42LES CAHIERS DU MUSÉE DES CONFLUENCES
ÉTUDES SCIENTIFIQUES N°3
3.2 - Moulage du lanceur de boomerang
Description du moulage
Le moulage en pied a été réalisé debout, le bras droit levé,
tenant un boomerang dans la main. (pl. 4, fig. 9). Ce boomerang
en bois est caractéristique des boomerangs de l’île Fraser10. Le
reconditionnement du moulage en pied en réserve le rend plus
accessible et plus visible. Il retient alors notre attention. Il est
extrêmement bien conservé, à l’exception d’un éclat au niveau
de l’oreille gauche et de quelques éraflures dans le dos. Il
repose sur un socle et est accompagné d’une étiquette précisant
: « Australien lançant le boomerang, Queensland, moulé à Lyon
en 1884, au Muséum d’histoire naturelle ». Aucune photo du
moulage en salle d’exposition n’a été retrouvée à ce jour. Ainsi,
nous ne savons quelle était l’intention réelle de présentation :
en salle d’anatomie comparée ou bien en salle d’ethnographie
dans une vitrine, avec les objets australiens déjà entrés en col-
lection à cette époque11. La représentation à l’échelle 1/1 et la
précision des détails rendus par la patine (pigmentation de la
peau, pilosité et scarifications), en font un moulage plus vrai que
nature (Pl. 4, Fig. 10). Les scarifications du torse, identifiées
comme typiques des scarifications de l’île Fraser12, pourraient
faire l’objet de recherches et de comparaisons permettant ainsi
d’identifier encore plus précisément l’origine et l’âge de ce
jeune homme.
Des moulages de la plante des pieds et de la paume des mains
ont été retrouvés en réserve ultérieurement, en 2009, lors d’un
réaménagement de réserve. Ces moulages comportent l’inscrip-
tion : « empreinte de l’australien en pied » sur le verso. Au recto,
sur la tranche est inscrit « Boni, l’australien ».
La précision dans la représentation de la pigmentation de la
peau obtenue sur le moulage permettait sans doute d’appuyer
les nombreuses études anthropologiques de l’époque qui se
caractérisaient elles-mêmes par une grande précision dans la
description.
Études anthropologiques d’Aborigènes
Deux études sur des Aborigènes ont été menées entre 1883 et
1885.
La première a été réalisée par le professeur Virchow, titulaire
d’une chaire d’anatomie pathologique à l’Université de Berlin et
considéré comme un fondateur de cette discipline. Cette étude
publiée en 1883 dans une revue d’anthropologie allemande
(VIRCHOW, 1883), porte sur trois australiens surnommés Alfred,
Susanne et Bonny. C’est un certain Louis Müller qui les présente
à l’Institut de Pathologie de Berlin où travaille le professeur
Virchow. Le jeune Alfred se prénomme en réalité Jurano, il a
environ 22 ans, sa nièce Susanne aurait quant à elle 15 ans et
Bonny environ 18 ans. Des moulages des trois jeunes
Australiens ont été réalisés lors de leur passage en Allemagne.
Ces moulages se trouvent aujourd’hui dans des collections par-
ticulières (comm. pers. Roslyn Poignant).
Deux ans plus tard, en 1885, une seconde étude portant sur trois
Australiens est réalisée en France par Paul Topinard, professeur
au Laboratoire d’anthropologie de Paris. Les Australiens sont
deux hommes et une femme comme dans l’étude précédente,
mais se prénomment : Billy, Tobie et Jenny (TOPINARD, 1885), et
leurs âges ne correspondent pas. Les recherches de POIGNANT
(2004) ont montré qu’il s’agissait de deux groupes différents :
les trois Aborigènes étudiés par Topinard sont les rescapés d’un
groupe de neuf personnes originaires de Palm, une île située au
nord du Queensland. Après avoir traversé le Pacifique depuis
l‘Australie, ils ont été exhibés dans différentes villes
d’Amérique du nord-ouest avec le cirque Barnum, puis à travers
l’Europe avec l’entrepreneur de spectacles R A Cunningham.
Topinard a présenté ce groupe à la Société d’anthropologie de
Paris dans la séance du 19 novembre 1885 à partir d’une étude
réalisée une dizaine de jours auparavant (d’après l’introduction).
Avec ces informations, Roslyn Poignant fait remonter leur départ
à 1882. En revanche le groupe de Bonny étudié par Virchow est
originaire de Fraser, une île plus au sud. Toujours selon Poignant,
ce groupe aurait été conduit en Europe par deux Allemands,
entre 1882 et 1883, pour débuter une tournée en Allemagne,
puis à travers le reste de l’Europe.
Des recherches plus approfondies permettraient probablement
de savoir si le jeune Bonny étudié par Virchow et « Boni, l’aus-
tralien », lanceur de boomerangs, sont une seule et même per-
sonne.
Une présentation13 du moulage du jeune Aborigène a eu lieu à
l’occasion de rencontres organisées par le musée des
Confluences en 2009, intitulées « Paroles d’autochtones ».
L’assemblée était constituée d’un public restreint de chercheurs,
boursiers de l’UNESCO. Très vite, un grand intérêt est porté à ce
moulage, considéré par certains Aborigènes comme un corps
humain en tant que tel, c’est-à-dire comme l’un de leur ancêtre.
A ce titre, deux Aborigènes14, Fiona Foley, célèbre artiste
contemporaine australienne, de langue batjala comme Boni, et
Daniel Browning, journaliste à ABC Radio National, approfon-
dissent actuellement des recherches. L’intérêt de ces travaux
est de parvenir à redonner une identité à ce jeune homme moulé
et savoir si « Bonny » et « Boni » sont une seule et même per-
sonne. Daniel Browning a découvert que Boni a voyagé à travers
l’Allemagne, comme peuvent l’attester quatre articles de presse
de l’époque qui relatent l’évènement. Ces recherches ont fait
l’objet d’une émission de radio, « Cast among strangers.
Awaye! », diffusée le 5 novembre 2011 sur ABC415.
En 2007, Brook Andrew, artiste contemporain Aborigène, wirad-
juri, inaugure un nouveau genre en proposant un travail artis-
tique réalisé à partir de clichés photographiques du XIXesiècle
et de clichés de pièces aborigènes conservées dans les réserves
10 Information communiquée par Fiona Foley, artiste aborigène, elle même originaire de l’île Fraser.
11 Des boucliers et des boomerangs donnés au musée par Anthelme Thozet, un botaniste français qui étudia la flore australienne. Ce don est particulièrement intéres-
sant car il constitue en 1874 une des premières entrées bien documentées pour la collection des Sciences humaines, notamment dans la description des bois utilisés et
des régions de collecte.
12 Information communiquée par Fiona Foley.
13 A l'initiative de Christine Athenor, responsable des collections Afrique-Océanie.
14 Fiona Foley et Daniel Browning se sont rendus dans les réserves du musée des Confluences en juin 2011 pour examiner le moulage et tenter d’identifier son modèle.
15 Ce documentaire a reçu la médaille de bronze à l'International Festival Radio Awards, 2012.