hiérarchie. L’un de ses élèves, Robert Michels, étudia le fonctionnement des
partis politiques au début du XXe siècle et leur forte tendance à la
bureaucratisation, qu’il baptisa « loi d’airain de l’oligarchie ». « Qui dit organisation
dit tendance à l’oligarchie. Dans chaque organisation, qu’il s’agisse d’un parti,
d’une union de métier, etc., le penchant aristocratique se manifeste d’une façon
très prononcée. Le mécanisme de l’organisation, en même temps qu’il donne à
celle-ci une structure solide, provoque dans la masse organisée de graves
changements. Il intervertit complètement les positions respectives des chefs et de
la masse. L’organisation a pour effet de diviser tout parti ou tout syndicat
professionnel en une minorité dirigeante et une majorité dirigée. » (5) Il y aurait
ainsi une sorte de « loi naturelle » s’appliquant à toute organisation qui devrait tôt
ou tard se professionnaliser, assurer une division technique du travail et favoriser
la centralisation du pouvoir, minant ainsi de l’intérieur toute tentative de
démocratisation. Néanmoins, nous pouvons douter de la pertinence explicative de
ce concept, qui met l’accent sur la destination supposée de toute organisation
(l’oligarchie) sans montrer comment s’opère concrètement la transition vers l’« état
final » du système. En d’autres termes, la loi d’airain présuppose ce qu’il s’agit
d’expliquer, à savoir comment la bureaucratisation devient possible, à quel
moment, par quels mécanismes et quelles contradictions. La bureaucratie est un
fait social, institutionnel et historique, et non un phénomène naturel et universel.
La loi d’airain de l’oligarchie revient ainsi à ériger un principe métaphysique qui
occulte le fonctionnement pratique des organisations, en considérant celles-ci
comme des forces impersonnelles et objectives qui nous dominent de l’extérieur.
La critique du fétichisme des partis se transforme en fétichisme de la
bureaucratie, qui apparaît dès lors comme un pouvoir mystérieux et supra-humain
qui serait hors de notre portée. S’il existe assurément des tendances lourdes
favorisant la bureaucratisation, existe-t-il tout de même des contradictions, des
contre-tendances et d’autres facteurs qui relativiseraient l’inéluctabilité de ce
phénomène social? En reprenant l’attitude de Karl Marx vis-à-vis de la
mystification de la « loi d’airain des salaires » de Lasalle dans la critique du
Programme de Gotha, pourrions-nous essayer d’aller plus loin que le simple
constat dogmatique selon lequel les partis sont tous voués à devenir identiques? «
De la loi d'airain des salaires, rien, comme on sait, n'appartient à Lasalle, si ce
n'est le mot « d'airain », emprunté aux « lois éternelles, aux grandes lois d'airain »