Janvier 2015 ENTRETIEN ENTRETIEN ENTRETIEN ENTRETIEN « J’aimerais avoir 30 ans ! » Jeremy RIFKIN est un essayiste américain spécialisé en prospective, conseiller de nombreux chefs d’État. À l’heure où la MAIF s’engage délibérément à soutenir le développement d’une société collaborative, il nous a semblé intéressant de l’interviewer. La nouvelle société du coût marginal zéro, paru en septembre 2014, est son dernier opus. J. Rifkin y présage la fin prochaine du capitalisme, victime d’une course à la productivité qu’il a lui-même engendrée. Il esquisse les caractéristiques du monde qui s’annonce : largement automatisé, alimenté par des énergies renouvelables, proposant un foisonnement de biens communs... Le travail salarié n’existera plus ou si peu : nous serons nos propres producteurs de biens matériels et immatériels. Ce texte est la version intégrale de l’entretien que Jeremy Rifkin a accordé à MAIF magazine, en novembre 2014. Traduction : Christelle Oblin-Hill MAIF – Actions Sociétales et Communication Institutionnelle – Pôle éditorial – 2015 Janvier 2015 ENTRETIEN ENTRETIEN ENTRETIEN ENTRETIEN Dans votre dernier ouvrage, vous décrivez la fin proche du capitalisme et la montée en puissance de la gratuité et des échanges collaboratifs. Quelles réactions engendre ce constat ? C’est intéressant, le livre a été publié en anglais en avril, puis dans les principales langues européennes en septembre et octobre – allemand, français, espagnol et italien –, il vient juste d’être publié en Corée et je reviens de Chine. Nous recevons beaucoup de retours. Le livre, bien que non romanesque, est de toute évidence un best-seller en France et dans le monde ; alors oui, il y a forcément un fort intérêt du public. J’ai également entendu, de la part de membres de la communauté des affaires ou du monde politique, que mon livre permet de situer dans une nouvelle perspective les micro-changements qui s’opèrent sous leurs yeux. C’était bien l’intention du livre que de permettre à chacun de comprendre ce qui est en train de se passer. Que se passe-t-il donc ? Nous sommes à un tournant de l’histoire. Le système capitaliste est en train de donner naissance à une descendance. Cet enfant, c’est l’économie du partage basée sur les biens communs, premier système économique à émerger depuis la naissance du capitalisme et du socialisme au début du XIXe siècle. Actuellement, économie du partage et capitalisme marchent de front. Le capitalisme réussira à se maintenir, mais il sera totalement transformé par l’enfant auquel il a donné naissance. Sa survie dépendra de MAIF – Actions Sociétales et Communication Institutionnelle – Pôle éditorial – 2015 DR DR Adam Smith, père de la théorie capitaliste (1723-1790). Karl Marx (1818-1883), théoricien du socialisme. Quel est ce paradoxe ? La théorie capitaliste encourage les entreprises à investir dans les nouvelles technologies pour augmenter leur productivité et réduire leurs coûts marginaux. Cet effort de productivité vise à la fois à conquérir les consommateurs grâce à la baisse des prix, et à fournir un gros dividende aux investisseurs. Le paradoxe est que ce coût marginal*, en tendant vers zéro, engendre l’économie du partage. Ce phénomène a fait irruption sur la place publique il y a quinze ans et il a perturbé des industries entières. Et il va continuer de transformer complètement la façon dont nous pensons la vie économique. Aucun de nous n’avait anticipé DR Janvier 2015 ENTRETIEN ENTRETIEN ENTRETIEN ENTRETIEN sa capacité à nourrir l’économie du partage et des biens communs. Pendant toute cette période, nous vivrons dans un système économique hybride. En 2050, je pense que le capitalisme ne sera plus l’arbitre exclusif de la vie économique. Il devra partager le devant de la scène avec sa descendance. Mais le plus intéressant est la façon dont cette transformation économique a lieu. Nous commençons à voir que le capitalisme, au plus profond de lui-même, est porteur d’un paradoxe, lié au grand succès de la main invisible du marché, que personne n’avait relevé jusqu’ici. Ni même Adam Smith, Karl Marx ou John Keynes… Aucun de ces penseurs n’avait vu ou prévu ça ! John Maynard Keynes (1883-1946) : l’État peut et doit réguler l’économie. * Coût marginal : coût de production d’une unité supplémentaire d’un bien ou d’un service, hors amortissement. MAIF – Actions Sociétales et Communication Institutionnelle – Pôle éditorial – 2015 © iStock Janvier 2015 ENTRETIEN ENTRETIEN ENTRETIEN ENTRETIEN une révolution technologique si extrême dans sa productivité qu’elle pourrait réduire les coûts marginaux de certains biens et services quasiment à néant, les rendant gratuits et en dehors du marché. C’est ce qui a commencé à se passer à très grande échelle. Pour comprendre pourquoi cela est en train de se passer, il faut savoir que les grands changements de paradigme économique partagent un point commun : ils se produisent quand les nouvelles technologies de communication convergent avec les nouvelles énergies et les nouvelles formes de transport pour créer une infrastructure permettant une nouvelle organisation de la vie économique. Par exemple, au XIXe siècle, l’imprimerie et le télégraphe ont convergé avec le charbon bon marché, les moteurs à vapeur et le système national de chemin de fer pour créer la première révolution industrielle. Au XXe siècle, l’électricité centralisée et le téléphone, la radio et la télévision ont convergé avec un pétrole bon marché qui alimentait voitures, cars et camions sur un système national de routes pour créer la seconde révolution industrielle. Et ce que nous voyons maintenant, c’est le crépuscule, la mort de cette seconde révolution industrielle. C’est pourquoi nos PIB sont en train de ralentir et que les économies ne sont plus en croissance. Usine métallurgiste anglaise du XIXe siècle. Que va-t-il se produire maintenant ? Ce que nous commençons à voir en Europe, en particulier en Allemagne et maintenant en Chine, c’est l’émergence d’une troisième révolution industrielle, une nouvelle convergence de la MAIF – Actions Sociétales et Communication Institutionnelle – Pôle éditorial – 2015 Janvier 2015 ENTRETIEN ENTRETIEN ENTRETIEN ENTRETIEN communication, de l’énergie et du transport. L’internet de la communication est en train de converger avec l’internet de l’énergie renouvelable et avec l’internet de la logistique et du transport automatisé guidé par GPS. Ces trois internet créent un super internet : l’internet des objets. Et c’est cela qui change l’équation. Car l’internet des objets nous permet de placer des milliards de capteurs dans la chaîne de valeur. Il y a environ 13 milliards de capteurs en place maintenant, qui envoient en temps réel leurs données vers le super internet des objets. Nous avons des capteurs dans l’agriculture, les usines, les entrepôts, les routes intelligentes, les magasins de détail, les véhicules, les maisons... Ceci nous permet de connecter la race humaine et de commencer à organiser l’activité économique en temps réel à un coût marginal quasiment nul. Nous donnons naissance à une économie hybride, partiellement marché capitaliste, partiellement économie du partage. C’est un changement assez extraordinaire, qui implique des problèmes importants. Qu’est-ce que la neutralité du Net ? Pourquoi faut-il la préserver ? Contre quels intérêts ? L’avis de Jérémie Zimmermann (La quadrature du net – durée 3’30’’). https://www.youtube.com/watch?v=3XIn4QKM_kE&list=PL2 4657AD43221F74A&index=1 Lesquels par exemple ? Pourrons-nous garantir la neutralité de ce super internet ou sera-t-il monopolisé par quelques industries ? Comment préserver la vie privée, la sécurité des données ? Comment garantir que la création de contenu ne sera pas compromise ? Pourra-t-on prévenir le terrorisme ? Mon livre explique ces difficultés et ces combats à mener. Mais MAIF – Actions Sociétales et Communication Institutionnelle – Pôle éditorial – 2015 Janvier 2015 ENTRETIEN ENTRETIEN ENTRETIEN ENTRETIEN si nous réussissons, dans vingt ans, la race humaine tout entière sera connectée à l’internet des objets. Pour la première fois dans l’histoire, chacun saura tout sur l’activité économique à tout instant. C’est un changement capital dans l’activité économique. Jusqu’ici, même les grandes entreprises ne pouvaient accéder qu’à une petite partie des données. Demain, n’importe lequel d’entre nous, avec un smartphone ou un ordinateur, pourra aller sur l’internet des objets et consulter les données économiques de la chaîne qui l’intéresse : son industrie, sa ville, son quartier… Et nous pourrons creuser ces données, les analyser, créer nos propres algorithmes, qui augmenteront très fortement notre productivité. Nous pourrons produire et partager nos propres biens et services à des coûts marginaux quasiment nuls. Cela démocratisera la vie économique. La communication, l’énergie et le transport sont en voie de digitalisation. Ce qui est intéressant, à propos de l’internet des objets, c’est tous ces gens qui disent « oui, mais c’est très lointain tout ça, c’est pour le futur ». Ils se trompent ; c’est maintenant que cela se passe. Aujourd’hui, une centaine de millions de jeunes peuvent, à n’importe quel moment, produire et partager leur propre musique à des coûts marginaux quasiment nuls grâce à l’économie du partage basée sur les biens communs. Ils produisent et partagent leurs propres vidéos sur YouTube, sans copyright, leurs propres blogs d’information, leurs propres média sociaux, leurs propres e-books, des e-books Comprendre le rôle des capteurs et objets connectés Ce dessin animé en anglais a été produit par la société Intel, acteur majeur de ce marché émergent. Il s’agit avant tout d’un film publicitaire : ceci étant, il est plutôt bien fait. https://www.youtube.com/watch?v=Q3ur8wzzhBU MAIF – Actions Sociétales et Communication Institutionnelle – Pôle éditorial – 2015 Janvier 2015 gratuits et ils contournent les plus grosses industries du XXe siècle. Comme vous le savez, toute l’industrie musicale a chuté, la télévision elle-même est dans l’ombre, des journaux et des magazines ont fermé leurs portes, des éditeurs de livres aussi. Le grand chambardement a déjà commencé. TRETIEN Je conseille la Commission européenne depuis 2001. Mes idées ont été approuvées par le Parlement européen et on les retrouve dans la feuille de route de la Commission européenne pour 2020, 2030, 2050. J’ai conseillé la chancelière Merkel en Allemagne, ils vont appliquer le plan dans son intégralité. L’idée a aussi été approuvée par les Nations Unies pour les pays en développement, donc je suppose que je suis cru... Et quand mon livre précédent (La Troisième Révolution industrielle) a été publié en Chine, Wang Yang – qui est maintenant le vice-Premier ministre en charge de l’Économie – l’a approuvé. Il dit dans sa biographie officielle qu’il est fan de mon travail, que mon livre a conduit le gouvernement à agir pour une troisième révolution industrielle en Chine. Le livre s’y est vendu à 500 000 exemplaires. J’y suis allé lors de deux visites officielles et une semaine après, le gouvernement chinois a annoncé un énorme investissement dans l’énergie comme premier engagement de la mise en place d’un internet de l’énergie chinois. Un internet de l’énergie pour que le peuple chinois puisse produire son propre réseau d’électricité © iStock ENTRETIEN ENTRETIEN ENTRETIEN Vos interlocuteurs prennent cela au sérieux ? L’usine sans ouvriers, point d’orgue de la course à la productivité. MAIF – Actions Sociétales et Communication Institutionnelle – Pôle éditorial – 2015 Janvier 2015 ENTRETIEN ENTRETIEN ENTRETIEN TRETIEN solaire et éolienne plutôt que de revenir au nucléaire. Ils vont le connecter à l’internet de la communication et à l’internet du transport et de la logistique pour créer l’internet des objets. Ce que l’on voit, c’est qu’en Europe et en Chine, cela avance, en particulier en Allemagne, et que les Nations Unies s’y mettent aussi. (…) Comment vivrons-nous en 2050 ? Je pense qu’il y aura un système économique hybride, à la fois économie de marché et économie du partage. Le capitalisme sera présent, mais complètement transformé. (…) Certaines entreprises auront tiré parti de l’édification du triple internet et grandi, mais d’autres seront perturbées. Car beaucoup de personnes pourront produire et partager leurs propres biens réels et virtuels. C’est déjà ce qui se passe, les gens sont déjà dans l’économie du partage. Beaucoup d’entre eux produisent et partagent leur propre électricité à un coût marginal nul, une fois payés les coûts fixes de la technologie. Cela permettra également de produire des automobiles, utilisées en autopartage et en covoiturage. Il y aura aussi le transport électrique et les véhicules à pile à combustible, alimentés par une énergie produite à un coût marginal quasiment nul. Et un internet de la logistique et du transport guidé par GPS. Dans dix ans, les voitures nous conduiront. C’est déjà le cas en Californie où il y a des voitures sans chauffeurs, grâce à une navigation par GPS. Enfin, avec l’impression 3D, des gens impriment maintenant leurs propres produits physiques à partir de Se passer d’usine ? Dans la vie collaborative, il devient possible de tout fabriquer soi-même : tracteur, scie circulaire, bétonnière… http://opensourceecology.org/gvcs/gvcs-machine-index MAIF – Actions Sociétales et Communication Institutionnelle – Pôle éditorial – 2015 La gratuité est une notion qui revient souvent dans votre livre. Pourquoi ? © iStock Janvier 2015 ENTRETIEN ENTRETIEN ENTRETIEN TRETIEN logiciels libres. Cela représente une production à un coût marginal proche de zéro, sans droits réservés ni copyright. Pour produire les filaments (NDLR : l’« encre » des imprimantes 3D), ils recyclent les déchets de plastique, de métal et de papier produits dans leur quartier. Certains « fablabs » utilisent des micro-réseaux de panneaux solaires pour alimenter leurs petites imprimantes 3D et quelques-uns d’entre eux utilisent même un véhicule électrique, alimenté par leur propre énergie. Ces produits 3D sont vendus sur le marché capitaliste, échangés ou partagés sur un bien commun. Tout ce qui est écrit dans mon livre est déjà en train de se passer. C’est le fait de la nouvelle génération. Dans dix ans, chaque enfant pourra utiliser une imprimante 3D à l’école et sera passé maître dans l’art du recyclage de matériaux. Il grandira en utilisant des logiciels qui permettront de fabriquer et partager des produits physiques et des produits virtuels. La baisse du coût des imprimantes 3D entraîne l’essaimage de fablabs : des communautés locales s’y créent pour concevoir ensemble des objets. Qu’est-ce qu’un fablab ? Reportage diffusé le 22 août 2012 au journal de 20 heures de France 2. https://www.youtube.com/watch?v=HVIeO3P_ jkY L’internet des objets nous dirige vers la « démarchandisation » de tout. Nous avons déjà démarchandisé en grande partie la communication, le divertissement, les informations, les connaissances. Des centaines de millions de gens produisent et partagent déjà entre eux. Des millions de personnes MAIF – Actions Sociétales et Communication Institutionnelle – Pôle éditorial – 2015 MAIF – Actions Sociétales et Communication Institutionnelle – Pôle éditorial – 2015 © iStock Janvier 2015 ENTRETIEN ENTRETIEN ENTRETIEN TRETIEN partagent une énergie solaire et éolienne émergente. Et le soleil n’envoie pas de facture, ni la chaleur pompée dans le sol ! Une fois que vous avez payé le panneau solaire ou l’éolienne, il suffit de maintenir l’installation en état. Nous évoluons vers une société du coût marginal zéro. Je pense que le meilleur moyen de comprendre l’économie du partage est probablement l’automobile. C’était la pièce maîtresse de la révolution industrielle du XXe siècle. Pourtant, aujourd’hui, les jeunes ne veulent plus posséder leur propre automobile. C’était bon pour grand-mère et grand-père ! Nous avons des millions de jeunes du millénaire (nés après 1980, NDLR) qui passent de la propriété à l’accès. Ils veulent la mobilité, mais ils ne veulent pas de la propriété du véhicule. Il y a des services de covoiturage et d’autopartage partout dans le monde. Chaque voiture partagée élimine 15 voitures en production ; alors imaginez l’impact sur l’industrie automobile globale ! Mon livre cite une étude intéressante : Larry Burns, ancien vice-directeur de la recherche et du développement de General Motors, a étudié Ann Harbor, ville moyenne du Michigan. Sa conclusion est que l’autopartage et le covoiturage permettraient d’y éliminer 80 % des véhicules, immédiatement. Donc, si vous extrapolez à partir de cette étude, nous pouvons éliminer 80 % des véhicules de zones urbaines et suburbaines. Dans dix ou quinze ans, le parc mondial pourra être constitué de 200 millions de véhicules électriques ou à pile à combustible, alimentés par une énergie renouvelable à un coût marginal inexistant. Ils seront produits par impression 3D, en utilisant des matériaux recyclés. Une part grandissante de citoyens produira sa propre électricité verte et revendra ses excédents sur l’internet de l’énergie. Que serait la gouvernance de ce nouveau monde économique ? Tout d’abord, beaucoup de biens communs actuels sont autogérés. Je pense aux sites où l’on partage des jouets, des équipements sportifs, des vêtements, des logements… Par exemple, dans le cas du « couch surfing* » ou de la location entre particuliers, vous êtes évalué chaque fois que vous louez une maison. L’utilisateur est jugé sur une série de points qui fait sa réputation sociale : était-il sociable, efficace, propre ? A-t-il endommagé le bâtiment ? Était-il courtois ? Il en va de même pour les propriétaires, jugés en fonction de la propreté du bâtiment, de sa sécurité, de leur hospitalité… Dans les biens communs, tout le monde est évalué. Dans l’économie du partage, votre réputation sociale est aussi importante que votre capacité à emprunter dans l’économie réelle. Perdre sa réputation sociale, c’est s’exclure du bien commun ou être déclassé. C’est le premier niveau d’autogouvernance de ces biens communs. Mais il y a d’autres niveaux. En Europe, de grandes discussions visent à définir l’attitude à adopter quand les sociétés du câble, des télécoms et de l’électricité tentent de monopoliser les tuyaux, d’introduire des discriminations ou de saper la neutralité du nettoya MAIF – Actions Sociétales et Communication Institutionnelle – Pôle éditorial – 2015 DR Janvier 2015 ENTRETIEN ENTRETIEN ENTRETIEN TRETIEN La primeur revient à la Strati, première automobile imprimée 3D, en production commerciale dès cette année. Ces véhicules seront sans conducteur, avec un coût de main-d’œuvre quasiment inexistant. Tout est écrit dans le livre, tout est en train de se passer maintenant. C’est juste une question d’échelle. Chaque chose écrite dans le livre se passe quelque part, maintenant. L’impression 3D, nouveau mode de production industrielle. * Couch surfing : hébergement temporaire et gratuit entre membres d’une communauté, permettant notamment de voyager à bas coût, partout dans le monde. Janvier 2015 ENTRETIEN ENTRETIEN ENTRETIEN TRETIEN réseau. Cela menacerait les biens communs. Mais cela ne m’inquiète pas trop puisque, par exemple, les compagnies d’énergie allemandes n’ont pu empêcher des millions de personnes – fermes, consommateurs, entreprises – de produire leur électricité de manière collaborative. Pour cela, elles ont obtenu des prêts à taux réduit, car du fait de la revente de l’énergie ainsi produite au réseau, les banques étaient pratiquement certaines d’être remboursées. Les grandes compagnies d’énergie ne possèdent plus que 7 % de la capacité de production allemande. De très grandes sociétés ont bâti leur fortune sur internet. Auront-elles leur place dans le monde que vous décrivez ? Le succès de Google, Facebook et Twitter est dû au fait qu’elles ont créé des biens communs, qui permettent à des millions de personnes de partager leurs créations virtuelles dans le domaine du divertissement, de la communication et de la connaissance pour un coût marginal nul ou quasi nul. Moi-même, j’utilise Google tous les jours. Ces dernières années, toutes les industries ont été perturbées pendant que Google, Facebook et Twitter devenaient des entreprises capitalistes très riches. Le problème est alors le suivant : si Google est l’unique portail vers le savoir, alors Google commence à ressembler à un bien public global ; si Facebook est le seul moyen de communiquer et Twitter le seul moyen de bavarder, alors ils commencent aussi à ressembler à des biens publics globaux. Au XXe siècle, nous étions dans une situation où tout le monde avait besoin des services des compagnies d’électricité, de téléphone, de gaz et de transport ferroviaire. Elles sont devenues des monopoles, et nous les avons réglementées. Dans mon pays (les USA, NDLR), elles sont restées privées, mais nous les avons établies comme services publics réglementés. Nous MAIF – Actions Sociétales et Communication Institutionnelle – Pôle éditorial – 2015 Des biens publics globaux ? Janvier 2015 ENTRETIEN ENTRETIEN ENTRETIEN TRETIEN avons réglementé les prix, la transparence et l’ouverture pour nous assurer qu’il n’y aurait pas de discrimination. Elles pouvaient continuer à faire des profits, mais elles sont devenues des services publics réglementés. Donc, globalement, je pense que nous verrons Facebook, Twitter et Google comme des biens publics globaux. Elles resteront des entreprises privées qui pourront certainement s’épanouir, mais je suis sûr que nous les réglementerons comme des services publics sur les questions de transparence, d’utilisation de nos données et de continuité du service. Je n’ai aucun doute là-dessus. Et nous commençons déjà à avoir cette discussion, comme vous pouvez le remarquer quand vous lisez les journaux en Europe : il y a une lutte entre la Commission européenne, Google et Facebook, et ce n’est que le commencement. Donc nous voulons les bénéfices de ces services, mais nous voulons aussi nous assurer qu’il n’y a pas d’abus. Que serait votre conclusion ? Je vais avoir 70 ans, mais quand je vois tout ça, j’aimerais avoir 30 ans ! Car je pense que c’est une meilleure voie. Ce n’est pas une utopie, ce sera une meilleure route que celle sur laquelle je suis maintenant. Nous pouvons démocratiser la vie économique et devenir une société plus écologique. Et si nous réussissons, nous serons dans une bien meilleure situation que maintenant. MAIF – Actions Sociétales et Communication Institutionnelle – Pôle éditorial – 2015