Antonín Dvorák (1841-1904)
Quatuor à cordes n°12 en fa majeur, « américain », op. 96, B 179 (1893)
Paisible et bouillonnant
Au faîte de sa gloire, après qu’il a accepté le poste de directeur du National
Conservatory of Music de New York, Dvorák séjourne trois ans aux États-Unis,
entre 1892 et 1895. Il compose alors, outre son œuvre la plus célèbre, la
Neuvième Symphonie « du Nouveau Monde », ce fameux Quatuor « américain » (il
n’a d’américain que le fait d’avoir été composé aux États-Unis, même si Dvorák
défendit l’idée d’une musique savante spécifiquement « américaine » ), l’un des
plus joués, en seize jours, pendant les vacances d’été, du 8 au 23 juin 1893, à
Spilville, petite ville de l’Iowa. Cette cité abritait de nombreux immigrants tchèques,
et le responsable de la chorale de l’église St. Wenceslas, la paroisse du lieu,
n’était autre que le père de Josef Kovarik, un jeune violoniste tchèque, aussi
secrétaire et assistant de Dvorák. Grâce à ces contacts, le musicien dut sans
doute approfondir et perfectionner ses inspirations bohémiennes, son style slave ;
les éléments exotiques, au sens large, étant par exemple l’utilisation de la gamme
pentatonique (les touches noires du piano) qu’il avait pu reconnaître en écoutant
des chants de Noirs américains quelques années auparavant à Prague lors d’une
tournée de chanteurs et de danseurs d’Amérique du Nord. Et aussi, fruits de son
séjour dans l’Iowa, cette imitation, au début du Scherzo, par le premier violon, du
chant de la fauvette (tanager) ; ou, à la fin du Vivace, des sonorités d’orgue qui
pourraient évoquer une expérience du compositeur à l’orgue de l’église St.
Wenceslas. Le Quatuor n° 12 comporte quatre mouvements. 1. L’Allegro ma non
troppo à 4/4, de forme sonate traditionnelle, à la thématique pentatonique, est
fluide, simple, parfois obstiné, remarquable par sa vitalité et ses couleurs vives,
stimulantes. 2. Le Lento à 6/8, quintessence de l’art mélodique de Dvorák, fut
considéré par son biographe Sourek comme une « perle authentique parmi les
mouvements lyriques de Dvorák ». 3. Le Molto vivace à 3/4, caractérisé par sa
brièveté (le mouvement le plus court de tous les quatuors du compositeur), est
une sorte de scherzo, simple, robuste et charmeur avec sa fauvette locale et le
chant mezza voce du violoncelle survolant l’accompagnement syncopé des
autres cordes. Dans le finale, Vivace ma non troppo à 2/4, les thèmes principaux
sont tous deux euphoriques et explosifs sur un accompagnement de batterie
syncopée, stylisation peut-être, dit-on, des battements de tambours des Indiens
du lieu. Les mélodies suivantes, dessinées pianissimo dolce, cèlent toutes l’énergie
des croyants, évoqueraient les « joies dominicales » de la paroisse de Spilville. La
coda finale est festive, pleine de lumière.
Jean-Noël von der Weid
Lire
Bernard Shaw, Écrits sur la musique, 1876-1950, Paris, Éditions Robert Laffont, coll.
« Bouquins », 1994.