Visage humain et fonction thyroïdienne

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Visage humain et fonction thyroïdienne
Jean-Jacques Richard
médecin honoraire et anthropologue
L'influence de l'âge comme celle du sexe sur l'aspect du visage est évidente,
de même que l'histoire personnelle de chacun et son mode de vie. Les différentes
nuances de pigmentation ont fait l'objet de nombreuses études. Mais la génétique
de l'aspect de notre tête garde encore beaucoup de mystères, d'autant plus que de
nombreux gènes sont certainement impliqués à des degrés divers dans sa variété
infinie. Et en quoi et pourquoi notre visage varie-t-il en fonction des régions du
globe? Certains gènes ont-ils une influence prépondérante? Bertrand Jordan
m'écrivait en 2015: "La tendance actuelle dans les études sur la génétique de la
forme du visage(...) débouche sur la mise en évidence d'un grand nombre de
gènes. Votre hypothèse attribuant un rôle important à un seul gène paraît bien trop
simple par rapport aux connaissances actuelles; cela ne signifie pas
nécessairement qu'elle soit fausse, mais accroît le scepticisme à son égard."
Et si on vérifiait malgré tout?
B.A.BA DE GENETIQUE POUR LES NULS
Le corps est constitué de cellules dont le noyau contient des chromosomes,
supports des gènes dont la principale molécule est l'ADN. Cet ADN (acide
désoxyribonucléique) est composé entre autres de quatre bases, l'adénine (A), la
cytosine (C), la guanine (G) et la thymine (T) dans un ordre déterminé , avec de très
nombreuses variations. L'une de ces principales sortes de variations est l'existence
des SNP (de l'anglais single nucleotide polymorphism) dont le nombre de formes
répertoriées s'accroît régulièrement. En ce qui concerne par exemple le gène
SLC16A2 dont nous aurons l'occasion de reparler, le nombre de SNP décrits était
en juillet 2015 de 1558; depuis 2016, il est passé à 3615. Certaines formes de SNP
peuvent être pathologiques. La grande majorité d'entre elles concernent
cependant des formes sans caractère anormal connu. Le site GeneCards sur
Internet s'est montré précieux pour cette étude dans laquelle il a été très utilisé.
LA FONCTION THYROÏDIENNE
L'influence sur le visage, même chez l'adulte, des problèmes thyroïdiens est
connue de très longue date. L'une des formes les plus fréquentes de
l'hyperthyroïdie, décrite en 1840 par le médecin allemand Carl von Basedow, est
une maladie qu'on appelle aussi goitre exophtalmique. Elle a une composante
génétique certaine (formes familiales, concomitance fréquente chez les vrais
jumeaux), et touche le plus souvent la femme de 40 à 60 ans. Elle se manifeste,
entre autres, par un amaigrissement et une exophtalmie, c'est à dire par une saillie
anormale du globe oculaire hors de l'orbite. Elle correspond à un trouble des
diverses formes d'hormone thyroïdienne agissant en excès.
A l'inverse, l'insuffisance thyroïdienne de l'adulte ou myxœdème est décrite comme
entraînant une infiltration myxœdémateuse du visage, des traits épaissis, un teint
jaunâtre, une dépilation (cheveux, sourcils, toison pubienne et axillaire), et une
peau sèche et froide.
Si les troubles de la fonction thyroïdienne peuvent entraîner chez l'adulte certaines
modifications du visage, on peut imaginer à quel point chez l'enfant ou même dans
les premiers instants de la vie, l'influence de cette fonction peut être déterminante.
En 1959, Marthe Gauthier et Jérôme Lejeune découvraient la nature d'une
affection congénitale sous la forme d'un chromosome surnuméraire, le
chromosome 21 qu'on trouve en 3 exemplaires au lieu de 2 chez le sujet atteint. Ce
handicap, la trisomie 21 qu'on appelait jusqu'alors mongolisme depuis que ce
terme avait été introduit en 1866 en Europe par un médecin anglais, présente,
outre de nombreux troubles, des particularités du visage connues de tous. C'est
finalement un travail de 1988 sous la direction de Lejeune(1) qui m'a mis sur la
piste d'une hypothèse à vérifier: on y signalait l'importante augmentation dans la
trisomie 21 de la TSH ou thyréostimuline (hormone anté-hypophysaire), et un
grave déficit de la rT3, forme inactive ou à effet inverse selon les auteurs, de
l'hormone thyroïdienne. En recherchant ce qui, au niveau génétique dans le
domaine thyroïdien, peut présenter des particularités selon les populations, il
semble(2) que le seul gène nettement dans ce cas soit le SLC16A2.
LE GENE SLC16A2
Ce gène est situé sur le chromosome X, que la femme a en deux exemplaires et
l'homme en un seul, la paire chez lui étant complétée par le chromosome Y. Il
génère un transporteur des hormones thyroïdiennes comme plusieurs autres
gènes. Certains de ses SNP coïncident avec une affection congénitale appelée
syndrome d' Allan-Herndon-Dudley qui entraîne, d'après le site MalaCards,
plusieurs troubles neurologiques et, dans 90% des cas, une étroitesse de la face et
des anomalies de la fente palpébrale. La plupart de ses SNP ne sont pas réputés
pathogènes. Ils ont surtout une particularité: leur répartition entre les diverses
populations mondiales présente des différences beaucoup plus nettes que pour
les autres gènes impliqués dans le métabolisme thyroïdien. Le site Ensembl sur
Internet permet de constater ces différences. Elles sont surtout fréquentes dans les
premiers SNP répertoriés. Sur les 50 premiers classés début 2016, 19 SNP
présentaient entre les Européens et les Asiatiques d'Extrême-Orient des
différences entre 60 et 81% (65%en moyenne), les sujets originaires d'Afrique SudSaharienne et ceux d'Amérique Centrale se situant généralement entre les deux.
Voici sur ce tableau six d'entre eux à titre d'exemple.
enzyme qui agit sur la fonction thyroïdienne en catalysant l'activation des diverses
formes de l'hormone thyroïdienne dont la forme rT3. Plusieurs études dont celle de
Kuiper(3) en 2003 signalent ses particularités dans le monde animal, et
particulièrement les différences de métabolisme de la rT3 chez le chat par rapport
à l'homme, au cochon et surtout au rat. Plus intéressante encore serait l'étude dans
la même espèce de races à la tête très différente comme par exemple chez le
chien un bouledogue, un chihuahua, un pitbull ou un léonberg. Leur gène
Slc16a2, situé sur le chromosome X, y est-il pour quelque-chose ? Affaire
à suivre...
QUELLE RECHERCHE ?
Revenons à nos moutons, je veux dire à l'espèce humaine. Quelles recherches
envisager? Si des particularités au niveau SNP du gène SLC16A2 ont une
influence sur des singularités du métabolisme de la fonction thyroïdienne pouvant
se répercuter sur l'aspect du visage, il semblerait logique que cela concerne non
pas un seul, mais un ensemble de SNP. Comparer les SNP du gène SLC16A2
dans des populations géographiquement très éloignées a déjà été réalisé, sans
tenir compte cependant de l'aspect du visage. On pourrait dans un premier temps
prendre une même population, par exemple des Européens d'origine, mais en les
séparant en deux groupe: d'une part, des Européens avec de grands yeux, un nez
assez grand, plutôt aquilin, un visage étroit, allongé aux pommettes non saillantes,
donc avec un visage très différent de notre représentation habituelle des
Asiatiques, d'autre part des Européens ne répondant à aucun de ces critères. Des
résultats équivalents dans les deux groupes rendraient l'hypothèse d'une relation
entre le gène et l'aspect du visage à peu près nulle. Le même genre
d'expérimentation pourrait être faite entre des Asiatiques fortement typés par
rapport aux visages européens habituels, et d'autres Asiatiques à la peau et au
visage plus proches des nôtres. Si ces expérimentations n'infirmaient pas mais au
contraire confirmaient l'hypothèse d'une relation, il est probable qu'une
comparaison entre Asiatiques et Européens "fortement typés" montrerait, pour les
SNP du gène SLC16A2 responsables et pour les aspects du visage concernés,
une différence considérable, bien supérieure à celle déjà connue: elle ne serait
plus de 60 à 80%; elle approcherait les 100%. Mais ceci n'est pour l'instant qu'une
hypothèse, une petite partie de ce que Victor Hugo appelait "la grande énigme
humaine et le secret du monde". C'est une hypothèse; elle reste à confirmer.
REFERENCES
1. J. Lejeune et al. Ann Génét. 31, 137-143, 1988
2. J.J. Richard. SLC16A2 human face e-monsite, 2016
3. G. Kuiper et al., Endocrinology, 144, 5411, 2003
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