographique de la Russie, c’est aussi une évidence. Pour les États membres, le bon niveau d'action est donc bien celui de l'Europe. C'est en nous appuyant sur la force de frappe de l'Union, sur la coopération intracommunautaire et sur le filet des solidarités européennes que nous mettrons toutes les chances de réussite de notre côté. C'est par la croissance économique que l'Europe offrira à ses citoyens la première des justices sociales, c'est-à-dire l'emploi. C'est par l'éducation et la formation – c'est-à-dire par un investissement massif dans le capital humain – que nous favoriserons l'égalité des chances pour tous et que nous ouvrirons des perspectives à chacun. C'est par une politique déterminée de recherche et d'innovation que nous tiendrons notre rang dans l'économie du 21e siècle, celle de la connaissance. C'est par la cohésion économique et sociale que nous corrigerons les inégalités de développement entre les régions. C'est par une politique énergétique concertée que nous assurerons notre sécurité, que nous consommerons mieux et que nous préparerons l'avenir en amorçant la nécessaire transition vers les énergies renouvelables. C'est par une lutte commune déterminée contre le changement climatique que nous répondrons à la volonté des Européens citoyens du monde de léguer un environnement préservé et viable à leurs enfants. 4 En adoptant sa stratégie de Lisbonne, l'Europe accomplit sa part du chemin pour apporter son soutien aux États membres. Cette stratégie entend moderniser et ouvrir nos modèles économiques et sociaux, sans porter atteinte à leur diversité. Elle veut réconcilier l'économie de l'avenir – celle des hautes technologies, de la recherche et de l'économie de réseau –, avec les besoins fondamentaux de la société européenne – entrée des jeunes sur le marché du travail, maintien des travailleurs plus âgés sur ce marché, santé, mobilité, meilleur équilibre entre les générations, meilleure conciliation entre vie privée et vie professionnelle, anticipation du vieillissement démographique. C’est en travaillant en partenariat confiant avec l’Europe, chacun assumant ses propres responsabilités dans le cadre de ses propres compétences, que les États membres protégeront leurs citoyens des effets négatifs de la mondialisation, et non en fermant les frontières. C’est en préservant les acquis européens que les États membres protégeront les citoyens, et non en les démantelant. C’est en approfondissant les réformes structurelles et les politiques sociales ouvertes que les États membres protégeront les citoyens, et non en accusant l’Europe de tous les maux. C'est, en un mot, en renforçant les moyens pour protéger nos citoyens mais sans être protectionniste que l'Europe réussira sa mondialisation! Mesdames et Messieurs, Pour relever tous les défis que je viens d'évoquer, il faut à l'Europe des moyens d'action qui soient à la fois plus adaptés à sa taille actuelle, à 27, et plus conformes aux aspirations des citoyens de notre société ouverte, qui veulent plus de démocratie et de transparence dans les décisions européennes. Il faut aussi que l'Europe "joue dans sa catégorie" en matière de politique étrangère. Le prochain Conseil européen de juin, sous la présidence allemande, devrait fixer une feuille de route qui nous conduira jusqu'en 2009, à l'élection du Parlement européen. Il faudra qu'à cette date butoir, nous ayons trouvé une solution institutionnelle qui améliore notre fonctionnement et notre mode de décision. Cette réforme institutionnelle est indispensable. Je voudrais rappeler sur ce point une citation de Jean Monnet: " Rien ne se crée sans les hommes. Rien ne dure sans les institutions ». Nous avons besoin d’institutions fortes parce que l'Europe de ce début de 21e siècle doit avoir les moyens de prendre son destin en main. Parce que la mondialisation doit se faire avec nous. Et parce que le monde a besoin d'une Europe qui défende et fasse rayonner ses valeurs. Je suis confiant. J’ai la conviction que nous trouverons une solution qui nous donnera une capacité d’agir à la hauteur des défis à relever. 5