A Gaillac, ces musulmans qui se sentent incompris des «autres Français»
AFP 24 janvier 2015 à 16:14 (Mis à jour : 25 janvier 2015 à 14:43)
Des musulmans lors de la prière du vendredi à la mosquée de Gaillac, dans le Tarn, le 23 janvier 2015
(Photo Remy Gabalda. AFP)
«Notre religion n’est pas connue dans ce pays, les autres Français ne sont pas au courant», déplore Sana,
une jeune maman employée dans une école de Gaillac, une ville du Tarn de 13.000 habitants à forte
communauté musulmane présente dans la région depuis des dizaines d’années.
Française d’ascendance marocaine, cette institutrice regrette des rapports polis mais froids avec ses
concitoyens, même si elle s’estime «intégrée» grâce à son travail.
Mohamed fréquente la mosquée Abou Bakr Essedik, achevée il y a cinq ans dans un style mauresque et
«toujours ouverte à tous», selon son président Youssef Bajjou.
Marocain arrivé en France il y a deux ans après avoir épousé une Française de même ascendance, il vit
entouré de voisins indifférents. «De faibles échanges, sans boire de café ensemble comme chez nous, où au
moins bavarder, se connaître». Sans travail, il fréquente ses beaux-parents et quelques étrangers.
Sabeh, la soixantaine, parle peu le français. Cette Marocaine vit depuis «très longtemps» en France où ses
sept enfants sont nés, mariés et parents eux-aussi. Incapable de dire leur âge, elle explique être «restée
tout le temps à la maison à s’occuper des enfants».
Selon l’adjoint au maire et historien Alain Soriano, les Marocains sont présents «depuis plus d’une
soixantaine d’années dans le gaillacois, où ils étaient venus travailler dans les vignes. En 1962, sont arrivés
les Pieds noirs d’Algérie et plus tard les harkis libérés des camps où ils étaient parqués depuis leur arrivée
en France à l’indépendance de l’Algérie.
Selon M. Bajjou, les musulmans de la région sont de 1.500 à 2.000.
Certains disent à l’AFP que les médias n’aident pas à la compréhension entre communautés. Fatme (nom
d’emprunt), 21 ans, Gaillacoise, étudiante en droit à Toulouse, explose: «Quand on voit ce qu’il y a à la télé,
on ne peut qu’être raciste envers les musulmans»!, dit-elle. «Le problème des Français c’est qu’ils ne
comprennent rien à l’islam».
- L’islam, un 'mode de vie' -
Pour le président de la mosquée de Gaillac, dissimulée dans la zone industrielle, «les gens ne veulent pas
voir la vérité».
«L’islam, c’est pas une pensée, c’est pas une philosophie: c’est un mode de vie», souligne-t-il. «Le voile est
une prescription religieuse, mais pas la burqa (vêtement qui dissimule entièrement la femme, NDLR).
Demander à une femme d’enlever son voile, c’est arracher une partie de son identité religieuse».
«La France, pays de liberté où le voile est interdit ? Personne ne comprend !, clame-t-il. Comment voulez-
vous qu’un musulman se reconnaisse Français quand il n’a pas les mêmes droits ? Cette république ne nous
accepte pas comme nous sommes: elle veut que nous soyons comme elle veut et c’est pas de la liberté».
En France, le voile intégral est interdit sur la voie publique et le foulard, comme tous les autres signes
religieux ostentatoires, proscrit dans les écoles.
Non sans ironie, il se dit pourtant «pour une fois d’accord avec le Premier ministre Manuel Valls» quand il
parle d'«apartheid» et de ghettoïsation.
Mais à Gaillac, le maire Patrick Gausserand juge «bons» les rapports des communautés, liées par des
rencontres œcuméniques. «Nous étions un millier pour la marche du 11 janvier et on les a vus, une
cinquantaine d’entre eux (les musulmans) arriver avec des panneaux et des banderoles», raconte-t-il. «Je
n’étais pas prévenu. La population n’a pas fait l’amalgame: ils ont été très applaudis».
M. Bajjou confirme. «J’ai pu prendre la parole et condamner et expliquer que ce n’était pas l’islam». «J’en
pleurais. L’accueil était très chaleureux».
«Le problème en France est d’avoir toujours fait sous-traiter l’islam par des consulats qui n’ont rien d’autre
à faire que de s’ingérer dans les affaires religieuses de la République», dénonce-t-il. Nombre d’imams de
France sont d’origine étrangère et certains parlent peu le français.
«La France s’occupe de tous les problèmes sauf de l’islam. Il est temps qu’elle s’occupe de ses musulmans»,
estime M. Bajjou.