FS : Pourtant, vos eaux de fond ne sont pas les mêmes que les eaux de surface ?
L’océan : Eh non ! Les transports d’eau verticaux sont typiquement mille fois plus faibles que les
mouvements horizontaux. Je suis fait de couches d’eau qui glissent les unes sur les autres… Les
différences entre ces couches tiennent surtout à la température et à la salinité, qui donnent à mes
eaux leur densité. Les plus lourdes (plus froides ou plus salées) sont en bas et les plus légères (plus
chaudes ou moins salées) sont au-dessus. C’est tout simple.
FS : Et pourquoi votre eau bouge-t-elle tout le temps ? Dans un lac, il n’y a que très peu de
courant.
L’océan : Figurez-vous, mon ami, que la Terre tourne. Ma masse représente une certaine inertie. À
chaque instant, surtout vers l’équateur, le sol se dérobe sous mes eaux, filant vers l’est. Alors moi, je
semble aller vers l’ouest. Voyez le courant équatorial… Et quand mes courants rencontrent des
continents, il faut bien qu’ils tournent.
FS : Alors, le Gulf Stream ne pourra jamais s’arrêter ?
L’océan : C’est peu probable en effet. Mais d’autres phénomènes me mettent en mouvement. Il y a
les vents ! Ils n’arrêtent pas de pousser mes eaux de surface. Prenez les alizés. Entre, disons, 20°
nord et 20° sud, ils soufflent toujours vers l’ouest (la rotation de la Terre doit y être pour quelque
chose). Et quand mes eaux butent sur les Amériques, elles bifurquent vers les hautes latitudes, et là,
elles sont poussées par des vents d’ouest.
C’est cela qui me fait tourner dans tous les sens. Et même dans le sens vertical ! Par exemple, quand
une eau assez salée arrive dans une zone où la température est plus faible, elle refroidit et devient
donc plus dense. Si elle est plus lourde que l’eau d’en dessous, plouf, elle plonge. C’est ce qui arrive
à l’eau du Gulf Stream l’hiver en mer de Norvège. Elle coule et finit par redescendre dans
l’Atlantique vers le sud, en profondeur. Dans le Labrador, en hiver toujours, c’est pire. L’eau se
refroidit bien plus encore. Et le gel de l'eau en surface forme la banquise mais laisse la plus grande
partie du sel dans l'eau. Très froide et très salée, c’est l’eau la plus lourde du monde. Quand elle
retourne dans l’Atlantique, elle coule à pic et se retrouve au fond. On la retrouve jusque dans le
Pacifique et l’océan Indien (même si elle met des siècles à faire le voyage). Chez ma copine la
Méditerranée, il arrive la même chose au pied de Venise. L’eau refroidie en hiver s’écoule au fond
de l’Adriatique et s’étale sur le fond. En d'autres endroits, quand les vents éloignent les eaux de la
côte, ils créent une sorte d'aspiration qui fait remonter les eaux de fond.
Schéma de la circulation océanique globale. En hiver, dans les régions polaires, le refroidissement et la formation de la banquise, laquelle fait grimper la salinité,
augmentent la densité de l’eau, qui tend alors à descendre vers le fond. C’est le courant froid profond qui circule tout auto ur de la planète. En surface, les eaux
suivent le mouvement inverse, transportant d’énormes quantités de chaleur. Les petites flèches entre l’Europe et le Groenland, au niveau de la mer de Norvège,
montrent l’étalement en surface des eaux chaudes du Gulf Stream, en été. © Planet Observer/INSU