Les océans pour les nuls
Par Jean-Luc Goudet, Futura-Sciences
Comment est fait l’océan mondial ? Comment se met en marche la mécanique des courants ?
Quels sont ses rapports avec sa compagne latmosphère ? Pour le savoir, Futura-Sciences a
fait au plus simple : en lui tendant le micro. Plus causant qu’on ne l’imagine, l’océan nous a
parlé…
Il couvre plus de 70 % de la surface de la Terre. De l’espace, c’est surtout lui que l’on voit, avec les
nuages. Pourtant, c’est l’endroit le plus mal connu de la planète, aujourd’hui moins bien
cartographié que Mars. Pourtant, une armée de scientifiques le parcourt et l’étudie sans répit depuis
longtemps. Les premières études systématiques puis les premières expéditions de longues durées, à
commencer par la pionnière du genre, celle du Challenger (1872-1876), remontent au XIXe siècle.
Ces travaux aboutissent au fondement d'une nouvelle science : l’océanographie.
Les scientifiques explorent alors un monde très mal connu, presque une autre planète, et doivent
forger de nouvelles méthodes de travail, imaginer de nouveaux concepts et entretenir une large
pluridisciplinarité. Physiciens, géologues, chimistes et biologistes doivent se lire les uns les autres et
les météorologues rejoindront vite le bataillon.
Après un siècle et demi de labeur, l’océan mondial une expression utilisée par les océanographes
est vu comme une machinerie complexe, en interaction avec l’atmosphère et les écosystèmes. Il
méritait bien un mois spécial et, d’abord, de se présenter lui-même…
Vue de l'espace, la Terre mérite mal son nom... © Nasa
Futura-Sciences : Bonjour, océan mondial. Merci de nous recevoir et d’accepter de répondre à
nos questions.
L’océan : C’est tout naturel. J’espère que mes réponses ne seront pas trop vagues et suffisamment
profondes… (rire)
FS : Tout d’abord, comment allez-vous ?
L’océan : Je vais très bien, merci. J’ai juste pris un peu d’embonpoint ces derniers temps
FS : Vous voulez parler du réchauffement climatique, qui fait monter le niveau de la mer ?
L’océan : C’est cela même. Mais vous savez, j’ai l’habitude. En 4 milliards d’années, j’ai eu des
hauts et des bas. Mon épaisseur (enfin... le niveau de la mer comme vous dites) a varié de plusieurs
centaines de mètres… Il n’y a pas si longtemps, durant les dernières grandes glaciations, ma surface
était environ 120 mètres plus bas qu’aujourd’hui. Depuis, je reprends du poil de la bête. Sur les 150
dernières années, le phénomène s’est accéléré : j’ai gag2,50 mètres en hauteur. C’est rapide. Je
crois que c’est un peu de votre faute. Moi, en fait, cela ne me dérange pas trop. C’est plutôt votre
problème… Je suis en train de rogner vos côtes et c’est là que vit la majorité de l’Humanité.
FS : Pourquoi cet embonpoint ? Vous mangez trop ?
L’océan : Disons que je bois trop d’eau douce, celles des glaciers continentaux et des inlandsis, ces
grandes couvertures glaciaires du Groenland et de l’Antarctique, qui enferment d’énormes quantités
d’eau et qui se réduisent quand le climat est plus chaud. Mais ce qui me fait gonfler, c’est surtout
l’élévation de température de mes eaux superficielles. Disons les premières centaines mètres. Quand
elles sont plus chaudes, elles occupent davantage de volume (leur densité diminue).
Le 17 octobre 2009, le gouvernement des Maldives se réunit symboliquement sous l'eau. Le président Nasheed signe l'appel à lutter contre les émissions de CO2 qui
conduisent à élever le niveau des mers, menaçant la survie des sociétés vivant sur des îles peu élevées. © The President's Office, République des Maldives
FS : Les eaux profondes ne se réchauffent donc pas ?
L’océan : Pas beaucoup. Je ne vais pas vous apprendre que l’eau chauffe moins facilement que l’air,
tout de même. Quand vous prenez un bain chez moi, vous finissez par grelotter même quand mon
eau est à la même température que l’air…
FS : C’est vrai que vous êtes très profond.
L’océan : Ce n’est pas tout à fait vrai, en fait. Il faut bien se rendre compte de mes dimensions et de
mes proportions. Vous les humains, du haut de vos deux petits mètres, vous voyez en moi des
profondeurs insondables. Mais je ressemble plutôt à une feuille de papier. Ce n’est pas difficile à
comprendre. Je fais le tour de la Terre, ou presque. Je mesure donc environ 20.000 kilomètres,
tandis que ma profondeur moyenne est de 4 kilomètres, et n’oubliez pas que mes fonds sont pour
l’essentiel très plats. Prenez une piscine longue de 20 mètres avec une couche d’eau de 4
millimètres : c’est à peu près moi en modèle réduit.
FS : Pourtant, vos eaux de fond ne sont pas les mêmes que les eaux de surface ?
L’océan : Eh non ! Les transports d’eau verticaux sont typiquement mille fois plus faibles que les
mouvements horizontaux. Je suis fait de couches d’eau qui glissent les unes sur les autres… Les
différences entre ces couches tiennent surtout à la température et à la salinité, qui donnent à mes
eaux leur densité. Les plus lourdes (plus froides ou plus salées) sont en bas et les plus légères (plus
chaudes ou moins salées) sont au-dessus. C’est tout simple.
FS : Et pourquoi votre eau bouge-t-elle tout le temps ? Dans un lac, il n’y a que très peu de
courant.
L’océan : Figurez-vous, mon ami, que la Terre tourne. Ma masse représente une certaine inertie. À
chaque instant, surtout vers l’équateur, le sol se dérobe sous mes eaux, filant vers l’est. Alors moi, je
semble aller vers l’ouest. Voyez le courant équatorial… Et quand mes courants rencontrent des
continents, il faut bien qu’ils tournent.
FS : Alors, le Gulf Stream ne pourra jamais s’arrêter ?
L’océan : C’est peu probable en effet. Mais d’autres phénomènes me mettent en mouvement. Il y a
les vents ! Ils n’arrêtent pas de pousser mes eaux de surface. Prenez les alizés. Entre, disons, 20°
nord et 20° sud, ils soufflent toujours vers l’ouest (la rotation de la Terre doit y être pour quelque
chose). Et quand mes eaux butent sur les Amériques, elles bifurquent vers les hautes latitudes, et là,
elles sont poussées par des vents d’ouest.
C’est cela qui me fait tourner dans tous les sens. Et même dans le sens vertical ! Par exemple, quand
une eau assez salée arrive dans une zone la température est plus faible, elle refroidit et devient
donc plus dense. Si elle est plus lourde que l’eau d’en dessous, plouf, elle plonge. C’est ce qui arrive
à l’eau du Gulf Stream l’hiver en mer de Norvège. Elle coule et finit par redescendre dans
l’Atlantique vers le sud, en profondeur. Dans le Labrador, en hiver toujours, c’est pire. L’eau se
refroidit bien plus encore. Et le gel de l'eau en surface forme la banquise mais laisse la plus grande
partie du sel dans l'eau. Très froide et très salée, c’est l’eau la plus lourde du monde. Quand elle
retourne dans l’Atlantique, elle coule à pic et se retrouve au fond. On la retrouve jusque dans le
Pacifique et l’océan Indien (même si elle met des siècles à faire le voyage). Chez ma copine la
Méditerranée, il arrive la même chose au pied de Venise. L’eau refroidie en hiver s’écoule au fond
de l’Adriatique et s’étale sur le fond. En d'autres endroits, quand les vents éloignent les eaux de la
côte, ils créent une sorte d'aspiration qui fait remonter les eaux de fond.
Schéma de la circulation océanique globale. En hiver, dans les régions polaires, le refroidissement et la formation de la banquise, laquelle fait grimper la salinité,
augmentent la densité de l’eau, qui tend alors à descendre vers le fond. C’est le courant froid profond qui circule tout auto ur de la planète. En surface, les eaux
suivent le mouvement inverse, transportant d’énormes quantités de chaleur. Les petites flèches entre l’Europe et le Groenland, au niveau de la mer de Norvège,
montrent l’étalement en surface des eaux chaudes du Gulf Stream, en été. © Planet Observer/INSU
FS : Vous êtes donc très lié avec l’atmosphère ?
L’océan : Je ne pourrais pas exister sans elleEt, sans moi, elle serait bien différente. Avec près
des deux tiers de la surface terrestre, c’est moi qui capte la majeure partie de l’énergie solaire. En
plus, elle laisse passer la plus grande partie de la lumière, alors que moi, je l’absorbe presque
complètement en 150 mètres. Quand mes eaux se réchauffent, elles transportent la chaleur plus loin
(par exemple le Gulf Stream vers l’Europe). Mais je garde longtemps ma chaleur. Chez moi, sur les
côtes, l’eau est plus chaude au début de l'automne qu’en été. Alors que d’un jour à l’autre, et même
du matin au soir, l’atmosphère change, se refroidit, s’échauffe, envoie l’air très loin, avec des vents
très rapides. Elle est un peu excitée, l'atmosphère. Moi, je suis un grand calme. Mes courants sont
lents et, chez moi, l’eau reste (typiquement) des milliers d’années avant de s’évaporer. Puisque vous
parlez beaucoup de changement climatique en ce moment, je vous signale que je suis en train de
vous stocker du dioxyde de carbone...
FS : Voulez-vous dire que vous êtes un puits carbone ?
L'océan : Pas vraiment, mais un temporisateur quand le CO2 varie rapidement dans l'atmosphère,
oui. Les eaux froides et salées que j'enfouis pour des siècles à quatre kilomètres de la surface
embarquent le dioxyde de carbone qui s'est dissous en surface. Ce gaz finit par ressortir dans les
zones de remontées d'eau (vos savants disent upwellings), bien sûr, mais quand les variations sont
rapides, comme en ce moment, eh bien je constitue un tampon.
FS : Merci, océan...
L'océan : Oh vous savez, depuis quelques siècles, j'ai l'habitude. Vous vous servez de moi comme
d'une poubelle. Aujourd'hui, je porte des milliards de minuscules déchets plastiques par exemple,
sans parler de vos marées noires que je mets des années à nettoyer.
FS : Désolé...
L'océan : Pas grave. Il y a des chances que je vous survive... Et puis, je suis heureux de voir vos
efforts touchants pour essayer de comprendre comment je fonctionne, pour explorer mes abysses ou
pour étudier mon précieux plancton.
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